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Dossier : La nature des sciences de l’environnement : quels enjeux théoriques, pour quelles pratiques ?

Des objets au croisement des disciplines : Les facettes éco-paysagères de Guinée Maritime

Elisabeth Leciak

Résumés

La rencontre entre analyse sociale et diagnostic écologique représente le projet pluridisciplinaire des sciences de l’environnement. Mais les interactions entre nature et culture existent à différents niveaux d’intégration et l’analyse de la co-évolution milieux/sociétés exige de la part des chercheurs l’identification d’échelles fonctionnelles valables au regard des processus écologiques comme des phénomènes sociaux. En Guinée Maritime, notre étude s’est appliquée à des compartiments de l’espace où pratiques locales et fonctionnements écologiques s’intègrent en une entité spatiale hybride de nature et de culture. Permettant le déploiement simultané des méthodes des sciences sociales et des sciences écologiques, ces entités, nommées facettes éco-paysagères, sont décrites comme des écosystèmes mais aussi comme objets de représentations locales et d’enjeux sociaux.

The meeting between social analysis and ecological diagnosis is an important issue for environmental sciences. Nevertheless interactions between nature and culture exist at various levels of integration and, to describe ecosystems/societies co-evolution, researches are first required to identify valid functional scales corresponding to ecological processes and social phenomena as well. In Coastal Guinea, our study concerned spatial entities where local uses and practices of land are integrated with ecological functions in a concrete entity, a hybrid of nature and culture. Allowing the simultaneous deployment of the methods of social sciences and ecological sciences, these patches of landscape are described like ecosystems but also like objects of local representations and social stakes.

Texte intégral

Introduction

1Dans le domaine des sciences de l’environnement, la production d’objets communs aux sciences écologiques et aux sciences sociales représente un enjeu majeur, tant au niveau théorique que méthodologique. Les espaces d’intégration (et non de superposition) que sont les facettes éco-paysagères, décrits dans cet article, existent tant comme objets d’étude, que comme outils de concertation à l’intérieur de cette dynamique scientifique qui favorise la collaboration entre les disciplines et une réflexion appliquée aux politiques et mises en œuvre du développement durable dans un cadre territorial.

  • 1  Travaux réalisés pour l’Observatoire de Guinée Maritime, programme sous la tutelle du (...)

2Issus de travaux menés dans six localités de Guinée Maritime (République de Guinée)1, lors d’une approche couplant écologie et géographie sociale, les exemples présentés ici montrent comment, à partir de la recherche d’échelles fonctionnelles, des compartiments de l’espace définis à partir de critères mixtes représentent des niveaux d’intégration où dynamique écologique et dynamique sociale peuvent s’observer.

A la recherche d’une double validité

3Depuis le début des années 90, plusieurs formalisations théoriques émanant autant du champ des sciences écologiques que de celui des sciences sociales décrivent dans une approche systémique l’intégration entre processus écologiques et phénomènes sociaux (Jollivet 1992, Frontier, 1997, Lévêque 2003). Avec l’écologie et la paléo-écologie (Denevan, 1992, Clist, 1989) qui démontrent que les écosystèmes tels que nous les connaissons aujourd’hui sont tous plus ou moins directement sous l’influence de l’action anthropique, la profondeur historique de l’occupation humaine met à mal le mythe de la forêt vierge (Hladik, 1995, Bahuchet, 1996, Rossi, 2003) et les actes de l’humanité se posent et s’imposent comme des facteurs structurants à l’intérieur même des processus dits naturels. Une société, occupant un espace donné, exploitant les ressources naturelles et utilisant les écosystèmes, restructure ces systèmes naturels et les transforme en entités hybrides dont les dynamiques cessent d’obéir aux seules lois bio-physico-chimiques. A l’évidence, les questions « environnementales » contiennent d’emblée des faits sociétaux et la réaction des systèmes naturels à l’action des hommes conduit à des ajustements diachroniques. Milieux et sociétés s’inscrivent dans une dynamique de co-évolution.

4Si des systèmes complexes, mêlant nature et société, ont déjà été définis, par exemple en tant que géosystème (Bertrand et Beroutchachvili, 1978, Bertrand 2002) ou anthroposystème (Lévêque, 2003), la recherche des échelles fonctionnelles pertinentes constitue, encore aujourd’hui, une problématique majeure de la recherche sur l’environnement.

  • 2  Mauss M. (1923), “Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés (...)

5Dans leurs interrelations, chacun des deux sous-systèmes, sphère des relations humaines, processus naturels, peut être appréhendé à différents niveaux fonctionnels. Les phénomènes biologiques s’observent du gène à la biosphère. A chaque niveau, des processus écologiques existent et structurent la dynamique de la biodiversité. Selon le même raisonnement, au regard de l’activité anthropique, différents niveaux, ou plus exactement différentes façons d’appréhender l’humanité dans ses relations à la nature, existent et sont signifiantes. « Les relations des hommes à la nature apparaissent comme un fait social total 2» (Lizet, 1994), c'est-à-dire qu’elles mettent en jeu simultanément plusieurs dimensions de la vie humaine, les dimensions physio-psychologiques, les dimensions sociologiques et juridiques, les dimensions religieuses, les dimensions économiques. Si « nulle action matérielle sur la nature (…) ne peut s’accomplir sans mettre en œuvre, dès son commencement, dans l’intention, des représentations, des jugements, des principes de pensées de rapport matériels nés hors d’elle, avant elle et sans elle » (Godelier, 1984), on se rend bien compte l’importance des réalités « idéelles » à prendre en compte.

6Deux ordres de phénomènes, l’écologique et l’anthropologique, sont à l’œuvre simultanément et/ou de façon diachronique, et il s’agit dès lors de trouver les correspondances qui existent entre des écosystèmes et des lieux de vie, pratiqués et imaginés. La pertinence écologique s’éprouve dans une échelle d’appréhension où s’observent les processus fonctionnels (processus dynamiques, échanges et flux de matières et de gènes) telle que les écosystèmes et les éco-complexes (Blandin et Lamotte, 1988) ou le paysage (Forman, 1986, Burel et Baudry, 1999). La pertinence sociale correspondante est l’échelle de la pratique, des relations et des décisions, l’échelle de l’espace vécu, du territoire, synthèse entre l’espace et la possibilité d’agir. Le passage se fait alors d’une approche systémique pluridisciplinaire qui considère des compartiments en interrelations à une véritable intégration par l’étude centrée sur des entités hybrides.

Des objets hybrides : les facettes éco-paysagères

7Les écosystèmes de Guinée Maritime, même s’ils connaissent des traitements extensifs n’en sont pas moins sous l’influence des activités anthropiques et sur ce terrain, comme ailleurs, c’est bien l’ensemble homme/activité/milieu qui forme le véritable système (Frontier, 1997).

8Lieux d’interactions entre le biotique et l’abiotique, lieux de développement, de disparition ou d’expansion des espèces, lieux d’implication sociale, les écosystèmes que nous avons étudié en Guinée Maritime sont issus d’une première distinction fondée sur des critères mésologiques (nature du substrat, hydrométrie). Parallèlement ces unités, lieux de contraintes/potentiels écologiques sont redéfinies par l’utilisation humaine. C’est l’échelle de l’activité humaine qui nous permet de décrire une entité fonctionnelle qui intègre les aspects sociaux. Les pratiques, usages, transformations, dénominations et représentations locales des milieux fournissent l’ultime facteur de distinction et de délimitation des compartiments de l’espace.

9L’étendue spatialisée concrète, objet de l’analyse, est toujours une représentation. Si la structure de la végétation est un critère de lecture pour le botaniste ou l’écologue, si d’un seul coup d’œil forêt et recrus arbustifs forment des entités distinctes, elle ne produit pas pour autant une représentation universelle et objective. Pour qu’une représentation fasse sens et démontre son efficacité, elle doit être reconnue au moment où elle se découvre. Si notre objectif est d’approcher le sens social d’un espace, puis de dérouler vers l’amont les relations qui concourent à une certaine forme d’utilisation et de pratique, c’est aussi la représentation des habitants qui doit être prise en considération. Car, reconnaître un espace, l’identifier, fonde l’expérience du lieu, la relation de familiarité qui s’accompagne de l’attribution de valeurs. La catégorisation, l’identification d’un espace par les populations qui y vivent, l’utilisent et le pensent, sont une évaluation. C’est la première étape de l’action, où conscience, affectivité et intentionnalité se mêlent. Dans la représentation des lieux se forme l’image de ce que l’on y fait ou ce que l’on peut y faire.

10Hybride de faits humains et de faits écologiques, entité spatiale, inspirée par les travaux de C. Blanc-Pamard et G. Sautter (1990) est nommée « facette éco-paysagère » : « facette » signifiant qu’elle participe à la composition d’une mosaïque, « éco » pour insister sur la dépendance aux facteurs mésologiques, et « paysagère » pour intégrer le rôle des pratiques et des représentations locales. Complétant la définition donnée dans les années 90, les facettes éco-paysagères sont analysées dans leur dynamique et leurs multiples définitions, l’objet étant abordé sous plusieurs angles, décliné selon plusieurs traductions.

11En Guinée Maritime, dix facettes éco-paysagères ont été étudiées, depuis l’espace agricole nommé le Fötonyi, différents types de savanes, le Yamfoui et le Bourounyi, et les espaces forestiers, Wondy ou Föton Khöno (Leciak, 2006). A titre d’exemple, et afin de montrer l’ensemble des informations et des enseignements qu’il est possible de tirer de l’étude d’une facette, nous allons présenter ici trois exemples, celui du Fötonyi, facette domestique des jachères actives, le Bourounyi, facette maintenue par les feux et le Föton Khöno, ou facette interdite.

La Guinée Maritime

12Entre le piémont du massif du Fouta Djalon au nord-est et l’océan atlantique au sud, la Guinée Maritime, située au nord-ouest de la République de Guinée, occupe une bande d’environ 150 km de largeur moyenne, sur de basses altitudes qui donnent au relief l’ouverture caractéristique des grandes façades littorales. S’atténuant progressivement, les reliefs du piémont montagneux alimentent de vastes marais maritimes où terre et océan se confondent en formations de palétuviers. L’union entre le domaine atlantique et le domaine continental est une qualité essentielle de cette zone d’étude où un réseau dense et sinueux de chenaux de mangrove pénètre dans les terres, se raccorde aux drains de l’amont, et dessine une côte à rias. Cette région connaît un climat à deux saisons bien marquées. Les précipitations, abondantes du mois de juin au mois de septembre, sont toujours supérieures à 2 m. La saison sèche par contre est sévère durant au moins cinq mois.

13L’histoire du peuplement, par vagues d’installations successives de différents groupes, probablement à partir du XIVe siècle et jusqu’au XVIIIe siècle, fait de la Guinée Maritime un espace social mixte, où plusieurs groupes culturels et linguistiques se mêlent : groupes Soussou, Baga, Nalou, Landouma et Diakanké. La densité rurale moyenne est inférieure à 30 hab/km2, avec une population majoritairement constituée d’agriculteurs, mais que l’on qualifierait plutôt comme pluri-actifs (Beuriot, 2007). En effet, même si elle est d’une très grande importance, matérielle comme symbolique, la production rizicole issue des plaines de mangroves et de l’agriculture sur défriche-brûlis n’est pas la seule occupation des villageois. Face aux aléas de la production, à la variation des prix sur les marchés, face aux opportunités offertes et en rapport avec les financements de projets à venir (construction, mariage…), les familles conduisent plusieurs activités rémunératrices. Les trois principales sont la production d’arachide sur défriche-brûlis, la saliculture et la pêche (pour les sites littoraux). Par ailleurs, la production d’huile de palme, l’arboriculture fruitière, la production de charbon, la vente de bois de service, l’artisanat, l’élevage, le commerce de détail sont autant d’activités qui fournissent des ressources monétaires aux ménages (Observatoire de Guinée Maritime, 2005). Les revenus sont parfois très inégaux mais restent néanmoins faibles, et les populations de Guinée Maritime comptent encore pour beaucoup sur les ressources naturelles offertes par leurs terroirs. La cueillette des fruits et végétaux spontanés, la récolte de paille, le ramassage du bois pour l’énergie, la chasse, sont parties de cet ensemble d’activités qui associe autosubsistance et commerce à des degrés divers.

14La Guinée Maritime, est, par excellence, une région mosaïque où formations littorales, savanes et forêts se jouxtent, favorisant une diversité biologique encore très peu étudiée. Sur ce terrain, nous avons couplé les méthodes des sciences naturelles : identification de 681 espèces végétales(Hutchinson J., Dalziel J.M., Flora of West Tropical Africa), inventaire de richesse spécifique et analyse de plus de 80 relevés botaniques et de la géographie sociale (enquêtes et entretiens auprès des populations locales) dans six villages des sous-préfectures de Kanfarandé, Mankountan et Boffa pour y analyser les facettes éco-paysagères.

La facette domestique, le Fötonyi

15En Guinée Maritime, l’espace porte une dimension imaginaire qui s’exprime lors d’un premier clivage entre le domaine des hommes et le domaine sauvage. Le terme Wula est employé, par opposition à Ta, le village, pour définir la « brousse ». Espace sauvage, Wula est l’ailleurs, le reste, l’autre, l’indéfini. Wula n’existe que par opposition, pour affirmer et insister sur le fait que le village est avant tout un espace social, à la fois porteur et protecteur de l’existence humaine. Mais Wula existe seulement comme une idée, et la brousse, une fois pratiquée, se compose de compartiments distincts, visibles, tangibles, nommés.  

16Les hommes « partent en brousse » (Wula) pour pratiquer la culture du riz et de l’arachide sur défriche brûlis. Ce futur espace agricole se nomme alors le Fötonyi, pour nous, il s’agit d’une jachère. Bien qu’elles puissent être liées aux autres formations végétales dont elles sont dérivées, ou vers lesquelles elles peuvent évoluer, les jachères, dont les cycles de rotation varient de 4 à 10 ans, forment une facette à part entière. La jachère, ou Fötonyi, est maintenue et gérée en tant que telle par les populations via les cycles de défriche-brûlis et la structure du peuplement végétal tout autant que le fonctionnement écologique intègre la pratique.  

17Durant la période de jachère, le milieu n’est quasiment soumis à aucune forme d’exploitation. Il est au contraire mis en réserve pour les futures cultures. Une attention particulière est portée à cette phase qui, pour les cultivateurs, représente la garantie de leurs futurs rendements. Les jachères sont protégées du passage des feux. Des prélèvements à usage domestique y sont pratiqués, mais face à la difficulté de pénétration, ils se localisent, pour la plupart, au niveau des marges et au bord des chemins. Le milieu est laissé à la libre reconquête de la végétation spontanée.

18Les jachères sont des taillis arbustifs denses, de hauteur relativement homogène, dont la croissance se fait uniformément au cours des années d’abandon. Le peuplement est majoritairement constitué d’arbustes ou de petits arbres, dont les tailles dépassent rarement les 15 mètres de hauteur. Des arbres épars, conservés pour leurs fonctions par les agriculteurs, Elaeis guineensis, Parkia biglobosa, ou Parinari excelsa, Pterocarpus erinaceus ponctuent ce peuplement, brisent par leurs hauteurs la monotonie de la formation et assurent, dans une certaine mesure, le renouvellement du stock de semences.

19A partir de l’abandon du champ, dès le dernier sarclage, la végétation va recoloniser l’espace selon un schéma entretenu par le processus de sélection des espèces. Les espèces de la jachère présentent des caractères biologiques qui définissent leurs aptitudes à se maintenir et se développer au travers des cycles de défriche-brûlis : phénologie, âge de la reproduction, résistance au feu, aptitude au drageonnage ou à la multiplication végétative.

20La majorité des taxons constitutifs du peuplement possède une grande vigueur de régénération. Par exemple, une seule souche d’Alllophylus cobbe ou de Sorindeia juglandifolia peut émettre cinq nouveaux brins dès la première année de repos, Sterculia tragacantha ou Monodora tenuifolia peuvent développer jusqu’à quinze brins à partir d’un même individu. La fréquence des coupes a sélectionné ces espèces, capables de croître en taillis dense et à reproduction relativement rapide (les lianes ou les arbustes sarmenteux tels que Salacia senegalensis sont fertiles dès la deuxième année, Uvaria chamae peut se trouver en fruit dans des jachères de 3 à 4 ans). Le processus de reconquête se fait par rejet : dans les premiers stades, de 1 à 3 ans, 80 % du peuplement ligneux est issu de rejet de souche.

21Il en résulte un recouvrement rapide de la surface antérieurement cultivée. Il dépasse les 75 % à partir de 3 ans de jachère, avec des densités allant de 200 à 500 brins pour 100 m². Ces importantes densités sont un frein au développement des graminées, la lumière n’atteignant pas le sous-bois. Cette physionomie rend ces formations très avantageuses pour l’agriculture, les herbacées y sont, en effet, quasiment absentes à partir de la troisième année de repos, et le recrus arbustif permet une reconstitution rapide de la biomasse ligneuse (indicateur privilégié pour les cultivateurs). Estimée en surface terrière, elle évolue de 0,5 à 1 m²/ha pour les jachères de 4 ans vers 1,5 à 3 m²/ha pour les jachères de 5 à 6 ans et 3 à 4 m²/ha pour les jachères de 8 ans.

22Les peuplements ont co-évolué avec les pratiques agricoles, depuis le premier défrichement, aujourd’hui hors de mémoire des hommes (et des milieux, si l’on peut dire). La formation se maintient dans cette alternance de coupe et de repousse, sans signe, à ce jour, de forts déséquilibres.

23La gestion du Fötonyi se réalise à plusieurs niveaux et dépend étroitement des relations sociales, des règles de la parenté et des stratégies des lignages. Avec une agriculture qui fonde la domestication de l’espace, alors que l’on transforme et que l’on plante, le lieu s’inscrit dans la continuité de l’espace humanisé. Entre Fötonyi, la jachère, et Khè, le champ, deux seuils de familiarité alternent dans les cycles de rotation. Khè est l’extension de l’habitat, il est l’espace de la famille nucléaire et son mode d’exploitation émane des choix de l’agriculteur, à l’échelle individuelle. Mais le Fötonyi est, quant à lui, dans l’ordre idéel, comme dans les règles d’accès et de distribution, un espace du lignage.

24La taille des espaces défrichés est très variable, puisqu’ils peuvent réunir de deux à plus de quinze cultivateurs sur un même site. Sur les 25 domaines agricoles que nous avons enquêtés lors d’une saison culturale, ces surfaces vont de 3,5 ha à plus de 63 ha, une famille nucléaire exploitant en moyenne 1,2 ha. La particularité des domaines tient au principe foncier sur lequel ils reposent et sur l’association des exploitants. Les regroupements de cultivateurs sont commentés le plus souvent sous la forme de : « nous avons les mêmes grands-parents », ce qui se décompose par « ego + cousins + neveux », « ego + oncle paternel + grand frère », « ego + père + grand frère », « ego + grand frère + neveu + beau-frère », pour ne citer que quelques exemples. Les domaines sont sous l’autorité des aînés de lignage, et ils se définissent comme des espaces en détention à l’échelle de cette famille étendue. Il s’agit d’espaces qui n’ont pas été morcelés par héritage et même si un cultivateur peut exprimer lors d’une conversation qu’il travaille sur une parcelle héritée, le droit d’y cultiver lui revenant effectivement de son père, il n’a en aucun cas le droit de prendre l’initiative de la défriche sur sa parcelle (sauf autorisation du chef de lignage). Selon les cas, les parcelles du domaine sont désignées par avance, les cultivateurs revenant au même emplacement après chaque cycle de jachère, mais le plus généralement ni les positions, ni les tailles des champs individuels ne sont prédéterminés. Ainsi on hérite d’un droit et non d’une parcelle de terre à proprement parler. Comme le décrit Lavigne-Delville (1998) « le chef de lignage concède aux autres membres des droits de culture permanents transmissibles par héritage ».

25La culture en domaine montre que les choix pour la conduite de la production agricole dépendent de différents niveaux. L’exploitant décide de la conduite technique, des cultures qu’il sèmera (influencé cependant par les temps de jachère du domaine), il est maître à l’intérieur de son champ. Mais le domaine met en évidence que le véritable organe de gestion des terres est le lignage. La taille, la localisation, la forme des domaines sont le reflet de l’histoire des familles et de leur évolution démographique au cours du temps.

26Avec « le défrichement qui fonde le contrôle foncier, et l’exploitation du sol, sa mise en valeur, qui justifie la pérennité de la tenure » (Pélissier, 1995), le droit sur l’espace est le résultat du processus historique d’installation. Les premiers arrivants ont eu la possibilité de prospecter de vastes étendues et ainsi de choisir les meilleurs emplacements pour installer leurs cultures et, en procédant chaque année à des défriches importantes, de grandes surfaces ont ainsi été appropriées. Les familles arrivées ultérieurement ont pu encore défricher de grandes superficies de terres et, de la même manière que les premiers arrivants, constituer à leur tour un patrimoine. Au fur et à mesure des arrivées, l’étendue des terres disponibles diminue. Cette inégalité de l’emprise foncière est à la base de la hiérarchie sociale qui s’est instaurée : « disposition pyramidale souvent observée, au sommet de laquelle se trouve le lignage fondateur, puis les lignages les plus anciens, puis les plus récents et finalement les derniers arrivés » (Jean, 1993). Les aînés des lignages vont ainsi se trouver gestionnaire d’un patrimoine foncier plus ou moins important et leurs stratégies de maintien ou d’accroissement de ce patrimoine répondent à la nécessité d’assurer les rotations et les déplacements inhérents à la culture sur brûlis pour l’ensemble des membres de la famille étendue.

27La réduction ou l’augmentation des temps de jachères, la conversion par plantation, l’abandon ou la mise en jachère longue (plus de 15 ans), qui correspondent à des changements dans les pratiques agricoles susceptibles d’influencer la structure des peuplements végétaux, sont de ces stratégies, qu’il convient dès lors d’aborder à l’échelle des domaines lignagers et non à l’échelle d’un exploitant agricole isolé qui ne peut être, dans ce contexte, seul décisionnaire.

La facette contrôlée, le « Bourounyi »

28En s’avançant dans la brousse, dans le cœur du Fötonyi, le taillis dense des jachères impose une masse compacte de perches et de lianes, homogène dans sa forme. Puis, presque soudainement, alors que rien ne le laissait supposer, alors qu’aucune rupture de sol, qu’aucun changement de relief ne le laissait prévoir, s’ouvre la savane. Et, dans son peuplement clair, le regard chemine entre les fûts tortueux et s’accroche aux herbes mouvantes. Ici, les arbres supérieurs à 8 mètres de haut ont un recouvrement de 25 %, alors que le recouvrement des ligneux bas oscille entre 25 et 50 %. Les espèces caractéristiques sont Daniellia oliveri, Crossopteryx febrifuga, Lophira lanceolata, Pterocarpus erinaceus, Piliostigma thonningii, Hymenocardia acida, Detarium senegalensis, Erythrina senegalensis. Mais Daniellia oliveri et Crossopteryx febrifuga peuvent représenter à eux seuls de 20 à 50 % du peuplement ligneux. La couverture herbacée est, quant à elle, presque contiguë, avec d’importantes variations saisonnières. Elle se compose essentiellement de graminées hautes (jusqu’à 2 mètres), appartenant aux genres Hyparrhenia ou Andropogon, de Rottboellia exaltata ou Pennisetum spp.. D’autres espèces se rencontrent dans les strates basses, des plantes à bulbes ou à rhizomes, comme Costus spectabilis, Afromomum latifolium, ou Tacca leontopetaloides.

29Face à la présence de ces formations boisées, c’est l’hypothèse d’un espace abandonné, d’une jachère très ancienne, qui vient à l’esprit. Une friche est une « parcelle qui n’entre pas dans le cycle cultural « programmé » et qui est abandonnée faute de projet pour son utilisation » (Floret, 1993). Si la savane est une friche, la terre est ici marquée par une non-utilisation, c’est une zone non exploitée. Et les informateurs locaux nous conduiraient vers cette hypothèse, car ici, la savane n’est pas un « Fötonyi », on le nomme « Bourounyi », très souvent juste « Wula » comme pour l’exclure de l’espace domestique, avec cette remarque déroutante « on ne fait rien ici ». La savane boisée retrouve alors son appartenance à l’espace sauvage. Elle peut être désignée « Yalé Bouroun », la « brousse du Cobe defassa », comme remise aux mains de la nature, rendue aux esprits incarnés. Ce milieu n’est alors fréquenté que par les hommes « courageux » et détenteurs de « secrets » que sont les chasseurs. Le Bourounyi ne fait définitivement pas partie des jachères actives.

30Or, même si elle fut dans les temps anciens une terre agricole, le Bourounyi n’est pas une friche, au sens classique du terme qui la mettrait, de fait, « hors d’usage ». Elle ne peut pas s’expliquer par un simple abandon des cultures, elle ne peut pas s’expliquer comme une formation laissée au libre cours de la reconstitution spontanée. Les schémas dynamiques d’une jachère sur ce type de sol ne conduisent pas une évolution vers la formation d’une savane ouverte, mais vers une formation boisée au peuplement mésophile, comme l’illustrent les îlots forestiers.

31C’est alors le peuplement végétal lui-même qui témoigne de ce que les locaux ne jugent pas important de préciser, et surtout ne veulent pas dire. C’est la nature du cortège qui brise le tabou du feu.

32Le peuplement est tout à fait caractéristique d’un domaine défini : une saison sèche bien marquée et le passage des feux, et les déficits hydriques saisonniers ne sont pas compensés ici par la couverture végétale. Le recouvrement des ligneux ne fournit jamais l’ombrage suffisant pour limiter l’évapotranspiration, et c’est une flore à caractère xérophile qui se maintient. Les grands arbres comme Parkia biglobosa ou Daniellia oliveri, présents dans ces savanes, ont un feuillage clair, diffus, qui laisse passer la lumière. Certains grands ligneux perdent leurs feuilles en plein cœur de la saison sèche (Pterocarpus erinaceus).

33L’ensemble du cortège est dès lors orienté par ces conditions, mais surtout par la résistance aux feux. Chaque espèce présente des adaptations particulières soit dans ses stratégies de reproduction : abondante production de graines pour Daniellia oliveri, reproduction végétative au niveau des racines traçantes de Detarium senegalensis, drageonnage chez Lophira lanceolata ; soit dans ses adaptations physiologiques à la sécheresse et au feu : épaisse écorce liégeuse, pivot puissant qui s’enfonce profondément dans le sol chez Pterocarpus erinaceus, longues racines de Annona senegalensis, organes de réserves (bulbes, tubercules, rhizomes) par exemple pour les nombreuses espèces d’ignames (lianes dioscoréacées), ou pour Icacina senegalensis.

34La présence de ces espèces montre que l’histoire du site est marquée par le feu. A la saison sèche, les savanes sont incendiées, et plusieurs catégories de feux les parcourent : feux des chasseurs, feux d’assainissement ou feux favorisant la recrus herbeuse pour les troupeaux. La mise à feu est un mode de valorisation, rendant ces espaces à la fois productifs, pour l’exploitation des herbacées, à la fois accessibles, pour l’exploitation du bois et d’autres ressources non ligneuses. On y collecte le bois de chauffe, le bois de construction, des produits de cueillette (environs 50 % des espèces dénombrées sont des espèces utiles) et du miel dans les cavités des arbres ou dans des ruches artificielles, petits paniers de raphia installés à la cime des grands Daniellia oliveri. Rien à voir donc avec la friche, le milieu est géré, transformé, orienté vers son utilisation.

35Hors du domaine des jachères actives, le Bourounyi n’est pas formalisé en tant que détention lignagère mais comme un espace commun, ce qui nous conduit vers l’analyse des modalités d’accès. Depuis la célèbre « Tragedy of the commons » de Harding en 1968, et malgré les convaincants travaux d’ethnologie ou de géographie (Weigel, 1996) sur la gestion des ressources communes dans les pays du Sud, pour les politiques internationales, le spectre de la surexploitation plane toujours sur les espaces collectifs. Or, quand on s’intéresse au statut de ces espaces, aux droits d’usages, aux règles et aux transformations possibles, c'est-à-dire en observant « le droit de la pratique » (Le Roy, 2001), la notion d’espaces communs se nuance et laisse apparaître qu’une autorité garde le contrôle sur leur devenir. Les catégories rigides et rigoureuses issues de la pensée juridique s’appliquent mal, au foncier en Afrique. En effet, dans des sociétés lignagères, que faire de l’opposition cardinale entre le privé et le public qui marque si fortement les rapports juridiques dans les sociétés individualistes et se trouve à la base du droit de propriété ? Evacuer la notion de propriété n’est pourtant pas une solution et elle conduit à des contre-sens importants sur les espaces communs. Un court détour sur la définition de la propriété telle qu’elle est simplement énoncée a cette curieuse ironie de correspondre à des cas observés dans le Bourounyi, cet espace non agricole, à l’usage de la communauté, en apparence d’accès libre. La propriété se définit comme le cumul de droits : le droit d’usage (usus), le droit sur les produits (fructus), le droit d’abuser (abusus). Le propriétaire est le titulaire de la totalité de ces droits. En Guinée Maritime, la communauté villageoise n’est, en tant que collectif, titulaire que des deux premiers. Par contre le responsable du lignage fondateur a, en plus de l’usus et du fructus, le droit de disposer (abusus). Les prérogatives correspondent au fait de disposer physiquement de la chose (en l’occurrence le Bourounyi), c’est-à-dire « de la détruire de façon matérielle ou d’en transformer la substance » (Planiol, 1922 cité par Testard, 2003), et celle de l’aliéner. La conversion des facettes est un cas d’abusus sans conteste. Le chef de village, aîné du lignage fondateur, a en effet la possibilité de défricher un Bourounyi pour y pratiquer l’agriculture ou la plantation fruitière. Des ventes de parcelles pour l’installation de plantations d’anacardiers sont des cas exceptionnels mais démonstratifs car le produit de la vente revient au chef de village. La différence majeure avec la propriété telle que nous la définissons dans le droit français est qu’elle ne constitue pas un droit exclusif ici, interdisant par enclosure les autres usagers. Elle permet l’existence d’autres droits d’accès et d’usages (pour les prélèvements par exemple). Les fondateurs possèdent les droits éminents sur la terre mais le foncier local est une superposition de droits. Il existe alors d’autres ayants droits à des niveaux inférieurs. Décomposant l’objet en autant de ressources que porte la terre, les droits d’usage sont multiples.

36Certains privilèges économiques sont associés à l’exercice du pouvoir et de l’autorité. Et cette position appelle toujours des contreparties économiques : l’obligation d’assistance. Un chef est responsable pour sa communauté et son devoir de redistribution, sincère ou établi sur la peur (jalousie et sorcellerie, le chef, comme n’importe qui, est toujours menacé), s’exprime aussi dans la mise à disposition des espaces. Tous les membres de la communauté villageoise peuvent prélever le bois, les animaux, les fruits, exploiter le charbon, la paille. Les ressortissants villageois ont accès à l’ensemble des ressources sur les facettes de Bourounyi, généralement sans recours à une autorisation du chef de village. Les droits de prélèvements sont implicitement accordés. Les étrangers sont quand à eux soumis à autorisation et souvent redevables d’une contribution, en nature ou monétaire, pour l’exploitation des ressources.

37Dans les affaires de prélèvements va se lire la nature complexe de l’autorité. L’autorité s’appuie sur la légitimité du pouvoir. La reconnaissance par les dominés de l’autorité qui s’exerce sur eux découle soit d’une idéologie du caractère naturel du pouvoir, comme c’est le cas alors qu’il est fondé sur les liens de parenté et « l’aînesse par occupation », soit « d’une sorte d’abandon raisonné de la liberté, tronquée en contrepartie de la sécurité, de la protection des personnes et des biens » (DiMéo, 1998). En Guinée Maritime, les deux logiques sont à l’œuvre, on retrouve dans l’autorité des fondateurs ce caractère où « le pouvoir est alternativement contrainte et garantie » (Raffestin, 1980). En réservant l’accès aux ressources du Bourounyi aux villageois, pour le chef, le mouvement est double. D’une part, il consolide le territoire à l’extérieur en contrôlant les exploitants étrangers et en s’imposant comme une autorité supérieure à celle de l’Etat dans la gestion des espaces villageois. D’autre part, ce renforcement du contrôle territorial a pour conséquence la mise en réserve des ressources au seul profit des résidents.

La facette interdite, le « Fôton khöno »

38Dans le paysage de Guinée Maritime, participant de la mosaïque, des milieux forestiers se distinguent par la hauteur et la densité de leur peuplement. Les formations ligneuses hautes sont soit des bosquets de superficie réduite, ponctuant les espaces ouverts des savanes et des jachères actives, soit des formations linéaires de forêts-galeries.

39Les îlots boisés sont de très anciennes jachères où l’histoire d’une exploitation passée est encore lisible (présence de taillis, anciennes traces de feux sur les plus grands troncs, fûts irréguliers ou divisés) et leur maintien repose sur deux circonstances. La première est, en quelque sorte, conjoncturelle. Les îlots boisés se rencontrent comme des « espaces vacants » dans les secteurs à faible occupation humaine, avec moins de 20 habitants au km². Ici, hors de la nécessité, le domaine des jachères actives étant par ailleurs suffisant, des espaces restent ainsi hors de l’exploitation. Ces espaces sont alors une sorte de dérivé du Fötonyi et se trouvent inclus dans les domaines lignagers. La seconde circonstance qui concoure à la conservation des formations ligneuses est d’ordre symbolique et la présence de diables (ou force maléfique) y interdit l’exploitation. Ici, nature et société se répondent dans le champ des représentations où la physionomie de la formation est toujours suggestive : sombre, dense, humide, impénétrable, la forêt détourne les hommes pour abriter les diables.

40Ces bosquets se constituent, généralement, autour de quelques grands arbres, comme Parinari excelsa, Erythrophleum guineense ou Detarium senegalensis qui atteignent 30 mètres de hauteur, et dont la projection au sol des couronnes peut dépasser 20 mètres de diamètre. Sous leur couvert, croissent des arbres tels que Dialium guineense, Diospyros heudelotii, des arbustes comme Cephaëlis peduncularis, des sarmenteux comme Sorindeia juglandifolia, Monodora tenuifolia, et de nombreuses lianes ligneuses, Saba senegalensis, Salacia senegalensis, Landolphia spp. Il en résulte un milieu complexe, avec un recouvrement maximal pour la strate arborée, 25 à 50 % pour les strates moyennes (de 2 à 8 mètres), un dense réseau de lianes et une importante épaisseur de litière au sol. Le couvert des grands arbres, réduisant l’évapotranspiration, permet l’installation des espèces forestières. La richesse spécifique de ces milieux avoisine une trentaine d’espèces ligneuses (de 28 à 44).

41Ces îlots boisés ont la caractéristique de créer une rupture dans les conditions écologiques locales. A l’échelle paysagère, leur seule présence permet de doubler le nombre total d’espèces et les possibilités d’habitat pour la faune. Se présentant parfois comme des refuges pour la faune au cœur de vastes espaces ouverts, ces îlots forestiers sont aussi à considérer comme des « réserves », ou des « banques de semences », cruciaux pour la régénération de la biodiversité.

42Les forêts galeries longent le bord des marigots et alors qu’au siècle dernier, une partie de ces formations riveraines fut défrichée et exploitée pour l’exploitation rizicole, de nombreux sites furent préservés et présentent aujourd’hui des caractéristiques remarquables, tant au point de vue structurel que floristique. Les hautes forêts galeries occupent rarement plus de 15 mètres de large de part et d’autre du lit mineur, mais, malgré cette taille réduite, il est souvent possible d’identifier plus de 66 espèces ligneuses sur moins d’un hectare (ce qui représente environ un tiers d’espèces en plus que pour les autres facettes). Parmi elles, près de la moitié sont strictement inféodées aux milieux humides. Les grands ligneux, avec une densité exceptionnelle, 30 arbres de plus de 6 cm de diamètre sur 1000 m² et une surface terrière de 28 m²/ha, sont caractéristiques de la forêt dense humide : Irvingia gabonensis, Cathormion altissimum, Antiaris africana, Olax subscorpioidea, Heisteria parviflora, Treculia africana, Strombosia sp., Nauclea pobeguinii. Ces espèces sont accompagnées de taxons plus ubiquistes, mais appartenant à des cortèges forestiers, mésophiles à sub-humides. On trouvera par exemple Dialium guineense, Lecaniodiscus cupanioides, Smeathmannia pubescens, Sorindeia juglandifolia ou Diospyros heudelotii. Le développement de ces espèces s’appuie sur des conditions hydrologiques exceptionnelles dans ces régions à saison sèche très marquée. Toute l’année, qu’il s’agisse de cours d’eau temporaires ou permanents, l’humidité est maintenue et, entretient, de fait, une flore typique des régions tropicales plus humides.

43Dans les forêts galeries, l’humidité, l’obscurité, les arbres atteignant 30 mètres de hauteur, parfois la présence de rochers, sont des éléments particuliers qui vont décrire ce que les populations locales nomment le « Fönmè » (le trou), le « Gninnè yirè » (le lieu des diables) ou le « Föton khöno » (la forêt amère, la forêt qui fait mal). Comme pour les îlots boisés, l’exploitation y est interdite.

44Les croyances, comme toutes formes de relations symboliques, sont partie de la vie du groupe social et forment autant que les actes matériels des rapports entre les hommes et avec l’espace. Pour comprendre comment les forces occultes que sont les diables participent au fonctionnement territorial un exemple va nous servir d’illustration. Dans le village de Kambissaf (sous-préfecture de Kanfarandé), deux groupes cohabitent, les Nalou, premiers occupants et les Diakanké, arrivés après la seconde moitié du XIXème siècle. A l’arrivée des Diakanké, les chefs Nalou ont circonscrit un espace dans lequel ils leur autorisèrent la mise en culture, gardant le contrôle sur le reste du terroir. De part et d’autre de ce domaine cédé, une haute forêt borde le marigot qui définit la limite. Malgré la croissance démographique du groupe Diakanké, cette limite est encore respectée aujourd’hui, marquée par l’histoire et par la peur. En effet, autrefois, le frère d’un chef Diakanké s’aventura à mettre en culture une parcelle dans la forêt-frontière. Peu de temps plus tard, il tombait malade et mourut. Aujourd’hui, l’histoire est là, toujours présente dans les esprits:

« Les diables n’aiment pas qu’on les dérange », « c’est dans cette forêt que les diables habitent, ils répliquent dès qu’on la touche », « ces endroits sont habités par les diables, la preuve qui justifie que ce sont les diables qui y habitent, c’est que toute personne qui y travaille meurt ou devient paralysée », « toute personne qui s’entête à défricher sera frappée par un mauvais sort ou paralysée ou bien meurt sans tarder » (récits de villageois).

45Une seule personne ose pénétrer dans ce lieu habité par les forces occultes : un aîné des familles Nalou, guérisseur-féticheur, qui possède « la vision » et communique avec les forces occultes et les esprits. Il est, en quelque sorte, un gardien, empoisonneur ou conciliateur. De cette relation privilégiée avec les diables le guérisseur tire son autorité, et les diables habitants de la forêt, figures manipulables par le sorcier, sont ici des protecteurs du territoire et du pouvoir du groupe Nalou. L’existence de cette forêt s’impose comme un rappel, un véritable marqueur territorial. Et la forêt et le sorcier se garantissent l’un l’autre. Sans forêt pas de diable, sans diable pas de sorcier, sans sorcier pas de menace et, finalement, plus que le sorcier, c’est la preuve de l’existence de la sorcellerie qui importe.  « Là où il y a les diables, il y a des signes. Certains lieux où on peut trouver les diables sont dans la brousse. Celui qui voit les diables ne le dit pas » (récit d’un chef de village)

46Le secret permet aux détenteurs du pouvoir sorcier de le conserver et ainsi d’assurer leur domination. Car la peur est étroitement associée au secret, peur de la sorcellerie qui peut toucher tout un chacun, peur des diables dont des féticheurs organisent les liens, écoutent et entendent les paroles, voient. Chacun est assujetti aux vouloirs de ces divinités et aux initiés qui les manipulent. « Le secret assure le rôle de protection, non du savoir lui-même mais de la réputation de son existence et de sa détention par la fraction dominante de la société » (Duval, 1985). Les dominants, ceux qui savent, doivent garder leurs connaissances, ils sont astreints à la loi du silence. Et les secrets détenus par les vieux initiés donnent l’illusion d’une accumulation gigantesque de savoir, recueilli depuis l’aube des temps. Le stockage de la connaissance est un outil de domination (Bourdieu, 1964), par l’écriture dans les sociétés qui l’utilisent, ou par le silence qui fait office ici d’instrument objectivé de la détention du savoir. La connaissance des forces occultes et le secret qui l’entoure sont les armes du pouvoir sorcier. Puisqu’il n’est jamais énoncé explicitement, ce pouvoir trouve dans les forêts le support matériel à la croyance, l’image-symbole. Au-delà d’une légitimité qui repose sur la violence qui a précédé ou qui menace de succéder, ces lieux sombres et effrayants font la démonstration de son autorité dans le sens où elles prouvent, au travers des sensations d’angoisses qu’elles provoquent, l’existence des forces maléfiques : « Les diables aiment les lieux sombres et humides », « les diables vivent dans les plus grands arbres ».

47« Magie, mythe et rite sont doués d’une telle crédibilité, d’une telle force de conviction dans leurs injonctions ou leurs interdits, ceux-ci sont si profondément intériorisés, qu’ils rendent accessoires et même parfois inutiles la répression ou la punition » (Morin, 1973). Ce ne sont pas les démonstrations de force qui maintiennent la croyance en la menace des diables, et en conséquence fondent le pouvoir de « ceux qui voient ». Intérioriser l’existence des forces occultes renvoie à une sphère régie par un principe non-conscient de la part de ceux qui le subissent tout en la créant et en le reproduisant, renvoie à l’idée d’un imaginaire collectif. Or, imaginer, c’est se représenter quelque chose. Associant la mémoire, l’imaginaire est une sorte de dérivation par rapport au jeu immédiat des sensations. Dans l’imaginaire se crée, en fonction de l’expérience acquise et actuelle, autre chose que ce qui était là, disponible. L’implication de l’expérience, des sensations et de la perception, brise l’antagonisme longtemps pensé (jusqu’à l’œuvre de Gaston Bachelard) entre le réel et l’imaginaire. Pour Deleuze « l’imaginaire n’est pas l’irréel mais l’indiscernabilité du réel et de l’irréel » (cité par S. Ellis, 2000). L’imaginaire a toujours besoin d’une part de matériel perçu (le réel) pour se nourrir, il s’appuie sur des images et des sensations pour les juxtaposer, les combiner, les arranger, les ré-arranger.

48L’imaginaire sorcier puise une grande part de sa force dans l’existence matérielle de ces forêts interdites. Et les guérisseurs-féticheurs veillent scrupuleusement à maintenir actifs ces creusets de sensations. Car la position des chefs ou des individus dominants doit être sans cesse réaffirmée, réactualisée. La parenté, l’aînesse, la sorcellerie sur lesquelles repose la hiérarchie sociale représentent des structures fortes mais elles doivent trouver à s’exprimer dans la pratique, pour que le monde vécu continue à véhiculer du sens. Les objets et les actes sont signifiants. Ainsi, les dominants entretiennent avec le territoire une relation où l’espace symbolisé est à la fois source et motif de leur statut. Le pouvoir est lié à la terre, mais cette simple constatation ne doit pas se limiter aux terres agricoles ou, en d’autres termes, productives. Autant que de ressources, la terre est porteuse de symboles, de signes, d’arguments.

Conclusion

49Ces exemples de facettes éco-paysagères nous montrent deux choses. La première est, au travers d’une analyse écologique, le lien systémique extrêmement fort qui réunit la structure actuelle du peuplement végétal et la pratique de l’espace. En effet, la régénération possible des jachères est le résultat d’une co-évolution entre le peuplement ligneux et les pratiques de défriche-brûlis tout comme le développement des savanes découle du passage saisonnier des feux. Ou bien encore, l’exubérance et la richesse spécifique observée dans les îlots forestiers existent par voie d’interdits basés sur la croyance en des forces surnaturelles. Le peuplement végétal observé et l’état actuel de la diversité biologique sont sous la dépendance de pratiques socio-techniques circonstanciées et localisées que notre méthodologie, puisqu’elle s’applique à des espaces signifiants par les populations locales, permet de renseigner au cours d’enquêtes et d’entretiens.

50La seconde est la très forte influence des hiérarchies sociales dans le fondement des pratiques, considérées ici comme structurantes dans le fonctionnement écologique. Les pratiques n’existent pas hors de l’affectation des espaces. Affectations liées aux contraintes mésologiques certes mais aussi permises par les instances du territoire : instances de l’imaginaire et instances du pouvoir.

51Ces trois exemples illustrent comment l’acte s’insère toujours dans l’ordre du possible et du pensable et qu’il dépend donc des structures idéelles, foncières et de domination qui positionnent les individus les uns par rapport aux autres et par rapport à l’espace. Ici, les aînés de lignage, les chefs de village ou les sorciers-guérisseurs représentent des instances ou des cadres à la décision.

52A la différence d’une approche strictement économique ou sociale, entrer par l’espace est une aide à l’identification des acteurs clé de la gestion des ressources, acteurs parfois difficiles à cerner dans des sociétés où l’autorité est très fortement incorporée et le pouvoir diffus. Car le pouvoir, l’autorité et la loi, ne sont pas, dans les villages guinéens où nous avons travaillé, l’émanation d’une institution explicite où, à l’image du Léviathan, le politique est dissocié de la société et se voit, mandaté par le contrat social, œuvrant pour l’intérêt commun (Hobbes, 1651, cité par S. Mappa, 1998). Dans ces villages de Guinée, comme dans bien des villages africains, les organes politiques sont diffus. Ils s’incarnent dans des individus dominants, des acteurs qui interviennent dans les multiples dimensions de la vie sociale. Les normes, les règles générales de conduite sont traduites dans la pratique, et les comportements politiques à proprement parler, de coercition, d’imposition de normes ou de concertation et négociation, ne se manifestent que dans certaines situations. Les instances politiques ne s’affichent que dans des situations de carence, de crise ou de conflit. A l’image de « l’agir communicationnel » d’Habermas (1987), il existe un héritage commun, un ensemble des significations, des accords implicites que partagent les membres d’une société face au réel et que seuls les événements qui posent problème permettent de révéler. En organisant les questionnaires d’enquêtes et les trames d’entretiens autour d’un espace concret, en observant des manipulations, des détournements, ou des mises en protection de facette, à la fois les organes comme les moyens mis en œuvre dans la gestion des ressources naturelles deviennent lisibles.

53Néanmoins les structures de parenté et les hiérarchies sociales qui tissent l’idéo-logique (Augé, 1984) dans laquelle se déploie la pratique ne sont pas pour autant statiques et l’innovation, le mouvement, la négociation rendent dynamique ce « compartiment social » du système complexe que représente une facette. Le pouvoir local est un champ de force mouvant. En Guinée Maritime, les instances coutumières, même si cette terminologie pourrait renvoyer à la tradition et ainsi porter dans son sillage toute une sémantique de l’immuabilité, ne doivent pas être perçues comme figées. Les villages de la basse côte guinéenne sont à l’image du continent : au monde contemporain, mouvants, réceptacles des influences venant de toutes parts (la ville, la technique, les étrangers, le marché). La domination, comme les autres relations sociales, est soumise à cette dynamique, à l’intérieur même du groupe social, comme dans l’interrelation qu’il entretient avec l’extérieur.

Figure 1. Schéma simplifié de l’outil « facette éco-paysagère

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54En considérant des objets hybrides, entité spatiale résultat de processus sociaux et écologiques en interrelation, notre méthodologie permet le déploiement de plusieurs traductions : une traduction locale, une traduction de l’écologue, une traduction de géographie sociale. Les différents champs disciplinaires, tout comme les logiques locales, sont dès lors en mesure de communiquer autour d’un même objet. Les facettes éco-paysagères pourraient alors fournir un certain nombre d’éléments utiles à une réflexion commune entre scientifiques, acteurs locaux influents et opérateurs dans un projet d’accompagnement des dynamiques locales pour une gestion durable des ressources naturelles.

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Notes

1  Travaux réalisés pour l’Observatoire de Guinée Maritime, programme sous la tutelle du Ministère du Plan (République de Guinée), financé par l’Agence Française de Développement et le Fond Français pour l’Environnement Mondial, opérateurs : AFVP, Université de Bordeaux 3.

2  Mauss M. (1923), “Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques”, L’Année Sociologique, seconde série, I : 30-186

Pour citer cet article

Référence électronique

Elisabeth Leciak, « Des objets au croisement des disciplines : Les facettes éco-paysagères de Guinée Maritime », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 8 Numéro 2 | octobre 2008, [En ligne], mis en ligne le 26 décembre 2008. URL : http://vertigo.revues.org/index5903.html. Consulté le 10 novembre 2009.

Auteur

Elisabeth Leciak

docteur en géographie, chercheur associé UMR ADES / CNRS, Maison des Suds, 12 Esplanade des Antilles, 33607 Pessacelileciak2@yahoo.fr

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