Articles en recherche qualitative : information aux auteurs et aux pairs-examinateurs
Margo Rowan, PhD; Patricia Huston, MD, MPH
CMAJ 1997;157
Mme Rowan est directrice adjointe, Direction de la recherche, Association médicale canadienne, et chargée de cours au Département des études supérieures, Faculté déducation, Université dOttawa, Ottawa (Ont.). Le Dr Huston est professeure adjointe au Département de médecine familiale, Université dOttawa, Ottawa (Ont.). (Au moment de la rédaction de cet article, le Dr Huston était rédactrice en chef associée du JAMC.)
Cet article a été examiné par les pairs.
Adressez toute correspondance à : Mme Margo Rowan, PhD, Direction de la recherche, Association médicale canadienne, 1867, prom. Alta Vista, Ottawa ON K1G 3Y6; télécopieur : 613 731-1779; rowanm@cma.ca
Demandes de tirés à part : Janis Murrey, JAMC, 1867, prom. Alta Vista, Ottawa ON K1G 3Y6; télécopieur : 613 523-0937; murrej@cma.ca
© 1997 Association médicale canadienne
Depuis quelques années, les journaux de médecine publient de plus en plus souvent des recherches qualitatives, se démarquant ainsi nettement dune longue tradition de recherches quantitatives. La situation sexplique sans doute par plusieurs raisons. Depuis 25 ans, on admet de plus en plus que les comportements nuisibles pour la santé contribuent à accroître les risques de maladie. Par exemple, un changement de mode de vie représente maintenant une démarche centrale dans la prévention des cardiopathies1, et ce nest que tout récemment quon a pu mesurer les répercussions du mode de vie et du comportement sur les décès par le cancer2. Les habitudes et les comportements des gens correspondent souvent à leur milieu social et culturel. Par conséquent, il est rarement suffisant de simplement fournir de linformation sur les conséquences négatives de certains comportements pour inciter quelquun à changer.
La recherche quantitative, même si elle excellait à documenter des modifications pathophysiologiques, na jamais bien renseigné sur la dynamique sociale et psychologique. La recherche qualitative, conçue pour observer linteraction sociale et comprendre les perspectives individuelles, renseigne sur les expériences des individus, les raisons de leur démarche et le genre dincitation qui peut les amener à changer. Comme le décrivent Pope et Mays, 2 chercheurs qualitatifs, la recherche qualitative «rejoint les aspects que les autres méthodes ne peuvent pas rejoindre»3. Ces «aspects» jouent un rôle important dans notre compréhension de la santé, de lexpérience de la maladie et de lefficacité des soins de santé.
Même sil sest écrit beaucoup de choses sur la façon de mener et dévaluer une recherche qualitative39, on trouve très peu de directives écrites sur la manière de la présenter, surtout dans le contexte dun journal médical. Le but de notre article est justement doffrir aux auteurs des conseils sur la façon de présenter une étude qualitative, et aux examinateurs, des critères qui leur permettront de cerner une étude bien présentée. Nous avons élaboré une liste de contrôle (tableau 1) qui résume les critères proposés ailleurs4,10,11, comprend des critères communs à tout type de recherche présenté dans un journal médical et incorpore les recommandations de spécialistes du domaine, que nous avons obtenues pendant un essai pilote de la liste de contrôle.
Compte tenu que léventail des méthodes de recherche qualitative est très vaste et quil y a encore beaucoup de controverse sur ce qui constitue une recherche qualitative de qualité4,12,13, nous avons tenté de rédiger un guide «complet» qui englobe un éventail de démarches et de méthodes.
Remarques générales
Étant donné que la recherche qualitative est encore relativement nouvelle dans la documentation médicale, on constate beaucoup de diversité dans la façon de la présenter, dans labondance des explications des différents termes inhérents à une recherche qualitative, dans labondance des détails fournis pour décrire les méthodes et les conclusions et dans la longueur des articles.
Avant de commencer à écrire, il est toujours bon de revoir les «Exigences uniformes pour les manuscrits présentés aux revues biomédicales»14 et les directives aux auteurs de chaque journal (les directives du JAMC se trouvent à www.cma.ca/cmaj/auteur.htm).
Dans le JAMC, on recommande que les articles en recherche qualitative se limitent à 3500 mots, ce qui est plus long que les autres types de recherche originale, mais qui constitue quand même un défi lorsquil faut donner une description détaillée et laccompagner de citations directes. Le tableau 2 présente une répartition proposée du nombre total de mots pour les différentes parties dune recherche qualitative. On peut ainsi se faire une première idée du niveau de détail attendu dans chaque section. On présente ci-après des conseils qui sappliquent à chacune de ces sections.
En général, les lecteurs darticles médicaux demeurent peu familiers avec les nombreux termes et concepts utilisés dans la recherche qualitative. Il serait sans doute trop long pour les auteurs dexpliquer en détail divers termes comme «herméneutique», «triangulation», «sondage en boule de neige» et «processus itératif», mais il serait utile de fournir une référence à leur sujet. Par ailleurs, on pourrait indiquer entre crochets une brève «traduction» des notions facilement comprises. Cela serait particulièrement utile au moment daborder le sérieux (fiabilité), la crédibilité (validité interne) et la transférabilité (validité externe) des résultats, toutes des notions bien connues des lecteurs médicaux, qui sont simplement habitués à des expressions différentes.
Éléments du rapport
Le résumé structuré
Le résumé structuré des rapports de recherche qualitative présente à la base les mêmes rubriques secondaires que larticle dune recherche originale, sauf pour les «Mesures de résultats» et «Interventions» qui sont omises. Habituellement, lobjectif de létude est résumé en une seule phrase. Le plan de létude devrait présenter à la fois le type de démarche (comme le recours à des groupes dintérêt) et danalyse qualitative utilisé (p. ex., théorie à base empirique ou phénoménologie). On indique ensuite le contexte de létude, notamment le cadre physique et le domaine des soins cliniques, le cas échéant (p. ex., des patients hospitalisés ou des groupes dentraide). On devrait signaler sous la rubrique «Participants» le type de méthode déchantillonnage utilisé, le nombre de participants sollicités pour participer à létude et le nombre effectif de participants. Seules les grandes conclusions devraient être exposées. Il faudra prendre un soin particulier pour que les «Conclusions» nextrapolent pas au-delà de ce qui a déjà été dit. Dans lensemble, le résumé devrait faire environ 300 mots.
Lintroduction
Lintroduction est structurée comme un article de recherche. On piquera habituellement lintérêt pour le sujet à létude en indiquant le secteur de la recherche et limportance et la pertinence quil devrait prendre aux yeux du lecteur.
Dans les rapports de recherche qualitative, la recension de la documentation peut sécarter de ce quon trouve dans un article typique dune recherche quantitative, où tous les documents pertinents sont recensés dans lintroduction afin détablir un contexte pour létude. Lorsquil y a lieu, il est souvent utile de citer les études importantes qui ont été publiées jusquà ce jour et qui se rapportent à la recherche en cours. Cependant, étant donné que la recherche qualitative a souvent lieu pour combler une lacune dans les connaissances, la documentation sur le sujet peut souvent faire défaut. Par ailleurs, il se peut que la recension de la documentation soit très restreinte au départ afin de ne pas orienter indûment la question de la recherche, surtout dans les études à base empirique, les études de cas et la recherche phénoménologique. Si la recherche a pour but délaborer une théorie, les concepts ne sont pas dégagés au départ. Dans ce cas, la documentation pourra jouer un rôle plus approprié plus tard en prolongeant lanalyse qualitative et lélaboration de la théorie.
Comme pour toute étude, il est primordial de disposer dune question de recherche bien définie. Non seulement établit-elle pour les lecteurs et les pairs-examinateurs des attentes claires, mais elle leur permet aussi de déterminer si la méthode de recherche convient à la question. Les questions de recherche sont habituellement construites pour découvrir, explorer, expliquer ou comprendre.
Il est avisé de documenter toutes les approbations déontologiques dans une recherche qui fait appel à des sujets humains. Les lignes directrices récentes15 pourraient aider à clarifier les exigences au sujet du consentement éclairé.
Les méthodes
Bien que la recherche qualitative repose sur un vaste éventail de méthodes, leur présentation suit un format uniforme. On devrait retrouver dans la section des méthodes une description du type de démarche qualitative, du contexte de létude, de la technique déchantillonnage et des méthodes servant à recueillir et à analyser les données. Il est utile de décrire chacun de ces sujets dans une sous-rubrique distincte.
La démarche
Il est important détablir le lien entre la question de la recherche et la démarche de recherche, car il indique que le chercheur a compris la nature du problème et a choisi une méthode appropriée denquête. Les questions ne se prêtent pas toutes à une méthode qualitative, et même chaque démarche et technique utilisées dans une recherche qualitative comporte des avantages propres dans la façon daborder certains types de questions. Il est donc souhaitable de préciser le type de démarche ou de paradigme utilisé pour aborder la question. Le tableau 3 [Cette table ne sera pas accessible en direct] présente quelques-uns des différents types de recherche qualitative et détermine le genre de question de recherche auquel ces recherches répondent. Par exemple, si la recherche a pour but de mieux comprendre les sentiments et les réactions des femmes après une fausse-couche spontanée, il serait sans doute plus approprié, à cause de la délicatesse du sujet, dadopter une méthode phénoménologique dentrevue personnelle plutôt quune théorie à base empirique faisant appel à des groupes dintérêt.
Le contexte
Lorsquon décrit le contexte dune recherche, il est important de donner une description suffisamment détaillée pour que le lecteur puisse se faire une idée du milieu dans lequel se déroule la recherche28. Cette description aidera le lecteur à évaluer le caractère approprié du cadre et la sensibilité du chercheur à la complexité du phénomène. Il est souvent utile de commencer par décrire les gens, le contexte et une partie des grandes questions de létude.
Dans les études qualitatives, il importe de décrire le rôle du chercheur. Ce rôle peut comporter plusieurs possibilités, du participant à part entière à lobservateur à part entière. À chacun de ces rôles est également associé un degré possible de subjectivité. Par exemple, un participant à part entière est susceptible dacquérir une compréhension détaillée des activités des répondants, mais il peut aussi passer à côté de la dynamique externe entre les groupes et les réseaux extérieurs. En revanche, un observateur à part entière peut analyser un éventail plus vaste de liens, mais il peut ne pas avoir accès à tous les détails intimes de la dynamique interne des groupes.
La méthode déchantillonnage
Le chercheur qualitatif peut recourir à une diversité de techniques déchantillonnage qui se distinguent de celles quon retrouve dans une recherche quantitative. On devrait décrire le choix de la méthode déchantillonnage (p. ex., sondage en boule de neige ou sondage dirigé) et fournir une raison dêtre qui fait ressortir la pertinence de la technique déchantillonnage dans la méthode de recherche. Il y aurait également lieu dindiquer tous les critères initiaux dinclusion et dexclusion et de les lier à la question de recherche. Toutefois, ces critères sont plus fluides dans la recherche qualitative et ils peuvent changer en fonction des connaissances acquises pendant la recherche et lanalyse; si cela se produit, il faudra le préciser. Il est important de définir la manière dont les participants ont été choisis aux fins de létude, afin que les lecteurs et les pairs-examinateurs puissent déterminer si ces gens fourniront en toute vraisemblance les renseignements nécessaires pour répondre à la question de recherche.
Le chercheur devrait expliquer le choix de la taille de léchantillon. Habituellement, on établit davance une taille déchantillon estimée en se basant sur une expérience antérieure ou sur des études du même genre. Toutefois, le facteur critique déterminant de la taille de léchantillon est la saturation pendant la recherche29. Il est utile de préciser le critère qui sert à mettre un terme à la collecte des données (p. ex., chevauchement, redondance ou confirmation de linformation).
Les méthodes de collecte et danalyse de linformation
Une des principales façons dévaluer la qualité dune recherche consiste à examine la rigueur avec laquelle la collecte des données sest déroulée. Une recherche qualitative peut faire appel à de nombreuses méthodes différentes de collecte de données, notamment lobservation, la recension de fichiers, des journaux et registres, un construit de vie, des bandes vidéo, des groupes dintérêt et des notes prises sur le terrain. Il y a tellement de diversité et de souplesse à lintérieur de chacune de ces méthodes que le chercheur doit décrire suffisamment en détail les étapes quil a suivies pour collecter et consigner les données sil veut que les lecteurs et les pairs-examinateurs puissent comprendre le processus. Cest comme si lon créait une «piste de vérification»30. Par exemple, si lon effectue des entrevues, il serait avisé de préciser le genre dentrevues (en indiquant si le guide dentrevue est structuré ou ouvert) et son contenu (questions posées).
Une fois quon a décrit le processus de collecte de données, il faut expliquer suffisamment en profondeur la méthode danalyse utilisée afin quil soit possible de la reproduire. En effet, les lecteurs et les pairs-examinateurs ont besoin de pouvoir évaluer la logique et les techniques utilisées dans lanalyse. Le chercheur devrait donc indiquer en premier lieu la méthode danalyse associée à une stratégie particulière (ou paradigme) de recherche qualitative. Par exemple, la théorie à base empirique recourt à des procédures particulières de codage pour conceptualiser et catégoriser linformation. Il est donc inutile de fournir une explication détaillée de lanalyse du contenu; cependant, il serait indiqué de préciser la démarche et den donner une référence pour ceux qui désirent se renseigner davantage sur ce genre de technique danalyse. Si lon utilise un logiciel pour gérer les données et aider à lanalyse, on devra donner le nom, la version et le nom de lauteur (particulier ou entreprise) du programme31.
À loccasion, il peut arriver que des méthodes qualitatives et quantitatives de collecte de données soient regroupées. Cela conviendra, par exemple, lorsquon a affaire à des fréquences ou à des estimations pour certains types de rétroaction de groupes, ou lorsquon désire valider et documenter la recherche qualitative21. Parce que les méthodes qualitatives et quantitatives reposent sur des hypothèses et des techniques déchantillonnage différentes, lutilité dun mélange complet de méthodes est toutefois douteuse. Il est donc indiqué de bien justifier le regroupement de méthodes de recherche fort différentes les unes des autres.
Le chercheur doit ensuite décrire les méthodes quil a utilisées pour évaluer le caractère approprié ou la rigueur des résultats. Habituellement, il voudra assurer le sérieux, la crédibilité et la transférabilité de ses résultats30. Pour obtenir une mesure qualitative sérieuse (fiable), on peut indiquer les méthodes utilisées pour consigner les données et recourir à un compte rendu mot à mot des entrevues ou à des citations directes dans les notes prises sur le terrain. Il peut aussi être utile de procéder à des comparaisons entre les observateurs, les intervieweurs, les rapporteurs ou les analystes3.
Une façon détablir la crédibilité (validité interne) et la transférabilité (validité externe) des données consiste à trouver les exceptions, à utiliser la triangulation (c.-à-d. en décrivant les multiples méthodes de collecte de données, les sources de données, les chercheurs ou les théories), à éliminer la subjectivité possible de lobservateur et à obtenir un niveau élevé de «saturation» (concordance) dans lélaboration des catégories11. Les contrôles exercés par les membres, ou la vérification des résustats par les participants de la recherche, représentent une autre façon dévaluer la crédibilité des données. Cette méthode a dailleurs été recommandée par de récentes lignes directrices déontologiques15.
Les résultats
La présentation des résultats devrait suivre le même ordre général que celui qui a été établi dans la section sur les méthodes. Il y aurait lieu de noter le résultat de la méthode déchantillonnage en précisant le nombre, lidentité et lorigine des participants. Une partie des données brutes doit être présentée en décrivant le point de vue des participants, souvent par des citations ou des phrases directes; en général, on présentera des points de vue multiples. Même sil faut décrire les participants et leurs observations, il faut assurer aussi la confidentialité. Souvent le chercheur aura recueilli tellement de données quil pourra lui être difficile de déterminer ce qui devrait figurer dans ses résultats. Il est toujours utile pour le chercheur de faire porter ses résultats sur la question de recherche spécifique.
Il est nécessaire de montrer de quelle manière lanalyse (c.-à-d. les interprétations, les notions ou les thèmes) a logiquement découlé des données recueillies en ce qui concerne leur cohérence, leur intégrité et leur lien interne13. Souvent, on jugera bon de présenter un tableau, une figure ou un diagramme de cheminement pour expliquer les notions et les thèmes obtenus. Il sagit là dun moyen important de compléter les renseignements quon peut présenter tout en respectant le nombre de mots prescrit.
Il importe détablir la fiabilité des données en décrivant les résultats obtenus lors de la vérification du sérieux, de la crédibilité et de la transférabilité de ces données. Cette partie des résultats peut être aussi longue à élaborer que la présentation même des résultats. Elle ressemblera souvent à la section de la discussion dun article de recherche quantitative, où lon compare les résultats de létude à ceux dautres études.
La discussion
Dans la section de la discussion, on devra résumer les principales résultats et aborder la question de recherche originale. Il faudra ensuite explorer les répercussions des résultats puis faire ressortir les points forts et les faiblesses de létude. Le chercheur devra prendre soin de ne pas indûment généraliser ses résultats et il pourra aussi vouloir indiquer la limite de généralisabilité de la recherche qualitative. En conclusion, il est toujours utile de préciser les secteurs de recherche quil faudrait un jour examiner.
Épilogue
Comme pour toute autre science, la recherche qualitative évolue, éclairée par les débats actuels sur la méthodologie et sur ce qui constitue une recherche rigoureuse. Nous avons tenté de vous présenter des conseils généraux et complets qui auraient quelque utilité dans ce grand domaine en évolution. Il est probable que des applications logicielles de méthodes qualitatives prendront de lampleur dans un proche avenir et quon mettra au point des adaptations novatrices des paradigmes classiques de la recherche afin daborder de nouvelles questions de recherche. Pour linstant, sachons que la recherche qualitative sest elle-même établie dans la documentation médicale en affinant certains aspects de notre compréhension actuelle de la santé, de la maladie et de lefficacité des soins de santé. Elle promet de poursuivre sur cette lancée quelque temps encore.
Nous remercions le Dr Judith Belle Brown, Thames Valley Family Practice Research Unit, London (Ont.), et le Dr Joan M. Eakin, Department of Behavioural Science, Faculty of Medicine, University of Toronto, Toronto (Ont.) de leurs remarques et suggestions constructives à légard de la liste de contrôle et des premières versions du présent article.
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