[50]
TÉLÉVISION*
CE mode nouveau
et étonnant de communication a suscité beaucoup
d'intéret [sic] et d'enthousiasme dans
le grand public, dans les milieux publicitaires
et chez tous ceux dont c'est le désir ou la
fonction de renseigner et d'influencer l'opinion.
Cet intérêt, cet enthousiasme à l'égard de la
télévision est un fait d'importance qu'on ne
saurait mettre en doute. L'impossibilité d'en
prédire l'avenir est un autre fait d'égale
importance mais peut-être moins reconnu. À en
juger par le passé récent de la télévision,
nous ne pouvons être certains que de
l'incertitude de son avenir.
2. Il y a probablement lieu
d'examiner à la lumière de ces deux premiers
faits les autres opinions couramment acceptées
sur la télévision. Le pouvoir qu'elle possède
d'influencer les gens est un sujet que l'on ne
traite qu'au superlatif. Les influences
conjuguées de l'image, du son et du mouvement,
sont encore plus considérables lorsqu'elles
s'exercent dans le calme du foyer. Il est peu
douteux que la télévision ne soit en train de
devenir aussi populaire que persuasive.
3. On a cependant mis en
doute une troisième idée communément
répandue, c'est-à-dire que la télévision
deviendrait une rivale sérieuse et même
dangereuse pour les autres organes d'information
collective, la radio et le cinéma. Certains
indices révèlent que la fréquentation du
cinéma et l'audition des émissions
radiophoniques accusent un fléchissement
sensible dans les endroits où l'on a la
télévision. Une enquête a montré par exemple,
que, dans la région métropolitaine de New-York,
dans tout foyer où l'on a la radio et où l'on
s'est muni dernièrement de la télévision, la
réclame radiophonique a perdu 83 pour cent des
possibilités qu'elle avait aux programmes du
soir. Les auteurs du rapport prétendent que la
télévision a pour ainsi dire éliminé des
foyers pendant la nuit l'audition des émissions
radiophoniques(1).
D'aucuns soutiennent cependant que la
télévision, une fois qu'elle aura perdu son
caractère de nouveauté, trouvera sa place, à
titre de moyen d'éducation et de divertissement,
à côté de la radio et du cinéma, qui
d'ailleurs peuvent être contraints, en raison
d'une saine concurrence, d'exploiter de nouveaux
domaines qu'ils ont jusqu'ici négligés.
4. Nous sommes donc en
présence d'un nouveau et puissant moyen de
diffusion qui, s'il ne supplante pas les autres,
exercera certainement sur eux une profonde
influence. Dans notre pays, aux communications
[51]
difficiles, l'étude de l'utilisation de cette
nouvelle force est donc très importante. On nous
a demandé de préconiser une ligne de conduite
qui devrait en orienter la mise en valeur. C'est
là un sujet de préoccupation pour un grand
nombre de gens, avons-nous appris. À titre de
préliminaires aux recommandations que nous
formulerons à la deuxième partie, nous
soumettons ici un aperçu des progrès réalisés
à l'étranger et au Canada en matière de
télévision, des différents facteurs à
considérer tant du point de vue technique et
financier que du point de vue de l'élaboration
des programmes, et enfin de l'opinion générale
sur ce sujet, dans la mesure où nous avons pu la
connaître.
5. On donne aujourd'hui des
émissions de télévision dans un certain nombre
de pays, notamment en Grande-Bretagne, en France
et aux États-Unis. Chacun de ces pays applique
à ce moyen de communication la même ligne de
conduite qu'il suit à l'égard de la
radiodiffusion. Il y a, dans le reste de
l'Europe, des transmissions expérimentales en
Hollande et en Italie, et deux postes en Russie.
Il y a aussi des postes au Mexique, au Brésil et
à Cuba; ces derniers fonctionnent d'après le
standard américain. Le Danemark et la Suisse
songent à établir la télévision; toutefois,
ils en sont encore à la phase des projets. Tout
comme le Canada, la Suisse doit en outre
résoudre le problème des émissions en deux
langues au moins. Sauf erreur, ces deux pays se
proposent de garder la télévision sous la
régie d'État, exempte de réclame commerciale.
6. En 1936, la British
Broadcasting Corporation a mis sur pied un
service que la guerre est venue interrompre.
Depuis la reprise de ce service, le poste de
Londres diffuse, quatre heures par jour, un
excellent programme d'émissions accessibles à
12 millions de personnes. Le nouveau poste de
Birmingham, relié à celui de Londres par des
postes auxiliaires de relayage et par câble
coaxial, sera à la portée de 6 millions de
nouveaux amateurs. Il existe 300,000 appareils de
réception. La BBC diffuse 28 heures par semaine
grâce à un budget d'environ 2 millions de
livres sterling; en 1949, elle avait affecté à
la télévision 620 de ses employés. Comme c'est
le cas pour la radio, la télévision anglaise
n'admet pas la réclame et il n'existe pas de
postes d'émission privés en Angleterre. Le
régime semble satisfaire les gens; toutefois, la
perspective de la télévision cinématographique
apporte un élément nouveau dans la situation.
Une société britannique a l'intention de
présenter des émissions de télévision sur le
plan commercial dans les salles de cinéma,
probablement en utilisant des fils aériens
reliés à des studios ou à tous les endroits
où peut se faire le reportage des événements,
afin d'assurer des programmes de télévision à
ceux qui ne peuvent se payer des appareils
récepteurs au foyer.
7. À l'instar de la
Grande-Bretagne, la France a organisé la
télévision à titre de service public non
commercial. Dernièrement, on a proposé là-bas,
en certains milieux, de confier à des agences de
publicité
[52]
le soin d'exploiter la télévision de concert
avec le gouvernement français dans une sorte de
monopole coopératif. On n'a cependant pas donné
suite à la proposition. Il existe deux postes en
France, l'un à Paris et l'autre à Lille; les
progrès de la télévision cependant y sont pour
le moment assez restreints, car les autorités
ont décidé de concentrer leurs efforts
immédiats sur la télévision à haute
définition, afin de produire une image
plus nette et d'une plus grande précision, même
si les spécialistes prétendent que ce mode
coûte trop cher et limite singulièrement le
nombre de bandes disponibles. Cette ligne de
conduite retarde naturellement la vente des
appareils récepteurs (il n'y en a que 15,000 en
usage), ainsi que les opérations de télévision
à titre de service public et toutes les
opérations d'affaires qui pourraient s'y
rattacher.
8. Les émissions de
télévision ont débuté aux États-Unis en
1939. En 1941, la guerre les a interrompues.
Depuis la guerre, en dépit de graves problèmes
d'ordre technique et financier, la télévision a
fait des progrès d'une étonnante rapidité.
Comme la Grande-Bretagne et la France, les
États-Unis s'en tiennent à la réglementation
par l'État des permis pour l'exploitation des
bandes de télévision. La Federal
Communications Commission est l'organisme
d'État revêtu du pouvoir de délivrer ces
permis. Au début de 1951, les États-Unis
comptaient 107 postes fonctionnant dans 66
villes. Les appareils récepteurs, de 7,000
qu'ils étaient à la fin de la guerre, se
comptent maintenant par plus de 10 millions (plus
de 2 millions dans la seule zone de New-York) et
l'on estime le nombre de spectateurs à environ
40 millions.
9. Au Canada, la
télévision se trouve dans la situation
proverbialement heureuse de n'avoir pas encore
d'histoire. Le Bureau des gouverneurs de
Radio-Canada, à titre d'organisme chargé au
premier chef de surveiller l'intérêt national
dans tous les secteurs de la diffusion, a
publié, en mai et novembre 1949, deux
déclarations exposant sa pensée
fondamentale au sujet de ce problème.
Reconnaissant d'abord que la télévision est
appelée à devenir un secteur important, sinon
le plus important de la diffusion, le Bureau
signalait les frais élevés qu'elle doit
entraîner particulièrement au Canada, les
problèmes techniques qu'elle pose et
l'accessibilité des émissions commerciales
émanant des États-Unis. D'une façon
générale, il proposait d'aménager la
télévision en fonction de l'intérêt national
selon les principes déjà adoptés en matière
de radiodiffusion. L'importance des dépenses à
engager, les difficultés techniques qui
attendaient encore une solution, l'obligation
qu'il y aurait d'assurer un rayonnement national
le plus tôt possible après l'inauguration des
services de télévision, tout portait à s'en
tenir à une ligne de conduite supposant
l'élaboration réfléchie des plans et des
préparatifs. Le Bureau, s'il n'a officiellement
aucune responsabilité envers les particuliers
qui consentent à risquer leur argent dans
l'entreprise, se tenait
[53]
cependant pour responsable de la qualité du
service offert aux Canadiens qui achètent des
postes récepteurs.
10. Dans l'entre-temps, cependant,
stimulée par les intérêts commerciaux,
l'expansion des services de télévision aux
États-Unis procédait à un rythme accéléré,
en dépit des pertes régulièrement subies par
les gens engagés dans cette entreprise et qui
mobilisaient les bénéfices provenant de la
radio pour acquitter les frais de la
télévision. Devant une telle situation le
Canada ne pouvait donc retarder davantage de
prendre une décision à l'égard d'un service
qui parvenait déjà à un grand nombre de
Canadiens. En mars 1949, le Gouvernement canadien
faisait une déclaration importante. Vu le coût
de la télévision et son avenir incertain, il
avait paru sage d'en retarder l'aménagement au
Canada jusqu'au terme de la période
d'expérimentation. Compte tenu des progrès
déjà acquis et de l'existence au Canada d'une
industrie des appareils électriques de plus en
plus importante, il arrêtait une ligne de
conduite provisoire prévoyant l'aménagement
méthodique d'un réseau canadien de télévision
auquel participerait l'entreprise privée. Il
annonçait donc que la direction générale de la
télévision serait confiée au Bureau des
gouverneurs de Radio-Canada, qui prendrait des
dispositions en vue de la télédiffusion, soit
par les soins de la société d'État soit par
des postes privés dûment autorisés, en
conformité de la loi de la radiodiffusion. Des
centres nationaux de mise en ondes et de
transmission seraient établis à Montréal et à
Toronto, puis le service s'étendrait à d'autres
parties du pays dans le plus court délai
possible. Dans n'importe quelle ville ou région,
un permis pourrait être accordé à un poste
privé, sous réserve de garanties suffisantes
quant à ses ressources financières et à la
faculté de fournir le service approprié. Toutes
dispositions portant sur les réseaux de
transmission devraient, comme pour la radio,
relever du Bureau des gouverneurs de
Radio-Canada. Les premiers frais d'établissement
et le coût des programmes devaient être
acquittés à même un prêt de 4 millions
consenti à Radio-Canada.
11. Cette ligne de conduite,
sanctionnée par le Parlement, régit
actuellement l'aménagement de la télévision au
Canada. Tout comme la Grande-Bretagne, la France
et les États-Unis, le Canada a suivi
rigoureusement, dans ce domaine, sa politique
déjà établie en matière de radiodiffusion. On
pourrait croire que cette façon de procéder
n'exige aucune explication ni commentaire, mais
la télévision comporte, notamment en sa
période d'essai, certains aspects particuliers
qui semblent demander un examen attentif de toute
politique qu'on se propose de suivre.
12. C'est le coût d'opérations
s'étendant à tout le pays qui dicte en partie
notre politique de radiodiffusion. Il en sera de
même et davantage dans le cas de la
télévision, dont les frais sont, selon diverses
estimations, de trois à dix fois plus élevés
que pour la radiodiffusion. Il faut se rappeler
également que, à l'heure actuelle, la portée
suffisamment effective de la télédiffusion se
borne à une cinquantaine de milles.
[54]
L'estimation qui suit et qui provient de
Radio-Canada serait d'un quart de million pour un
poste qui ne réalise pas ses émissions. On
compte que le coût d'un poste de télévision
complètement aménagé, doté de studios et de
services administratifs, sera d'environ 2
millions; cependant, si l'on pouvait utiliser un
bâtiment déjà construit et suffisamment
spacieux pour y établir des studios, le coût
serait d'environ 1 million et demi. Le coût d'un
réseau de télévision, utilisant soit un câble
coaxial soit les " microondes ", s'est
établi à environ $10,000 par mille aux
États-Unis, bien qu'il ait fortement varié
selon la nature du terrain. Le coût d'un réseau
national de télévision au Canada serait donc de
35 à 50 millions, mais on espère que ces
capitaux seront engagés par nos sociétés de
téléphonie et de télégraphie. Celles-ci, qui
pourraient compter sur le revenu des opérations
commerciales qu'elles feraient avec la location
des réseaux de télédiffusion, fourniraient
l'outillage nécessaire. De plus, cet outillage
servirait également à l'expansion de leurs
propres services commerciaux de téléphonie, de
télégraphie, de télétypie et de
téléphotographie. En d'autres termes,
Radio-Canada ne serait pas tenue d'aménager ses
propres installations techniques pour constituer
un réseau de diffusion, mais utiliserait ces
nouveaux circuits commerciaux de câbles «
coaxiaux » ou de « microondes », tout comme
elle utilise actuellement les circuits
téléphoniques et télégraphiques des
sociétés commerciales.
13. Le coût pour
Radio-Canada des réseaux de télévision
dépendrait, dans une large mesure, de la façon
dont ces circuits seraient utilisés à d'autres
fins et des conditions que la Société pourrait
obtenir des entreprises commerciales pour la
location, durant certaines heures convenues, de
leurs installations. De toute façon les frais
annuels de location des réseaux seront sûrement
élevés, tout comme les frais de location des
lignes terrestres constituent, à l'heure
actuelle, un élément important des dépenses
annuelles de Radio-Canada.
14. Les incertitudes
techniques que comporte encore le développement
de la télévision posent des problèmes plus
graves, à certains égards, que les frais
inévitablement élevés de sa mise en onde. La
difficile question du nombre de lignes et du
format des images, qui a été un sujet de
controverse dans les milieux de télévision en
Europe, ne se retrouve pas cependant en Amérique
du Nord puisqu'il est vraisemblable de penser que
l'on adoptera le système établi aux
États-Unis.
15. L'apparition de la
télévision en couleur crée une difficulté
bien autrement sérieuse. Si elle donne de bons
résultats, on peut présumer qu'elle remplacera
complètement la transmission en noir et blanc.
Voilà déjà qui introduit un nouvel élément
d'incertitude dans les plans relatifs à l'avenir
de la télévision. De plus, la concurrence entre
divers modes de transmission des couleurs mis au
point par des entreprises rivales aux États-Unis
constitue une autre complication. Afin d'arrêter
le choix qui
[55]
s'imposait entre les systèmes concurrents, la
Federal Communications Commission, qui
tenait des audiences à ce sujet depuis 1949, a
rendu, en octobre 1950, un décision,
immédiatement contestée devant les tribunaux.
L'issue est encore incertaine au moment où nous
écrivons ces lignes. Si nous ne nous abusons,
certains aspects de cette question compliquée,
qui a provoqué les plus vives disputes entre
sociétés rivales et entre techniciens, feront,
en dernier ressort, l'objet d'un recours à la
Cour suprême des États-Unis, de sorte qu'on ne
saurait s'attendre à une solution avant
longtemps. Nous apprenons, toutefois, que la
pénurie de matières premières essentielles,
durant la présente période de tension
internationale, retardera davantage la mise au
point de la télévision en couleur.
16. A la base de tous les
problèmes d'ordre technique, il y a la question
fondamentale des bandes de fréquence, qui sont
moins nombreuses que pour la radiodiffusion. La
question n'est pas difficile à résoudre en
France ni en Angleterre, où existe le monopole
d'État. Aux États-Unis, la méthode suivie à
l'origine et consistant à assigner les mêmes
bandes à des postes rivaux dans des zones
contiguës menaçait d'aboutir à la pire
confusion par suite d'interférences imprévues
causées, dans la pratique, par certaines
conditions atmosphériques. En conséquence, à
l'automne de 1948, on a « gelé » l'octroi de
permis afin d'entreprendre sur ce point des
recherches qui se poursuivent encore. Les bandes
maintenant octroyées se trouvent toutes dans la
gamme de « très haute fréquence ». La
solution consisterait peut-être à s'élever
vers la gamme de « fréquence ultra-haute »,
réservée jusqu'ici aux expériences poursuivies
sur les modes de télévision en couleur et à la
diffusion à haute définition. Mais une telle
solution, qui entraînerait l'absorption de
toutes les bandes disponibles, pourrait, d'autre
part, retarder l'amélioration de la clarté de
l'image et la mise au point de la transmission en
couleurs.
17. C'est uniquement en
guise de préliminaire à l'étude des émissions
et des services que la télévision peut offrir
aux Canadiens que nous avons traité de son
aspect financier et de ses problèmes techniques.
Il est évident que, si la télévision est plus
puissante que la radio, elle se prête plus
facilement aux abus. Peu nombreux sont les
Canadiens qui ont vu des programmes télévisés;
nous n'avons donc recueilli au cours de nos
séances que peu d'opinions bien informées sur
ce sujet. Nous avons nous-mêmes étudié
quelques-unes des émissions américaines que les
Canadiens peuvent maintenant capter. Étant
donné les deux principaux objectifs de notre
système national de radiodiffusion, qui sont de
favoriser l'unité et la compréhension dans la
nation et de faire de l'éducation populaire,
nous n'estimons pas que les émissions
américaines, sauf certaines exceptions notables,
répondraient à nos besoins nationaux.
[56]
18. Aux États-Unis, la
télévision est essentiellement une entreprise
commerciale, une industrie publicitaire. Aussi,
les commanditaires s'efforçant de « donner à
la majorité des gens ce qu'ils désirent »
choisissent-ils souvent des programmes d'une
norme culturelle inférieure, avec l'espoir
d'attirer le plus grand nombre de spectateurs.
Or, comme la télévision laisse une impression
beaucoup plus forte que la radio, les émissions
commerciales télévisées poussent plus loin les
méthodes d'appel aux divers instincts
matériels, méthodes qui gâtent actuellement
beaucoup d'émissions commanditées à la radio.
Nous supposons que les nombreuses gens qui ont
protesté contre certaines émissions
commerciales radiodiffusées verraient d'un plus
mauvais il encore que l'on télédiffuse
des émissions du même genre. Une étude sur le
sujet, préparée dernièrement aux États-Unis,
signale même que la qualité des émissions
télévisées dans ce pays souffrira peut-être
de la rapidité avec laquelle les programmes
complémentaires sont remplacés par des
émissions commanditées.
19. En outre, la réclame influe
directement sur le programme lui-même. Elle peut
parfois être assez bien isolée au début et à
la fin du programme ou bien s'intégrer au
programme même, sans trop détonner dans
l'émission. D'autre part, introduite au cours de
l'intermission d'une pièce, elle peut facilement
en détruire l'atmosphère. Enfin, la pratique
très répandue d'incorporer la réclame dans la
texture même du spectacle annule tout à fait
l'intérêt d'une représentation par ailleurs
digne d'être captée, en nous enlevant
l'illusion d'assister à un spectacle
désintéressé. Les commanditaires doivent,
naturellement, obtenir une publicité suffisante
en retour de l'argent qu'ils affectent aux
émissions; mais l'expérience acquise aux
États-Unis démontre à quel point il est
difficile de satisfaire aux exigences de cette
publicité sans gâter l'émission.
20. Nous devons convenir,
toutefois, que, en dépit de nos observations
généralement défavorables au sujet des
émissions américaines, il s'y rencontre des
exceptions dignes de remarque, ainsi que nous
l'avons déjà noté. Certaines actualités
importantes, telles que les séances du Conseil
de sécurité des Nations Unies, ont fait l'objet
d'un choix bien avisé et d'une présentation
habile; on a vu de superbes télédiffusions
d'opéras ou d'autres genres de musique ainsi que
de pièces de théâtre; les discussions en
groupe sont d'habitude fort vivantes; on a
présenté des démonstrations intéressantes et
conçues avec originalité d'expériences
scientifiques et d'enseignement technique; il y
a, en outre, d'excellentes émissions pour les
enfants.
21. En Angleterre, on tient
pour acquis que le rôle de la télévision ne se
borne pas à la reproduction, par l'image et le
son, du rythme et des aspects de la vie
contemporaine. Un membre de la Commission, au
cours de conversations avec les directeurs de la
télévision anglaise, a
[57]
constaté que la politique suivie par
l'Angleterre en matière de télévision vise à
donner à celle-ci, pour une bonne part, un
caractère éducatif; de fait, des spécialistes
n'hésitent pas à mentionner à propos de
télévision les responsabilités morales
et culturelles qu'ils assument. D'accord
avec cette conception la télévision anglaise
est extrêmement variée, mais néanmoins
marquée d'un caractère nettement culturel. On
n'y voit aucune diffusion d'ordre commercial. «
Tous ceux, hommes et femmes, qui se consacrent à
la diffusion, déclare le directeur
général de la BBC, sir William Haley,
doivent savoir résister à la pression exercée
par des gens d'autant plus bruyants qu'ils savent
moins ce dont ils parlent. Ils doivent agir selon
le sentiment qu'ils ont de ce qui s'impose. S'ils
s'écartent de cette voie, la conscience publique
bien développée agira en qualité de
régulateur et de guide »(2).
L'examen du tableau des émissions
télédiffusées en Angleterre pendant treize
semaines nous a permis de constater qu'on y
trouve sans doute beaucoup de programmes purement
récréatifs, comme les sports et les spectacles
de variétés, et qu'on y remarque également
nombre de films ordinaires et quelques revues de
mode, mais tout cela ne fait en réalité
qu'encadrer les parties principales du programme,
qui a pour but de cultiver le peuple, soit en le
récréant au moyen de pièces de théâtre,
d'opéras, de danses et de représentations
musicales, soit en l'instruisant directement, au
moyen de conférences. Il y a enfin d'excellents
programmes pour les enfants et, si nous ne nous
abusons, on prend des dispositions en vue de
fournir des appareils de télévision aux
écoles. Il nous semble que la télévision
anglaise cherche à réaliser un juste équilibre
dans l'ensemble très varié de ses productions.
22. En France, la
télévision, comme la radio, fait partie des
attributions d'un sous-secrétariat d'État
chargé de l'information et rattaché à la
présidence du Conseil. À l'heure actuelle, elle
consacre une bonne partie de son effort aux
émissions d'ordre éducatif. Les directeurs de
ces émissions poursuivent activement l'étude de
la télévision considérée en tant
qu'instrument d'enseignement. Ils se proposent de
diffuser, de concert avec le ministère de
l'Éducation nationale et sans interruption au
cours de l'année, des émissions convenant aux
différents niveaux de l'enseignement. « Nous
pouvons, nous devons même, lit-on dans une
déclaration officielle de 1949, donner l'exemple
... d'une télévision qui peut contribuer, dans
notre pays, à l'union intellectuelle de nos
enfants, et dans le monde au rapprochement si
désirable des peuples » (3). En
France, il n'existe pas d'émissions d'ordre
commercial et, sauf erreur, on s'en tiendra à
cette ligne de conduite, bien que le
développement de la télévision ne puisse
compter dans ce pays que sur un budget
extrêmement modeste, équivalant en une année
à peu près à la somme consacrée journellement
par la BBC à ses services de télévision. À
l'heure actuelle, la télévision française
fonctionne pendant deux ou trois heures par jour.
On ne paraît
[58]
pas avoir l'intention d'accroître beaucoup ce
nombre d'heures; les émissions coûtent cher et
le grand public n'a que peu d'heures disponibles
pour la télévision; en outre, on ne croit pas
qu'il soit bon de nuire aux études des écoliers
ni d'empiéter sur le temps que les adultes
doivent consacrer à la lecture et à la
réflexion.
23. Aucune personne
réfléchie ne saurait mésestimer les
virtualités des bons programmes de télévision
dans les domaines où la radio a déjà fourni un
apport si précieux. Si la radio et le film
canadiens ont si fortement contribué jusqu'ici
à rapprocher les Canadiens et à les aider à
mieux se comprendre, on peut aisément concevoir
tout ce que la télévision pourrait accomplir
elle aussi dans ce but. Dans le domaine de
l'enseignement postscolaire et des loisirs
familiaux, la télévision offre également des
possibilités qui, si elles ne peuvent être
toutes prévues avec exactitude, ne sauraient
être passées sous silence. Comme pour la radio,
le problème qui se pose au Canada consiste à
tirer le meilleur parti possible de ce nouveau
moyen de diffusion, dans les limites des
circonstances particulières à notre pays et de
nos disponibilités financières.
24. Terminons la présente
section par un bref compte rendu des vues que
nous ont exposées divers groupes. La plupart ne
possédaient que peu de données précises, mais
presque tous étaient conscients des
conséquences d'ordre général qu'aurait le
développement de la télévision au Canada. Tous
ont démontré qu'ils se rendaient compte des
virtualités de ce nouvel instrument de
communication. Nous avons entendu avec intérêt
cette remarque que la technique de la production
d'un programme de télévision retarde beaucoup
sur la technique de sa diffusion. Certains ont
également exprimé leur crainte des excès et
des abus possibles. Les opinions les plus
optimistes nous sont venues des gens qui
s'intéressent à l'exploitation des
possibilités commerciales de la télévision.
Nous avons aussi entendu des exposés très
sérieux sur son importance probable dans le
domaine de l'éducation, en particulier sur son
emploi à l'école. D'aucuns ont signalé le
danger de passivité qu'elle renferme pour le
spectateur, surtout chez les enfants; et nous
avons noté avec intérêt les critiques assez
vives que M. T.-S. Eliot a récemment formulées
à ce sujet (4). On
a, en outre, traité des rapports de la
télévision avec l'industrie cinématographique
au Canada et l'on a parlé de la télévision
comme d'un moyen de stimuler la production du
film canadien de long métrage si négligé
jusqu'à maintenant.
25. Divers groupes,
notamment des organismes influents de caractère
national, ont demandé que le Canada procède
avec lenteur dans le domaine de la télévision,
puisque les frais y seront forcément
considérables et qu'on pourrait réaliser des
économies en tirant partie de l'expérience
acquise ailleurs. Ils ont demandé également
qu'on accorde l'égalité de traitement aux
diverses régions, soulignant que les régions
isolées ont
[59]
besoin de ce service bien plus que les zones
fortement peuplées. « z La télévision pourra
rendre des services considérables à
l'agriculture et favoriser l'épanouissement des
arts, des lettres et des sciences à la campagne,
à condition que, dès le départ, l'on fasse la
part de la télévision rurale et que l'on voie
à la préparation du personnel nécessaire à
cette fin » (5),
lisons-nous dans le mémoire de la Corporation
des agronomes de la Province de Québec. Enfin,
l'unanimité a été à peu près complète parmi
les groupes bénévoles pour souligner
l'importance qu'il y a de suivre, dans ses
grandes lignes, la politique adoptée à l'égard
de la radio et, par conséquent, de garder la
télévision sous la régie de l'État,
c'est-à-dire à l'abri de toute
commercialisation excessive. Même ceux qui sont
impatients de voir se développer les services de
la télévision se rendent nettement compte des
dangers qu'elle comporte et sont d'avis qu'il
faut un régime nationalisé. Le public,
pensons-nous, est encore moins au courant des
problèmes que posent ici la technique et la
réglementation que dans le cas de la radio;
néanmoins, il a, de façon générale, exprimé
sa confiance dans la politique actuelle de régie
telle qu'elle est appliquée par Radio-Canada.
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