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CHAPITRE IV*
LE CINÉMA
BIEN qu'aux
termes de notre mandat nous soyons expressément
chargés d'examiner le fonctionnement de l'Office
national du film afin de formuler des
recommandations appropriées, nous nous
préoccupons moins, dans cette première partie
du Rapport, des problèmes d'administration ou de
finances de cet organisme que des intérêts
culturels des Canadiens dans le domaine de la
cinématographie. Le présent chapitre traite
donc surtout du film comme moyen de favoriser
l'unité nationale et l'éducation des masses. À
ce propos, nous ferons connaître le point de vue
de sociétés bénévoles, leurs avis
relativement à l'uvre déjà réalisée
par les organismes de l'État et celle qu'ils
devraient accomplir. On nous a, il va sans dire,
beaucoup parlé de l'Office national du film, et
nous devons examiner d'une façon assez
détaillée son organisation et ses initiatives.
Nous nous sommes efforcés, cependant, d'avoir
toujours présente à l'esprit l'importance du
cinéma en général dans la vie nationale et
culturelle du Canada, au double point de vue de
la production et de l'utilisation des films.
2. La puissance d'influence
du cinéma, de nos jours, n'est pas un thème
nouveau, et il serait superflu de s'attarder ici
à l'action qu'il exerce sur la vue et l'ouïe,
action que l'emploi de la couleur intensifie.
Cette influence, nous le reconnaissons
également, est d'autant plus considérable qu'on
la subit passivement. Nous tenons cependant à
ajouter qu'à l'heure actuelle, parmi les
éléments qui influent sur la vie des Canadiens,
le cinéma est non seulement le plus fort, mais
aussi le plus spécifiquement étranger. Les
Canadiens fréquentent le cinéma à peu
d'exception près, et la plupart des films
émanent d'Hollywood. L'influence civilisatrice
des Carnegie et des Rockefeller nous a aidés à
nous réaliser; Hollywood, par contre, tend à
nous façonner à son image.
3. Depuis quinze ans,
cependant, le Canada se livre à des expériences
sur un genre de film qui diffère du film
récréatif d'Hollywood, le documentaire,
présenté soit sous la forme commerciale de la
pellicule de 35 mm., soit sous la forme non
commerciale de la bande de 16 mm. D'après la
définition originelle, le documentaire était un
« film fondé sur des faits, tourné sur les
lieux mêmes et, de façon générale, sans
l'aide d'acteurs ni de décors » (1).
Quoique cette définition ne s'étende ni ne
doive s'étendre à tous les films
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de 16 mm., on conviendra sans doute que ce
genre de film, tout en utilisant nombre de
techniques nouvelles, vise encore aujourd'hui à
reproduire des situations réelles plutôt
qu'artificielles et à stimuler l'intérêt
envers la réalité vivante plutôt qu'à fournir
l'occasion de s'en évader. Nous avons recueilli,
à propos du documentaire et de l'influence qu'il
exerce sur nos gens, des renseignements nombreux
et fort précieux.
4. Jusqu'à la fin des
années 30, la plupart des Canadiens ne voyaient
que les films passés dans les cinémas
commerciaux où, nous l'avons déjà noté, on ne
disposait guère que de films d'Hollywood. Des
écoles présentaient bien certaines bandes de 16
mm., et quelques documentaires canadiens de
valeur médiocre servaient à des fins de
publicité à l'étranger. En 1935, alors que
plusieurs pays d'Europe possédaient des moyens
de production et de distribution très
perfectionnés, le Canada ne comptait pour tout
organisme de distribution bénévole que l'Extension
Department de l'Université de l'Alberta.
Cette année-là, quelques personnes
intéressées à la question fondèrent la
Société nationale du film afin de fournir des
services d'information et de distribution à des
groupes d'usagers non desservis par les cinémas
commerciaux, tels les ministères de
l'Instruction publique, les cercles
d'enseignement postscolaire et divers groupements
techniques. La Société du film constitua une
cinémathèque coopérative, et sa permanence
s'engagea à se procurer et à prêter des films
ainsi qu'à fournir les renseignements
nécessaires aux groupes affiliés ou à d'autres
groupements. Les premières années, la plus
grande partie des fonds nécessaires à
l'entreprise provenait de sources anglaises et
américaines. En 1938, le British Imperial
Trust fit les frais d'une réunion générale
en vue de l'institution d'une commission
nationale du film et versa plus de $8,000 pour
l'achat de films britanniques. La Carnegie
Corporation accorda une faible somme pour
l'étude des besoins du Canada en matière de
films; ce don fut suivi de généreuses
subventions annuelles de la part de la Dotation
Rockefeller, de 1937 à 1946. Cette aide de
l'extérieur permit d'établir le premier centre
national d'information et de distribution de
documentaires au Canada.
5. De son côté, le
gouvernement canadien s'était rendu compte des
possibilités du documentaire. Dès 1914, le
Bureau des expositions et de la publicité du
ministère du Commerce s'était occupé de
produire des films. On donna plus tard à ce
service le nom de Bureau du cinématographe
officiel. Pour divers motifs, dont la nécessité
de faire le point en matière de documentaires au
Canada et aussi celle de produire des films qui
conviendraient mieux aux auditoires étrangers,
on invita M. John Grierson, éminent producteur
britannique de documentaires, à mener une
enquête et à faire rapport de ses
constatations. Cette initiative aboutit à la loi
nationale de 1939 qui prévoyait la création
d'une commission nationale du cinématographe,
composée de sept membres, y compris trois
fonctionnaires de l'État, et présidée par le
ministre du Commerce. Le principal fonctionnaire
administratif de la Commission était le
directeur du Bureau du
[63]
cinématographe officiel. Il avait pour
fonctions de coordonner l'activité
cinématographique fédérale, de conseiller les
services de l'État relativement à la production
et à la distribution des films et de servir
d'intermédiaire entre les ministères et le
Bureau du cinématographe officiel. De façon
générale, il devait « émettre des avis
consultatifs sur la production et la distribution
de films nationaux destinés à aider les
Canadiens de toutes les parties du Canada à
comprendre les modes d'existence et les
problèmes des Canadiens d'autres régions » (2).
6. Pendant quelque temps, on
laissa effectivement au Bureau du cinématographe
officiel et à son directeur la production et la
distribution des films. Mais la guerre éclatait
quelques mois après l'adoption de la loi
nationale sur le cinématographe. On eut tôt
fait de se rendre compte que seul un service
d'information beaucoup plus actif réussirait à
faire comprendre aux Canadiens le danger qui
menaçait la nation, et à leur faire accepter
les restrictions et les sacrifices qui
s'imposaient. Parmi les moyens de résoudre le
problème, il fallait évidemment étendre
davantage et mieux coordonner le service de
cinématographie officiel. En 1941, on rattacha
le Bureau du cinématographe officiel à l'Office
national du film, organisme désormais chargé
non seulement d'arrêter un programme d'ordre
général en matière de films et de donner des
conseils aux divers ministères tout en
coordonnant leurs initiatives dans ce domaine,
mais encore de produire et de distribuer des
films. Il devait également exécuter une foule
de travaux connexes fort importants : bandes de
projections, photographies et graphiques
publicitaires de toutes sortes, tant pour le
compte des ministères qu'aux fins de
l'information générale.
7. L'Office national du film
a apporté à l'accomplissement de ses fonctions
l'énergie que doit déployer l'un des services
d'information les plus importants du pays. Il a
réalisé des films pour le compte des
ministères de la Défense nationale, des
Munitions et Approvisionnements, de la Santé
nationale et du Bien-être social, ainsi que pour
le compte de la Commission des prix et du
commerce en temps de guerre, du Comité des
finances de guerre et de la Commission
d'information en temps de guerre. Il fallait
alors expliquer l'effort de guerre, maintenir le
moral ou simplement renseigner, comme dans les
séries bien connues intitulées le Monde en
action et En avant Canada. Mais on ne
perdit pas de vue le besoin de récréation et de
distraction, ni la nécessité fondamentale pour
tous les Canadiens, même dans cette période
critique, de se renseigner davantage sur leur
pays, sur leurs voisins et sur les valeurs qui
faisaient l'enjeu du conflit. Les spectateurs
ruraux surtout, privés de la distraction
qu'offre le film récréatif, se seraient vite
lassés d'un régime uniforme d'information et de
propagande de guerre. Pendant cette période,
l'Office du film produisit donc de nombreuses
bandes qui eussent été tout aussi appropriées
au temps de paix; films d'intérêt régional
sur diverses parties du Canada, depuis l'île
Grand Manan jusqu'à la route de l'Alaska; films
sur la musique
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et films sur les beaux arts. En 1945 le
développement de l'Office atteignit son sommet.
Il comptait alors un personnel de 787 employés
et produisit 310 films cette année-là.
8. L'Office, cependant, ne
s'est pas borné à la production. Il ne perdit
jamais de vue son principal objet qui était de
stimuler la circulation des documentaires et des
films éducatifs adaptés aux besoins de nos
gens, indépendamment du lieu de production et
des créateurs de ces films. Au fur et à mesure
que se déroulait la guerre, l'Office mettait au
point un régime de distribution de ses propres
bandes et d'autres films dans tout le pays, y
affectant un tiers de son personnel. On se
préoccupa d'abord de fournir des films aux
régions rurales non pourvues de cinémas
commerciaux. Des projectionnistes furent envoyés
à l'extérieur, chacun d'eux devant desservir un
groupe de villages tous les mois, hiver comme
été, au moyen d'un « programme complet »
comprenant des bandes d'actualités et des films
récréatifs. Les mêmes personnes offraient
aussi des représentations dans les écoles.
Voici comment un projectionniste de langue
française décrit la façon dont il était reçu
: « J'éprouve un réel plaisir en arrivant dans
une paroisse, car aussitôt les jeunes s'écrient
: 'Voilà le monsieur aux films', et me font
cortège jusqu'à la salle » (3). On
atteignait également les régions urbaines, au
moyen de tournées organisées dans les usines et
établissements industriels par l'Office du film,
et grâce aux efforts bénévoles et énergiques
des Chambres de commerce cadettes, des clubs
Kiwanis et d'autres groupements s'intéressant à
cette uvre. Les citadins bénéficiaient
également des films de 35 mm. expédiés à de
nombreux cinémas commerciaux. Les bureaux de
l'Office à l'étranger et les missions
diplomatiques assuraient aussi l'exécution d'un
programme actif de distribution en d'autres pays.
9. Bien qu'il possédât un
service de distribution très étendu, l'Office
national du film ne manquait pas de collaborer
avec les organismes bénévoles qui, nous l'avons
souligné, furent les premiers à favoriser
l'utilisation du documentaire au Canada. Il noua
très tôt avec la Société nationale du film
des relations étroites et amicales qui se sont
révélées des plus utiles pour la distribution
de films. Conscients des limitations que
comporterait tout service national de location,
ces deux organismes s'efforcèrent de favoriser
l'achat de films par l'entremise de leurs
services d'acquisition. L'Office facilitait le
choix des films par des avant-premières et la
Société du film, par son service d'information
; mais ni l'un ni l'autre de ces moyens n'était
tout à fait satisfaisant. Afin de compléter son
propre service de distribution et d'appuyer le
travail de la Société du film, l'Office décida
de fournir à la Société une copie de chacun de
ses propres films d'intérêt général, ainsi
que de beaucoup d'autres bandes acquises à
l'étranger. Ensemble, l'Office et la Société
ont assuré d'excellents services de
distribution, malgré des lacunes et des
chevauchements dont il sera question plus loin.
10. Pendant la guerre, afin
de faire face à la crise, on avait dû
accroître, rapidement mais non sans peine, le
personnel et les services de l'Office
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national du film. En 1946, l'application d'un
programme général de compressions entraîna la
diminution de ses crédits; il fallut donc
réduire à la hâte des services qu'on avait
aussi hâtivement développés. Certains,
d'ailleurs, mettaient en doute, sinon le besoin,
du moins l'utilité des services fournis par
l'Office, affirmant que des organismes
bénévoles et commerciaux pourraient, avec tout
autant d'efficacité et de façon plus
appropriée, se charger de la production et même
de la distribution. Nous avons recueilli de
nombreux témoignages quant au travail accompli
par l'Office dans les domaines de la production
et de la distribution. Nous en offrons ici
l'analyse à titre d'avant-propos à l'exposé de
ce que nous croyons être l'opinion des
sociétés bénévoles et du grand public sur
l'important problème de laisser ou d'empêcher
l'Office de s'occuper de production et de
distribution.
11. Environ 120 groupements ont
traité, parfois très longuement, dans des
mémoires ou dans leurs témoignages, de
l'uvre de l'Office national du film. La
plupart ont loué son travail et voudraient en
voir étendre la portée. On est même allé plus
loin. Nombre de Canadiens se sont déclarés
fiers du travail accompli par l'Office du film, y
voyant, comme dans le cas du régime national de
radiodiffusion, une réalisation canadienne,
précieuse et originale. Plusieurs en effet ont
loué l'esprit bien canadien de l'Office du film:
« Exploitant des domaines restés jusqu'ici sans
attrait pour le producteur commercial, l'Office a
ouvert des horizons nouveaux à des centaines,
voire de milliers de Canadiens, grâce à des
films qui nous montrent comment les gens
travaillent et se divertissent dans diverses
parties du pays. Il a ainsi contribué au
maintien des traditions locales et régionales,
ainsi que des pratiques artisanales du passé, et
suscité l'intérêt à l'égard de certaines
manières nouvelles et ingénieuses d'occuper ses
loisirs » (4).
L'Office fait également l'objet de
félicitations pour les services qu'il assure aux
collectivités éloignées : « Ses films
atteignent de façon saisissante maintes gens qui
autrement n'auraient aucun contact avec la vie
culturelle de la nation » (5). Les
coupes opérées dans le budget de l'Office ne
peuvent donc que causer du regret et même de
l'irritation: « ... La politique présente de
rogner les dépenses ne saurait qu'appauvrir les
éléments culturels du pays » (6). Ces
quelques observations résument très bien les
commentaires que nous ont communiqués nombre
d'autres organismes (7).
12. Nous avons toutefois
reçu des renseignements intéressants sur la
façon dont, depuis 1946, on a réussi à
surmonter partiellement les difficultés
provenant de ces restrictions de crédits. Dans
ces circonstances critiques, ceux qui refusaient
de se priver des spectacles cinématographiques
mensuels ont organisé dans plusieurs régions
rurales des circuits cinématographiques
indépendants, et ils ont pu compter, en cela,
sur l'aide et les conseils du personnel de
l'Office du film. Les groupements ruraux se sont
procuré des appareils de projection et ont
formé des opérateurs. L'entreprise présentait
des difficultés et exigeait du temps, mais
l'Office a pu faciliter les choses en prêtant
des appareils pour de longues périodes aux
acheteurs éventuels.
[66]
Le nombre de spectacles a dû être réduit de
douze à huit par année, mais les
représentations ont conservé leur régularité
grâce au « programme complet » imaginé par
l'Office du film. Des organismes provinciaux
gèrent ou appuient, actuellement, un grand
nombre de circuits ruraux.
13. Des initiatives
semblables, bénévoles et indépendantes, ont
pris naissance, également avec la collaboration
active de l'Office du film, dans des centres plus
peuplés qui, à ce moment-là, se trouvaient
complètement privés des spectacles réguliers
offerts par l'Office du film. Des groupes de
cinéphiles se sont constitués en conseils du
film. Ces conseils sont actuellement au nombre de
près de 250 et représentent plus de 6,000
associations. Contrairement aux circuits ruraux,
les conseils ne reçoivent de l'Office aucun
programme gratuit. Ils doivent, non seulement
acheter les instruments de projection et former
les opérateurs, mais aussi acheter, louer ou
emprunter les bandes. Les moyens qu'ils emploient
pour se procurer ceux-ci sont aussi variés que
compliqués.
14. Pour résumer les
considérations précédentes, les copies peu
nombreuses dont dispose l'Office du film, après
la tournée des circuits ruraux, sont
distribuées avec le concours de nombreuses
institutions disséminées par tout le pays :
cinémathèques provinciales, services
d'éducation populaire des universités,
bibliothèques municipales et organismes divers
d'intérêt local. Le mode actuel de distribution
de films au Canada nous apparaît, même s'il est
quelque peu compliqué, comme un admirable
exemple d'improvisation et d'utilisation de
ressources limitées.
15. L'initiative bénévole
et locale joue maintenant un rôle de plus en
plus important dans la distribution des films.
Dans les régions relativement riches et bien
peuplées, on trouve des conseils du film non
seulement dans les centres urbains mais aussi
dans les campagnes. On nous a appris que toutes
les écoles et tous les groupements
communautaires d'un comté de l'Ontario se sont
associés pour former un de ces conseils. Dans
l'Ontario encore et dans plusieurs autres
provinces, les bibliothèques municipales
possèdent des collections de films, prêtent
même des projecteurs, et vont jusqu'à offrir
des spectacles cinématographiques dans leurs
propres murs. Les conseils du film les plus
prospères travaillent en collaboration étroite
avec les bibliothèques, où ils conservent
souvent leurs collections. Les groupements
affiliés à la Société du film continuent de
recevoir des pellicules de la cinémathèque de
la Société moyennant diverses conditions, et
ils les montrent à leurs membres pour un prix
nominal. Enfin, les ministères provinciaux de
l'Instruction publique pourvoient aux
représentations dans les écoles.
16. Le Canada connaît donc
une distribution rapidement croissante de
documentaires grâce à l'initiative bénévole,
soutenue par une assistance municipale ou
provinciale qui revêt diverses formes; y
prennent aussi part, jusqu'à un certain point,
les services de distribution du commerce. Dans
[67]
quelle mesure l'Office national du film y
participe-t-il? Malgré l'importance que prend
dans ce domaine l'initiative locale et privée,
l'Office joue un rôle essentiel à tous les
paliers. Ses services centraux et régionaux
d'avant-premières défient toute comparaison.
L'Office fournit sans frais des programmes aux
circuits ruraux; ses dépôts constituent le
fonds des cinémathèques provinciales et des
collections ambulantes (ou blocs) sur
lesquelles comptent les conseils du film; ses
représentants, dans tout le Canada, sont prêts
à aider de leurs avis et de leur active
collaboration les conseils du film et les
bibliothèques locales. C'est donc à son
intervention qu'est dû en majeure partie le
remarquable développement de l'initiative
bénévole dans le domaine de la distribution des
films. Les groupements bénévoles nous l'ont
affirmé eux-mêmes et ils n'ont que des éloges
pour l'aide qu'ils en ont reçue. La seule
plainte que les groupements bénévoles aient
formulée contre les services de distribution de
l'Office du film se résume à ceci que ces
services sont trop restreints. Les protestations
viennent en particulier de ceux qui, dans les
villes, désirent voir des documentaires mais ne
sont pas disposés à s'acheter un projecteur ni
à adhérer à une société. De tout cela nous
gardons nettement l'impression que l'Office du
film est un organisme de l'État qui stimule et
inspire l'effort des groupements bénévoles.
17. Nous arrivons maintenant
au problème de la production. Nombreux sont les
commentaires que nous avons entendus sur la
qualité des films que produisent l'Office du
film et d'autres entreprises, et pressants sont
les désirs et les besoins de la population
canadienne. Les groupements parlent avec
enthousiasme du soin que prend l'Office du film
pour faire connaître le Canada aux Canadiens.
Maintes et maintes fois, ils ont mentionné
nommément des films sur les paysages du Canada,
sur des collectivités canadiennes, sur nos
peintres et nos chansons, et nous avons entendu
demander très souvent un bien plus grand nombre
de films du même genre. Les bandes traitant de
questions sociales ont également reçu de grands
éloges et l'on en demande d'autres. Les films
portant sur l'histoire du Canada et le folklore
canadien plaisent beaucoup, et l'on en désire un
plus grand nombre. On a proposé des films
traitant de plusieurs autres sujets spéciaux, en
des domaines très variés. Des particuliers,
dont certains spécialistes du cinéma, ont
félicité à leur tour l'Office du film de son
important travail de recherches qui a donné de
remarquables résultats non seulement dans
l'ordre esthétique mais aussi dans le domaine de
la technique. Le développement du nouveau et
souple procédé du dessin animé, selon une
technique peu coûteuse mais efficace, a fait du
chemin, de même qu'ont progressé des techniques
nouvelles et ingénieuses dans la préparation
des actualités et des films d'enseignement. Nous
avons appris également avec intérêt la
réputation internationale que se sont acquise
certaines bandes de notre Office national du
film.
18. D'autre part, des
critiques venant d'amateurs et même d'experts
nous ont été présentées. Des associations
bénévoles se sont montrées très sévères
[68]
à l'endroit de certains films de l'Office,
qu'elles jugent vagues, incohérents et d'une
facture médiocre. D'autres trouvent que
certaines séries ne sont pas assez approfondies,
que les développements ne sont pas
rationnellement traités et que l'on ne réussit
pas toujours à introduire le spectateur au
cur du sujet. Ici, l'on demande de diminuer
la production de films-réclames sur le Canada et
d'accroître celle qui tend « à relever le
niveau intellectuel des masses » (8);
là, des spécialistes critiquent certains films
portant sur la peinture, qu'ils considèrent plus
spectaculaires qu'éducatifs. Mériteraient le
même reproche, nous a-t-on assuré, de
prétendus documentaires dans certains domaines,
réalisés par des amateurs relativement
ignorants du sujet et ne sachant pas résister à
la tentation de sacrifier la réalité aux effets
dramatiques.
19. Certains de ces défauts
peuvent être imputés, dit-on, à la négligence
ou au manque d'habileté, ou encore au refus de
se plier aux conseils des gens compétents; ils
s'expliqueraient encore, dans certains cas, du
fait que plusieurs des films de l'Office sont
commandités, et qu'il y a toujours des
difficultés inhérentes à la tâche délicate
qui consiste à concilier les fins poursuivies
par le commanditaire et l'instinct créateur du
metteur en scène et du réalisateur. Au
demeurant, les films visent nécessairement à
plaire au plus grand nombre possible de
cinéphiles. Ils peuvent donc paraître
décevants à ceux qui ont des exigences
spéciales. Ce mécontentement se remarque
surtout chez les instituteurs, et ceci vient de
ce que la plupart des films qu'ils reçoivent
n'étaient pas d'abord destinés aux écoles.
20. Deux problèmes
particuliers nous ont été signalés. Le premier
a trait aux exigences spéciales du Canada de
langue française. Les films en cette langue ne
suffisent pas à la demande. L'Office national du
film donne une version bilingue de presque tous
ses films, et les producteurs indépendants
imitent l'Office sur ce point dans plusieurs de
leurs films industriels. Des groupes de langue
française n'en reprochent pas moins à l'Office
de ne pas se montrer réellement biculturel, sans
doute parce que certaines versions françaises,
traduites de l'anglais, se prêtent difficilement
à ce traitement et, par conséquent, n'ont pas,
au Canada d'expression française, le cachet
d'authenticité qu'aurait un film français dans
sa conception et dans son exécution. Les
Canadiens de langue française ont moins que ceux
de langue anglaise l'occasion de pouvoir se
procurer à l'étranger des films en leur langue.
La province de Québec a produit d'excellents
films, et une société américaine réputée
doit préparer la version française de quelques
films d'enseignement. Malheureusement, le manque
de fonds a empêché la Société du film
d'assurer un service français d'information
approprié. L'Office vient toutefois d'inscrire
à son budget un montant de $146,000 qu'il
destine à la préparation de films de conception
française.
21. Le second problème est
l'insuffisance de services cinématographiques
centraux, question que nous ont exposée
plusieurs groupes et particuliers, notamment
l'une de nos plus importantes organisations
nationales dans le
[69]
domaine de l'enseignement postscolaire. On
nous a signalé que le Canada a besoin d'une
cinémathèque nationale divisée en deux
sections, celle des archives et de la
consultation, et celle des prêts. Il lui
faudrait un catalogue et un service de
renseignements où seraient répertoriées toutes
les collections de films existant au Canada ainsi
que les grandes collections qu'on trouve à
l'étranger. Ce service devrait être en mesure
de fournir, sur demande, des listes spéciales de
films et autres renseignements. Il faudrait en
outre développer les services d'appréciation et
d'utilisation des films, en vue d'assurer aux
intéressés le genre d'uvres qu'il leur
faut et de les leur faire utiliser le plus
profitablement possible. Il faudrait encore un
service d'acquisition, c'est-à-dire un centre
où l'on s'adresserait pour commander des films,
surtout dans le cas des films étrangers; enfin,
un service de recherches sur les problèmes
généraux d'utilisation et de distribution des
films au Canada, notamment les règlements de la
censure, qu'ignorent souvent maintes sociétés
qui donnent des représentations
cinématographiques.
22. Jusqu'à ces derniers
temps, la Société nationale du film et l'Office
national du film ont assuré ces services, en
partie et inévitablement de manière imparfaite,
mais non sans gaspillage d'énergie et
superposition des efforts. Au cours de l'été
1950, la Société nationale du film fut
absorbée par le nouvel Institut canadien du film
dirigé par les représentants des fédérations
de Sociétés du film, de certains organismes
dont l'activité s'étend à tout le pays et de
l'Office national du film. Avant même cette
fusion, on nous avait laissé entendre qu'un
organisme de ce genre pourrait se charger des
fonctions décrites au paragraphe précédent. Il
semble généralement admis que l'amélioration
de la production et de la distribution exige
impérieusement la création de ces services
qu'il serait préférable de confier à un
organisme bénévole subventionné par l'État.
Cet organisme pourrait publier un journal où
l'on ferait la critique impartiale des films
documentaires. Nombreux sont les groupements qui
déplorent le manque d'une publication de ce
genre.
23. Revenons maintenant à
la question déjà posée: l'Office national du
film peut-il jouer un rôle essentiel en temps de
paix? Certaines Chambres de commerce et des «
boards of trade » , ont exprimé l'avis qu'en
temps de paix la production de l'Office national
du film est inutile et inopportune. L'Office,
prétendent-ils, devrait abandonner toute
activité créatrice, pour se contenter de
coordonner l'activité cinématographique de
l'État et lui donner les conseils nécessaires
dans l'octroi de contrats de production à des
sociétés privées. Certains services de
distribution pourraient aussi être assurés par
l'Office, bien que l'initiative en soit de plus
en plus laissée aux groupements d'ordre local et
bénévole.
24. À l'appui de la
production privée, on allègue qu'une vingtaine
de sociétés commerciales s'occupent déjà, au
Canada, de produire des films; que quelques-unes
d'entre elles ont manifesté le sens et le goût
du travail original et vraiment créateur; et
qu'une ou deux ont réalisé des films de
[70]
tout premier ordre qui sont actuellement
distribués par l'Office du film et par des
institutions d'enseignement. On fait ressortir
que certains films de grande qualité qui ne
contiennent aucune réclame sauf que l'on donne,
au début et à la fin de chaque film, le nom de
la maison qui le commandite, ont été tournés
en collaboration avec un conseil d'experts
composé de représentants de la Société du
film et de quatre autres organismes nationaux
s'occupant d'enseignement postscolaire.
Quelques-uns de ces films conviennent
parfaitement aux besoins de l'éducation soit
scolaire soit populaire. On exprime l'avis que
ces sociétés commerciales sont tout à fait
capables de produire les films commandités par
l'État, comme elles le font déjà en réalité
dans une mesure restreinte. On se demande en
conséquence si l'Office du film ne devrait pas
renoncer à toute production ou du moins se
borner à la réalisation de quelques films ayant
pour thème le civisme ou d'autres thèmes de
même nature. Les contrats de l'État
fourniraient aux entreprises commerciales de plus
amples occasions de se livrer au travail
expérimental, sans compter qu'une telle
concurrence susciterait l'originalité et un
renouveau dans la production artistique. Les
films scolaires, a-t-on affirmé, causent des
ennuis sans fin à l'Office du film qui doit
tenir compte des conditions particulières dans
chacune des dix provinces. Le meilleur moyen de
se plier à cette situation, ce serait de mettre
la réalisation de ces films sous les auspices
d'organismes provinciaux.
25. Nous sommes convaincus
que ces avis seraient fortement contredits par
presque tous les organismes bénévoles qui nous
ont présenté des mémoires sur la question à
l'étude. Comme en ce qui concerne la radio, ces
organismes se déclarent très satisfaits des
résultats passés, bien qu'ils comptent sur
d'autres progrès dans l'avenir. Ainsi que dans
le domaine de la radio, ils appréhendent fort
les résultats de la commercialisation et
demeurent convaincus que seul l'Office du film
peut leur donner les films vraiment et
typiquement canadiens qu'ils désirent. Ajoutons
enfin que, comme dans le cas de la radio, ils
demandent avec une insistance grandissante des
réalisations sérieuses et instructives que, de
l'avis général, l'Office national du film est
en mesure de produire et qu'il devrait produire.
26. Nous ne pouvions manquer
d'être frappés par le parallèle existant entre
la radiodiffusion et la production de films
documentaires au Canada. Dans les deux cas, il
s'agit d'une activité qui relève en partie,
mais non intégralement, d'un organisme d'État;
et, d'autre part, l'entreprise privée, qui n'a
qu'un rôle auxiliaire dans la radiodiffusion, a
toute liberté d'agir dans la production du film.
La Société Radio-Canada et l'Office du film
rendent des services signalés aux régions
éloignées. Les deux sont un sujet de fierté et
de satisfaction pour les Canadiens qui se
plaisent à reconnaître que ces institutions
canadiennes, dont l'apport à l'unité nationale
est si considérable, n'ont pas d'équivalent sur
le continent américain. Dans les deux domaines,
on a parlé de monopole de l'État faisant une
concurrence
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injuste aux entreprises privées et
constituant peut-être une menace à l'intérêt
public. À ces accusations, on a répondu que
seule une organisation nationale était en mesure
de protéger la nation contre une
commercialisation et une américanisation
excessives. Dans les deux cas, en dépit des
divergences de vues sur l'entreprise d'État et
l'entreprise privée, ces deux formules ont été
jusqu'ici articulées, par des moyens bien
différents, de façon à offrir au public un
service généralement acceptable. Voici pourtant
un contraste frappant. Le régime radiophonique
canadien englobe tout le domaine de la t.s.f. et
répond à tous les genres d'intérêt en
matière radiophonique. Le film documentaire, en
dépit de sa popularité et de sa circulation
croissante ne représente encore qu'une minime
fraction de la consommation cinématographique
totale du Canada. Dans le domaine du grand
spectacle cinématographique, les Canadiens
préfèrent les productions commerciales; or, on
n'en réalise que très peu au pays. Il y a bien
dans la Province de Québec quelques tentatives
prometteuses dans ce sens; mais les auditoires
de langue anglaise se voient encore servir par
Hollywood d'étranges interprétations d'un
Canada qu'ils n'auraient jamais pensé ni voulu
voir.
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