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Dossier : Gouvernance et environnement : quelles échelles de construction du commun ?

Une gouvernance environnementale selon l’etat ? Le conservatoire du littoral entre intérêt général et principe de proximité

Yann Gérard

Résumés

A l’heure de la mise en avant de processus décisionnels plus démocratiques, soucieux d’une prise en compte de la complexité des contextes territoriaux et des acteurs qui y sont attachés, les politiques environnementales centralisées, conduites par les Etats, doivent faire l’objet d’adaptations continuelles, lorsqu’elles ne sont pas tout simplement disqualifiées. Le littoral français illustre bien cette montée en puissance de nouveaux modes d’action publique autour notamment de la thématique de la préservation des espaces naturels. La GIZC apparaît comme une bonne illustration des nouveaux principes de l’action publique, souvent résumés sous le terme de « gouvernance ». Dans ce cadre, les modes d’intervention d’un organisme d’Etat comme le Conservatoire du littoral est un sujet de réflexions particulièrement riche. Si son action, centrée sur l’acquisition foncière, incarne a priori le caractère autoritaire de l’action publique menée par l’Etat, l’analyse montre que l’organisme est à l’origine de pratiques innovantes en la matière. Le caractère à la fois centralisé et territorialisé de son action permet de définir une « gouvernance environnementale » selon l’Etat.

At the time when more democratic decision-making progress is put forward - taking into account the complexity of territorial contexts together with the actors acting upon it – the environmental centralised policies led by nations have to be constantly adapted when they are not merely discredited. The French shoreline shows well how new forms of public action are developing, particularly as far as the protection of natural areas is concerned. ICZM illustrates quite well the new rules of public action, often typified in the word « governance ».

In that scope, the modes of intervention of a state body such as the « Conservatoire du littoral » are particularly worth considering. Even if its action, focused on property purchase, embodies a priori the state’s authoritarian character as regards public action, analysis shows that innovating practices in that matter originate in the public organization. Both centralised and territorialised, the feature of its action makes it possible to characterize a « territorial governance » in accordance with the state.

Texte intégral

Introduction

La gouvernance contre le gouvernement ?

1La remise en cause du monopole de l’Etat en matière de politiques publiques et son corollaire, la montée en puissance de « nouveaux » acteurs moins institutionnels et plus « proches » des spécificités locales, est un sujet de réflexion récurrent dans les travaux de sciences sociales depuis les années 1990.

2Les mesures de décentralisation qui ont affecté, non seulement la France, mais également l’ensemble de l’Europe depuis 25 ans (Jeannot, Renard et Theys, 1990 : 8) vont dans le sens de cette redistribution des rôles ; parfois qualifiée de « fragmentation » institutionnelle. La tendance est à la prise en compte renforcée des contextes locaux (Goxe, 2007 : 151). Elle illustre, en matière d’action publique, le passage d’une société « de la généralité », fondée sur des règles communes dictées par un Etat représentant un « intérêt général supérieur », à une société « de la particularité », qui donne une place privilégiée aux spécificités de chacun (Rosanvallon, 2008) ; les gouvernants devant notamment se soumettre à un « principe de proximité ».

3Ces évolutions dans les façons de gouverner et l’émergence de nouvelles légitimités liées à des processus dits « participatifs » (par opposition à celles fondées sur la « représentation » ; i.e. sur la démocratie élective) sont fréquemment résumées sous le terme de « gouvernance ».

4La gouvernance correspondrait donc à une redéfinition des modes d’action publique. Il s’agirait de l’» ensemble des situations de coopération qui ne peuvent plus être ordonnées par la hiérarchie et dont celui [le terme] de « gouvernement » ne permet plus de rendre compte de façon satisfaisante » (Depaquit, 2005). Ainsi, le recours au terme de gouvernance permet de souligner le décloisonnement sectoriel de l’action (le « brouillage des frontières traditionnelles »), acteurs publics, privés ou encore associatifs sont amenés à travailler ensemble de façon non hiérarchique (« horizontale » plutôt que « verticale »), à des échelles variables, du local ou global.

  • 1 Si nous utilisons le terme notion pour qualifier la gouvernance dans sa phase d’émergence, le (...)

5De fait, la notion1 est née dans un contexte de montée en puissance à la fois d’échelles nouvelles de l’intervention (non seulement les réformes décentralisatrices, mais aussi l’émergence d’instances de décision supranationales), du capitalisme néo-libéral (qui donne une place privilégiée aux acteurs privés) ou encore de mouvements sociaux nouveaux (associations par exemple).

6La gouvernance interpelle donc directement la place de l’Etat (et de ses représentants). Doit-on réduire sa fonction à celle de garant du droit (Canet, 2004 : 5) comme le souhaitent les partisans les plus libéraux d’une « nouvelle » gouvernance ? L’Etat n’est-il plus qu’un simple régulateur ? Les représentants de l’Etat n’ont en fait pas nécessairement abandonné leur place, traditionnellement centrale dans les processus de décision. Le cadre dessiné par la gouvernance est-il si « nouveau » ? Certains sont sceptiques et y voient un concept à la valeur avant tout heuristique, qui a pour principal (mais unique ?) mérite d’interroger sous un angle différent les modalités de l’action publique (Beaurain, 2003). L’exemple français apparaît ici, en raison d’une tradition politique très centralisée, particulièrement intéressant (Pasquier et Weisbein, 2007 : 217).

La protection et l’aménagement du littoral français : un contexte favorable à la mise en application des principes2 issus de la gouvernance via la GIZC

7Les thématiques relatives à l’environnement et à sa « protection » sont particulièrement fertiles en ce qui concerne les nouvelles formes de débat public et de prise de décision comprises sous le terme de gouvernance (Theys, 2003 ; Beaurain, 2003). D’ailleurs, de façon pragmatique, la loi « Barnier » de 1995 instaurant la Commission Nationale du Débat Public (elle-même inspirée par une volonté de suivre une aspiration à une « nouvelle » gouvernance) est « relative au renforcement de la protection de l’environnement ». L’action publique environnementale serait d’autant plus soumise à (ré-) évaluation (« modernité réflexive ») dans un contexte de visibilité croissante des incertitudes environnementales (la « crise environnementale » de Ulrich Beck). Le développement de procédures nouvelles de régulation publique répondrait ainsi à plusieurs objectifs, il s’agit de gérer : la confiance et l’acceptabilité ; la pluralité des acteurs et de leurs intérêts ; l’incertitude et la complexité ; et, enfin, les rapports de force (Goxe, 2007 : 156).

  • 2  Les « principes issus de la gouvernance » (parfois résumé par « principes de la (...)
  • 3  Société pour l’Etude et la Protection de la Nature en Bretagne, devenue « Bretagne (...)
  • 4  Gestion Intégrée des Zones Côtières.

8Le littoral français est particulièrement riche en matière de revendications environnementales, peut-être en raison du caractère « naturel » qui lui est fréquemment attribué. Ainsi, de nombreuses associations, telles la SEPNB3, ont trouvé sur les littoraux un espace privilégié de lutte. « L’entrée naturaliste dominante » des projets de GIZC4 (Guineberteau et al, 2006) illustre cette place des questions environnementales dans les dynamiques de recomposition des modes d’action publique sur littoral. De fait, la Gestion Intégrée des Zones Côtières apparaît comme un processus directement inspiré par les réflexions sur la gouvernance.

  • 5  Comité Interministériel d’Aménagement et de Développement du Territoire.

9Si l’aménagement du littoral est longtemps resté une prérogative du pouvoir central (via les Missions Interministérielles d’Aménagement ou la loi « Littoral » de 1986), les années 1990 ont vu l’émergence d’un concept qui entend modifier les processus de décision : la GIZC. Cet outil est directement issu des principes du développement durable (la gestion intégrée est consacrée par la communauté internationale en 1992, lors de la 2ème conférence des Nations Unies (Rio) sur l’Environnement et le Développement -chapitre 17 de l’Agenda 21-) et sa mise en place est impulsée par l’Union européenne via le financement de programmes (mais aussi l’organisation du réseau Natura 2000) et l’Etat (officiellement depuis le CIADT5 de 2001). Sa mise en œuvre reprend les principes de « régulation sociale », d’intégration des échelles (avec la question spécifique de l’intégration terre/mer), de dépassement des frontières sectorielles, ou encore l’importance de la logique ascendante (bottom-up) face à celle descendante (top-down) traditionnelle (Meur-Férec, 2006 : 155-164).

10La GIZC serait, en définitive, le « volet appliqué » de la gouvernance environnementale sur le littoral, encadrée par l’Etat, sous la pression de l’UE (et des instances internationales). Elle viserait notamment à une meilleure gestion des conflits d’acteurs sur le littoral.

11Les liens étroits entre gouvernance et GIZC expliquent que les critiques émises à propos de l’une s’appliquent à l’autre. Ainsi, après avoir rappelé que Miossec (1999) insistait sur une voie française « particulière, souvent rétive à la pression internationale et singulièrement anglo-saxone : elle exprime une culture qui est forcément celle de l’Etat et d’un Etat centralisé de longue date » ; Meur-Férec (2006 : 157) estime que « cette particularité engendre à la fois une certaine faiblesse en matière d’intégration et de gouvernance, qui fait aujourd’hui l’objet d’une prise de conscience, mais elle est aussi à l’origine d’une réflexion précoce sur les enjeux d’une gestion globale et « durable » du littoral (Datar, 1973) ». Mais le cas français n’exprime-t-il pas également, certes de façon caricaturale, la relativité des innovations véhiculées par la gouvernance ? De nombreux chercheurs se sont de fait interrogés sur les « illusions » de la GIZC (Billé, 2006) et, plus généralement, sur une éventuelle instrumentalisation de la « participation », ces nouveaux modes d’actions oeuvrant plus au maintien d’un ordre politique préétabli qu’à son évolution (Rumpala, 2003). Simoulin (2007 : 27) pose la question de la « mise en scène » des procédures de gouvernance. Ces démarches renvoient à un positionnement de la « sociologie critique » qui estime que seule l’élite a les moyens de défendre ses idées et de s’imposer (Claeys-Mekdade, 2006). Ne devrait-on pas, en définitive, parler de consultation plutôt que de concertation (Fourniau, 1997) ?

L’intervention foncière publique en contradiction avec les principes de la gouvernance ?

12Dans ce contexte de promotion d’une GIZC au sein de laquelle la place de l’Etat est discutée, le rôle du Conservatoire du littoral, établissement public à caractère administratif, présente un intérêt particulier. En effet, son action depuis sa création en 1975 lui a valu à la fois une certaine popularité et des critiques virulentes (sur le thème du « rouleau compresseur » ou de la « collectivisation » des terres6).

  • 6  Ces termes sont récurrents dans les discours des acteurs ou des agents du Conservatoire du (...)
  • 7  L’association « Espaces pour demain », lancée en France dans les années 1970 par Louis (...)

13Le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres (Cdl), aujourd’hui à la tête d’un patrimoine de plus de 120 000 ha, est directement issu des recommandations du Rapport « Piquard » (Datar, 1973), lui-même inspiré par le modèle du National Trust britannique. Le principe défendu par les auteurs était celui de la nécessité de l’intervention foncière, seule à même de mettre à l’abri de l’urbanisation une partie des espaces de nature du littoral. Le fait que le Conservatoire du littoral soit public et placé sous la tutelle directe du ministère de l’environnement induit toutefois une différence fondamentale avec la structure privée qu’est le National Trust7.

  • 8  Le Conservatoire peut se substituer aux Conseils Généraux dans l’exercice du droit de (...)
  • 9  La « tragédie des communaux » de Hardin (d’où le titre de son article paru en 1968 : (...)
  • 10  Fiscalité (foncière et successorale) ou servitudes conventionnelles principalement.
  • 11  En témoignent les débats autour de l’élaboration d’une « servitude environnementale » (...)
  • 12  Pour une défense de ces idées voir notamment Falque (2005) ou Smith (1997).

14Le principe de l’intervention publique sur les marchés fonciers -via l’achat de terrains- à l’aide de prérogatives « exorbitantes » de puissance publique (préemption8 et expropriation) paraît relever d’un autre temps au regard d’une gouvernance qui exalte les logiques de contractualisation public/privé et la négociation. De fait, au-delà des critiques théoriques concernant la gestion des propriétés appartenant à la collectivité (Hardin, 19689) – par ailleurs largement discutées voire infirmées par certains auteurs (Sébastien, 2006) –, le recours à des mécanismes régulateurs des droits de propriété privé10 est de nouveau à la mode depuis quelques années11, renforcé par des courants néo-libéraux12 qui prescrivent à l’Etat une véritable « cure de minceur » (Gaudin, 2002 : 17).

15Comment un tel organisme, a priori centralisé, parvient-il à intervenir dans ce contexte ? Comment s’inscrit-il au sein des dynamiques territoriales ? D’autant que pour les élus locaux, la protection implique bien souvent une perte directe de recettes fiscales.

16En fait, si le rapport « Piquard » préconisait une échelle d’intervention qui dépasse les particularités locales (DATAR, 1973 : 47), la place accordée aux élus au sein du processus décisionnel du Conservatoire du littoral peut également être interprétée comme le souci de ne pas pour autant marginaliser les acteurs territoriaux. Le Conservatoire du littoral parvient-il réellement à développer des relations qui ne soient pas marquées par une certaine asymétrie ? Doit-on voir dans ces principes un simple prolongement, une « montée en régime » (Gaudin, 2002 : 51), de logiques de concertation, dont témoignaient déjà les Schémas d’aménagement des littoraux réalisés dans les années 1970 ? Le Conservatoire du littoral est-il un vecteur (ou l’illustration) de nouvelles pratiques en matière d’action publique ?

  • 13  LIttoral ENvironnement et SociétéS, UMR 6250 CNRS/Université de La Rochelle. Le bureau (...)
  • 14  Si la gestion des terrains est importante, il faut noter d’abord qu’elle n’est pas du (...)

17L’analyse sera développée en trois parties, fondées sur des exemples tirés d’une étude réalisée pour le Conservatoire du littoral au laboratoire LIENSs13, entre 2006 et 2008. Ce travail a privilégié l’entrée foncière qui constitue le cœur et l’originalité de l’intervention du Conservatoire du littoral14. A une première phase qui a privilégié une démarche statistique et générale de l’action du Conservatoire du littoral (évolution des prix, types et modes d’acquisition, etc. à des échelles nationales et régionales) a succédé une seconde phase, focalisée sur dix études de cas localisées sur les côtes de la Manche, de l’Atlantique et de la Méditerranée. Ces études de terrain reposent à la fois sur des données statistiques (évolution des prix fonciers par exemple), sur un travail d’archives (consultation des procès-verbaux des Conseils d’Administration du Conservatoire) et sur des entretiens semi-directifs auprès des nombreux acteurs intervenant dans le champ foncier (élus, services déconcentrés de l’Etat, lobbys, chambres consulaires ou encore propriétaires privés) (Gérard et Marrou, 2009).

18Dans le cadre du présent article, la place centrale attribuée aux élus locaux dans les principes de fonctionnement du Conservatoire du littoral sera tout d’abord interrogée. Ces grands bénéficiaires de la décentralisation, via les prérogatives accrues dont ils disposent, sont-ils en mesure d’influencer l’intervention du Cdl ? Dans quelle mesure le Conservatoire du littoral, via les élus, s’inscrit-il dans une logique de « gouvernance territoriale » (i.e. une construction territoriale fondée sur des principes de gouvernance (Simoulin, 2007 : 17)) ?

19Les relations du Conservatoire du littoral avec les autres acteurs des territoires concernés seront ensuite envisagées, car si les élus jouent un rôle important, qu’en est-il de ces derniers ? Comment s’adapter à la « prolifération des centres d’initiative » (Gaudin, 1995) : associations, syndicats mixtes, etc. qui caractérisent les littoraux ? Le Cdl trouve-t-il dans des mouvements venant de la « base » (associations, etc.) des alliés contre des élus « bétonneurs » ?

20L’acquisition foncière est au cœur de l’action du Conservatoire du littoral. L’analyse de son intervention sur les marchés fonciers, où il est confronté directement aux particuliers, permettra donc, dans une dernière partie, d’interroger sa capacité à négocier et à prendre en compte les points de vue d’individus propriétaires. Ces derniers, qui n’appartiennent pas forcément à des groupes ou lobbys audibles au sein du « débat public », se contentent-ils de subir l’intervention du Conservatoire du littoral ? Développent-ils des stratégies, via le marché foncier, pour se « faire entendre » ? Le Conservatoire du littoral parvient-il à instaurer une relation qui ne soit pas marquée par l’asymétrie liée à son statut d’établissement public de l’Etat (ainsi qu’à ses prérogatives) ? Comment parvient-il à ménager le temps court de la rationalité économique des propriétaires, qui souhaitent « réaliser » leur patrimoine, face au « temps long » de la gouvernance environnementale (Beaurain, 2003) ?

Les élus locaux : acteurs clés de la gouvernance ou appuis nécessaires du Conservatoire ?

21Les organes décisionnels du Conservatoire du littoral donnent une place importante aux élus locaux. Ceux-ci sont présents au sein des deux principaux conseils : les Conseils de Rivage (CR)15 et le Conseil d’Administration (CA)16. Les premiers (composés exclusivement et à parts égales de conseillers généraux et régionaux) ont un avis avant tout consultatif, mais ils permettent malgré tout un filtrage des opérations en éliminant celles qui rencontrent le plus d’opposition. D’après les responsables de l’organisme, il est exceptionnel qu’une opération non votée en CR atteigne le CA. Le Conseil d’Administration constitue le véritable organe de décision, c’est à la suite de son approbation qu’un « périmètre autorisé » peut être désigné. Or c’est uniquement à l’intérieur de ces secteurs que le Conservatoire du littoral peut acheter, chaque acquisition restant théoriquement soumise à l’avis du conseil municipal. Les élus, associés dans le cadre de ces Conseils à des scientifiques et des représentants des chambres consulaires, sont donc au cœur du processus décisionnel.

  • 15  Il existe neuf Conseils de Rivages : Rivages du Nord-Pas de Calais-Picardie, de Normandie, de (...)
  • 16  Composé de 33 personnes, dont 17 élus.

22Par ce fonctionnement, le Conservatoire du littoral joue par ailleurs clairement sur les échelles en suscitant la réflexion sur ses interventions non seulement au sein de Conseils « régionaux » et d’un Conseil d’administration « centralisé », mais aussi en y faisant intervenir des acteurs dont les échelles de compétence sont variables (de l’élu municipal au conseiller régional, en passant par le conseiller général).

23Les différents documents de planification élaborés par les services de l’Etat dans les années 1970 (documents liés aux missions interministérielles d’aménagement et schémas d’aménagement du littoral notamment) ont servis de base de réflexion sur les secteurs prioritaires d’intervention du Conservatoire du littoral. La coordination avec le reste de l’Administration a donc été importante dès l’origine. Mais la mise en place des périmètres autorisés est d’abord discutée à l’échelle locale (communale ou intercommunale), avec les acteurs concernés, avant que les projets ne soient présentés au CR, puis au CA. La dynamique est donc clairement ascendante, et revendiquée comme telle. L’origine d’une opération repose ainsi autant sur une réflexion globale qui abouti à la définition de mobiles d’intervention (préservation de zones humides, lutte contre le caravanage, etc.), rappelés dans l’Atlas que réalise le Conservatoire du littoral (Conservatoire du littoral, 2006), que sur des opportunités liées à une demande plus ponctuelle.

24Dans un contexte de renforcement de leurs pouvoirs et d’incitation à la « compétitivité des territoires », certains auteurs critiquent une « soumission » du Conservatoire du littoral aux décisions des élus locaux : « C’est un organisme public soumis en dernière analyse aux décisions des élus » dit Falque (2005 : 34). Le vaste périmètre autorisé du Cap de la Chèvre à Crozon (Finistère) a ainsi progressé au gré des changements de majorité municipale, entre 1979 et 1991 (Elie et al., 2008). Serait-ce la condition de la participation du Conservatoire du littoral à une certaine « gouvernance territoriale » ?

25Le Conservatoire du littoral trouve de façon évidente un intérêt à s’appuyer sur la légitimité « représentative » des élus locaux. Inversement, il peut paraître difficile à l’organisme d’imposer à un maire des logiques de protection qui le priveront, plus ou moins directement, de recettes fiscales potentielles par exemple. En 2007, le maire de St Quentin-en-Tourmont (80) déclarait ainsi que « l’action du Conservatoire, qui débouche sur un gel des terres, n’est pas très bien perçue, en plus, elle bloque le développement de la commune ». Le Conservatoire du littoral peut effectivement se retrouver confronté à une municipalité plus ou moins hostile. Dans ce cas, il peut s’appuyer à la fois sur l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité de ses terrains et, chose étonnante, sur des périmètres autorisés qui ne sont jamais remis en cause (à l’exception de quelques petits ajustements sur les marges). Ainsi, un périmètre autorisé validé par une municipalité s’impose aux suivantes, même lorsqu’elles ne lui sont pas favorables. Dès lors, certains élus « évacuent » ou marginalisent les secteurs d’intervention du Conservatoire du littoral au sein de leur projet territorial (cas de la Croix-Valmer dans le Var ou de Quend-plage dans la Somme). Une fois la légitimité de l’intervention acquise, il est en effet difficile de faire marche arrière.

26Toutefois, le Conservatoire du littoral peut également être perçu comme une opportunité pour des élus qui peuvent faire porter une partie du volet « environnemental » de leur action par ce dernier, même lorsqu’ils sont critiques vis-à-vis de son action. S’il ne s’agit pas pour tous de se créer un « alibi » environnemental, la coopération avec l’établissement public peut leur conférer une certaine légitimité vis-à-vis des autres Services de l’Etat. Ce processus de « reconnaissance mutuelle » n’est par ailleurs pas forcément nouveau. Gaudin (2002 : 50) rappelle ainsi les résultats d’études sociologiques réalisées dans les années 1970 et portant précisément sur les rapports entre Services de l’Etat et municipalités : » chacun était à la recherche d’adaptations nécessaires de la règle […]. Mais également, montrent ces enquêtes, de reconnaissance symbolique et de recours réciproque à la légitimité de l’autre (c’est-à-dire que le fonctionnaire de l’Etat avait besoin d’aide pour son insertion dans le jeu politique local ; et l’élu souhaitait, de son côté, pouvoir s’appuyer sur un savoir technique et une expertise que ne lui fournissaient pas encore ses équipes municipales) ».

27Ce type de négociations au service d’un projet territorial qui ménage chacune des parties est particulièrement flagrant dans le cas de la municipalité de Ramatuelle (Var), qui accepte la mise en place d’une zone de préemption propre au Conservatoire du littoral sur l’arrière-plage de Pampelonne (500 ha), favorisant ainsi son intervention sur des secteurs agricoles en voie d’urbanisation, tout en pérennisant la présence de paillotes plus ou moins légales, sur le Domaine Public Maritime.

28Dans le cas des Evières (Ile de Ré), les mécanismes sont proches. Le site est clairement inclus dans un projet territorial, porté par le maire d’une des communes (également conseiller général), fondée sur la valorisation d’un patrimoine paysager (« de nature » et urbain), qui n’est pas, par ailleurs, sans poser de questions quant à ses conséquences sociales (valorisation d’un tourisme « haut de gamme » au détriment d’une clientèle plus modeste notamment). L’élu en question déclarait ainsi en 2007 : « j’ai la délégation de signature pour les Espaces Naturels Sensibles [dans le cadre de la politique de protection du Conseil Général dont il est un des élus] et j’ai une politique très interventionniste. En 1979, c’est moi qui ai fait venir d’Ornano [alors ministre de l’environnement] et, après un survol de l’île pour lui montrer l’ampleur du camping sauvage. Il a ensuite accepté d’inscrire [à l’inventaire des sites] l’ensemble de l’île, ce qui a permis d’interdire le camping sauvage. Pour ce qui est des acquisitions, j’ai partagé le territoire entre le Conseil Général et le Conservatoire du littoral ».

29La possibilité qui est donnée aux collectivités locales d’assurer elles-mêmes la gestion des propriétés acquises par le Conservatoire du littoral constitue ici une véritable opportunité pour ceux qui savent s’en saisir.

30On retrouve là une figure parallèle à celle de l’élu « entreprenant » de Gaudin (1995 : 44), même s’il est là peut-être autant (voire plus) engagé dans des logiques identitaires que de compétitivité purement économique. Les élus du littoral apparaissent ainsi, pour paraphraser l’expression de Jouve et Lefevbre (1999 : 843) concernant les maires des grandes villes, comme les « principaux gagnants de la nouvelle donne institutionnelle ».

31L’« irréversibilité » de l’intervention est en définitive frappante, mais elle n’est pas seulement liée à l’implication forte des élus dans les processus décisionnels du Conservatoire du littoral. De nombreux autres acteurs sont mobilisés afin de consolider l’action.

La prise en compte des contingences locales ou les vertus des stratégies émergentes : « des choix précis et quelques arrangements » (Gumuchian et al., 2003)

32La place centrale des élus n’empêche pas que d’autres acteurs territoriaux parviennent à influer fortement sur l’action du Conservatoire du littoral, voire à la motiver.

33Les associations de « protection de l’environnement », présentées par certains élus comme des « informateurs » de l’établissement public, sont à l’origine de certaines opérations. Il s’agit en général de secteurs où le Conservatoire est convoqué en « urgence » face à une situation plus ou moins périlleuse : urbanisation du Cap Lardier sur la presqu’île de Saint-Tropez ou comblement de l’étang de Kerloc’h dans la presqu’île de Crozon. Ces alliés, que certains considèrent comme « naturels », sont importants car ils apportent une légitimité locale à l’intervention du Conservatoire du littoral.

34D’autres acteurs, qui entretiennent des relations généralement tendues avec ce qui émane du Ministère « de l’Environnement », parviennent à s’allier avec le Conservatoire du littoral. Les Fédérations de chasseurs ont ainsi des positions variables, qui sont allées d’une opposition assez radicale il y a encore une dizaine d’années à des relations plus détendues. En Baie de Somme par exemple, chasseurs et Conservatoire se sont violemment opposés concernant notamment l’avenir des huttes de chasse que ce dernier rachetait et rasait, afin d’assurer la tranquillité de l’avifaune. Suite aux protestations énergiques des chasseurs (soutenus alors par la montée en puissance de « leur » parti politique : Chasse, Pêche, Nature et Tradition), le Conservatoire est revenu sur sa politique de destruction systématique des huttes. Des Autorisations d’Occupation Temporaires (AOT) sont négociées au cas par cas, parfois, jusqu’au décès de l’ancien propriétaire. L’apaisement a été permis par cet « ajustement » -parallèlement au constat que la baisse de la pression de chasse favorisait ceux qui étaient restés.

  • 17  Gérard Y. et Marrou L., 2008, Etude foncière sur le littoral français, Le Conservatoire du (...)

35Le cas de la profession agricole est également intéressant. Globalement, les contraintes environnementales imposées par le Conservatoire sont incompatibles avec la céréaliculture, mais certains agriculteurs voient aussi dans ce dernier un moyen de se libérer d’une charge foncière qui devient importante. S’il peut s’agir de simples opportunités dans le cas des agriculteurs du Hâble d’Ault (Somme), l’intervention du Conservatoire du littoral est sollicitée activement dans certains secteurs de la presqu’île de Saint-Tropez par les viticulteurs, incapables de s’opposer à la pression foncière urbaine17. Des agriculteurs deviennent ainsi un des moteurs de l’intervention de l’établissement public. Cette dynamique est nouvelle et importante, car elle souligne en creux un certain échec des organismes publics qui soutiennent l’agriculture : Directions départementales de l’agriculture, les Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural (Safer), etc.

  • 18  Association des Etudes Foncières.

36Le Conservatoire du littoral n’adopte pas, en définitive, de position dogmatique quant à son intervention. Le fait qu’il ne gère pas lui-même ses propriétés l’oblige, il est vrai, à s’appuyer sur des acteurs locaux : communes, syndicats mixtes, agriculteurs (ils sont 700 installés sur ses terrains), etc. L’importance des contextes territoriaux et le peu de formalisation de la stratégie du Conservatoire du littoral (bien qu’une « Stratégie à long terme, 2005-2050 » ait été éditée en 2006) peuvent parfois dérouter et donner une impression de flou et de manque de cohérence. Dès 1986, une étude réalisée par l’Adef18 pointait un « manque de détermination dans le choix des acquisitions [qui] se ressent sur le terrain. Les acquisitions ne semblent pas toujours obéir à une logique particulière. On se demande parfois pourquoi le Conservatoire est intervenu sur tel terrain plutôt que sur n’importe quel autre. » (Adef, 1986 : 22).

  • 19  Appuie sur le Plan directeur du Groupement d’Urbanisme des Maures dans le Var ou sur le (...)

37Cette logique d’intervention peut également être vue comme une capacité (rare) de réflexivité et de dépassement de principes sectoriels, qui seraient régis ici par un objectif purement naturaliste. Kalaora (1995a) a déjà pointé cet aspect du Conservatoire qui ne tombe pas dans « l’écologie pure », mais sait prendre en compte d’autres mobiles que les siens. Le but poursuivi reste le même, et la définition des grands objectifs du Conservatoire est réalisée dans le cadre d’une réflexion avec les services de l’Etat19. Ainsi, tous (du moins au sein du Conservatoire) s’accordent pour dire que les zonages cartographiés dans la « Stratégie à 2050 » ne reflètent que « l’intérêt » du Conservatoire, sans qu’il ne soit prévu d’intervention systématique sur tous les secteurs identifiés.

38Afin d’atteindre ses objectifs, le Conservatoire et ses agents sont conscients qu’ils devront mobiliser des alliés variables dans l’espace (en fonction des secteurs concernés) et dans le temps : les alliés d’hier ne sont pas forcément ceux d’aujourd’hui, c’est le cas par exemple de certaines associations de résidents secondaires (Gérard et Marrou, 2008).

39La capacité à intégrer des opportunités au sein de la stratégie de l’établissement et à redéfinir certains objectifs autorise à parler de « stratégie émergente » tels que l’entendent Mintzberg et Waters (1985). Le rôle rétroactif des pratiques de terrain (délégué saisissant une opportunité d’acquisition ou contraintes spécifiques orientant l’action) à même de peser et de modifier la stratégie intentionnelle de départ est ainsi souligné. Cette capacité à assumer des stratégies émergentes est une des forces essentielles du Conservatoire du littoral et elle passe par la reconnaissance de l’importance des acteurs territoriaux.

40De la mobilisation de réseaux d’acteurs variables (relevant des secteurs publics et privés) autour de ses projets (« mobilisation réticulée » (Gaudin, 1995 : 49)) à la souplesse de stratégie influencée par des logiques ascendantes, le Conservatoire du littoral apparaît donc comme un véritable « ambassadeur » de pratiques issues des principes de la gouvernance.

41Toutefois, plusieurs objections, au demeurant classiques en matière de gouvernance, peuvent être soulignées à ce stade de l’analyse. La place centrale des élus dans le processus décisionnel, rappelée régulièrement par la direction et les délégués du Conservatoire du littoral en région comme un gage de légitimité, mérite d’être nuancée. Ainsi, au sein des Conseils de Rivages et du Conseil d’Administration, les élus départementaux ou régionaux sont représentés mais pas ceux de petites communes rurales du littoral (nous rejoignons ici les constats effectués par Kalaora (1995b)). Certains élus toujours bien en vue s’imposent d’ailleurs comme des membres « historiques » des Conseils de Rivages (ainsi cet élu d’une commune insulaire, toujours bien placé au Conseil Général de la Charente-Maritime). Parallèlement, les associations de protection de l’environnement sont représentatives dans bien des cas d’élites aux intentions plus proches du NIMBY (not in my back yard ou « pas dans ma cours » en traduction française) que de la préservation d’une certaine biodiversité ou de paysages ; à cet égard, des associations comportant une part non négligeable de résidents secondaires occupant ou ayant occupé des places de hauts fonctionnaires sont particulièrement révélatrices.

42Ce « filtrage » (Gaudin, 1995 : 50) des acteurs participant à la gouvernance (ici environnementale) ne favorise-t-il pas, sous couvert de participation, la reproduction de logiques hiérarchiques finalement classiques ?

43En fait, une fois le principe de l’intervention retenu, le Conservatoire du littoral doit, la plupart du temps, composer avec des propriétaires qui peuvent être très nombreux en fonction de la structure parcellaire. L’acquisition nécessite donc de passer par une phase de négociation qui ne peut faire fi des individus « ordinaires » qu’à la condition d’un recours systématiquement à des prérogatives de puissance publique.

Le Conservatoire du littoral et les propriétaires : entre rapports asymétriques et négociation « horizontale »

44Le patrimoine du Conservatoire du littoral en France métropolitaine s’élevait à un peu plus de 100 000 hectares de terres à la fin 2007, dont 70 000 correspondaient à des acquisitions20. 60 000 ha sont répartis sur les côtes métropolitaines ; l’organisme acquiert environ 2 500 ha par an, pour 250 transactions (Gérard, 2008).

  • 20  Le reste est constitué pour l’essentiel de terrains appartenant déjà à des Services de (...)

45Les rapports qu’entretient le Conservatoire avec l’ensemble des propriétaires susceptibles de lui vendre un terrain sont très variables : « chaque transaction est particulière » disent souvent les délégués du Conservatoire interrogés sur les modes de négociation employés.

46Là encore, les contingences territoriales jouent un grand rôle dans les modes d’acquisition. Sur des sites caractérisés par une faible division parcellaire (en PACA notamment), seulement quelques transactions sont nécessaires pour devenir propriétaire de l’ensemble d’un périmètre autorisé. Il n’est ainsi pas rare que le délégué, ou son adjoint, négocie avec le ou les propriétaires avant de proposer la mise en place d’un périmètre autorisé.

  • 21  L’inverse est également possible, le calquage de sites Natura 2000 sur certaines propriétés (...)

47Dans la majorité des cas toutefois, les propriétaires sont suffisamment nombreux pour qu’une partie d’entre eux reste à convaincre, au-delà de la mise en place du périmètre autorisé. Le Conservatoire du littoral s’appuie là en grande partie sur un contexte territorial qui désigne, via la réglementation et/ou l’aval d’une partie la plus importante possible des acteurs, certains secteurs en tant qu’ « espaces de nature ». Sans un minimum de consensus réduisant sérieusement les perspectives de changement d’usage (et de plus-values) et malgré une réglementation stricte, l’intervention du Conservatoire du littoral peut être remise en cause. Ainsi, le site de la Grande Cosse (34), a été gagné par une urbanisation illégale parfaitement tolérée localement, alors qu’il est encore couvert par un périmètre autorisé. Le Conservatoire se contenterait-il alors d’exploiter un « effet géographique » (Debarbieux, 2004 : 23) confirmant le caractère « pré-identifié » d’espaces souvent déjà protégés ? Parfois certainement21, mais il assure surtout la pérennité d’une logique de protection qui peut éclater dans le temps.

  • 22  Soit de 0,15 $CAN/m² à 12,5 $CAN/m².

48Les prix d’achat ne sont pas fixés par le Cdl, une évaluation est demandée systématiquement à la Brigade domaniale locale, qui dépend de la Direction Générale des Finances (Ministère des Finances), et procède par comparaison de termes. Les niveaux de prix pratiqués (allant de 0,10 €/m² à plus de 8 €/m² pour des terrains nus22) témoignent de la variété des contextes et des conditions de négociation. Et si, dans des cas extrêmes (les Evières sur l’île de Ré par exemple), les prix et les transactions sont extrêmement contrôlés, la réalité quotidienne est bien plus complexe (Gérard et Marrou, 2008).

  • 23  La différence est liée au fait que l’on prenne en compte ou non les acquisitions déclarées (...)

49Statistiquement, les rapports entre vendeurs et Conservatoire du littoral apparaissent globalement positifs, puisque 75 à 90 % des acquisitions sont réalisées « à l’amiable »23, sachant qu’environ 50 % de la superficie totale des périmètres autorisés sont en zone de préemption. Les expropriations sont rares (9 % des acquisitions) et rarement annulées par les tribunaux (Hostiou, 2003). L’importance des transactions « amiables » ne doit toutefois pas laisser croire à une facilité routinière de ces dernières. Certaines demandent effectivement beaucoup de temps et de relance de la part des délégués régionaux et de leurs collaborateurs.

50Au-delà de ces quelques chiffres, les pratiques quotidiennes montrent une vaste panoplie de modes de négociations. Ainsi, face à des propriétaires qui ne cherchent pas forcément à réaliser une plus-value mais désirent jouir de leur terrain le plus longtemps possible, le Conservatoire du littoral peut avoir recours à des AOT (comme vu dans le cas des chasseurs, mais c’est également le cas du propriétaire d’une maison dans le Var, au Cap Lardier). Des servitudes « non aedificandi », censées garantir la non-constructibilité d’un terrain, sont parfois négociées au profit du Conservatoire du littoral, même si elles restent minoritaires. Le leitmotiv de ce dernier étant qu’il n’est pas possible de « faire » (i.e. de réaliser des travaux de réhabilitation, de raser, etc.) tant qu’il n’est pas propriétaire.

  • 24  A titre de comparaison, et bien qu’il s’agisse de procédures légèrement différentes, le (...)

51Ensuite, même lorsque des zones de préemption existent, et à supposer qu’un propriétaire désire vendre, il lui est possible de contourner l’intervention du Conservatoire du littoral ; soit par des procédures plus ou moins illégales : baux emphytéotiques (qui sont en réalité des transferts de propriété de fait), dons, transfert de part de SCI (complètement légal), etc ; soit par des actions en justice, afin de contester le prix ou la validité de la procédure par exemple. Ces dernières sont exceptionnelles, mais souvent médiatisées car le fait de groupes ou de personnalités puissantes (voir le conflit qui a opposé le Conservatoire du littoral à la société Salins Europe, en Camargue par exemple)24.

52En définitive, lorsque les délégués du Conservatoire du littoral affirment que « chaque acquisition a sa propre histoire », ils rappellent que ni le fait d’obtenir un relatif consensus autour de l’intervention foncière, ni une réglementation -aussi coercitive soit-elle- ne suffisent à réduire le rôle des propriétaires, potentiellement vendeurs. En cela, le Conservatoire du littoral, parce qu’il acquiert directement des terrains auprès des particuliers, confirme les critiques émises à propos de la mise en application (type GIZC) de principes de gouvernance. De fait, la négociation avec des groupes constitués ou des représentants ne suffit pas à impliquer directement l’ensemble des individus dans un projet. L’intervention foncière publique, parce qu’elle s’oppose directement à un droit de propriété souvent ressenti comme un droit fondamental (« inviolable et sacré » en France), nécessite non seulement une légitimité locale forte, mais surtout d’accepter de conduire les négociations sur plusieurs fronts à la fois : du maire aux propriétaires, des Services de l’Etat aux lobbys locaux.

Conclusion

Le Conservatoire du littoral un innovateur de l’action publique

53Les mobiles et logiques d’intervention du Conservatoire du littoral sont souvent critiquées en raison du flou qui entoure l’action de cet organisme à la fois très présent (via ses nombreuses propriétés) et absent (il ne gère pas directement ses terrains). Mais c’est peut-être là que réside une partie de sa force, car, comme le remarquaient Pasquier et Weisbein (2007 : 213) : « le flou, c’est ce qui marche le plus socialement en ce qu’il permet des réceptions et des usages fort différenciés, grâce à du bricolage dans le sens des concepts ».

  • 25  Selon ces deux auteurs, la nature est davantage intégrée aux dynamiques socio-culturelles dans (...)

54Si le terme « bricolage » peut paraître péjoratif, disons que le Conservatoire du littoral est vecteur d’innovations en matière d’action publique. Il lui faut parvenir à créer le maximum de consensus, des acteurs publics dépendant des services de l’Etat, aux propriétaires privés auxquels il achète des terrains, en passant par les agriculteurs ou les chasseurs par exemple. En réalité, les délégués régionaux, qui sont les dirigeants « opérationnels » de l’organisme, font preuve d’une réelle capacité à remettre en question ou adapter les principes et stratégies intentionnelles élaborées par la direction. Cette liberté dans l’action permet aux délégués de faire preuve d’une véritable « rationalité interprétative » (Gardella, 2006 : 143), qui n’est autre qu’un jeu avec la règle/la norme. Elle s’illustre également dans une certaine facilité à se rapprocher d’acteurs dont les « mondes » pourraient paraître a priori éloignés de celui d’une écologie « pure ». Ainsi, Kalaora (1995a) avait précédemment fait remarquer cette capacité à se revendiquer d’une nature « marchande » (lorsque le Conservatoire « sauve » l’activité viticole), « inspirée » (lorsqu’il protège le Cap de la Chèvre), voire, selon nous, « industrielle » à moins qu’elle ne soit « civique » (quand il intervient sur la Baie de Somme sur des critères scientifiques de biodiversité). Cette vision « dynamique » voire opérationnelle de la nature rappelant à certains égards la conception britannique de la préservation (Charles et Kalaora, 2008)25.

55Ces pratiques qui sont à l’origine de stratégies émergentes (Mintzberg et Waters, 1985) sont suffisamment admises au sein du Conservatoire du littoral pour que les stratégies intentionnelles (de la direction) préservent cette liberté des délégués, par exemple en termes de choix des secteurs d’intervention (illustré récemment via la « Stratégie à 2050 »). Elles permettent, sur le terrain, de s’inscrire dans les projets territoriaux des différents acteurs, du maire « entreprenant », à l’association de protection de l’environnement, et jusqu’au chasseur en tant qu’individu qui ne désire « que » chasser. Le jeu sur les échelles entre le local et le national est donc permanent.

56L’organisation au sein du Conservatoire du littoral et ses relations avec les autres acteurs se répondent donc, alliant dans un cas comme dans l’autre des objectifs malgré tout clairs et une certaine souplesse dans leur réalisation. La primauté donnée à la protection et une intervention ferme sur certains sites jugés prioritaires viennent en effet rappeler que les pratiques du Conservatoire du littoral sont probablement plus proches de la gouvernance vécue comme un processus que comme une réalité finie. Le « consensus » n’est ainsi jamais que partiel, et assumé comme tel. Cette logique évite le « managérialisme populiste » (Campbell, 2000 : 9) reproché à certaines pratiques se réclamant de la gouvernance. Cette position est bien exprimée par Campbell (2000 : 2) qui rappelle que, bien souvent, la gouvernance « renvoie à l’existence présumée d’un consensus sur les procédures de bonne gestion proposées comme universellement valables et devant servir de modèle de référence. Or, dans le domaine plus circonscrit de la gestion des entreprises, la « gouvernance » corporative n’est pas un modèle mais plutôt un modus operandi ».

L’Etat sans l’Etat ?

57Le Conservatoire du littoral paraît donc particulièrement bien adapté, non seulement à la décentralisation, mais plus globalement à la « mode » de la gouvernance. L’organisme est parvenu à se créer une légitimité forte, qui en étoufferait presque les autres acteurs publics26. Au-delà de sa relative hégémonie en matière de protection de la nature, l’intervention croissante du Cdl dans des secteurs agricoles vient directement concurrencer les organismes de référence traditionnels en matière d’action foncière (Safer notamment).

  • 26  Lorsque Miossec (1993 : 216) écrivait que la « gestion » de la conservation était « en (...)

58Il parvient en fait à limiter le caractère hiérarchique et autoritaire que lui confère son statut d’établissement public de l’Etat. Ce que Comby (1995 : 33) résume en soulignant que « si le Conservatoire a réussi, c’est paradoxalement parce que les terrains qu’il achète avec l’argent de l’Etat sont aussitôt soustraits à l’Etat [car gérés localement] ». Mais c’est précisément ce statut d’Etat qui lui confère une certaine « grandeur civique », qui évite la « dérive néo-corporatiste ou libérale de la gouvernance » (Theys, 2003).

  • 27  Il est différent du droit de préemption au titre des Espaces Naturels Sensibles, qui relève (...)

59Cette ambivalence du Conservatoire du littoral est omniprésente y compris au niveau des responsables politiques, en témoigne, de façon légèrement ironique, l’attribution à l’organisme d’un droit de préemption qui lui est propre27 via la Loi « Démocratie de proximité » de 2002. Les responsables du Conservatoire du littoral rappellent quant à eux des anecdotes de réunion où des élus ou des associations proposent « d’adhérer » à l’organisme… ou encore les prises de position de certains élus qui critiquent ouvertement l’Etat face aux personnels du Conservatoire du littoral, oubliant que ces derniers sont précisément des fonctionnaires.

60Toute la force de cet établissement public de l’Etat est révélée dans ce paradoxe, puisqu’il parvient à se positionner entre un intérêt général de protection, porté par les gouvernants, et une prise en compte des particularités locales, qui lui assure une véritable « proximité » avec les acteurs locaux, or celle-ci est un des piliers de ce que Rosanvallon (2008) appelle la « légitimité démocratique » contemporaine.

61Ainsi, « l’autonomisation du local » n’apparaît pas si pertinente (Jouve et Lefêvbre, 1999 : 852) que les tenants de la gouvernance le voudraient parfois. Via le Conservatoire du littoral, l’Etat « garde la main » sur les logiques de protection des espaces de nature du littoral et il prouve en même temps sa capacité à innover en matière d’action publique. Plus globalement, il pilote en grande partie des démarches se réclamant de la gouvernance, du moins celles qui relèvent de la GIZC. N’est-ce pas ce qu’expriment Guineberteau et al. (2006 : 9) quand ils expliquent les logiques de sélection des projets GIZC ?

62Parallèlement, les difficultés d’intégration des logiques terre/mer, qui sont au cœur des interrogations de nombreux experts, connaissent une évolution particulière, via notamment le Conservatoire du littoral. Dans ce cadre, Ghézali (2000) écrivait que : « la question de l’évolution de la domanialité publique maritime doit être posée dans le cadre du processus de GIZC ». Or justement, le Conservatoire du littoral a vu sa mission étendue de façon explicite au Domaine Public Maritime (devant les parties « naturelles » de la partie terrestre du littoral) par la loi de 2002. Sa « stratégie DPM » est en cours d’élaboration. Les parties du DPM concernées seront ainsi transférées tout en restant sous le contrôle de l’Etat.

63Il ne s’agit certes pas de faire du Conservatoire du littoral un acteur tout puissant, son intervention est cadrée par des mobiles « environnementaux » et ses capacités matérielles ne sont pas illimitées (il n’est propriétaire que de 10 % du linéaire côtier métropolitain). Toutefois, cet exemple témoigne que l’Etat ne se contente pas de suivre la mode de la gouvernance en s’appropriant certains de ses principes (notamment les processus de participation ainsi que le rappellent Alban et Lewis (2005)). Cette montée en puissance d’un Etat « procédural » (i.e. principalement régulateur) n’efface pas l’apport « substantiel » (i.e. en terme d’objectifs) de ce dernier aux politiques environnementales. Ces modalités d’action peuvent être comprises comme une certaine gouvernance environnementale qui préserve la capacité de l’Etat à participer à (voir parfois à imposer ?) la définition d’un projet pour le littoral.

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Notes

1 Si nous utilisons le terme notion pour qualifier la gouvernance dans sa phase d’émergence, le mot concept sera utilisé par la suite pour souligner l’effort de construction scientifique dont elle a depuis été l’objet.

2  Les « principes issus de la gouvernance » (parfois résumé par « principes de la gouvernance »), correspondent aux pratiques qui définissent théoriquement la gouvernance. S’il est difficile de toutes les lister, les principaux d’entre eux sont énumérés au début du texte : intégration verticale, coopération public-privé, etc.

3  Société pour l’Etude et la Protection de la Nature en Bretagne, devenue « Bretagne Environnement ».

4  Gestion Intégrée des Zones Côtières.

5  Comité Interministériel d’Aménagement et de Développement du Territoire.

6  Ces termes sont récurrents dans les discours des acteurs ou des agents du Conservatoire du littoral, qu’il s’agisse de dénoncer les pratiques de l’organisme ou de souligner les critiques caricaturales qui lui sont adressées.

7  L’association « Espaces pour demain », lancée en France dans les années 1970 par Louis Bériot (« La France de la guerre » sur la 1ère chaine de la TV nationale) avec des missions similaires au National Trust, s’est rapidement heurtée à des difficultés financières. L’explication de l’échec de cet organisme n’est pas évidente, on avance en général des différences d’ordre sociologiques et politiques entre la France et la Grande-Bretagne. Quoiqu’il en soit, cet épisode a fini par renforcer la légitimité du Conservatoire du littoral qui s’impose comme le seul organisme capable de mener à bien une politique d’acquisition foncière.

8  Le Conservatoire peut se substituer aux Conseils Généraux dans l’exercice du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles. La loi « Démocratie de proximité » du 27 février 2002 introduit des zones de préemption propres au Conservatoire du littoral. Celui-ci peut les mettre en place directement, suite à avis conforme de la commune, ou, à défaut, par décret en Conseil d’Etat. Deux zones de préemption de ce type existaient début 2008, situées dans le Var.

9  La « tragédie des communaux » de Hardin (d’où le titre de son article paru en 1968 : The tragedy of the commons) exprimait l’idée que la gestion des terres est mieux assurée par des propriétaires privés, soucieux de faire fructifier et d’entretenir leur bien, que lorsqu’elles appartiennent à une collectivité, qui aura tendance à la laisser en déshérence. Sa critique n’est pas adressée à l’Etat mais plutôt à la gestion commune d’une propriété. Toutefois, les courants libéraux s’appuient régulièrement sur une lecture de ce dernier pour justifier la mise en avant des droits de propriété privés.

10  Fiscalité (foncière et successorale) ou servitudes conventionnelles principalement.

11  En témoignent les débats autour de l’élaboration d’une « servitude environnementale » lors de l’adoption de la loi « Développement des Territoires Ruraux » de 2005.

12  Pour une défense de ces idées voir notamment Falque (2005) ou Smith (1997).

13  LIttoral ENvironnement et SociétéS, UMR 6250 CNRS/Université de La Rochelle. Le bureau d’études de la Fn SAFER, Terres d’Europe-Scafr, a participé à la première phase de l’étude. Les rapports réalisés dans le cadre de cette étude sont cités tout au long du texte ; l’étude à l’échelle nationale est reprise dans : GÉRARD Y., 2008, « Trente ans d’action du Conservatoire du littoral », Études Foncières, n°131, pp. 36-40 ; et les principaux enseignements du travail de terrain sont synthétisés dans : GÉRARD Y. et MARROU L., 2009, Étude foncière sur le littoral français, Synthèse des études de terrain, UMR LIENSs/Conservatoire du Littoral, 20 p.

14  Si la gestion des terrains est importante, il faut noter d’abord qu’elle n’est pas du ressort direct du Conservatoire du littoral, qui en laisse le soin à des acteurs locaux. Ensuite, l’acquisition est avant tout justifiée par des objectifs généraux de protection ; d’ailleurs, fin 2007, 67 % des terrains du Conservatoire faisaient l’objet d’un document de gestion (dont le contenu est souvent succinct), ces derniers s’étant réellement développés depuis seulement une dizaine d’années, sur les 30 que compte le Cdl. Enfin, la « stratégie à 2050 » publiée par le Cdl et qui défini des aires d’intervention future rappelle que cette action est avant tout foncière.

15  Il existe neuf Conseils de Rivages : Rivages du Nord-Pas de Calais-Picardie, de Normandie, de Bretagne-Pays de la Loire, de Centre Atlantique, de la Méditerranée, de la Corse, des rivages français d’Amérique, de l’Océan Indien, des Lacs.

16  Composé de 33 personnes, dont 17 élus.

17  Gérard Y. et Marrou L., 2008, Etude foncière sur le littoral français, Le Conservatoire du littoral, Troisième partie : Méditerranée, La Rochelle, UMR LIENSs/Conservatoire du Littoral, 145 p.

18  Association des Etudes Foncières.

19  Appuie sur le Plan directeur du Groupement d’Urbanisme des Maures dans le Var ou sur le Schéma d’Aménagement du Littoral Breton et des Iles, en Bretagne.

20  Le reste est constitué pour l’essentiel de terrains appartenant déjà à des Services de l’État et remis au CEL : domaine privé ou public de l’État et attribution du Domaine Public Maritime (ou encore remise en gestion des 50 pas géométriques outremer).

21  L’inverse est également possible, le calquage de sites Natura 2000 sur certaines propriétés ou périmètres autorisés du Conservatoire du littoral peut être particulièrement flagrant.

22  Soit de 0,15 $CAN/m² à 12,5 $CAN/m².

23  La différence est liée au fait que l’on prenne en compte ou non les acquisitions déclarées « amiables sous préemption », c’est-à-dire réalisées à l’amiable, mais suite à la notification d’un Déclaration d’Intention d’Aliéner, envoyée au Conservatoire du littoral lorsqu’il bénéficie d’une zone de préemption.

24  A titre de comparaison, et bien qu’il s’agisse de procédures légèrement différentes, le droit de préemption urbain a connu ces dernières années une envolée des recours contentieux (Hostiou et Struillou, 2008 : 30) qui n’a rien à voir avec ce qui se passe concernant celui des espaces naturels sensibles, et en particulier lorsqu’il s’agit du Conservatoire du littoral.

25  Selon ces deux auteurs, la nature est davantage intégrée aux dynamiques socio-culturelles dans le monde anglo-saxon qu’en France où elle a tendance à être patrimonialisée et esthétisée, et considérée ainsi comme un élément extérieur aux dynamiques sociétales. En matière de conservation, la multiplication des cadres normatifs (réglementations par exemple) à la française répondrait ainsi à un certain pragmatisme anglo-saxon qui ménage une place importante à la contractualisation et à la prise en compte de la pluralité des préoccupations des acteurs.

26  Lorsque Miossec (1993 : 216) écrivait que la « gestion » de la conservation était « en France dévolue au Conservatoire du littoral » il soulignait a posteriori une réussite justement fondée sur une capacité à intervenir dans des domaines (des « mondes ») aussi variés.

27  Il est différent du droit de préemption au titre des Espaces Naturels Sensibles, qui relève avant tout des Départements. Le Conservatoire peut donc désigner ses propres zones de préemption, en accord avec la commune ou par décret en Conseil d’Etat.

Pour citer cet article

Référence électronique

Yann Gérard, « Une gouvernance environnementale selon l’etat ? Le conservatoire du littoral entre intérêt général et principe de proximité », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 9 numéro 1 | mai 2009, [En ligne], mis en ligne le 29 mai 2009. URL : http://vertigo.revues.org/index8551.html. Consulté le 10 novembre 2009.

Auteur

Yann Gérard

Docteur en géographie, LIENSS, UMR 6250, Université de La Rochelle, Institut du Littoral et de l’Environnement (ILE), 2 rue Olympe de Gouges, 17 000 La Rochelle, France, Courriel : yann.gerard@ymail.com

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