Contrer l'abandon en formation à distance: <br>expérimentation d'un programme d'accueil aux nouveaux étudiants à la Télé-université

Contrer l'abandon en formation à distance: expérimentation d'un programme d'accueil aux nouveaux étudiants à la Télé-université

 

Louise Bertrand, Louis Demers, Jean-Marc Dion

VOL. 9, No. 2, 49-63

Résumé

Dans cet article, nous proposons une recension des travaux dont nous nous sommes inspirés pour mettre au point un programme d'accueil aux nouveaux étudiants à la Télé-université de l'Université du Québec. Ce programme visait à améliorer la persévérance des nouveaux inscrits aux trois certificats du module Travail, économie et gestion à l'automne 1991. Nous décrivons la nature et les résultats de cette intervention avant d'en livrer une interprétation. Nos conclusions mettent en évidence la complexité du phénomène de l'abandon et la difficulté pour les établissements de formation à distance d'intervenir sur des facteurs significatifs pouvant le contrer.

Abstract

This article presents an overview of the sources used in setting up a program welcoming new students to l'Université du Québec's Télé-université. The aim of this program was to heighten the degree of perseverance for those registering in the fall of 1991 for three certificate programs with the Travail, économie et gestion module. The nature and results of the program are set out and the findings are then interpreted. The conclusions underline the complexity of non-completion scenarios and emphasize the difficulty for institutions to address these problems.

Introduction

Pour les établissements de formation à distance, l'abandon - le fait que des étudiants1 inscrits à un cours ou à un programme ne le complètent pas - est un problème épineux. Il constitue un gaspillage de ressources humaines et financières et un manque à gagner significatif (Daniel & Marquis, 1979) que l'on ne peut ignorer, particulièrement en période de restrictions budgétaires. On ne peut donc qu'être d'accord avec Keegan (1986) et Bajtelsmit (1988) qui établissent un lien direct entre la viabilité d'un établissement de formation à distance et son taux d'abandon.

Comme les autres organismes de formation à distance, la Télé-université est confrontée à ce problème important. Pour y faire face, elle a mis sur pied un programme expérimental consistant à fournir aux nouveaux étudiants le soutien d'un conseiller pendant leur première session de cours. Dans cet article, nous présentons d'abord une recension des travaux sur l'abandon dont nous nous sommes inspirés pour mettre au point ce programme. Nous décrirons ensuite la nature et les résultats de cette intervention avant d'en livrer une interprétation.

Quelques considérations théoriques

Les premiers travaux sur l'abandon ont tenté de prédire ce phénomène en utilisant des variables reliées aux caractéristiques sociodémographiques des étudiants, à leurs aptitudes, à leurs résultats scolaires antérieurs, à leurs sources de motivation, à leurs traits de personnalité ou à leur situation financière. Dans une synthèse d'études réalisées aux États-Unis, Lenning, Beal et Sauer (1980) relèvent par exemple qu'on ne peut montrer de lien entre les genres féminin et masculin et la décision d'abandonner, que les étudiants issus d'un milieu urbain sont plus susceptibles de persévérer dans leurs études que ceux provenant d'un milieu rural, que des traits de person-nalité tels l'autonomie ou la tolérance à l'ambiguïté peuvent être parfois reliés positivement à l'abandon, parfois négativement. Même lorsque certains liens peuvent être établis, on doit les interpréter avec prudence. Les mêmes catégories d'étudiants peuvent en effet persévérer dans un établissement et abandonner dans un autre (Brindley, 1987).

À partir du début des années 70, les recherches sur l'abandon scolaire ont davantage porté sur le processus qui conduit à cette décision. Elles montrent que l'abandon est le résultat d'un cheminement dans lequel inter-vient une série de variables interdépendantes dont certaines ont trait à l'étudiant et d'autres aux rapports que celui-ci entretient avec l'établissement de formation qu'il fréquente. Parmi les modèles proposés, celui de Tinto (1975) est le plus souvent cité et le plus fréquemment appliqué empiriquement (Bean, 1985). Sweet (1986), Kember (1989a), Bajtelsmit (1988) et Ashar et Skenes (1993) en ont proposé des versions adaptées aux conditions propres à la formation à distance.

Les recherches inspirées de ces modèles ont mis en évidence la complexité du phénomène de l'abandon. Les causes possibles d'un abandon sont en effet multiples : retrait volontaire, incapacité de satisfaire aux exigences académiques, départ causé par des problèmes familiaux, professionnels ou de santé. En outre, l'abandon fait intervenir plusieurs variables individuelles, organisationnelles, environnementales et attitudinales (Bean, 1982) qui s'influencent mutuellement. Ce qui fait d'ailleurs dire à Kember (1989a) qu'une théorie expliquant chaque aspect du processus d'abandon contiendrait un si grand nombre de variables qu'elle en deviendrait inutilisable.

De plus, comme l'a précisé Tinto (1982b), le sens qu'un étudiant attribue à son comportement peut différer substantiellement du sens que lui donnerait un observateur externe. Un étudiant qui ne complète pas les travaux exigés dans un cours peut, en fait, être ce que Munro (n. d.) appelle un « apprenant indépendant » qui a atteint ses objectifs d'apprentissage et se retire, satisfait, de l'activité. Par ailleurs, un étudiant qui décide de prendre un temps d'arrêt avant de continuer ses études (stopout) ou qui choisit de poursuivre son programme d'études dans une autre université constitue, pour l'établissement d'origine, un cas d'abandon alors qu'il n'en est pas réellement un. Il faut donc tenir compte du fait qu'il y aura toujours des individus dont les buts éducationnels sont plus limités ou alors plus vastes que ceux de l'université et que ces buts peuvent se modifier au fil du temps (Tinto, 1982b).

Confrontés à cette complexité, les responsables d'établissements de formation à distance disposent de moyens limités pour contrer l'abandon. Citant Sigueira de Freitas et Lynch (1986), Munro (n. d.) souligne que les variables non institutionnelles comptent pour la plus grande proportion de la variance des taux de persévérance des étudiants de l'Open University du Venezuela. En outre, une étude menée à la FernUniversität (Allemagne) montre que, sur les 18 raisons mentionnées par les étudiants pour justifier leur décision, les cinq qui reviennent le plus fréquemment ont trait à leur situation personnelle et échappent au contrôle de l'établissement (Peters, 1992). Ce sont : un changement d'emploi ou un emploi trop exigeant, le manque de temps pour étudier, le manque de temps pour les loisirs, la famille et les enfants qui accaparent l'étudiant. De plus, seulement quatre raisons sur les 18 énumérées pourraient faire l'objet d'interventions de la part des responsables d'un programme. Il s'agit de la difficulté pour l'étudiant de découvrir un style d'apprentissage approprié à la formation à distance, du manque de soutien de la part de l'établissement, du peu d'expériences de réussite et de la difficulté de suivre le cours.

L'imposante littérature sur l'abandon2 indique qu'une proportion importante des variables pouvant l'expliquer échappe aux responsables des établissements de formation à distance. Deux constats s'en dégagent néanmoins : la nécessité d'intervenir tôt (Tinto, 1982a, 1982b, 1987; Roberts, 1984; Bean, 1985; Sweet, 1986; Bajtelsmit, 1988; Peters, 1992; Ashar et Skenes, 1993) et la nécessité de favoriser l'intégration de l'étudiant au milieu institutionnel (Tinto, 1987).

D'une part, on sait que le taux d'abandon dans un programme est significativement plus élevé au cours des premiers mois. Tinto (1982b) précise que l'abandon est non seulement plus fréquent la première année mais aussi plus susceptible d'être volontaire. Selon lui, il y a lieu d'entreprendre, dès le premier semestre, des actions visant à améliorer la rétention des étudiants (Tinto, 1987). On sait par ailleurs qu'en formation à distance, les étudiants abandonnent plus tôt et en plus grande proportion (Bajtelsmit, 1988). La première année constitue donc une période critique au cours de laquelle les recherches et les interventions visant à contrer l'abandon devraient se concentrer.

D'autre part, des expériences positives d'ordre académique et social contribuent à intégrer l'étudiant au milieu scolaire. La performance scolaire, le développement intellectuel aussi bien que les interactions avec les professeurs, les pairs et le personnel de l'établissement exercent une influence déterminante sur la volonté de l'étudiant de poursuivre ses études (Tinto, 1987). Il faut toutefois remarquer qu'en formation à distance, les étudiants n'ont que peu ou pas de contacts directs avec le corps enseignant et avec les autres étudiants. Or, c'est par ces contacts que s'actualise le concept d'« intégration sociale » que Tinto définit comme l'« incorporation » de l'individu à la vie sociale et intellectuelle de l'établissement. Pour tenir compte de la réalité de la formation à distance, Kember (1989a) remplace ce concept d'intégration sociale par celui d'intégration sociale et profession-nelle des étudiants adultes. Il estime en effet que l'attitude de la famille, de l'employeur, des collègues de travail et des amis est d'une importance primordiale pour déterminer le succès de l'intégration des études à la vie quotidienne des étudiants à distance. Autant de variables, toutefois, sur lesquelles l'établissement peut difficilement intervenir.

Différents auteurs proposent tout de même un éventail d'actions concrètes pour améliorer la persévérance des étudiants engagés dans un programme d'étude en formation à distance, actions qui devraient être entreprises de préférence immédiatement après leur inscription. Ainsi, il y aurait lieu de renforcer les liens académiques entre les étudiants et l'université en mettant des conseillers à leur disposition pour faciliter leurs rapports avec la bureaucratie, leur socialisation et leur intégration académique (Roberts; 1984, Sweet, 1986; Kember, 1990). Roberts suggère que le soutien offert aux étudiants soit modulé selon l'avancement dans le programme pour tenir compte de la transformation des besoins des étudiants. Par ailleurs, selon Kember (1990), le sentiment d'appartenance des étudiants à l'établissement universitaire sera amélioré si le travail des tuteurs est consacré à leurs tâches pédagogiques de suivi et de rétroaction plutôt qu'aux seules interventions de socialisation. Kember et Dekkers (1987) ont en effet établique les étudiants accordent peu de valeur aux contacts dont le but n'est que social. Bajtelsmit (1988) ajoute que les méthodes pédagogiques et le contenu des cours devraient être adaptés aux attentes des étudiants. Enfin, selon Sweet (1986) et Kember (1989b), il est possible de développer le sentiment d'appartenance des étudiants à l'établissement de formation à distance par des contacts téléphoniques directs entre étudiants et conseillers, particulièrement lorsque ces derniers prennent l'initiative du contact.

Le programme d'accueil aux nouveaux étudiants

Se basant en partie sur ces considérations théoriques, la Télé-université a élaboré un projet d'intervention visant à contrer l'abandon de ses étudiants. Traditionnellement, lorsqu'un étudiant s'inscrit à un cours de la Télé-université, il reçoit - outre les documents pédagogiques composés de matériel écrit, audio-visuel ou informatique - les services d'un tuteur qui lui est assigné pour favoriser son apprentissage. Le tuteur aide l'étudiant qui fait appel à ses services à s'approprier le contenu du cours, lui fournit les explications nécessaires à la réalisation des travaux notés et corrige ses travaux. Il offre aux étudiants une période de disponibilité de trois heures par semaine au cours de laquelle les étudiants peuvent lui téléphoner. Il contacte tous ses étudiants au moins une fois au début de la session. La Télé-université fait ainsi appel à plus de 300 tuteurs par session pour l'encadrement de ses étudiants de premier cycle.

À l'automne 1991, un programme d'accueil aux nouveaux étudiants a été mis sur pied. Ce programme avait pour but de fournir à toute personne débutant ses études dans un des trois certificats du module Travail, économie et gestion (administration, relations industrielles, gestion du travail de bureau), un encadrement susceptible de favoriser son intégration au milieu institutionnel.

Quatre conseillers à l'accueil ont été recrutés parmi les tuteurs les plus expérimentés du module. Ces personnes avaient pour rôle d'informer le nouvel admis, de l'aider à définir son projet d'études et de l'encourager à persévérer dans la réalisation de celui-ci. Bref, elles devaient établir une relation d'aide pédagogique, relation complétant l'intervention du tuteur. L'intervention du conseiller à l'accueil devait notamment permettre :

  • de dresser le profil académique de l'étudiant;
  • de préciser avec l'étudiant son projet de formation;
  • d'inventorier ses ressources et capacités intellectuelles;
  • de diagnostiquer ses forces et faiblesses;
  • de lui proposer, le cas échéant, des solutions (cours d'appoint, ressources particulières, ouvrages recommandés, etc.);
  • de l'informer sur le fonctionnement de la Télé-université.

Tous les conseillers ont assisté à une séance de formation au cours de laquelle la nature du projet et les grandes lignes de sa réalisation leur ont été présentées. Les conseillers ont reçu à cette occasion les grilles d'entrevue à réaliser, la fiche à compléter pour chaque étudiant, des informations d'appoint sur les cours et les programmes du module Travail, économie et gestion ainsi qu'un précis de méthodologie d'apprentissage3. Tous les tuteurs intervenant dans les cours du module Travail, économie et gestion ont été informés de l'existence des conseillers à l'accueil et de cette expérimentation.

L'expérimentation a débuté en octobre 1991. Les conseillers se sont vu assigner 460 étudiants qui constituaient le groupe expérimental. Outre le service de tutorat prévu à l'intérieur de chacun des cours, ces étudiants ont bénéficié du service d'un conseiller à l'accueil. Une lettre de bienvenue de la direction du module leur annonçait au préalable ce service. Par ailleurs, les 152 premiers admis de la session ont été encadrés de façon tradition-nelle, c'est-à-dire uniquement par tutorat. Ils constituent le groupe témoin.

Les conseillers à l'accueil recevaient chaque semaine une liste des nouveaux admis contenant un certain nombre de données sociologiques tirées du dossier étudiant. Le conseiller devait contacter le nouvel admis par téléphone à deux reprises et ce, en respectant les objectifs et les grilles d'entrevue qui lui avaient été fournies. Il devait en outre compléter une fiche pour chaque étudiant contacté. Le premier entretien téléphonique avait lieu entre la date d'admission de l'étudiant et le début officiel de son cours. Il avait pour but de recueillir des informations sur l'étudiant afin de l'aider à préciser son projet de formation et d'évaluer ses capacités d'étudier à distance; de lui proposer des solutions adéquates en l'informant, notamment sur la formation à distance, sur le cheminement d'un étudiant à la Téluniversité, sur le rôle du tuteur dans un cours et sur les clés du succès pour étudier à distance; enfin d'effectuer un lien entre le ou les cours auxquels l'étudiant était inscrit et le programme dans lequel il était admis. Le second entretien se tenait vers la huitième semaine. Il avait principalement pour but de faire le point avec l'étudiant sur son expérience de formation à distance et de l'aider à apporter des correctifs lorsque cela s'avérait nécessaire. L'intervention du conseiller à l'accueil ne portait aucunement sur le contenu spécifique des cours auxquels les étudiants étaient inscrits, ceci étant le rôle du tuteur.

Les résultats

Pour mesurer les effets du programme d'accueil sur la persévérance des nouveaux étudiants, nous avons utilisé deux sources d'information : les données contenues dans le dossier étudiant qui nous ont permis d'établir les caractéristiques des groupes expérimental et témoin ainsi que leur taux respectif de persévérance et d'abandon; un questionnaire visant à évaluer leur expérience au cours de leur première session à la Télé-université. 245 personnes ont répondu à celui-ci (taux de réponse de 40 %), 178 du groupe expérimental et 67 du groupe témoin. Le questionnaire comportait à la fois des questions ouvertes et fermées. Une partie s'adressait spécifiquement au groupe expérimental et portait sur la satisfaction à l'égard du service d'accueil.

Nous avons effectué des analyses statistiques à partir des réponses aux questions fermées du questionnaire ainsi qu'une analyse qualitative des réponses aux questions ouvertes. Ces dernières portaient sur la nature de la motivation à s'inscrire à un cours à la Télé-université, sur l'expérience vécue par les étudiants en formation à distance et sur l'utilité des premier et deuxième appels du conseiller à l'accueil. Un espace était également réservé aux commentaires de l'étudiant.

La méthode que nous avons utilisée pour analyser ces matériaux s'inspire des travaux de Glaser (1969), Glaser et Strauss (1967, 1970) et Larochelle (1984). Les matériaux ont été soumis à une analyse comparative et constante qui nous a permis de les découper et de les classer en catégories. Les matériaux ont été relus, redécoupés et reclassés jusqu'à saturation, c'est-dire jusqu'à ce qu'aucune donnée ne vienne contredire la présence et le sens des catégories formulées. De façon pratique, notre analyse a con-sisté à repérer les « points d'attention », catégories nous permettant de classifier les matériaux sous différentes rubriques. Cette opération nous a permis de découper les matériaux en citations regroupées sous chacun des points d'attention pertinents. Il s'agit donc d'une opération que l'on peut qualifier, à la suite de Glaser et Strauss (1967) de «fondée sur les données» (Grounded Theory) puisque au lieu d'appliquer aux matériaux une grille définie au préalable, elle permet de construire cette grille à partir des matériaux disponibles. Ce travail d'analyse nous a permis de découper les matériaux en 1521 extraits regroupés sous 139 points d'attention.

La section qui suit présente, dans l'ordre, les caractéristiques de la population étudiée, les résultats de l'expérimentation en ce qui a trait aux taux de persévérance et d'abandon, les résultats de l'enquête par questionnaire quant à la satisfaction à l'égard du programme et enfin, le poids possible d'autres facteurs explicatifs.

présente les caractéristiques de la population, celles du groupe expérimental et celles du groupe témoin. Ces données ont été extraites du dossier-étudiant. L'analyse de contingence (????démontre qu'il n'y pas de différence significative entre les deux groupes quant aux variables sociodémographiques (genre, âge, scolarité, profession, région de résidence) ni en ce qui concerne le programme d'admission, le nombre de cours auquel l'étudiant est inscrit et le résultat au premier cours.

Le deuxième tableau présente la décision des étudiants quant à la poursuite de leurs études. Les étudiants qui se sont réinscrits à la session suivant l'expérimentation sont classés dans la catégorie « persévérance (sans interruption) ». Ceux qui ne se sont pas réinscrits à la session suivant l'expérimentation mais à au moins une des deux sessions suivantes sont classés dans la catégorie « persévérance (après un arrêt temporaire) ». Les autres sont regroupés sous l'appellation « abandon ». Les cas de transfert dans une autre université sont considérés comme des abandons puisque ces personnes cessent d'étudier à la Télé- université.

Pour le groupe expérimental, le taux d'abandon est de 58 % et le taux de persévérance de 42 %. Pour le groupe témoin, le taux d'abandon est de 51 % et le taux de persévérance de 49 %. Il n'y a toutefois pas de différence significative entre les groupes expérimental et témoin en ce qui concerne la décision d'abandonner ou de persévérer.

Les données semblent donc indiquer que le programme d'accueil aux nouveaux étudiants n'a pas atteint ses objectifs, voire même qu'il a nui à la persévérance des étudiants qui y ont eu accès. Pour mieux comprendre ces résultats décevants, nous avons d'abord vérifié, à l'aide des réponses aux questionnaires, la satisfaction des étudiants à l'égard du programme d'accueil. Nous avons ensuite vérifié deux hypothèses qui pourraient expliquer l'inefficacité du programme : la constitution même des groupes expérimental et témoin, et le poids possible d'autres facteurs que le programme d'accueil dans la décision d'abandon ou de persévérance des étudiants.

L'étude des réponses au questionnaire d'évaluation des 178 personnes du groupe expérimental révèle que le taux de satisfaction à l'égard du service de conseillers à l'accueil est très élevé. 60 % de ces étudiants le jugent essentiel, 34 % l'estiment souhaitable alors que seulement 7 % considèrent ce service peu utile. De plus, 92 % des répondants - particulièrement les femmes de plus de 40 ans qui occupent un emploi de bureau - jugent le premier appel du conseiller utile ou très utile alors que 3 répondants sur 4 - surtout les plus de 40 ans - portent le même jugement sur le deuxième appel. 57 % des répondants considèrent que ce service devrait être offert durant plus d'une session. Enfin, 49 % d'entre eux jugent préférable que ce service soit offert par une personne autre que le tuteur.

L'analyse qualitative des questions ouvertes du questionnaire portant sur l'utilité des appels des conseillers à l'accueil révèle que plus de 98 % des commentaires portant sur le premier appel sont favorables et lui reconnaissent une utilité, ce pourcentage passant à 92 % pour le deuxième appel. Le premier appel comble plusieurs besoins : information sur la Téluniversité, sur les méthodes de travail, soutien moral, motivation, appartenance à l'institution.

Il a été utile au début pour répondre à mes interrogations de débutante.

J'avais l'intention d'abandonner parce que j'étais en retard pour mon premier travail. Elle m'a encouragé à continuer jusqu'au bout pour me donner la chance de réussir. Ce que j'ai fait et je l'en remercie.

J'ai senti un lien tangible, réel avec Télé-université.

J'ai vraiment senti une appartenance à l'université.

Le deuxième appel a été l'occasion pour l'étudiant d'obtenir d'autres informations mais surtout d'être conseillé sur son choix de cours, et de faire le point sur son expérience.

On a discuté de mon cheminement qui alors semblait difficile.

Cet appel a aussi confirmé des sentiments de soutien, de confiance, de sécurité et d'appartenance révélés lors du premier appel.

Les résultats de l'analyse qualitative aussi bien que quantitative révèlent donc un taux de satisfaction très élevé à l'égard du programme d'accueil et ne remettent en cause ni sa pertinence ni son adéquation aux besoins des étudiants.

Nous nous sommes donc penchés sur la composition même des groupes expérimental et témoin afin de vérifier si la répartition temporelle des deux groupes peut avoir influencé les résultats obtenus. Une analyse des données tirées du dossier étudiant révèle l'existence d'une différence significative entre les « décrocheurs» et les « persévérants» selon la période d'inscription. En effet, comme le démontre le tableau 3, plus l'inscription des étudiants est tardive, plus le taux d'abandon est élevé.

Bref, même s'il est comparable d'un point de vue sociodémographique au groupe expérimental, le groupe témoin semble constitué de personnes mieux préparées ou plus motivées à entreprendre leurs études, ce que tend à démontrer leur taux de persévérance plus élevé.

Pour affiner notre compréhension des résultats paradoxaux auxquels nous sommes arrivés, à savoir un taux d'abandon plus élevé chez les bénéficiaires d'un programme qui s'en disent très satisfaits, nous avons finalement examiné l'influence possible d'autres facteurs révélés par l'analyse qualitative des questions ouvertes du questionnaire. Celle-ci indique qu'une forte majorité d'étudiants se sont inscrits à un cours de la Télé-université dans le but de faire avancer leur carrière tout en profitant des avantages de la formation à distance.

J'ai choisi d'étudier afin d'avancer dans ma carrière. J'ai choisi Téluniversité parce que je préfère étudier seule.

L'expérience de la formation à distance s'avère généralement positive. 89 % des remarques portant sur la formule à distance en font foi.

J'adore ce principe qui nous donne l'opportunité de travailler à notre rythme et avec tous les outils nécessaires (...)

Cependant, les répondants sont unanimes à reconnaître la discipline qu'exige la formation à distance.

(...) il faut beaucoup de motivation pour tout faire seule à la maison. Il faut se conditionner à y mettre le temps nécessaire et ce n'est pas toujours facile.

La qualité des cours est fréquemment soulignée bien que plusieurs remarques aient été faites quant à la charge de travail que représente un cours de trois crédits. 20 des 21 remarques portant sur cet aspect jugent la charge de travail trop lourde, rendant plus difficile l'établissement d'un horaire où figurent aussi le travail et la famille.

J'ai dû laisser tomber mes cours car je n'arrivais pas à rencontrer les échéanciers, à cause de mon travail sur les relèves de 12 heures.

Les examens sous surveillance apparaissent difficiles et exigeants, 95 % des remarques s'y rapportant vont en ce sens.

Je pense que les examens sous surveillance sont trop exigeants. Je ne pense pas que la meilleure façon d'apprendre sur un sujet est d'apprendre par coeur.

Le travail d'encadrement des tuteurs est jugé plutôt satisfaisant, bien que certains cas particuliers aient été mis au jour :

(...) on manque de feedback face aux examens, face aux résultats obtenus. On devrait avoir un peu plus d'encouragement (...)

L'analyse de ces matériaux nous a également permis d'identifier certains « irritants » pouvant nuire à la persévérance des étudiants à distance. Ainsi, le temps d'attente pour obtenir la note finale obtenue dans le cours est jugé excessif dans 100 % des remarques à ce sujet.

Tu ne sais même pas si ton cours est réussi quand tu te réinscris à d'autres cours.

Or, il s'avère que les résultats obtenus dans un cours soient une donnée d'importance au moment où l'étudiant décide de se réinscrire ou non à d'autres cours.

Je sous-estimais peut-être ma capacité de réussir mais j'ai réussi le premier cours, alors là, je démarre et je suis très encouragée!

Discussion

Les résultats de notre analyse quantitative ne nous permettent manifestement pas de conclure à un effet bénéfique du service de conseillers à l'accueil sur la persévérance des étudiants dans leur programme, sur la base des données recueillies au cours de l'étude. Bien qu'il n'y ait pas de différence significative entre les deux groupes, le taux d'abandon des personnes qui ont eu accès au service est en effet de 58 % contre 51 % pour le groupe témoin. Qui plus est, cette tendance se confirme pour l'ensemble des variables sociodémographiques et professionnelles considérées. L'intervention précoce des conseillers ne semble pas avoir produit l'effet désiré sur la persévérance des étudiants contactés. Pourtant, les personnes qui ont bénéficié du programme s'en déclarent très majoritairement satisfaites.

Les résultats paradoxaux auxquels nous en arrivons s'expliquent partiellement par le fait que le groupe témoin était constitué des premiers étudiants inscrits lors de la session d'automne 1991. Si le partage de la population à l'étude entre groupe expérimental et groupe témoin avait tenu compte de la période d'inscription des étudiants, il est probable que le taux de persévérance des étudiants du groupe expérimental aurait rejoint, voire dépassé celui du groupe témoin.

Par ailleurs, l'intervention des conseillers semble avoir eu un effet significatif sur l'intégration institutionnelle, facteur primordial de persévérance. Les commentaires écrits des étudiants en ce sens sont nombreux (plus de 50) et fort éloquents.

Ça m'a convaincu du professionalisme de la Télé-université et j'ai vraiment eu l'impression qu'on avait mon succès à coeur.

Avoir eu l'impression que j'étais plus qu'une inscription, qu'on s'intéressait à ma réussite.

Cependant, d'autres facteurs ont pu annihiler les effets positifs de cette intervention et ainsi contribuer à l'abandon ou à une baisse de motivation des étudiants dans la poursuite de leurs études. C'est ce que nous avons appelé les « irritants », le délai pour recevoir les résultats de l'examen en étant un maintes fois souligné.

Enfin, il faut souligner que le caractère ponctuel et la portée limitée de l'expérimentation ont pu restreindre son influence sur la décision de l'étudiant. Des interactions plus nombreuses avec le conseiller ou un programme d'accueil adapté aux besoins individuels et offrant, par exemple, un service plus soutenu à certains étudiants, auraient pu modifier la décision d'abandon de certains d'entre eux.

Notes

1. Le générique masculin est utilisé sans aucune discrimination et uniquement dans le but d'alléger le texte.

2. Soulignons que selon plusieurs auteurs (Munro, n.d.; Sweet, 1986; Bajtelsmit, 1988; Kember, 1989b) ce phénomène a reçu plus d'attention de la part des chercheurs en formation à distance que tout autre thème.

3. Il s'agit du livre de Robert Tremblay paru en 1989 et intitulé Savoir-faire - précis de méthodologie pratique pour le collège et l'université (Montréal : McGraw-Hill, 226 p.)

4. La catégorie « Premier cours réussi » inclut aussi tout étudiant inscrit à plus d'un cours et qui en a réussi au moins un.

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Louise Bertrand est professeure à la Télé-université de l'Université du Québec depuis 1985. Elle a obtenu un Ph. D. en administration de l'Université Laval en 1989. Directrice du module Travail, économie et gestion de 1990 à 1992, elle a aussi travaillé à la conception de plusieurs cours à distance en administration.

Louis Demers est professeur au module Travail, économie et gestion de la Téluniversité depuis 1991. Il poursuit actuellement un doctorat en science politique à l'Université Laval.

Jean-Marc Dion est spécialiste à l'encadrement à la Télé-université depuis 1978. Formé en orientation scolaire et professionnelle, il est également étudiant à la maîtrise en mesure et évaluation à l'Université Laval. Télé-université 2600, boulevard Laurier Tour de la Cité, 7e étage Case postale 10700, Sainte-Foy Québec G1V 4V9 CANADA



PID: http://hdl.handle.net/10515/sy56h4d40

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