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La Camargue, terre d’enjeux, première étape d’une gestion intégrée des zones côtières

Camargue, stakes land, ideal candidate for integrated coastal zone management
Hugues Heurtefeux et Provence Lanzellotti

Résumés

Au 19ème siècle, l’expression "territoire du vide" s’appliquait fort bien à la terre de Camargue ; au 20ème siècle celle de "littoral d’empoigne" la remplace aisément. L’objectif est de concilier sur ce territoire la conservation de la nature, des paysages et des traditions avec les activités touristiques. Il est donc indispensable d’éviter sur ce site emblématique la compression côtière qui aboutit à moins de plage et plus de béton.

Dans cette optique, nous verrons comment des principes stratégiques de gestion de la bande côtière ont été définis à la demande du Parc Naturel Régional de Camargue. La démarche originale est fondée sur la gouvernance : tous les acteurs locaux identifiés ont été rencontrés lors d’entretiens bilatéraux. La synthèse de ces entretiens a permis d’établir une liste de grands principes stratégiques, discutés, amendés et validés par l’ensemble de ces mêmes acteurs locaux regroupés au sein d’un comité de pilotage. Toutes les étapes de la genèse de ce processus sont développées, critiquées et analysées.

Camargue, stakes land, ideal candidate for integrated coastal zone management

In the 19th century, the expression “empty land ” applied extremely well to Camargue land ; in the 20th century that of “littoral of seizure” (territoire d’empoigne)” replaced it easily. The objective is to reconcile on this land, in integrated coastal zone management reasoning, the conservation of nature, landscape and traditions with tourism activities. It is thus absolutely necessary to prevent a "Coastal squeeze" on this emblematic land which would lead to less beach and more sprawl of concrete (groynes, hard rocks to hold the line).

In this perspective, we will see how strategic principles of the coastal management were defined at the request of the Camargue Regional Natural Park. The original reasoning is founded on the governorship: all the identified local actors have been met during bilateral interviews. The synthesis of these interviews made it possible to draw up a list of strategic principles, discussed, amended and validated by the totality of the local actors gathered within a steering committee. All this process genesis stages are developed, examined and analyzed.

Texte intégral

Introduction

1En Géographie, le paradigme "organisation et différenciation de l’espace" s’est substitué à celui de "relations homme-nature" (Brunet, 2005). La Camargue est à la croisée de ces deux paradigmes et l’expérience de GIZC souhaitée par le PNR de Camargue se veut une étape décisive pour que les Camarguais s’approprient un nouveau modèle de fonctionnement, de nouvelles façons de penser l’aménagement de leur territoire, et l’acceptation parfois de ne pas avoir systématiquement recours à l’endiguement.

2Pourtant au cours des siècle le territoire camarguais s’est organisé autour d’un équilibre entre l’environnement naturel (faiblesse altimétrique, salinité des eaux et des sols) et les sociétés humaines : mise en valeur halieutique et agricole, assèchement des terres, défense contre la mer (Suanez et Sabatier, 1999).

3Pour cette raison et bien d’autres, en matière de suivi littoral et de défense côtière, le delta du Rhône est un « best seller » : de nombreux travaux ont été réalisés sur l’évolution du trait de côte et les moyens d’y répondre (Blanc 1976, Blanc et Jeudi de Grissac, 1982) et plus récemment la question de l’efficacité de ces ouvrages s’est posée (Samat, 2006).

4Considérant plus le littoral dans ses trois dimensions, certains auteurs (Suanez, 1997) se sont concentrés sur les bilans géomorphologiques des flux sédimentaires, cellules par cellules. Enfin la communauté scientifique s’est aussi posée la question de l’impact des tempêtes (Bruzzi, 1998) et du bilan sédimentaire en intégrant la partie immergée sur un siècle à l’échelle du delta du Rhône (Sabatier, 2001).

5Pour faire une synthèse ou un bilan, on peut affirmer que toutes les études (SOGREAH et AQUASCOP, 1995 ; CETE/SMNLR, 2002) et les experts (Suanez et Bruzzi, 1999, Sabatier et Suanez, 2003) ont confirmé que compte tenu de l’ampleur du recul du trait de côte, le système de protection mis en place jusque là (épis, digues, brise-lames) ne permet pas de lutter durablement contre les phénomènes d’érosion et les risques de submersion. En outre, protéger l'ensemble du littoral en le figeant par une artificialisation du trait de côte n’est pas réalisable tant d’un point de vue technique que financier (Heurtefeux et al., 2007).

6Sans revenir de façon exhaustive sur l’ensemble de ces recherches en matière de dynamique littorale, l’intérêt de ce travail est d’exposer la démarche de concertation utilisée en vue de la mise en place d’une nouvelle gestion littorale en Camargue.

Caractéristiques du site d’étude et présentation de la problématique

Localisation du site d’étude

7Par sa morphologie, la Camargue est un territoire particulier : c’est une "île" comprise entre les deux bras du Rhône (Bournerias et al., 1992) dont le point culminant ne dépasse pas 5 mètres NGF. Le terme d’île n’est pas galvaudé tant le sentiment insulaire est ancré chez une partie des 7200 habitants permanents qui peuplent ce territoire.

8La Camargue comprise entre le Rhône Vif (encore appelé Rhône de Peccais) à l’Ouest et le Grand Rhône à l’Est, (figure 1) coïncide avec l’emprise territoriale du Parc Naturel Régional de Camargue (86 300 ha). D’un point de vue administratif, les deux communes les plus étendues de France métropolitaine se partagent ce vaste territoire : il d’agit d'Arles et des Saintes-Maries-de-la-Mer. Cette dernière revêt un caractère très maritime puisque le village se situe en front de mer – contrairement à la ville d’Arles située à 35 km de la côte. Localement, les Saintois cultivent un sentiment isolationniste et insulaire marqué.

Etat des lieux : occupation du sol et richesse environnementale 

9Les caractéristiques remarquables du territoire camarguais sont à l’origine de cette démarche de gestion du littoral. Les activités humaines ont modelé l’environnement côtier méditerranéen depuis des millénaires notamment par l’agriculture, puis dans les décennies récentes des facteurs ont généré des impacts plus importants : l’urbanisation, l’augmentation de la fréquentation estivale et l’introduction d’espèces végétales invasives (au sens exotiques envahissantes) : Baccharis halimifolia, Senecio inaquidens, Amorpha fructicosa, Cortaderia Selloana… (Muller, 2001, 2004).Durant les 30 dernières années, environ 75% des dunes méditerranéennes ont été abîmées ou détruites principalement à cause du tourisme. En effet cette activité est très concentrée en zone méditerranéenne puisque environ un tiers des touristes du monde entier viennent sur les rivages méditerranéens chaque année (Tzatzanis et al., 2003).

10L’occupation du sol Camarguais est particulière, en effet, les zones urbaines sont peu nombreuses, elles concernent essentiellement le village des Saintes-Maries-de-la-Mer (2509 habitants permanents et jusqu’à 40 000 personnes en haute saison).

11La Camargue accueille chaque année 1 million de touristes qui fréquentent le littoral. Les plages, en grande partie à l’origine de la fréquentation estivale du littoral, ont un impact économique non négligeable en raison de leur attrait touristique.

Figure 1. Localisation de la zone d’étude (rectangle bleu) par rapport à la côte méditerranéenne - Source : Spot 5, 2003, échelle 1/20 000 000.

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Figure 2. Occupation du sol simplifiée en 2001 – Source : PNRC, 2001, échelle 1/600 000. A l’ouest le Grand Rhône, à l’est le Petit Rhône.

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12D’un point de vue agricole, les Salins constituent encore une activité essentielle en Camargue, ils sont aujourd’hui tous exploités, et concernent environ 21 000 ha répartis entre le site d’Aigues-Mortes et celui de Salin-de-Giraud où chaque année 800 000 tonnes de sel sont produites.

13Les autres espaces agricoles sont peu nombreux dans la bande littorale étudiée. On trouve néanmoins quelques pelouses servant de pâturages aux taureaux et aux chevaux à l’Ouest du territoire d’étude.

14D’un point de vu environnemental, on trouve une diversité d’habitats en Camargue (figure 2) : les boisements (boisements dunaires à Pin Pignon et les ripisylves), les pelouses (pâturages riches de Camargue), les marais, les roselières et les jonchaies, les dunes et les plages (qui sont globalement considérées en mauvais état de conservation en car leur développement et leur extension sont contraints par la présence des digues frontales, l’érosion du littoral et la surfréquentation), les étangs et lagunes (zones de nidification et de gagnage pour les oiseaux, présentant une forte diversité ornithologique). En raison de leur fragilité, ces milieux font l’objet de réglementations et d’engagements internationaux.

15Ce bref diagnostic socio-économique et environnemental permet d’évaluer la qualité patrimoniale et paysagère de la Camargue et donc de justifier l’intérêt d’une démarche de Gestion Intégrée des Zones Côtières sur ce territoire sensible.

Justification de l’intérêt de la démarche GIZC en Camargue 

16Depuis 150 ans, en raison des risques de crues perturbant les activités humaines, le Rhône est entièrement endigué. L’eau est l’élément clef des écosystèmes camarguais et l’on parle même d’un système "socio hydraulique" particulier en désignant la Camargue et ses habitants. En effet dès l’époque romaine émergent les premières tentatives de colonisation agricole du delta, jusqu’au moyen âge où des modifications de ses caractéristiques hydrologiques (canaux de drainage, digues) sont effectuées (Picon et Allard, 2005). En 1859 les politiques nationales ont conduit à l’achèvement de la digue à la mer fermant le littoral et protégeant la Camargue des intrusions marines. Ces systèmes de protection ont donné aux Camarguais une impression de protection absolue et les activités économiques ont pu prospérer. Actuellement, même après les fortes inondations de 1993, 1994 et 2002, pour certains de ses habitants la reconnaissance de la Camargue comme territoire potentiellement submersible n’est pas toujours une évidence (Picon et Allard, 2005). En effet, si le risque de crues est bien connu et de mieux en mieux intégré, les risques venant de la mer demeurent quant à eux mal connus et souvent sous-estimés par les acteurs locaux.

17Aujourd’hui, les directives européennes (EUROSION), nationales (CIADT) et régionales (orientations stratégiques pour la gestion de l’érosion du littoral en Languedoc-Roussillon) recommandent de réserver les défenses lourdes (épis, brise-lames,….) aux seuls secteurs comprenant des enjeux forts et indéplaçables. En effet, un événement potentiellement dangereux, l’aléa, n'est un risque majeur que s'il s'applique à une zone en présence d’enjeux humains, économiques ou environnementaux.

18Sur un territoire comme celui géré par le Parc Naturel Régional de Camargue, la gestion de l’érosion peut parfois être traitée avec des moyens adaptés au caractère naturel du site (rechargements de plages, restauration des cordons dunaires, abandon de certaines défenses lourdes trop coûteuses à entretenir,…).

19Cet environnement deltaïque vulnérable est aussi le siège de contrastes dans l’évolution du rivage (figure 3) : si à l’embouchure du Grand Rhône la tour Saint-Louis construite en 1737 se trouve actuellement à 8 km de la mer, le phare de Faraman construit en 1836 à 700 m du trait de côte a été englouti par les flots en 1905 puis reconstruit plus en arrière. Mais globalement, la majorité du littoral camarguais recule (sur environ 60 km de linéaire côtier, 40 km sont touchés par l’érosion) même si ponctuellement un secteur est en accrétion (le Golfe et la Pointe de Beauduc). Par endroit, cette érosion est significative et inquiétante puisque le trait de côte recule jusqu’à 9 mètres par an, notamment à l’Est du village des Saintes-Maries-de-la-Mer (Sabatier, Suanez, 2003).

20A l’échelle européenne, la Camargue a été classée en niveau 3 (territoire très exposé au phénomène d’érosion) sur une échelle de 4 par le programme EUROSION. D’après les travaux effectués par l’université d’Aix en Provence, la perte en surface de plage serait de 467,5 ha pour la période 1950-2000, sur un secteur compris entre l’Espiguette (flèche sableuse située à l’extérieur du territoire d’études, à environ 80 km à l’Ouest de l’embouchure du Grand Rhône) et le Grand Rhône. Cette érosion est liée d’une part à l’élévation du niveau de la mer et d’autre part aux tempêtes de plus en plus fréquentes et violentes qui agressent le littoral. L’épuisement des stocks sédimentaires joue également : les apports alluviaux du Rhône estimés à 30 millions de tonnes par an il y a 100 ans, ne sont aujourd’hui que de l’ordre de 8 à 10 millions de tonnes (Provansal et Sabatier, 2002).

21En réponse à cette situation, des actions ont été entreprises, elles concernent la petite Camargue, les Saintes-Maries-de-la-Mer et le littoral des Salins (Figure 4).

Figure 3. L’évolution du trait de côte de 2000 à 2004 entre la pointe de l’Espiguette (à l’ouest) et la Flèche de la Gracieuse (à l’est) - Source : PNRC, 2004, échelle 1/300 000.

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Figure 4. Divers illustrations de protections lourdes. (Cliché : Heurtefeux, 26-07-2006).

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24Les milieux dunaires ont également fait l’objet d’aménagements (végétalisation, ganivelles, fascinage) notamment sur le territoire de la Réserve de Camargue, sur les plages des Saintes-Maries-de-la-Mer et de petite Camargue. L’objectif de ces protections est de préserver le littoral, les aménagements balnéaires et les zones d’agriculture et de saliculture.

25Ces approches n’ont apporté qu’une réponse partielle aux problèmes posés en raison du manque de connaissance et de prise en compte globale du fonctionnement du littoral qui peut conduire à des choix techniques s'avérant inadaptés. Parfois des projets d’aménagement n’ont pas été menés à terme, les ouvrages réalisés ont manqué de suivi et d’entretien, la concertation globale entre les différents acteurs était insuffisante. Cette logique a conduit à artificialiser environ la moitié du linéaire côtier camarguais par des équipements lourds (Figure 4) posant, de façon générale, des problèmes liés à l’intégration dans l’environnement et aux forts coûts d’investissement et de fonctionnement. D’après l’étude SOGREAH (1995), les liaisons naturelles entre le milieu terrestre et le milieu maritime ont été rompues. Bien que le littoral soit fixé dans ces zones aménagées, l’érosion des fonds marins s’est poursuivie. Les ouvrages longitudinaux augmentent la turbulence et la fuite des sédiments, minant ainsi leurs propres fondations et aggravant l’érosion de la plage devant eux. Les épis ne sont efficaces que sur une longueur limitée de côte, ils réduisent la dérive littorale et ont pour effet d’aggraver l’érosion en aval-dérive qui appelle la construction d’autres épis, déclenchant un effet de dominos. Les brise-lames et épis en T posent eux le problème de leur réalisation et de leur dimensionnement plus difficiles. Les rechargements de plages et le traitement des dunes paraissaient, déjà en 1995, être des méthodes applicables au littoral de la Camargue.

26Comme sur la majorité du linéaire côtier méditerranéen, en Camargue, les interventions au “coup par coup” et dans l'urgence n’ont pas permis une prise en compte globale et approfondie des problèmes. Les démarches passées n’ont offert que des réponses ponctuelles qui ne se sont pas intégrées dans la logique d’un fonctionnement global et d’une définition précise des enjeux.

Définition de la GIZC et exemples de mise en œuvre

27Pour l’Europe (Conseil européen du 30 mai 2002), il s’agit d’une gestion : « qui soit écologiquement durable, économiquement équitable, socialement responsable et adaptée aux réalités culturelles, et qui préserve l’intégrité de la ressource (...), tout en tenant compte des activités et usages locaux traditionnels qui ne représentent pas une menace pour les zones naturelles sensibles et pour l’état de préservation des espèces sauvages de la faune et de la flore côtière ».

28En Europe il est possible de recenser quelques exemples d’actions respectant une démarche de GIZC. C’est notamment le cas des Pays-Bas où des méthodes douces de protection du littoral ont été mises en place, il s’agit notamment du rechargement de plages qui a reçu un grand soutien de la population locale Ce soutien est dû aux effets secondaires positifs du rechargement sur les activités récréatives, associées à l’extension de la plage, et sur la protection de la lentille d’eau douce induite par la consolidation des dunes. Ceci est aussi largement confirmé sur une majorité de sites à travers l'Europe, qui ont opté pour le rechargement des plages – comme Giardini Naxos, Marina di Massa, Pineta de Vecchia (Italie), Can Picafort, Mar Menor, Prat de Llobregat (Espagne), Mamaia (Roumanie), De Haan, Zeebrugge (Belgique), Sylt (Allemagne), Hyllingebjerg (Danemark), presqu’île de Hel (Pologne), Chatelaillon, La Baule (France) ou Vale do lobo (Portugal).

29Certains territoires ont, eux, choisi d’admettre le recul du rivage comme au Royaume-Uni (Essex et Sussex) et en France (Criel-sur- Mer en Normandie). La raison en est qu’une analyse coûts-avantages a démontré que le coût de la protection classique aurait largement excédé la valeur des biens à protéger sur le long terme (sur la durée de vie des biens). L’expérience a aussi démontré que la programmation et le montant du “dédommagement” sont la clef d’un accueil favorable par la population des mesures de repli programmé. Si une base équitable n’est pas trouvée pour ce dédommagement – en fonction par exemple d’une valeur marchande "sans risque", au lieu d’une valeur marchande actuelle "à risque" – il en résultera une forte résistance de la part de la population et des risques de conflits avec les autorités.

30A Criel-sur-Mer, de 1995 à 2003, 14 maisons ont été abandonnées et leurs habitants relogés. L’originalité de ce processus d’expropriation réside dans le fait que le taux d’indemnisation ne reflète pas la véritable valeur de marché – qui tend à diminuer lorsque le risque devient imminent – mais est basé sur sa valeur du marché « en l’absence de risque », ce qui préserve les intérêts des familles expropriées. Les falaises continuent à reculer, elles peuvent fournir des sédiments précieux pour protéger les valleuses en aval et la population est en sécurité.

31En Méditerranée Française, l’exemple du lido de lido de Sète à Marseillan reflète cette volonté de GIZC. Il s’agit d’une bande sableuse de 11 km de longueur et de 1 à 2 km de largeur, qui sépare l’étang de Thau de la mer. Traversé par une voie ferrée à haut trafic et une voie littorale importante, il abrite des activités économiques majeures : tourisme balnéaire, camping, viticulture et usine d’embouteillage de Listel. Le site subit une forte érosion côtière (perte de 45 ha entre 1954 et 2000). Elle se traduit par des coupures de plus en plus fréquentes de la route, qui nécessitent, chaque année, des interventions coûteuses. La proximité de la route encourage, en été, une fréquentation touristique aussi élevée (plus de 800 000 visiteurs par an) qu’anarchique, avec le stationnement le long de la voie, presque sur la plage, de milliers de véhicules et de camping cars, qui accentuent l’image très dégradée du site. Les études menées, depuis 2001, par les communes de Sète et de Marseillan ont mis en évidence la nécessité de procéder au recul stratégique de la route littorale, comme seule solution pour une protection durable du lido. Le projet vise à reculer la route littorale en arrière du cordon dunaire, le long de la voie ferrée. Ce recul doit permettre de reconstituer une large plage de plus de 70 m et son système dunaire, pour rétablir un fonctionnement normal du milieu et assurer une protection durable contre l’érosion.

32En Camargue, l’objectif est d’apporter une réponse aux problèmes d’érosion et de submersion en identifiant les enjeux. Une des carences de la gestion passée est de na pas avoir pris la cellule sédimentaire comme échelle minimum de gestion. Les cellules sédimentaires sont des compartiments côtiers dans lesquels se produisent des phénomènes incluant la mise en mouvement des sédiments, leur transport et leur dépôt. Les limites de la cellule définissent la zone géographique dans laquelle le budget sédimentaire peut être calculé, ce qui donne le cadre pour une analyse quantitative de l’érosion et de la sédimentation. A cet égard, les cellules sédimentaires constituent les unités les plus appropriées pour atteindre l’objectif du statut de sédiments utiles et, par là, celui de la résilience côtière. En termes de pratique et de gestion, la cellule sédimentaire côtière se situe dans un cadre composé de trois zones géographiques : le bassin-versant, la ligne de côte et l’environnement marin proche de la côte (Programme EUROSION, 2004 et SDAGE RMC, 2005)

33Il faut distinguer sur le littoral du delta du Rhône 3 cellules sédimentaires à l’origine de la dynamique (érosion ou accrétion) littorale (Sabatier, 2001).

Méthodologie

34Cette approche en Camargue s’appuiera également sur la définition de grands principes stratégiques qui ont été élaborés dans un souci de respect de la GIZC tout en s’appuyant sur des entretiens avec les acteurs locaux.

  • 1  DATAR : Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale créée par (...)
  • 2  DIACT : Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité des (...)

35En août 2005, le PNR de Camargue a été sélectionné par la DATAR1 (actuelle DIACT2) comme l’un des 25 sites pilotes (tous compris sur les façade maritime de la France métropolitaineou des DOM) dans le cadre de son appel d’offre national sur l’expérimentation des politiques de GIZC. Fort de cette réussite le PNR de Camargue a pu nous faire bénéficier de son expérience basée sur une démarche participative de « recherche-action » avec les acteurs et les gestionnaires du territoire.

Réflexion sur le choix des acteurs rencontrés

36Afin de débuter une démarche de concertation relative à la perception des risques littoraux, le Parc Naturel Régional de Camargue a dressé une liste que nous avons enrichie ensemble. C’est donc un acteur impliqué, commanditaire de l’étude, qui nous a aidé à élaborer la liste de l’ensemble des acteurs associés dans le processus de concertation. Nous avons cependant toujours gardé à l’esprit les questions suivantes : quelle légitimité et quels acteurs ?

37Parce que nous sommes sur un territoire avec des limites finies, il a été possible d’être assez exhaustif. En outre, le PNR de Camargue est un périmètre pertinent, associant partie terrestre et marine, où les enjeux sont bien identifiés.  Il a été décidé de rencontrer quatre types d’acteurs représentants le territoire et sa gestion à différentes échelles.

38Les acteurs économiques : Comme nous l’avons vu précédemment, l’élevage, la pêche et la saliculture sont les principales activités économiques de Camargue, elles sont elles mêmes fortement liées à l’attractivité touristique du territoire.  En partant d’un des symboles camarguais fort, la croix de Camargue, la rencontre des manadiers (dont le symbole est le trident aux extrémités hautes de la croix) et des pêcheurs (symbolisés par l’ancre marine) nous est apparue comme une évidence. Les pêcheurs (petits métiers en mer et dans les étangs), les telliniers, les associations et les agriculteurs ont donc été rencontrés.  La Compagnie des Salins du Midi et des Salines de l’Est (CSMSE) a également été interrogée puisque l’activité salinière est non négligeable pour l’économie locale et concerne 21 000 ha de littoral.

39Les acteurs institutionnels : Il s’agissait de donner la parole aux instances décisionnelles du territoire par le biais des collectivités territoriales et des services de l’Etat. Cette liste concernait donc les élus et les techniciens en charge de l’environnement dans les deux communes.  Concernantla connaissance des risques et des ouvrages de protection les services de l’Etat : la DIrection Régionale de l’ENvironnement (DIREN), la Direction Départementale de l’Equipement (DDE), les services maritimes et le Centre d’Études Techniques de l’Équipement (CETE Méditerranée) ont été interviewés.

40Les acteurs gestionnaires des espaces naturels : Dans la mesure où ce territoire est également reconnu pour ses richesses écologiques et leurs protections, nous avons également rencontré les principaux gestionnaires des espaces naturels : la Réserve Nationale de Camargue, le Parc Naturel Régional de Camargue, le Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages Lacustres (CELRL).

41Les opérateurs publics : Il s’agit essentiellement du Syndicat Mixte interrégional d’Aménagement des Digues du delta du Rhône Et de la Mer (SYMADREM). Ce syndicat a été consulté dans le cadre de sa mission de gestion des digues. En effet, il joue le rôle de concepteur car il est maître d’ouvrage lorsque des travaux d’aménagement et de protection du littoral doivent être effectués.

Les thèmes abordés et le déroulement des entretiens

42Au total, seize entretiens bilatéraux ont donc été menés. Il s’agissait de repréciser aux personnes rencontrées l’intérêt et le but de la démarche. Ces entretiens duraient environ 1 à 2 heures chacun. Différents thèmes ont été abordés sous forme de questions et de discussions, il s’agit de :

  • La perception de la dynamique du trait de côte en Camargue : trait de côte à la dérive ? (Moulis, 1994). Ce thème est à la base de la réflexion sur la gestion du littoral, le recul d’une grande partie du linéaire côtier camarguais est avéré mais il est intéressant de comprendre la perception des acteurs locaux quant à ce phénomène.

  • L’efficacité des aménagements de protection (Suanez et Bruzzi, 1999). Cette question est centrale puisqu’elle révèle les orientations de gestion voulues par les différents acteurs en fonction de leurs intérêts propres.

  • Les pratiques qui aggravent le phénomène d’érosion (Samat et al., 2005).

    • 3  En combinant les enjeux et les aléas (érosion et submersion) on obtient la valeur du risque (...)

    Les usages et les enjeux3. C’est ici que les problématiques socio-économiques découlant de la dynamique littorale peuvent être abordées.

    • 4  Recul contrôlé du littoral pouvant être admis lorsque le maintien de la ligne actuelle de (...)

    La nécessité de lutter contre les risques littoraux (érosion et submersion marine) et d’organiser le repli stratégique4. Ces questions permettent d’aborder le thème de l’évolution du littoral à différentes échelles de temps.

43Ces thèmes nous ont semblé incontournables afin de percevoir les volontés locales en matière de gestion du trait de côte. En effet, l’intégralité de la problématique a été abordé durant les entretiens : des origines du déficit sédimentaire jusqu’aux modes de gestion que l’on pourrait mettre en place à l’avenir ainsi que la perception d’un éventuel repli stratégique en Camargue.

44Chacun des acteurs rencontrés a eu la possibilité de siéger au comité de pilotage organisé après chaque phase de travail.

Les réunions de concertation

45Pour chacune des trois phases de l’étude, une réunion de concertation a été organisée dans les locaux du PNR de Camargue, au Mas du Pont de Rousty. Une première réunion a servi d’introduction afin notamment de discuter sur la liste des acteurs à rencontrer. Suite à la phase d’entretien et de rédaction, une seconde réunion a permis la validation des principes de gestion. Ces réunions sont évidemment un lieu d’échange mais elles permettent aussi de diffuser l’information en temps voulu : bien souvent les participants n’ont pas vraiment lu la totalité des informations envoyées avant la réunion et ce, quelque soit le support choisi (site web, e-mail, envoi papier joint à la convocation). Ces réunions se déroulent en deux temps : présentation du travail effectué et à effectuer et discussion. Elles ont fait l’objet d’un compte rendu distribué aux membres du comité de pilotage.

Résultats

La synthèse des entretiens

46Un travail de synthèse a été effectué à la suite des entretiens afin d’en faire ressortir les idées récurrentes soit, la perception du risque de submersion marine, des modes de gestion et  des enjeux.  

47En ce qui concerne, la perception du risque de submersion marine les Camarguais se sentent, a priori, bien protégés par les digues. Chez la plupart des acteurs, le phénomène de recul du trait de côte est connu mais les risques érosion et submersion sont mal perçus et négligés sur le long terme. En effet depuis des décennies la protection côtière du territoire camarguais a été entreprise dans une démarche de résistance aux assauts de la mer, ce que les Anglais appellent "to hold the line" (tenir la ligne) (Ledoux et al., 2003), terme faisant volontairement référence à un vocabulaire militaire. Cette attitude a longtemps donné l’illusion que l’on pouvait tenir tête à la submersion et à l’érosion (souvent amalgamées d'ailleurs).

48Pour les modes de gestion, les enrochements sont souvent perçus par les acteurs comme la seule protection efficace ; les protections "douces" ne viennent qu’en complément. Les acteurs veulent souvent maintenir le trait de côte à sa place actuelle. Le repli stratégique est souvent rejeté ; néanmoins pour une majorité des acteurs rencontrés il peut être envisageable sur des secteurs non habités, où les enjeux socio-économiques sont négligeables. Les acteurs sont unanimes quant à la protection des zones habitées (village des Saintes-Maries-de-la-Mer) par des enrochements. Certains préconisent également ce mode de gestion pour les Salins en raison de l’importance locale de cette activité dont l’avenir est en partie basé sur la conservation des surfaces exploitées pour le maintien de la production de sel. En effet, à Aigues-Mortes les enrochements protègent un littoral qui connaît de nombreuses intrusions marines lors des tempêtes et qui a reculé de 2,5 à 7 m/an (comme indiqué sur la figure 4c) pour la période comprise entre 2000 et 2004. Enfin, quelques voix sont plus réalistes en pensant qu’à long terme il sera impossible de maintenir le trait de côte à sa position actuelle sur l’intégralité du littoral de Camargue.

49Finalement pour les enjeux, la perception est très différente en fonction des acteurs rencontrés, car ils défendent souvent leur territoire d’usage. Les enjeux environnementaux et paysagers sont constitués d’espaces à forte biodiversité et de milieux à forte valeur patrimoniale (ex : peuplements remarquables de pins pignon sur le littoral). Les enjeux socio-économiques sont perçus comme forts dans les zones habitées, de même que dans les zones d'activités agricoles (saliculture, élevage, pêche) et de tourisme balnéaire.

50Les entretiens nous ont donc permis de mettre en évidence les interactions locales homme-milieu.  La figure 5 proposée ci-dessous résume ce système :

Figure 5. Représentation simplifiée de la pluri-fonctionnalité de la Camargue.

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51La Camargue est une terre transformée, une vaste zone humide dont on continue à modifier l’hydrologie. Cette terre sensible est partagée entre un patchwork d’activités dévoreuses d’espace (riziculture, activités salinières, vignes, élevage extensif, pêche…) et une perception divergente du territoire par les acteurs locaux. Cependant, compte tenu de la faible densité de population permanente et de l’absence de maillage urbain, il n’existe pas de trop forte dichotomie entre espace naturel et espace anthropisé, ce qui à terme peut laisser espérer un rapprochement des acteurs et de nouveaux comportements.

Synthèse de la validation des principes de gestion dans le cadre de la démarche de concertation.

52La démarche expliquée ici s’appuie notamment sur la définition de principe de gestion du littoral camarguais.  Ces grands principes stratégiques visent d’une part à éviter ou à ne pas renforcer les protections lourdes (chaque fois que cela est possible) pour respecter le fonctionnement du système dune-plage et ses transferts intrinsèques afin de ne pas altérer les fonctionnalités de l’écosystème. D’autre part à jeter les bases d’une politique où nous nous laissons la possibilité d’un recul contrôlé sans hypothéquer l’avenir des zones à enjeux forts (zone urbaine des Saintes-Maries-de-la-Mer par exemple), pour lesquelles des mesures de contention plus fortes peuvent être maintenues voire renforcées. Il s’agit de mettre en place une politique globale et prospective pour la gestion du littoral camarguais. Ces grands principes seront retranscrits dans la nouvelle charte du Parc. La présente stratégie devra également être accompagnée de démarches plus générales telles que de meilleures relations entre les acteurs du littoral en Camargue, mais également la nécessité de mettre en réseau les études et données pour les acteurs du littoral, afin d’éviter une vision partielle du trait de côte. Ces démarches sont un préalable indispensable à l’application des principes et modes de gestion définis ici.

53Nous avons synthétisé l’étape de passage des propositions de gestion à la validation des principes de gestion.  La démarche utilisée et ses principes ont été présentés au Comité de Pilotage formé des acteurs rencontrés. L’objectif était de discuter et d’améliorer ces principes de gestion préalablement définis en fonction de la synthèse des entretiens pour aboutir à un consensus global.   Des changements fondamentaux ont été initiés pendant le comité de pilotage. Parmi les 10 principes de gestion proposés, seuls 3 ont été validés directement, 7 ont été amendés et 3 nouveaux principes ont vu le jour.

54Sur une liste initiale de dix principes stratégiques, trois d’entre eux ont directement été validés sans modification :

« Aborder le système littoral dans sa globalité, en deux dimensions »

55Il s’agit de l’aborder dans sa dimension longitudinale (à l’échelle minimale de la cellule sédimentaire) et dans sa dimension transversale (cet espace d’une dimension variable est porteur d’enjeux maritimes et terrestres, il ne se résume pas à une bande de quelques mètres de plage). Ce principe se justifie d’autant plus que l’on se situe sur une frange deltaïque où le fleuve interagit avec le littoral

« Combiner les techniques de protection côtière »

56Il n’y a pas de solutions miracles et chaque situation possède une certaine spécificité. Il faut essayer de trouver un juste milieu entre le besoin urgent d’arrêter l’érosion dans un endroit donné, et la valeur à long terme qui consiste à utiliser des processus naturels tout en acceptant la disparition inévitable de certaines terres. La décision dépend d’une évaluation minutieuse des coûts et des avantages qui sert de base nécessaire à l’identification des solutions techniques viables et abordables sur le plan financier. Cependant, les solutions douces sont préférables aux solutions dures. Les solutions douces, du fait de leur manière particulière d’assister la nature, ne s'avèrent efficaces que dans une perspective de moyen à long terme, c’est-à-dire lorsque l'érosion côtière ne constitue pas un risque dans une perspective à court terme (5 à 10 ans). Leur impact ralentit en effet la régression du trait de côte mais ne l'arrête pas. L'effet positif des solutions douces, à long terme, peut être optimisé par des ouvrages en dur, qui permettent d’aborder efficacement un problème d'érosion, mais qui ont une durée de vie limitée (en général pas plus de 10 ans).

« Mettre en place une étude diagnostic et un suivi adapté lors de la mise en place d’un mode de gestion »

57Les plages mais aussi les ouvrages de protection nécessitent un entretien et un suivi devant être pris en compte dès la mise en place du mode de gestion. Ce mode de gestion devant être adapté en fonction de l’importance des enjeux littoraux. Un suivi fréquent est indispensable pour une protection côtière efficace et sert de base aux analyses coûts-avantages.

58Sept principes de gestion ont été validés avec des modifications, ils ont donc fait l’objet de discussions plus approfondies en réunion et de quelques allers-retours avant d’être complètement validés :

« Privilégier les moyens préventifs et les techniques de protection évolutives et réversibles » a remplacé

« Privilégier les moyens préventifs et les techniques de protection dynamiques ».

59Il peut s’agir de contrôler l’extraction des matériaux des cours d’eau, de protéger les herbiers sousmarins et la végétation dunaire jouant un rôle majeur dans l’équilibre du système littoral mais aussi de mettre en oeuvre des opérations de rechargement en sable ou de réhabilitation dunaire.

« Préserver un espace de liberté à la mer pour le maintien de l’équilibre naturel »a remplacé

« Préserver un espace de liberté »

60Il s’agit d’une zone nécessaire à la mobilité des différents éléments composant le système littoral pour le maintien de l’équilibre naturel. Toute intervention intempestive dans cette zone peut rompre cet état d’équilibre et engendrer alors une érosion chronique. Il faut accepter sociologiquement et économiquement la mouvance du trait de côte car le littoral bouge naturellement et on ne peut le fixer partout. C’est pourquoi il ne faut pas créer aujourd’hui de nouveaux enjeux dans les zones à risques mêmes si elles ont été temporairement fixées par des enrochements.

« Admettre l’évolution du rivage »a remplacé

« Admettre l’évolution naturelle du rivage »

61Il s’agit d’accepter le gain de territoire par l’engraissement du rivage et inversement la perte d’une partie du territoire en cas de recul. En Camargue même si la tendance générale est au recul du trait de côte, on retrouve néanmoins la situation inverse : l’engraissement d’une flèche sableuse, comme à Beauduc par exemple, où elle gêne l’activité des Salins à cause de l’ensablement des pompes. C’est également le cas sur la Pointe de l’Espiguette où l’on constate l’engraissement de la plage.

« Justifier les actions entreprises et à entreprendre par une analyse inconvénients avantages » a remplacé

« Justifier les actions entreprises par une analyse coûts – avantages »

62Il faut également prendre conscience que si l’impact de l’érosion est parfois néfaste il peut également se révéler positif en favorisant le développement d’un nouveau mode d’occupation du sol ou la prospérité d’autres milieux naturels. Ce qui représente un coût pour quelques uns peut représenter un avantage pour bien d’autres

« Rechercher des solutions techniques multi usages » a remplacé

« Rechercher des solutions techniques multifonctionnelles »

63Multi-usages au sens de fonctions sociales et économiques. En plus de protéger le littoral, ces solutions sont plus facilement acceptées par la population locale et sont plus viables du point de vue économique car elles augmentent les possibilités de trouver des cofinancements sur le long terme. En effet, on se bat plus facilement pour sauver un produit rentable.

« Tester en Camargue de nouvelles techniques de façon expérimentale »a remplacé

« Tester sur le terrain de nouvelles techniques de façon expérimentale »

64Avant de s’engager dans la mise en place de moyens de protection coûteux même s’ils paraissent efficaces, il est judicieux de pouvoir les tester au préalable et de pouvoir dresser un bilan de leur efficacité pour évaluer le rapport coût-avantage de ces actions. Il faut néanmoins prévoir une masse critique minimale de fonctionnement.

« Favoriser les échanges entre le delta et la mer » a remplacé

« Recréer une liaison naturelle entre le milieu terrestre et le milieu maritime »

65Un delta tel que celui du Rhône ne s’aborde pas uniquement par sa portion terrestre. De façon générale il faut aborder le système « delta » dans sa globalité en tenant compte des interactions fleuve – littoral. En Camargue ce principe est applicable à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il serait intéressant que les mesures de protections terrestres (Réserve Nationale notamment) se prolongent en mer. Plus concrètement le seul pertuis en état de fonctionnement en Camargue (celui de la Fourcade) n’est pas assez conséquent, notamment pour l’évacuation des eaux de crues et ne permet pas suffisamment les échanges biologiques. C’est pourquoi, il faut favoriser les liaisons naturelles entre le système lagunaire et la mer.

66Enfin, trois principes ont été ajoutés à la liste initialement proposée :

« Gérer et entretenir la digue à la mer »

67Cet ouvrage, le plus souvent situé en retrait du rivage, lors de sa construction (1857) elle avait comme rôle d'empêcher que la mer n'envahisse les étangs du delta par forte tempête ; à certains endroits elle est maintenant un rempart direct contre la mer. Cet ouvrage s’avère pour l’instant être encore efficace contre le phénomène de submersion marine. De plus, du fait de sa construction ancienne, il fait partie intégrante de l’environnement camarguais et semble rassurer la population.

« Intégrer les projets et les modes de gestion dans des démarches de concertation, de communication et d'éducation »

68Pour que la démarche soit acceptée par tous, elle doit être partagée dès le départ. La concertation est un processus de dialogue dont le but est de parvenir à des propositions acceptées par toutes les parties impliquées, des orientations ou des projets. Les démarches de communication et d’éducation visent d’une part à rendre accessible à tous les projets et d’autre par à sensibiliser le grand public aux questions traitées.

« Réduire la vulnérabilité des zones littorales pour continuer à privilégier la sécurité des biens et des personnes »

69L’objectif est de ne pas créer de nouveaux enjeux dans des zones à risques même si elles semblent être protégées. De plus, dans les zones à enjeux il faut également penser aux situations d’urgence en cas de catastrophe naturelle (tempête) car le risque littoral est souvent négligé en Camargue.

Discussion

La validation de la démarche

70La liste initiale de principes a été largement modifiée car elle a fait l’objet de longue discussion et débat passionnés lors des réunions de concertation, c’est l’avis général qui a été retenu afin d’obtenir des principes en adéquation avec les intérêts collectifs locaux.

71En effet, chacune des remarques formulées lors des comités de pilotage a été prise en compte par les rédacteurs, sans pour autant être systématiquement intégrée au document final. Les grandes modifications demandées et appliquées concernaient notamment le désir d'une transparence accrue et d'une communication à destination du grand public sur la problématique du littoral en Camargue, afin que chacun ait la même connaissance partagée du territoire. D’autres souhaits visaient à rappeler que les ouvrages existants et faisant leurs preuves ne devaient pas être abandonnés.

72De manière générale, il a été demandé par les membres du comité de pilotage d’être plus clair sur l’intitulé des principes et de préciser qu'ils ne sont pas tous applicables partout et en même temps. Les trois propositions validées sans modifications se sont imposées d’elles mêmes car ces principes n’augmentent pas le risque, mais aussi parce qu’ils font peut-être parti de ces principes « valises » dans lequel chacun y met ce qui lui convient.  La future gestion littorale qui prendra pour base ce travail sera le reflet d’une démarche locale et collective grâce à cette concertation.

Guide des bonnes pratiques pour une démarche de concertation efficace

73"La concertation représente une économie de temps, d’argent et d’énergie dans la mesure où elle permet de réduire les risques ultérieurs de contentieux" (CESR Bretagne, 2004).  Il faut rappeler que cette concertation a pour objectif final de définir les bases d’une gestion à long terme du littoral camarguais. Il s’agit de mener une politique globale et concertée du littoral, une démarche acceptée par tous les acteurs qui servira d’outil d’aide à la décision. Pour cette raison, la prise en compte des opinions locales est primordiale. Il s’agit de procéder par petites touches, de manière graduelle.

74Lors de cette expérience en Camargue, les points suivants ont été relevés et jugés comme des clés de réussite d’une démarche de concertation :

  • Initier les acteurs à la démarche bien en amont et poursuivre ce processus bien en aval… Il faut garder contact avec le comité de pilotage initial et continuer à l’impliquer dans les phases appliquées du dispositif.

  • Importance de l’écoute : les locaux connaissent mieux que quiconque leur territoire, leur expérience est donc à prendre en considération.

  • Importance du consensus : il s’agit de prendre en considération les remarques et idées acceptées par la majorité des membres participants à la concertation, toujours en adéquation avec les objectifs finaux de gestion durable. En effet une remarque isolée n’est pas forcément prise en compte dans la réécriture des documents.

  • Accepter la redite : prendre en compte la sensibilité de tous les acteurs.

  • Importance de la disponibilité et de la transparence pour un suivi efficace de la démarche : réunions, comptes-rendus, mise en ligne rapide sur le web,…

  • Importance de la participation : diversité des personnes participantes aux comités de pilotage. Confrontation des idées entre scientifiques, services de l’état, acteurs locaux… pour aboutir à un consensus.

  • Importance de la sémantique, être précis dans son vocabulaire, préférer le terme "gestion non active" à celui de "laisser faire" par exemple.

  • Importance de la faisabilité : il s’agit de la dimension règlementaire des problèmes posés ; il faut être capable de modifier des propositions en fonction des contraintes règlementaires qu’elles peuvent générer. La question de la faisabilité (juridique, technique,…) ne doit pas être négligée, elle doit être traitée de manière concertée en prenant en compte des avis d’experts.

  • Intégrer la lenteur du processus : laisser du temps à la prise de conscience et à l’évolution des mentalités : il a fallu 25 ans pour que les enrochements du sillon de Talbert (Bretagne Nord, Côtes d’Armor) soient supprimés.

Conclusion

75Cette proposition de gestion intégrée d’une zone littorale ne prétend pas avoir une valeur d’exemplarité. Cependant elle est elle-même issue d’un autre projet mis en place dans la région Languedoc-Roussillon5 : c’est donc la preuve que ce type de démarche est transposable à d’autres parties de la zone méditerranéenne.

  • 5  Mission Interministérielle d’Aménagement du Littoral Languedoc-Roussillon - « Orientations (...)

76Le travail présenté a permis de démarrer une réflexion sur la gestion à moyen et long terme du littoral camarguais en validant des grands principes de GIZC. Il sera repris par la future charte du PNR Camargue, donnant une vision globale, cohérente, concertée et en cours de partage des actions à mettre en place. L’une d’entre elle pourrait être la suivante : dans le secteur du grand radeau (Figure 6) situé entre les Salins d’Aigues Mortes et le Petit Rhône, la digue de second rang déjà en place peut être entretenue et constituer une protection plus en arrière. Pour ce qui concerne la proximité immédiate du trait de côte, un mode de gestion est à déterminer (gestion non active de la digue en contact direct avec la mer, par exemple la photo ci-dessous montre que la nature a déjà elle-même opté pour ce choix).

Figure 6. Le secteur du Grand Radeau : la digue s’affaisse et laisse pénétrer les intrusions marines (Cliché : Salgado, juillet 2003).

Image8

Les auteurs voudraient remercier Monsieur Vianet et Madame Marobin-Louce (Parc Naturel Régional de Camargue pour leur aide dans l’aboutissement de cette étude. Un grand merci à Philippe Richard (EID Méditerranée) et à Stéphanie Grosset (EID Méditerranée) pour leurs conseils et la relecture attentive de ce document.

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Notes

1  DATAR : Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale créée par décret le 14 février 1963

2  DIACT : Délégation Interministérielle à l’Aménagement et à la Compétitivité des Territoires, créée par un décret du 31 décembre 2005, elle remplace la DATAR.

3  En combinant les enjeux et les aléas (érosion et submersion) on obtient la valeur du risque (http://www.prim.net/citoyen/definition_risque_majeur/definition.html).

4  Recul contrôlé du littoral pouvant être admis lorsque le maintien de la ligne actuelle de rivage sur sa position n’est pas essentiel pour la sauvegarde des biens et des personnes.

5  Mission Interministérielle d’Aménagement du Littoral Languedoc-Roussillon - « Orientations stratégiques pour la gestion de l’érosion en Languedoc-Roussillon » - Juin 2003 (http://www.brl.fr/SPIP/IMG/pdf/Orientations_strategiques-3.pdf).

Pour citer cet article

Référence électronique

Hugues Heurtefeux et Provence Lanzellotti, « La Camargue, terre d’enjeux, première étape d’une gestion intégrée des zones côtières », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 8 Numéro 1 | avril 2008, [En ligne], mis en ligne le 12 avril 2008. URL : http://vertigo.revues.org/index1916.html. Consulté le 10 novembre 2009.

Auteurs

Hugues Heurtefeux

Provence Lanzellotti

Direction de l’Environnement, Service Connaissance et Observation du littoral, Chef de service, EID Méditerranée, 165 avenue Paul-Rimbaud, 34184 Montpellier Cedex 4, hheurtefeux@eid-med.org

Droits d'auteur

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