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Chroniques

 

À la barre de l'AMC : un interniste de la Colombie-Britannique qui n'hésite pas à s'exprimer

Steven Wharry

CMAJ 1997;157:437-8


Steven Wharry est rédacteur adjoint d'Actualités AMC.

© 1997 Association médicale canadienne (texte et résumé)


En bref

Le nouveau président de l'AMC, Victor Dirnfeld, interniste de la Colombie-Britannique, apporte à la présidence des décennies d'expérience de la médecine et des activités de la profession. Il est fermement convaincu que c'est le cabinet du médecin et non le ministère de la Santé qui doit prendre les décisions, ce qui signifie que les gouvernements doivent consulter à fond les médecins lorsqu'ils mettent en œuvre des modifications du système de soins de santé.


Après plus de 35 ans en médecine et presque autant d'années d'activité dans la profession médicale, on pourrait pardonner au Dr Victor Dirnfeld de montrer un peu de cynisme au sujet d'une profession confrontée à des défis de plus en plus nombreux que lui posent les gouvernements désireux de réduire leurs coûts et des patients sceptiques. Victor Dirnfeld n'est toutefois pas cynique : 36 ans après avoir obtenu son diplôme de l'Université du Manitoba, il est toujours émerveillé de voir comment la médecine lui permet de faire une différence dans nombre de vies -- peu de professions offrent une telle chance.


Dr Dirnfeld : «Je ne cherche pas à américaniser le système canadien.»
«Lorsque des patients me remercient, je suis parfaitement honnête en me disant heureux de pouvoir les aider», affirme l'interniste de Richmond (C.-B.) qui accédera à la présidence de l'AMC plus tard ce mois-ci. «Les patients nous révèlent leurs vulnérabilités et c'est pourquoi nous avons la chance de les aider comme peu de personnes peuvent le faire. Pour moi, c'est là le grand avantage de la médecine.»

Pour comprendre le Dr Dirnfeld, il faut penser d'abord à l'expression primum non nocere. Pour lui, cette expression représente bien plus que 3 mots latins -- elle définit son engagement envers ses patients et explique pourquoi il lutte pour défendre leurs intérêts et ceux du système médical qui s'en occupe.

Fervent partisan de la prise de décisions fondées sur des données probantes, il se demande pourquoi les gouvernements passent leur temps à tripoter le système de soins de santé et mettent en oeuvre des changements sans savoir s'ils seront efficaces. Le Dr Dirnfeld est d'avis que les médecins ont mérité le droit d'avoir le dernier mot sur ces décisions parce que ce sont eux en bout de ligne qui sont chargés du soin des patients. Les décisions médicales doivent se prendre au cabinet du médecin et non au ministère de la Santé, selon lui.

Le Dr Dirnfeld a des antécédents dans les 2 systèmes de santé : celui du Canada et celui des États-Unis. Après avoir terminé ses études en médecine en 1961, il a suivi une formation postdoctorale en médecine interne aux États-Unis avant de s'établir à Richmond. Il admet avoir été tenté de retourner aux États-Unis au milieu des années 70, mais il affirme qu'il a toujours défendu avec énergie l'assurance-maladie universelle à la canadienne.

«Je me hérisse lorsqu'on affirme que je préconise un système de soins de santé à l'américaine, rage le Dr Dirnfeld. Oui, j'y ai reçu ma formation et j'ai pratiqué aux États-Unis, mais j'ai choisi de quitter le système américain. Je ne cherche pas à américaniser le système canadien.»

Le respect qu'il porte à l'assurance-maladie est évident, mais il a aussi vécu les répercussions défavorables que ses patients et ses collègues ont dû endurer pendant que le Canada s'attaquait à son problème de la dette.

«Il est très décourageant de devoir dire à quelqu'un : «Désolés, nous ne pouvons vous donner maintenant le traitement dont vous avez besoin.» Mes patients réagissent alors avec amertume et résignation.»

Les personnes âgées et les membres de leur famille réagissent souvent beaucoup plus vivement et nombre d'entre eux manifestent du ressentiment et de la colère lorsqu'on leur dit qu'ils doivent attendre. «Ils se sentent trahis parce qu'ils ont travaillé fort, qu'ils ont été de bons citoyens irréprochables et qu'on leur a promis de s'occuper d'eux lorsqu'ils seraient dans le besoin.»

Comme beaucoup de ses collègues, le Dr Dirnfeld croit qu'il y a une façon d'alléger les pressions qui s'exercent actuellement sur le système : instaurer un système privé parallèle de soins de santé qui aidera à raccourcir les listes d'attente du système public, allégera le fardeau imposé aux établissements publics et évitera le rationnement des services. Il y a 1 an, il a présenté ses arguments avec force dans le JAMC (1996;155:407-10 [abstract / résumé]). «L'assurance-maladie du Canada, écrivait-il, est à l'origine de la tyrannie d'un payeur unique, ce qui a entraîne le rationnement par le recours aux files d'attente, la réduction de l'accessibilité et une baisse de la qualité.»

La scène politique

Le mandat qu'il a fait à la présidence de l'Association médicale de la Colombie-Britannique (AMCB) en 1995­1996, a donné au Dr Dirnfeld une bonne idée de ce qui l'attend lorsqu'il prendra les rênes de l'AMC le 20 août, à Victoria. Pendant son mandat à la présidence de l'AMCB, il a fait face à plusieurs grandes questions qui ont causé de la dissension, ainsi qu'à un gouvernement hostile et au syndicat du personnel infirmier de la province qui s'est attaqué à la profession. «J'ai essayé d'énoncer les enjeux avec un professionnalisme qui représenterait très bien les membres. Ma façon de défendre leurs intérêts a semblé leur plaire.»

Les collègues du Dr Dirnfeld affirment qu'il a fait un solide travail en période de difficultés. «Victor est un érudit qui analyse les enjeux et s'y attaque avec beaucoup de perspicacité et de ténacité», signale le Dr Dan MacCarthy, président du conseil d'administration de l'AMCB. «Il reconnaît que les soins de santé et l'économique de la santé évoluent et qu'il faut suivre la conjoncture.»

Le Dr Dirnfeld a commencé à participer aux activités de la profession au début des années 70. «Beaucoup de membres se souviennent de moi comme d'un radical aux cheveux en brousaille et aux yeux égarés, mais déjà à l'époque, même si je n'étais pas d'accord avec quelqu'un, je respectais son poste.»

«Victor et moi avons peut-être eu des divergences de vues ou de principes au sujet de la profession, mais je respecte son intégrité au plus haut point», affirme un ancien président de l'AMC, le Dr Jack Armstrong. «Personne n'arrive mieux préparé que Victor.»

Le président sortant de l'AMCB, le Dr Derryck Smith, décrit le Dr Dirnfeld comme une personne réfléchie et éloquente. «Victor prend son temps lorsqu'il doit faire un choix, mais il ne change pas d'idée ensuite», affirme le Dr Smith. Il pense que le Dr Dirnfeld ressemble au Dr John O'Brien-Bell, dernier président que la Colombie-Britannique a fourni à l'AMC.

Même si la médecine et la profession médicale accaparent beaucoup de son temps, sa famille et son épouse Barbara sont les éléments les plus importants de sa vie. Père de 3 enfants adultes et de 4 enfants plus jeunes, son visage s'illumine lorsqu'il parle d'eux et du temps qu'ils passent ensemble. Il signale aussi avec fierté que sa fille Rebecca, âgée de 13 ans, s'intéresse à la pédiatrie.

«Je suis très heureux qu'elle soit suffisamment consciente de la joie et de la satisfaction que je tire de mon travail, compte tenu de mes nombreuses absences et des appels téléphoniques reçus au milieu de la nuit, pour même envisager de se lancer en médecine.»

Le Dr Dirnfeld réalise que le monde de la médecine dont sa fille pourrait hériter pourrait être très différent de celui qu'il a connu. Même s'il essaierait de lui expliquer les difficultés auxquelles font face les médecins, il ne la découragerait pas. «Je dirais à elle, ou à toute autre jeune personne qui s'intéresse à la médecine, que les arts de la guérison, et la médecine en particulier, sont nobles et satisfaisants sur le plan intellectuel. Cela dit, je m'assurerais qu'ils se lanceraient dans la profession les yeux grand ouverts, conscients de ce qui les attend.»

«Je suis très déçu par l'ingérence dans la prestation des soins de santé de qualité et dans la capacité des médecins de les fournir. L'imposition de changements sans preuve à l'appui est une source de frustrations.»

Sans ralentir

Le Dr Dirnfeld, qui a eu 60 ans en juin, n'envisage pas de ralentir. Il parle, sur un ton un peu nostalgique, de la croissance des sous-spécialités depuis son arrivée en médecine, ce qui a réduit la demande d'internistes généralistes comme lui. Il voudrait quand même pratiquer «encore une dizaine d'années environ. J'apprécie énormément mes périodes de loisir, mais je ne sais pas si je pourrais m'y consacrer à plein temps.» Même s'il affirme s'être adouci avec le temps -- certains de ses collègues de la Colombie-Britannique pourraient le contester -- il défend toujours avec ardeur et franc-parler les médecins et leurs droits. Un de ses dictons latins favoris -- illegitimi non carborundum (il ne faut pas se laisser avoir par sans-nom) -- résume peut-être le mieux sa nature.

«En rétrospective, j'aurais peut-être agi différemment dans certains cas. Je pense que j'aurais appris à accepter les choses davantage comme elles sont sans toujours essayer de les changer.»

Le Dr Dirnfeld a bien ri en tenant ces propos et affirmé que ce serait comme lui demander de changer sa nature.

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