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Dossier : Gouvernance et environnement : quelles échelles de construction du commun ?

De la décentralisation de la gestion forestière à une gouvernance locale des forêts communautaires et des redevances forestières au Sud-est Cameroun

Jérémie Mbairamadji

Résumés

La participation des acteurs est reconnue comme une dimension importante de la gestion durable des forêts et plusieurs modalités existent pour faciliter cette participation dont la décentralisation de la gestion forestière. Cet article analyse les implications de la décentralisation sur la participation des acteurs et la modulation du système d’action de gestion des redevances et des forêts communautaires au Sud-est Cameroun et propose des avenues d’un modèle de gouvernance forestière locale. Au Sud-est Cameroun, la décentralisation de la gestion forestière a mené à la cristallisation du pouvoir décisionnel local autour de deux acteurs, à l’instauration de nouveaux rapports de force et à la compromission des pratiques traditionnelles de gestion forestière existantes. Il en a résulté la marginalisation des populations et leur faible participation à la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. La mise en œuvre du modèle de gouvernance forestière proposé dans cet article suggère de réviser et bonifier la loi forestière camerounaise actuelle et de mettre en place des activités de renforcement de capacité des populations et des comités locaux de gestion forestière. Ces préalables sont nécessaires pour créer des rapports d’interdépendance avec pouvoir diffus entre les acteurs impliqués à la gestion forestière. Ces types de rapports sont essentiels pour favoriser, dans cet environnement tropical, une véritable gestion participative et durable des forêts communautaires et des redevances forestières.

Public participation has been found essential for sustainable forest management and the decentralization of forest management has been identified as a mean to enhance such participation. This paper analyzes the impacts of decentralization on public participation as well as its influence on local management of community forests and timber royalties in Southeast Cameroon. It also explores solutions for a sound local forest governance model. In Southeast Cameroon, decentralization has led to the monopolisation of local decision-making by two actors and the introduction of new committees in charge of forest management at the village scale, which challenges traditional forest management practices. As a result, local populations are marginalised and participate poorly in the management of community forests and forest royalties. The forest governance model proposed in this paper suggests ways of improving Cameroon’s current forest law to empower local populations and forest management committees. These improvements will help to create interdependent relationships with a diffuse distribution of power among actors involved in forest management. Such types of relationships are critical to promote participative and sustainable management of community forests and forest royalties, particularly in a tropical environment.

Texte intégral

Introduction

1L’émergence du concept de gestion durable des forêts (GDF) a permis d’étendre la portée de la gestion forestière classique, jusque-là confinée aux seules essences ligneuses commerciales, vers d’autres produits et services de la forêt (Wang, 2004 ; Berlyn et Ashton, 1996 ; Barrette et al., 1996 ; Wiersum, 1995). Depuis l’apparition du concept de GDF, la forêt n’est plus considérée comme un simple réservoir de bois, mais davantage comme un milieu offrant une multitude de services au public et à l’environnement (Hummel et Sizykh, 1997). Ce changement de paradigme invite à tenir compte de la multiplicité des fonctions de la forêt et des usages et intérêts des acteurs impliqués pour réaliser la gestion durable des forêts. Dans cette perspective, la participation des acteurs est devenue une dimension essentielle de la mise en œuvre du concept de gestion durable des forêts. Cette participation des acteurs est facilitée par la décentralisation de la gestion forestière. Plusieurs études ont souligné les vertus de la décentralisation considérée comme un moyen de donner aux populations locales plus de droit sur les ressources naturelles (Anderson et al. 2006), un processus de redistribution du pouvoir, des ressources et des facilités administratives à divers paliers de gouvernements et des communautés (Agrawal et Ostrom, 2001 ; Agrawal et Ribot, 1999), un processus essentiel pour la réduction de la pauvreté (Steiner, 2007) ou comme une reforme visant à améliorer la participation des populations pour une gouvernance locale efficace et équitable (Ribot, 2003). En dépit de l’intérêt porté à la décentralisation, très peu d’études ont traité de ses impacts sur la participation des acteurs locaux à la gestion durable des entités forestières concédées aux populations telles les forêts communautaires ou de ses impacts sur la gestion des redevances forestières. Dans le même sens, aucune étude n’a exploré les effets pervers de la décentralisation sur la modulation des rapports de force des acteurs à la gestion forestière locale dans les environnements tropicaux où les rapports quotidiens des populations à la forêt sont davantage régulés par des normes sociales relevant du droit coutumier plutôt que par des lois forestières.

2Par ailleurs, bien que la décentralisation de la gestion forestière ait facilité la mise en place des conditions de participation du public à la gestion forestière, sa contribution réelle à la gestion durable des forêts demeure sujet à débat. Ce débat s’inscrirait dans un cadre plus large de la gouvernance. La gouvernance est définie comme un ensemble de règles et de mécanismes de renforcement ainsi que des processus interactifs qui régulent les activités des acteurs vers une finalité concertée (Huppert et al., 2001). Elle est aussi considérée comme l’établissement de processus, de règles et de structures partagés de gestion, autant informels que formels, qui facilitent la coordination, la coopération et la complémentarité entre les gouvernements et les organisations d’un même domaine (Carrière et Lequin, 2008). Ainsi, pour pallier les insuffisances et impacts de la décentralisation et assurer une gestion durable des forêts et des retombées forestières locales, il importe de situer les enjeux de gestion forestière dans le cadre plus global de gouvernance et donc, de penser la gouvernance forestière dans cette perspective.

  • 1  Terme utilisé pour désigner un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses (...)

3Cet article analyse l’impact de la décentralisation de la gestion forestière sur la participation des acteurs et la configuration du système d’action local de gestion forestière au Sud-est Cameroun et propose des avenues pour un modèle de gouvernance forestière intégrateur des changements institutionnels de la loi forestière avec les pratiques et usages locaux de la forêt. La décentralisation de la gestion forestière est rendue possible par la loi forestière camerounaise de 1994 dont la mise en œuvre au Sud-est Cameroun a favorisé l’émergence d’un nouveau système d’action1 local de gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. Ce système d’action est articulé autour de deux acteurs-clés (sous-préfet, maire) et se décline en rapports de dépendance ou d’interdépendanceentre les acteurs impliqués dans la gestion forestière. Les nouveaux rapports de force créés dans le système d’action ont mené à la marginalisation de la majorité des populations du système décisionnel de gestion forestière locale et à une faible participation de celles-ci à la gestion forestière. En outre, avec l’introduction de nouveaux comités dans le paysage local de gestion forestière, la décentralisation a remis en cause les pratiques traditionnelles existantes selon lesquelles les questions forestières et foncières locales relèvent exclusivement de la compétence des aînés et chefs de lignage. La réalisation de la gouvernance forestière invite à supprimer du système d’action local de gestion forestière les rapports de dépendance avec pouvoir ascendant et d’instaurer plutôt des rapports d’interdépendance avec pouvoir diffus dans tout le système d’action. Un tel aménagement du système d’action créerait alors les bases d’une collaboration inclusive et égalitaire, indispensables pour une gestion participative et durable de la forêt et des retombées forestières locales, mode de gestion qualifié dans cet article de gouvernance forestière.

  • 2  Bintom, Gribé, Masséa, Ntiou et Zokadiba.
  • 3  Elle est menée auprès de 213 ménages et des représentants d’ONG et de services publics (...)
  • 4  48 entrevues ont été réalisées.
  • 5  10 groupes de discussion avec 8 personnes choisies au hasard par groupe de discussion.
  • 6  Les chefs traditionnels veillent à la coordination de la cohésion sociale locale assistés (...)
  • 7  Groupement ethnique constitué des Kounabembe, Babango, Bakwele et Ndjem.
  • 8  Groupement ethnique constitué essentiellement des Baka.

4Cette étude est menée dans cinq villages2 du Sud-est Cameroun disposant de forêts communautaires et bénéficiant des redevances forestières issues de l’exploitation forestière industrielle. Des questionnaires d’enquête, entrevues et groupes de discussion ont été réalisés. L’enquête par questionnaire3 est menée auprès des ménages, des représentants des services publics et des organisations non gouvernementales sur les thèmes d’accès et d’usage des ressources forestières ainsi que de participation des acteurs à la gestion forestière. Les entrevues4 avec des personnes ressources référées dans les villages ont porté sur les changements institutionnels de gestion forestière jugés importants pour ces personnes et les ajustements souhaités pour améliorer leur participation. Les groupes de discussion5 ont été organisés avec quatre catégories d’acteurs locaux (Pygmées, Bantous, femmes, immigrants) sur les rapports de ces groupes à la forêt et sur les enjeux de gestion forestière décentralisée jugés prioritaires pour chaque catégorie. Deux unités d’analyse sont retenues à savoir la « gestion des forêts communautaires » et la « gestion des redevances forestières » et deux méthodes d’analyse ont été utilisées, en l’occurrence l’analyse stratégique (Crozier et Friedberg, 1977) et l’analyse institutionnelle (Ostrom, 1990). Pour faciliter la compréhension des enjeux de la décentralisation auxquels réfèrent les illustrations mentionnées dans cet article, il importe de rappeler les faits suivants. Au Cameroun, le droit de propriété sur les forêts, à l’instar d’autres ressources naturelles, appartient à l’État qui délègue des droits d’usage à divers utilisateurs, selon des modalités définies par la loi forestière. Cette dernière reconnaît cependant le droit coutumier des populations locales pour autant que les utilisations des ressources forestières par ces populations se limitent à la satisfaction de leurs besoins d’existence. Ainsi, dans les régions forestières camerounaises, les rapports quotidiens des populations locales à la forêt sont davantage régulés par des normes sociales relevant du droit coutumier. Ce dernier confère la compétence sur les questions forestières et foncières locales aux chefs traditionnels6, aux aînés et aux chefs de lignage. Au Sud-est Cameroun, deux grands groupes ethniques dominent, ce sont les Bantous7 et les Pygmées8 qui dépendent fortement des forêts, bien qu’ayant différents intérêts et attentes de la forêt (Malleson, 2001). À l’échelle nationale, la gestion des forêts relève de la compétence du ministère des forêts et de la faune (MINFOF) qui décide de l’attribution des forêts communautaires (FC) aux populations ou de leur suspension. En outre, d’autres ministères sont concernés par la mise en œuvre de la décentralisation de la gestion forestière, notamment la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. C’est le cas du ministère de l’administration territoriale et de la décentralisation (MINATD), ministère de tutelle des autorités administratives (préfets, sous-préfets, maires...). Certaines dispositions de la loi forestière et de ses textes d’application exigent l’implication de ces autorités à divers niveaux du processus de création des forêts communautaires ou de gestion des redevances forestières. En effet, les préfets/sous-préfets sont appelés à présider les assemblées de création des forêts communautaires ou à valider la conformité de dossiers de ces forêts initiés par les populations avant leur transmission au MINFOF. Quant aux maires, la loi exige qu’ils président les réunions des comités locaux de gestion des redevances forestières. Le ministère de l’économie et des finances est également concerné par la gestion forestière à travers les questions de fiscalité forestière. Finalement, outre les ministères, les populations locales, les autorités administratives locales (sous-préfets, maires), d’autres acteurs jouent aussi un rôle important dans la mise en œuvre de la décentralisation de la gestion forestière au Sud-est Cameroun, en l’occurrence les organisations non gouvernementales et les élites.

Décentralisation et participation des acteurs au système décisionnel de gestion forestière au Sud-est Cameroun

5À la faveur de la décentralisation de la gestion forestière au Cameroun, plusieurs opportunités ont été créées par la loi forestière de 1994 pour encourager la participation des acteurs à la gestion forestière autant à l’échelle nationale (commission/comité ministériel ou interministériel) que locale (comités locaux de gestion forestière). En ce qui concerne particulièrement la participation des acteurs locaux, la décentralisation de la gestion forestière au Cameroun s’est traduite par la dévolution à ceux-ci de la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. Il faut toutefois souligner que les populations locales du Sud-est Cameroun, dont l’essentiel des rapports à la forêt est régulé par des normes sociales relevant du droit coutumier, méconnaissent la loi forestière et ignorent leurs droits et obligations par rapport à la gestion forestière décentralisée. Selon les normes sociales, la forêt relève de la sphère masculine et mieux, les questions forestières et/ou foncières sont de la compétence exclusive des lignages, des clans et des chefferies traditionnelles. Ces normes sociales confèrent cependant certains droits aux femmes dans l’espace forestier, notamment le droit d’y pratiquer l’agriculture ou d’y effectuer des activités de pêche ou de collecte. Dans ces circonstances et compte tenu de la primauté de la loi forestière sur le droit coutumier, les dispositions de la loi forestière attribuant aux populations la possibilité de créer et de gérer les forêts communautaires et les redevances forestières, nonobstant le sexe ou l’ethnie des acteurs, comme c’est d’usage pour le droit coutumier, représentent une avancée considérable en matière de gestion forestière décentralisée au Cameroun. Toutefois, cette avancée ne s’est pas traduite par une augmentation de la participation des acteurs à la gestion forestière au Sud-est Cameroun, et ce pour plusieurs raisons. La décentralisation de la gestion forestière s’est accompagnée du retrait des administrations centrales9 du contrôle de la gestion forestière décentralisée et cette situation a facilité la marginalisation des populations locales du système décisionnel des forêts communautaires et des redevances forestières. Elle a aussi conduit à une ingérence accrue des élites à la gestion forestière locale. Plusieurs facteurs concourent à la marginalisation des populations, notamment leur méconnaissance de la loi forestière et l’asymétrie d’information existante à ce sujet. L’ingérence des élites10 à la gestion forestière locale est observable à travers l’initiation par celles-ci des projets de création des forêts communautaires au nom de leur communauté d’origine (Djeuma, 2001) ou par le soutien financier ou politique qu’elles apportent aux démarches de création des forêts communautaires des populations. Cet opportunisme des élites vient combler un vide créé par l’incapacité des populations locales à mobiliser des ressources pour financer les dépenses de création des forêts communautaires. Rappelons que la loi forestière exige des populations d’élaborer un plan simple de gestion et un plan d’aménagement des forêts communautaires et de supporter les coûts des travaux afférents (article 29.2, décret no 95-531 du 23 août 1995). En somme, la méconnaissance de la loi forestière des populations locales et leur manque de moyens pour financer les dépenses des forêts communautaires limitent leur pouvoir d’action. Ces populations se contentent ainsi d’accepter les décisions des élites et des opérateurs économiques qui financent les dépenses liées aux forêts communautaires. En effet, la compétence et le pouvoir de négociation des sources de financement des projets locaux sont en général détenus par les élites (Platteau et Gaspart, 2003). Les populations locales ne sont pas assez outillées pour résister aux pressions et influences des élites (Platteau, 2004), elles se contentent alors de ce que ces dernières leur offrent. Au Sud-est Cameroun, l’ingérence des élites a par ailleurs mené à la cooptation des membres des comités locaux de gestion forestière et à la monopolisation des retombées forestières par quelques individus. Finalement, la dévolution des pouvoirs aux populations locales qu’offre la décentralisation n’a pas amélioré la participation des populations locales au processus décisionnel de gestion forestière au Sud-est Cameroun. Ces populations sont en majorité écartées du système décisionnel des forêts communautaires et des redevances forestières et les membres des comités locaux censés défendre leurs intérêts sont plutôt les exécutants des décisions d’acteurs influents qui les ont cooptés. La monopolisation des retombées forestières par quelques individus, couplée à la marginalisation des populations locales du système décisionnel de gestion forestière, expliquent la faible participation observée à la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières au Sud-est Cameroun.

  • 9 Ministère des forêts et de la faune et Ministère de l’économie et des finances.
  • 10  Terme utilisé pour désigner les acteurs originaires des villages dans lesquels ils (...)

Décentralisation et configuration du système d’action de gestion forestière au Sud-est Cameroun

6La mise en œuvre de la décentralisation de la gestion forestière, notamment en ce qui concerne la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières a été facilitée par l’introduction de nouveaux acteurs institutionnels11 dans le paysage de gestion forestière locale, en l’occurrence les comités de gestion des forêts communautaires (CGFC) et les comités de gestion des redevances forestières (CGRF). Au Sud-est-Cameroun, l’introduction de ces nouveaux comités a généré des effets pervers sur les structures et organisations traditionnelles jusqu’alors en charge des questions forestières locales. En effet, la présence des nouveaux comités locaux a remis en cause les prérogatives des chefs de lignage, des aînés et des chefs traditionnels jusque-là détenteurs exclusifs du pouvoir décisionnel sur les questions forestières et/ou foncières locales. Ces nouveaux comités locaux ont introduit ainsi un changement important dans la configuration du système d’action local de gestion forestière, car dans les communautés forestières camerounaises, les décisions importantes de gestion des ressources naturelles sont négociées par les chefs de lignage (Etoungou, 2003) qui sont les aînés et, avec la décentralisation, leur avis n’est pas requis pour la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. Les prérogatives accordées aux aînés en régions forestières leur permettent d’affirmer leur rôle social et leur leadership dans la régulation des rapports sociaux (Karsenty et al., 1997). En outre, avec la décentralisation, l’importance de disposer d’une certaine scolarité pour mener efficacement les activités de création et de gestion des forêts communautaires (inventaire forestier, plan simple de gestion, plan d’aménagement, gestion des retombées financières) a amené à privilégier le choix de personnes éduquées dans les comités locaux et ce, au détriment des chefs de lignage et des Pygmées dont la scolarité est limitée, voire inexistante. En termes de dynamique d’acteurs, le système d’action de gestion des forêts communautaires et des redevances forestières issu de la décentralisation est articulé autour de deux pôles décisionnels coiffés par le maire et le sous-préfet12 et se décline en rapports de dépendance ou d’interdépendance entre les acteurs (Figure 1).

  • 11  Terme utilisé dans cet article pour désigner toute entité institutionnelle de gestion (...)
  • 12  Autorité administrative responsable de l’arrondissement (division territoriale (...)

Figure 1. Système d’action de gestion des forêts communautaires et des redevances forestières au Sud-est Cameroun

Image1
  • 13  Le terme « ascendant » indique le groupe d’acteurs ayant plus de pouvoir que l’autre dans (...)
  • 14  Le caractère « diffus » dénote de l’absence de lien institutionnel formel entre les (...)

Légende : Rapport de dépendance avec pouvoir ascendant13, Rapport de dépendance avec pouvoir diffus14 ascendant

7Dans l’unité d’analyse « gestion des forêts communautaires », le pouvoir décisionnel est contrôlé par le sous-préfet (SP)qui incarne l’autorité administrative et laloi forestière attribue aux autorités administratives le pouvoir de présider les assemblées générales de création des forêts communautaires (article 28.1, décret no 95/531/PM). Le SP est l’autorité administrative responsable des services publics de l’arrondissement ainsi que des populations locales, d’où le rapport d’autorité qui le lie aux populations et au personnel local des services publics. Ce rapport d’autorité expliquerait le faible intérêt relevé auprès des populations à participer aux réunions des forêts communautaires présidées par le SP comparées à celles présidées par les organisations non gouvernementales (ONG). Le rapport qui lie les comités locaux (CGFC) au SP est un rapport de dépendance avec pouvoir ascendant, car étant responsable de l’arrondissement, le SP influence le choix des membres des CGFC ainsi que les décisions de ces comités. Il n’existe pas de lien direct entre le SP et les populations locales par rapport à la gestion des forêts communautaires, ce lien devant transiter par les CGFC (Figure 1). Finalement, les populations du Sud-est Cameroun ne disposent pas de véritable pouvoir décisionnel sur les forêts communautaires. En outre, bien que ce pouvoir soit théoriquement conféré aux CGFC selon la loi forestière, il est en réalité contrôlé par le SP qui l’exerce par l’entremise des membres des CGFC cooptés.

8En ce qui concerne la deuxième unité d’analyse, à savoir, la « gestion des redevances forestières », le pouvoir décisionnel de cette unité est contrôlé par le maire. La loi forestière camerounaise exige de transférer aux communes les redevances forestières attribuées aux populations locales et ces redevances doivent être gérées par des comités locaux présidés par les maires (arrêté no 0122/MINEF/MINAT du 29 avril 1999). Plutôt que de se limiter à faire des arbitrages lors des rencontres des comités locaux, les maires ont profité de cette disposition pour s’arroger le pouvoir décisionnel sur la gestion des redevances forestières. Certains maires se permettent de déterminer les priorités et de définir les projets communautaires à financer avec les redevances forestières (Oyono, 2004 a) ainsi que d’influencer le processus de sélection des membres des comités locaux (Oyono, 2004 b). Ce pouvoir décisionnel sur les redevances forestières que se sont arrogés les maires est entretenu par la méconnaissance de la loi forestière des populations locales concernant leurs droits sur les redevances forestières. Le rapport des CGRF avec le maire est un rapport de dépendance avec pouvoir ascendant et, à l’instar du pôle décisionnel de gestion des forêts communautaires, il n’existe pas de rapport direct entre le maire et les populations locales dans la gestion des redevances forestières, cette relation transite par les CGRF (Figure 1). En somme, le transfert de la gestion des redevances forestières aux populations locales n’a pas conduit à une véritable transmission à celles-ci du pouvoir décisionnel sur ces redevances. En effet, les populations du Sud-est Cameroun ne disposent pas de véritable pouvoir d’action sur la gestion des redevances forestières et les membres des CGRF sensés défendre les intérêts de ces populations agissent plutôt comme des exécutants des ordres des acteurs influents qui les ont cooptés (maires, élites). Ces résultats appuient ceux d’Oyono (2004 b) soulignant l’absence de véritable transfert de pouvoir décisionnel aux comités locaux de gestion de redevances forestières et que les décisions prises par ces comités ne sont que des propositions à examiner par le conseil municipal pour validation, amendement ou rejet.

  • 15  L’incertitude constitue la ressource fondamentale dans toute négociation entre les acteurs. (...)

9La suprématie du SP sur la gestion des forêts communautaires et celle du maire sur la gestion des redevances forestières sont attribuables à la méconnaissance la loi forestière par les populations locales et à l’asymétrie d’information existante à ce sujet. En effet, l’information sur la loi forestière concernant les forêts communautaires et les redevances forestières est détenue par quelques acteurs influents (sous-préfets, maires, ONG, élites) et cette asymétrie d’information permet aux acteurs influents de contrôler les zones d’incertitudes pertinentes15. La méconnaissance de la loi forestière par les populations locales et la maîtrise de l’information sur la loi forestière par seulement quelques acteurs influents ont amené ces derniers à contrôler, à leur avantage, les zones d’incertitudes pertinentes et à faire perdurer le rapport de force inégal existant dans le système d’action issu de la décentralisation. Ces résultats corroborent la thèse de Crozier et Friedberg (1977) selon laquelle tout système d’action se constitue à travers des relations de pouvoir entre les acteurs cherchant à contrôler des zones d’incertitudes pertinentes. Dans le cas du Sud-est Cameroun, aussi longtemps que l’asymétrie d’information sur les forêts communautaires et les redevances forestières existera, les zones d’incertitudes pertinentes  seront contrôlées par les acteurs détenteurs du pouvoir décisionnel en l’occurrence les SP, les maires et les élites pour maintenir à leur avantage, les rapports de force existants.

  • 16  Groupe formé des ONG et des élites.

10Outre les rapports de dépendance précédemment discutés, le système d’action local de gestion forestière du Sud-est Cameroun présente également des rapports d’interdépendance tel le rapport d’interdépendance avec pouvoir diffus liant le groupe d’acteurs intermédiaires16 (GAI) avec les CGRF, les CGFC, le SP et les populations locales (Figure 1). Dans ce rapport, les ONG et les élites ont besoin des populations locales pour justifier leur raison d’être (ONG) ou bénéficier des avantages économiques/politiques (élites) alors que les populations locales sollicitent l’aide du GAI pour combler leurs lacunes organisationnelles, financières et techniques en gestion des forêts communautaires et des redevances forestières, d’où le rapport d’interdépendance avec pouvoir diffus observé. Dans le même sens, les ONG et les élites collaborent avec les comités locaux (CGRF, CGFC) pour légitimer leurs activités ou consolider leur positionnement politique tandis que les comités locaux comptent sur l’appui du GAI pour pallier leurs insuffisances, d’où le rapport d’interdépendance avec pouvoir diffus également observé. En ce qui concerne la relation entre le GAI et le SP, c’est une relation de collaboration : les ONG et les élites ont besoin de l’appui du SP pour légitimer leurs interventions auprès des populations locales, tout comme le SP apprécie la collaboration du GAI pour crédibiliser son autorité, d’où le rapport d’interdépendance avec pouvoir diffus observé. L’interdépendance s’explique par le fait que les groupes d’acteurs en interaction trouvent un intérêt à coopérer alors que le caractère diffus du rapport de force résultant tient davantage à l’absence d’une relation formelle d’autorité établie entre ces groupes.

11En outre, bien qu’il n’intervienne pas directement dans la gestion des redevances forestières, de par sa fonction de responsable de l’arrondissement, le SP a un certain droit de regard sur les CGRF, d’où le rapport de dépendance avec pouvoir diffus ascendantentre le CGRF et le SP. Finalement, un rapport d’interdépendance avec pouvoir diffus est observé entre le SP et le maire par rapport à la gestion des redevances forestières, le maire n’étant pas tenu de rendre compte de la gestion des redevances forestières au SP.

  • 17  Terme utilisé pour désigner les changements de règles pouvant affecter un ensemble (...)

12En somme, les changements institutionnels17 apportés par la décentralisation de la gestion forestière ont mené à la déstabilisation du système d’action de gestion forestière au Sud-est Cameroun et à la configuration de nouveaux rapports de force entre les acteurs. En outre, ces changements institutionnels ont compromis les rôles sociaux des aînés dans la régulation de la gestion forestière locale et contribué à l’effritement de l’autorité des chefs traditionnels, leur avis n’étant pas requis pour valider les décisions des comités locaux. Par contre, la décentralisation a permis à certains groupes sociaux, en l’occurrence les jeunes qui possèdent un certain niveau d’éducation d’intégrer les comités locaux et de s’affirmer comme un groupe social important à considérer dorénavant dans le cercle décisionnel de la gestion forestière locale.

Quelles avenues pour une gouvernance locale des forêts communautaires et des redevances forestières intégrative des changements institutionnels et des pratiques et usages locaux de la forêt ?

13L’analyse de la gestion forestière décentralisée au Sud-est Cameroun a mis en évidence plusieurs impacts négatifs de la décentralisation, notamment la marginalisation des populations locales du système décisionnel des forêts communautaires et des redevances forestières et la déstabilisation des rapports de force du système d’action de gestion forestière. La décentralisation a également généré plusieurs effets pervers, en l’occurrence le contrôle du pouvoir décisionnel des forêts communautaires et des redevances forestières par deux acteurs (SP, maire), l’ingérence accrue des élites à la gestion forestière locale, la cooptation des membres des comités locaux et la monopolisation des retombées forestières par quelques acteurs. Ces effets pervers et la marginalisation des populations du système décisionnel local expliquent la faible participation locale observée à la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières au Sud-est Cameroun. Pour mettre en place un modèle de gouvernance forestière locale, à savoir un modèle de gestion participative et durable des forêts communautaires et des redevances forestières au Sud-est Cameroun, un rééquilibrage du système d’action local précédemment analysé est nécessaire. Ce rééquilibrage se fera par l’instauration de rapports d’interdépendance avec pouvoir diffusdans tout le système d’action de gestion forestière. Un tel rééquilibrage des rapports de force établirait alors les bases d’une collaboration inclusive et égalitaire, indispensables pour renforcer le sentiment d’appartenance des populations et améliorer leur participation à la gestion forestière locale. Ce rééquilibrage des rapports de force concerne particulièrement les couples interactifs présentant des rapports de dépendance avec pouvoir ascendant : Populations-CGFC-SP ; Populations-CGRF-maire. La réalisation du rééquilibrage des rapports de force du système d’action suggère de transférer aux populations locales un pouvoir décisionnel fort sur la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. Il s’agira de donner à ces populations le pouvoir légal d’exiger une reddition de compte des comités locaux (CGFC, CGRF) ainsi que le pouvoir de choisir ou de se départir des membres des comités locaux incompétents sans la pression des acteurs influents (SP, maire, élites). Pour ce faire, une révision des dispositions actuelles de la loi forestière régissant les forêts communautaires et les redevances forestières s’impose pour mettre en place de nouvelles dispositions juridiques plus contraignantes conférant un pouvoir décisionnel de dernière instance aux populations locales plutôt qu’aux comités locaux. L’absence de telles dispositions expliquerait l’existence des cas de monopolisation des retombées forestières par quelques acteurs observés, et ce, avec la complicité des membres des comités locaux. Des corrélations positives entre l’absence de reddition de compte des acteurs influents et des comités locaux avec la surexploitation des ressources forestières ont été mises en évidence (Fischer et al., 2007). Par ailleurs, l’attribution du pouvoir décisionnel fort aux populations devrait être couplée à la reconnaissance de la personnalité juridique à ces populations. En effet, comme le fait remarquer Karsenty (2001), une des difficultés rencontrées avec la loi forestière actuelle est que les populations locales à qui sont concédées les forêts communautaires n’ont pas de personnalité juridique propre et par conséquent, elles ne peuvent poursuivre en justice les mauvais gestionnaires des forêts communautaires. La loi forestière actuelle attribue la personnalité juridique seulement aux associations et groupes d’intérêt économique (GIE) et au Sud-est Cameroun, ces associations et GIE sont une création des élites et autres acteurs influents. La révision proposée donnerait ainsi un pouvoir décisionnel fort aux populations et établirait également les bases solides pour assurer une gestion durable et participative des forêts communautaires et des redevances forestières qualifiée ici de gouvernance forestière locale.Les bonifications juridiques de la loi forestière suggérées confortent les études menées en régions forestières camerounaises et qui ont attribué le phénomène de capture de retombées forestières par les élites à l’absence des règles solides de contrôle et de sanction des activités des comités locaux (Oyono, 2005). Finalement, l’élimination de la capture des retombées forestières par la mise en place des règles strictes de gestion et de contrôle de gestion des forêts communautaires et des redevances forestières permettrait d’améliorer la participation des acteurs locaux dans la mesure où, comme le fait remarquer Cernea (1991), la capture des retombées forestières représente un obstacle majeur à la participation des populations aux projets communautaires.

14Outre les dispositions juridiques spécifiques à mettre en place pour encadrer la gouvernance forestière locale, le rééquilibrage du système d’action de gestion forestière décentralisée se ferait par l’instauration des rapports d’interdépendance avec pouvoir diffus dans tout le système d’action local de gestion forestière. Un tel aménagement permettrait d’équilibrer les rapports de force actuels entre les acteurs (populations, élites, maire, SP, comités locaux) et d’asseoir les bases d’une gouvernance forestière locale. Concrètement, le rééquilibrage des rapports de force offrirait au système d’action une plus grande flexibilité pour concilier les changements institutionnels de la loi forestière avec les pratiques séculaires des populations locales en matière de gestion des ressources et de l’espace forestier. En soulignant que dans les régions forestières camerounaises, les rapports des populations à la forêt sont régulés par des normes sociales non écrites et moins formalisées, l’introduction des rapports d’interdépendance avec pouvoir diffus dans le système d’action local donne espace à négociation d’un modèle de gouvernance forestière plus adapté à cet environnement tropical. Par contre, l’existence de rapports de dépendance avec pouvoir ascendant (voir Figure 1) dans le système d’action local de gestion forestière comme, c’est le cas au Sud-est Cameroun, contribue plutôt à accentuer la marginalisation des acteurs locaux du système décisionnel de gestion forestière et elle est également permissive à la monopolisation des retombées forestières par quelques acteurs influents au détriment des populations. Par ailleurs, la plate-forme non formalisée qu’offrent les rapports d’interdépendance avec pouvoir diffus favoriserait la prise en compte dans le modèle de gouvernance forestière locale du savoir-faire des aînés, des chefs de lignage et des chefs de villages compétents sur les questions forestières et foncières locales. Dans le modèle de gouvernance forestière locale proposé, les détenteurs des compétences forestières locales seraient alors appelés à jouer un rôle plus actif comme groupe-conseil en matière de gestion des redevances forestières et des forêts communautaires. Ce groupe-conseil veillerait à la bonne gestion des comités locaux de gestion forestière à la lumière des dispositions du droit coutumier sur les questions forestières et foncières locales dont ils sont les principaux dépositaires. Ceci suggère d’opérer une intégration des changements institutionnels apportés par la loi forestière avec les pratiques et usages et traditionnels des ressources forestières et de l’espace forestier.

15Par ailleurs, les lacunes techniques, organisationnelles et financières observées dans la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières au Sud-est Cameroun indiquent que les populations locales ne sont pas assez outillées pour assumer efficacement les nouvelles responsabilités associées à la gestion forestière décentralisée et à négocier une gouvernance forestière locale intégrative des changements institutionnels avec les pratiques et usages locaux de la forêt. Ces résultats concordent avec les études sur la décentralisation de la gestion forestière menées dans six pays (Sénégal, Ouganda, Népal, Indonésie, Bolivie, Nicaragua) et qui ont mis en évidence l’insuffisance des moyens pour accompagner le processus de décentralisation du pouvoir aux populations et l’ancrage local inadéquat des changements institutionnels apportés (Ribot, Agrawal et Larson, 2006). Ainsi, la mise en place des activités de renforcement de capacité des populations en général et des membres des comités locaux en particulier est requise pour outiller ces populations à pallier leurs lacunes mentionnées précédemment et à mieux assumer leurs responsabilités en matière de gestion forestière décentralisée. Ceci conforte les études antérieures qui ont identifié l’appropriation et la mise en œuvre des compétences dévolues aux acteurs locaux ainsi que le renforcement de capacité de ces populations comme des défis majeurs de la décentralisation à relever en régions forestières camerounaises (Bigombe, 2000).

Conclusion

16Cette étude a permis de mettre en évidence les écueils de la décentralisation de la gestion forestière au Sud-est Cameroun, particulièrement en ce qui concerne la gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. Dans cette région forestière camerounaise, les changements institutionnels apportés par la décentralisation ont mené à la déstabilisation du système d’action de gestion forestière existant et à la configuration d’un nouveau système d’action local contrôlé par quelques acteurs influents avec des rapports entre acteurs de type rapports de dépendance ou d’interdépendance. Ce nouveau système d’action a mené à la marginalisation des populations locales du système décisionnel des forêts communautaires et des redevances forestières. En outre, la décentralisation a généré plusieurs effets pervers dont l’ingérence accrue des élites dans la gestion forestière locale, la capture des retombées forestières par quelques acteurs et la remise en question des prérogatives des organisations traditionnelles jusqu’alors compétentes sur les questions forestières (lignage, chefferie traditionnelle) ainsi que la compromission des rôles sociaux joués par les aînés et chefs de lignage dans la régulation de la gestion forestière locale. En somme, la dévolution du pouvoir de gestion forestière aux populations que prône la décentralisation n’a pas résulté à une véritable transmission aux populations du  pouvoir décisionnel sur les forêts communautaires et les redevances forestières. Les effets pervers relevés et la marginalisation des populations du système décisionnel de gestion forestière locale ont contribué à faire décroître la participation des acteurs à la gestion forestière au Sud-est Cameroun. Ceci invite à repenser la gestion forestière locale pour en assurer la durabilité. Dans cette perspective, la gouvernance forestière locale dont les caractéristiques et la pertinence sont commentées dans cet article se présente comme une alternative intéressante. Le modèle de gouvernance forestière locale proposé est un modèle intégrateur des changements institutionnels de la loi forestière et des pratiques et usages traditionnels de la forêt relevant du droit coutumier. Ce modèle de gouvernance forestière favoriserait une gestion participative et durable des forêts communautaires et des redevances forestières et sa mise en œuvre suggère un rééquilibrage des rapports de force du système d’action local issu de la décentralisation. Ce rééquilibrage des rapports de force se ferait par l’élimination des rapports de dépendance avec pouvoir ascendant et l’instauration des rapports d’interdépendance avec pouvoir diffus dans tout le système d’action. Un tel aménagement offrirait au système d’action local une plus grande flexibilité pour concilier les changements institutionnels apportés par la loi forestière avec les pratiques séculaires des populations locales en matière de gestion des ressources et de l’espace forestier. Au préalable, une révision de la loi forestière camerounaise est nécessaire pour conférer un pouvoir décisionnel plus fort aux populations locales et mettre en place de nouvelles dispositions juridiques plus strictes pour les comités locaux de gestion des forêts communautaires et des redevances forestières. Parallèlement, des activités de renforcement de capacité (juridique, organisationnelle, technique) des populations et des comités locaux sont indispensables pour pallier leurs lacunes et insuffisances à assumer les nouvelles responsabilités associées à la gestion forestière décentralisée, lacunes observées au Sud-est Cameroun. Finalement, la réalisation de la gouvernance forestière locale invite à opérer une transition de la forme de décentralisation actuelle qu’on pourrait qualifier de démocratie délégatrice et dont les limites ont été discutées précédemment vers une nouvelle forme de décentralisation qui serait une démocratie participative et dont les caractéristiques et avenues sont commentées dans le modèle de gouvernance forestière locale proposé.

17Les modalités d’opérationnalisation de la gouvernance locale interpellent plusieurs disciplines et elles représentent un champ de recherche en mouvance. Cet article ne prétend pas avoir circonscrit toutes les spécificités du modèle de gouvernance forestière locale proposé, ni répondu à tous les défis à relever pour réaliser la gouvernance forestière locale, particulièrement dans les environnements forestiers tropicaux où les rapports des acteurs à la forêt tiennent à plusieurs logiques et référentiels et dans lesquels le droit coutumier, les normes sociales et la loi forestière se côtoient avec des balises pas toujours évidentes à poser pour mieux réguler la dynamique des acteurs et des usages de la forêt afin d’en garantir la durabilité.

Toute ma gratitude et ma reconnaissance aux Bantous et Pygmées du Sud-est Cameroun pour leur patience à passer de longs moments à répondre aux questions de cette étude et surtout à partager généreusement leur connaissance séculaire sur la forêt. Mes remerciements vont également au Dr. Madi Ali du ministère des forêts et de la faune (MINFOF) du Cameroun pour les dispositions administratives qu’il a prises et qui ont facilité l’administration des questionnaires et les entrevues avec l’administration forestière ainsi que l’accès à la documentation du MINFOF. Je remercie le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) pour l’appui financier obtenu ainsi que le Ministère de l’éducation du Québec (MEQ) pour la bourse à la mobilité internationale et la Fondation UQAM pour la bourse SNC-Lavalin. Ces deux bourses ont facilité la réalisation de mon séjour de recherche dans les communautés bantoues et pygmées du Sud-est Cameroun.

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Notes

1  Terme utilisé pour désigner un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants et maintient les rapports entre ceux-ci par des mécanismes de régulation (Crozier et Friedberg, 1977).

2  Bintom, Gribé, Masséa, Ntiou et Zokadiba.

3  Elle est menée auprès de 213 ménages et des représentants d’ONG et de services publics locaux (Environnement, Agriculture, Administration).

4  48 entrevues ont été réalisées.

5  10 groupes de discussion avec 8 personnes choisies au hasard par groupe de discussion.

6  Les chefs traditionnels veillent à la coordination de la cohésion sociale locale assistés dans cette tâche par des aînés et chefs de lignage. Ils agissent également comme les représentants de l’Administration au niveau des villages.

7  Groupement ethnique constitué des Kounabembe, Babango, Bakwele et Ndjem.

8  Groupement ethnique constitué essentiellement des Baka.

9 Ministère des forêts et de la faune et Ministère de l’économie et des finances.

10  Terme utilisé pour désigner les acteurs originaires des villages dans lesquels ils interviennent sur des enjeux politiques ou de développement local, mais qui travaillent et demeurent dans les grands centres urbains.

11  Terme utilisé dans cet article pour désigner toute entité institutionnelle de gestion forestière créée par la loi forestière contrairement au système traditionnel en charge des questions forestières, qui lui est régulé par des normes sociales relevant du droit coutumier.

12  Autorité administrative responsable de l’arrondissement (division territoriale administrative).

13  Le terme « ascendant » indique le groupe d’acteurs ayant plus de pouvoir que l’autre dans la relation qui les lie

14  Le caractère « diffus » dénote de l’absence de lien institutionnel formel entre les acteurs en interaction.

15  L’incertitude constitue la ressource fondamentale dans toute négociation entre les acteurs. S’il y a incertitude, les acteurs capables de la contrôler l’utiliseront dans leurs tractations avec ceux qui en dépendent. Le pouvoir d’un individu/groupe est fonction de l’ampleur de la zone d’incertitude qu’il peut contrôler face à ses partenaires. La pertinence d’une telle zone se situe par rapport au problème à traiter et par rapport aux intérêts des acteurs en présence. Finalement, une zone d’incertitude pertinente est celle dont l’existence et la maîtrise conditionnent la capacité d’action des uns et des autres (Crozier et Friedberg, 1977).

16  Groupe formé des ONG et des élites.

17  Terme utilisé pour désigner les changements de règles pouvant affecter un ensemble d’acteurs, un ensemble d’information et de stratégies dont ils disposent, le contrôle qu’ils ont sur les extrants ou les préjudices qu’ils subissent (Ostrom, 1986).

Pour citer cet article

Référence électronique

Jérémie Mbairamadji, « De la décentralisation de la gestion forestière à une gouvernance locale des forêts communautaires et des redevances forestières au Sud-est Cameroun », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement, Volume 9 numéro 1 | mai 2009, [En ligne], mis en ligne le 27 mai 2009. URL : http://vertigo.revues.org/index8614.html. Consulté le 10 novembre 2009.

Auteur

Jérémie Mbairamadji

Institut des sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal, C. P.8888, Succursale Centre Ville, Montréal, H3C 3P8, Canada, Courriel : mbairamadji.jeremie@uqam.ca

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