La construction, 1859-1916

Les édifices

Déménager le gouvernement à Ottawa représentait une entreprise énorme. Pour la première fois, il fallait construire des installations au lieu d'emménager dans un immeuble existant. Il n'y avait même pas d'édifice assez grand pour loger le Parlement provisoirement! Par où devait-on commencer?

le vieux Barrack Hill

Le choix de l'emplacement des futurs édifices a été un problème très facile à régler, car le gouvernement possédait déjà le plus beau site. Avec ses 25 acres de terrain en pente douce au centre de la ville et sa vue magnifique sur la rivière, le vieux Barrack Hill était l'emplacement idéal. Il était également spectaculaire vu depuis les aires environnantes et mettrait bien l'immeuble en valeur. Le nouvel édifice du Parlement serait visible à une distance de plusieurs milles.

Mais quelle taille l'édifice devait-il avoir? Fallait-il un, deux ou trois bâtiments? Qui construirait l'immeuble et où trouverait-on les maçons nécessaires? Chose peut-être plus importante encore, combien coûterait-il? C'était le plus gros projet de construction jamais entrepris par le gouvernement. Personne ne savait vraiment à quoi s'attendre. En outre, le ministère des Travaux publics était très préoccupé par les risques d'incendie. La bibliothèque du corps législatif avait déjà été détruite à deux reprises par le feu et l'on tenait à ce que cela ne se reproduise pas.

La première pierre Palais de cristal (Montréal)

La visite royale d'Albert Édouard, prince de Galles, en 1860 a suscité un grand émoi partout où celui-ci s'est rendu. C'était un homme très galant qui, au dire de tout le monde, a fait beaucoup de ravages sur son passage. Son entourage était suivi de près par la presse, qui publiait des comptes rendus de bals somptueux et de cérémonies officielles dans l'Illustrated London News. Le prince est arrivé à Ottawa à la fin de l'été 1860 pour poser la première pierre du nouveau Parlement.

La construction

Une fois les architectes choisis, on a entrepris les travaux de construction sans perdre de temps. On a commencé à creuser le 20 décembre 1859. Le vieux dicton « ouvrage hâté, ouvrage gâté » n'a jamais été si vrai. Personne n'avait pris le temps de forer le terrain pour voir comment était la roche sous la mince couche de terre arable.

Il s'est trouvé que les travailleurs ont très vite rencontré le sous-sol rocheux et il est devenu clair qu'ils auraient à l'abattre aux explosifs pour les fondations. Par surcroît, les architectes ont changé les plans et les fondations allaient devoir être plus profondes de 17 pieds que prévu. Cela a ralenti les travaux, qui avaient déjà du retard à cause des conditions hivernales. En outre, le travail aux explosifs était très coûteux et les coûts ont commencé à grimper.

On a commencé à poser les pierres le 16 avril 1860. Le principal type de pierre choisi pour les trois édifices était du grès de la formation de Nepean, roche d'une chaude couleur ocre, extraite dans la région. D'autres types ont été employés pour ajouter de la couleur. On a utilisé du grès rouge de Potsdam (New York) et de la pierre de taille grise de l'Ohio pour mettre en valeur les fenêtres et les éléments décoratifs, ainsi que de l'ardoise grise et verte pour les toits.

L'envergure du projet de construction en voie de réalisation à Ottawa en 1860 était époustouflante. On n'avait jamais rien construit d'aussi gros en Amérique du Nord et le projet était énorme, même selon les critères européens. Il n'est pas exagéré de dire que les Travaux publics et les architectes étaient dépassés.

Les architectes ont commencé à apporter aux plans des modifications qui ont amélioré l'apparence des édifices, mais aussi fait augmenter les coûts. Les commis de chantier et les gestionnaires étaient inexpérimentés et n'avaient aucun moyen de modérer les architectes ni de limiter les coûts.

construction

Au début de 1861, le ministère des Travaux publics a déclaré qu'on avait dépensé 1 424 882,55 – soit plus de deux fois et demie l'estimation originale.

En septembre, on a fermé le chantier de construction et recouvert de bâches les murs partiellement finis pour les protéger contre les éléments. Mille trois cents hommes se sont retrouvés sans travail. Une commission d'enquête a été formée en juin 1862 pour découvrir les erreurs qui avaient été commises. Le gouvernement était déterminé à régler les problèmes de gestion et à foncer.

Le chantier de construction de la Colline du Parlement, 1860  La bibliothèque en voie de construction, 1872  L'édifice du Centre en voie de construction, 1864

En 1863, les travaux de construction ont repris. De nouveaux contrats ont été signés avec les architectes et tous semblaient avoir tiré des leçons de leurs erreurs. Trois ans plus tard, la première et la seule session du Parlement de la Province unie du Canada s'est déroulée dans le nouvel immeuble. Depuis le début du projet, de grands changements se préparaient sur la scène politique.

L'édifice du Centre en voie de construction, 1863  L'édifice du Centre en voie de construction, 1863

Un pays en expansion

L'édifice du Centre, 1868Le 1er juillet 1867, le Dominion du Canada est né avec un gouvernement fédéral à Ottawa pour l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-écosse. Les Pères de la Fédération ont décidé qu'Ottawa serait la capitale du pays nouvellement formé. Les édifices du Parlement n'étaient même pas terminés lorsqu'on en a soudainement fait le siège du gouvernement d'un territoire beaucoup plus vaste et qui avait de fortes chances de s'agrandir encore!

La fédération canadienne n'était nullement complète en 1867. Sir John A. Macdonald avait de grands projets pour l'Amérique du Nord britannique. Son gouvernement courtisait la colonie de la Colombie-Britannique ainsi que l'Île-du-Prince-édouard. D'une manière ou d'une autre, le vaste territoire entre la Colombie-Britannique (C.-B.) et l'Ontario, la Terre de Rupert, finirait nécessairement par être inclus.

Sir John A. MacdonaldCette terre avait été concédée à la Compagnie de la Baie d'Hudson en 1670, mais les temps avaient changé et, en 1870, la compagnie de traite de fourrure a vendu sa terre au Canada, ce qui a amorcé un période d'expansion rapide.

Moins de quatre ans plus tard, l'île-du-Prince-édouard, le Manitoba, la Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.)(qui sont maintenant l'Alberta, la Saskatchewan, le Yukon, les T.N.-O. et le Nunavut) avaient été ajoutés au territoire gouverné à partir d'Ottawa. Les édifices qui, selon certains, seraient plus grands que nécessaire pendant 200 ans avaient moins de 20 ans et ils étaient trop petits!

Les employés de bureau étaient entassés dans les greniers mal aérés et sans fenêtres des édifices de l'Est et de l'Ouest. Pour améliorer la situation, on a créé des lucarnes dans les toits des deux immeubles, mais ce n'était qu'une solution provisoire.

Les besoins en bureaux grandissaient avec le territoire. Le nombre de députés qui arrivaient à Ottawa augmentait et il fallait de plus gros ministères pour répondre aux besoins d'une population croissante. Avant même que la bibliothèque et l'aménagement du terrain soient achevés, on a agrandi l'édifice de l'Ouest.

Lorsque les ministères des Postes, de l'Agriculture et des Affaires indiennes et le Bureau des brevets ont eu besoin de plus de place, le ministère des Travaux publics a envisagé d'agrandir encore l'édifice de l'Ouest. Le Parlement a décidé plutôt de construire un immeuble de bureaux moderne en face de la Colline du Parlement, de l'autre côté de la rue, au lieu de risquer de ruiner le vieil édifice et de dépenser trop d'argent. Cela a réglé le problème, mais pas pour longtemps.

Les hommes d'affaires de la région se sont vite rendu compte qu'ils pouvaient tirer profit du manque de locaux à bureaux et ont érigé de nombreux immeubles en ville. Graduellement, un nombre de plus en plus grand de ministères ont loué des bureaux à l'extérieur de la Colline du Parlement.

Une oeuvre d'art à l'entrée principale, sur la rue Wellington.

Enfin, il n'y avait plus de clôtures de construction, d'échafaudages ni d'ouvriers sur la Colline du Parlement. Le jeune pays, qui n'avait pas encore dix ans, était maintenant doté d'un siège du gouvernement capable de rivaliser en beauté et en magnificence avec n'importe quel autre au monde.

Vue aérienne d'Ottawa, 1876

Ce groupe d'édifices est l'un des plus beaux exemples d'architecture néo-gothique de l'Empire. Ils sont disposés autour d'un parterre de gazon géométrique et l'immeuble central est légèrement plus élevé que les deux autres. La grande tour Victoria de l'édifice du Centre attire les regards et domine le site. Bien que les édifices de l'Est et de l'Ouest ne soient pas identiques, ils sont bien équilibrés, conformément à la tradition gothique. La façade principale des édifices est majestueuse et imposante, ce qui crée une impression de solennité et d'ordre.

L'édifice de l'Ouest, 1883  L'ancien édifice du Centre

L'arrière des édifices a une allure bien différente. Les architectes se sont inspirés du contour du bord de l'escarpement pour dessiner les murs qui, avec leurs parties saillantes et en retrait, ont presque l'air de faire partie de la falaise. Les sections très diverses des bâtiments, empilées comme des blocs, créent un intéressant contraste de lumière et d'ombre et recèlent des surprises finement sculptées, cachées comme des animaux forestiers parmi les roches. La silhouette des immeubles, vus de l'arrière ou du bas de la falaise, semble prolonger la pente dans le ciel jusqu'à ce qu'elle se ramifie en tours et en faîteaux, pour enfin disparaître dans une étincelante dentelle de fer doré.

L'édifice de l'Ouest, 1890  La bibliothèque du Parlement

Tous les édifices ont été construits avec les trois mêmes couleurs de pierres, travaillées de manière à créer de magnifiques détails tels que des moulures sculptées, du feuillage, des plantes et des animaux réels et imaginés, ainsi que les emblèmes des pionniers français, anglais, irlandais et écossais qui formaient, à l'époque, les groupes les plus importants de la population. De tous les coins et recoins, des petites figures observent ce qui se passe plus bas. Il paraît que les visages de certaines de ces figures sont ceux d'ouvriers, de politiciens, des architectes et d'autres personnes.

L'ancien édifice du CentreLes motifs de pierre colorés donnent aux surfaces un aspect animé. Cet effet est renforcé par les groupes divers de fenêtres en ogive de formes et de tailles variées, les tours, les tourelles, les faîteaux et les marmousets. Le toit original est en ardoise grise avec des motifs verts. Sur le pourtour des toits se dresse une crête de fer à motifs compliqués, peinte en bleu porcelaine et aux pointes dorées. Durant une belle journée d'été, l'effet produit est magique.

Il était si important de fournir un cadre convenable aux nouveaux immeubles que le gouverneur général, lord Dufferin, s'en est mêlé. Il a proposé que l'architecte en chef, Thomas Scott, se rende à New York pour voir Central Park. Les parcs urbains commençaient à faire fureur. Ils permettaient aux employés de bureau et aux travailleurs d'usine stressés et aux enfants vivant en appartement de découvrir la nature et de se soustraire provisoirement au rythme trépidant de la vie urbaine. Central Park, conçu par l'architecte-paysagiste Frederick Law Olmsted, était l'un des meilleurs parcs dans ce temps-là et il l'est encore de nos jours. Thomas Scott a visité ce parc avec Calvert Vaux, le partenaire de Frederick Olmsted, qui a aussi établi le plan des terrasses, des allées et d'une fontaine pour la pelouse de la Colline du Parlement.

Colline du Parlement

Lorsque Thomas Scott est rentré à Ottawa, il s'est mis à aménager le terrain en se servant de ce qu'il avait appris à New York. On a construit les murs de terrasse conçus par Calvert Vaux pour renforcer la présence de l'édifice du Centre en créant une base élégante et des voies d'accès arrondies. De chaque côté de la terrasse supérieure, on a installé une énorme base pour drapeau et un escalier, qui se trouvaient à encadrer l'immeuble principal. Le seul problème dans le plan établi par Calvert Vaux était la fontaine, au pied de l'escalier central. Thomas Fuller s'est plaint que cette fontaine détournait l'attention des gens et a déclaré qu'il fallait l'enlever. Lorsqu'il est devenu architecte en chef, durant les années 1880, un de ses premiers projets a été l'enlèvement de la fontaine.

Thomas Scott avait appris qu'un parc bien conçu devait faire vivre des expériences très diverses. La pelouse dessinée par Calvert Vaux était classique et structurée. Derrière les édifices, Scott a aménagé une aire plus favorable à la détente, où l'on pouvait flâner, admirer la vue et regarder les massifs de fleurs exotiques créés par d'excellents jardiniers. Dans ces aires de détente, il y avait des bancs, un joli pavillon d'été et des statues commémoratives d'hommes d'état canadiens. C'était la Nature, domptée et améliorée par l'Homme.

S'il voulait la Nature sauvage, le public pouvait suivre une piste tracée dans l'escarpement, le long d'un vieux sentier de flotteurs. Cette piste créée durant les années 1860 avait toujours été populaire. Elle complétait à la perfection le parc de Thomas Scott. Celui-ci a construit des escaliers menant à cette piste à partir des aires de détente, ainsi que des plates-formes d'observation, des toilettes et des fontaines à boire pour le confort du public. La Promenade des amoureux, comme on l'appelait, permettait de s'évader des rues de la ville et de trouver refuge dans la fraîcheur de l'ombre. « On ne pouvait pas souhaiter de plus charmante promenade pour un homme ou une jeune fille, un amoureux ou un misanthrope … coupé de la vie urbaine et entouré d'arbres. »

Expansion du Canada au XXe siècle

En 1905, l'Alberta et la Saskatchewan sont devenues les 8e et 9e provinces, ce qui a déclenché encore un autre vague de construction sur la Colline. Entre 1906 et 1914, les trois édifices ont été agrandis.

Le besoin croissant de locaux à bureaux a été intensifié par l'adhésion des nouvelles provinces à la Confédération, mais il n'avait jamais réellement cessé de se faire sentir. Tandis que notre pays grandissait, les Canadiens commençaient aussi à être conscients et fiers de leur histoire, de leur culture et de leurs réalisations. Durant les années 1900 à 1913, la Monnaie royale canadienne, les Archives publiques et le Musée national ont tous emménagé dans de nouveaux immeubles. La Colline du Parlement était encore le principal siège du gouvernement, mais ces immeubles et d'autres encore, tous conçus dans un style distinctif, avaient commencé à transformer le caractère d'Ottawa. L'influence de la Colline du Parlement était en train de se répandre au-delà de ses limites.