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Mai / Juin
2001
Vol. 33, no 3

Les Relations des Jésuites à la Bibliothèque nationale du Canada

Michel Brisebois, conservateur des livres rares
Services de recherche et d’information

Jean de Brébeuf
Jean de Brébeuf, l’un des auteurs des Relations des jésuites.

En même temps que je recevais les commentaires encourageants suite à l’acquisition récente par la Bibliothèque nationale du Canada (BNC) d’éditions originales de Relations des jésuites, je m’apercevais que ces fameuses Relations sont en fait peu connues du grand public et même de plusieurs bibliothécaires. Joyce Banks, à l’époque conservateur des livres rares de la BNC, avait rédigé en 1986 et en 1991 pour les Nouvelles de la Bibliothèque nationale deux excellents articles de fonds sur les Relations1. Profitant de l’intérêt qu’a suscité notre achat récent, j’ai pensé continuer la discussion en reprenant, d’une façon beaucoup plus superficielle que J. Banks, l’historique de ces publications et de résumer leur importance, et de dire un mot de leur impression et de leur distribution. La seconde partie de l’article sera consacrée à l’intérêt qu’a suscité les Relations, à l’évolution du marché et à la collection impressionnante des Relations à la BNC.

La période de l’histoire de la Nouvelle-France qui nous intéresse plus particulièrement, celle qui fut couverte d’une façon à peu près annuelle par les Relations, s’étend de 1632 à 1672. Les jésuites avaient été présents en Acadie au début du XVIIe siècle puis en Nouvelle-France avant l’attaque des frères Kirke sur Québec. Ce n’est qu’après le traité de St-Germain-en-Laye de 1632, qui redonnait l’Acadie et le Canada à la France, que les jésuites purent se rendre de nouveau en Nouvelle-France pour y continuer leur apostolat auprès des Amérindiens. Il ne s’agit pas ici de reconstituer l’histoire des missions mais de résumer le rôle de ces publications et les buts qu’elles voulaient atteindre. Les Relations des jésuites étaient en fait des rapports annuels du supérieur des missions du Canada au procureur des jésuites à Paris. La plupart des Relations ont un « auteur », le supérieur des missions, mais en fait cet auteur était surtout un éditeur. Chaque missionnaire responsable d’une région, comme la mission des Hurons, devait remettre un rapport d’activités au supérieur. Celui-ci rassemblait alors ces textes, les résumait ou citait même certains d’entre eux en entier. Cette rédaction se faisait au mois d’août et contenait des renseignements sur toute l’année. En septembre, le manuscrit était alors placé sur un navire en partance pour la France. Le procureur faisait alors imprimer le texte en ayant auparavant fait les révisions ou autres modifications qui s’imposaient. Bien entendu, chaque supérieur ou procureur contribuait avec plus ou moins d’assiduité au texte de ces Relations. Les noms les plus souvent rencontrés comme « auteurs » sont les supérieurs suivants : Paul Le Jeune (1633-1639), Barthélemy Vimont (1639-1645), Jérôme Lalemant (1645-1650 puis encore de 1659 à 1665), Paul Ragueneau (1650-1653), Joseph Le Mercier (1653-1656 puis de 1665 à 1670), Jean de Quen (1656-1659) et finalement Claude Dablon (1670-1673). De ceux-ci, le père Le Jeune fut probablement le plus important, ayant rédigé lui-même 15 Relations et contribué à toutes ces publications jusqu’en 1662. Il fut non seulement supérieur à Québec mais aussi procureur en France. Le Père Lalemant, oncle du martyr Gabriel Lalemant, exerça une grande influence sur plusieurs des missionnaires auteurs de textes. Le Père Le Mercier fut également un prolifique écrivain.

À l’origine, ces rapports étaient rédigés par des jésuites pour des jésuites. Alors pourquoi les rendre public ? En bref, les Relations constituaient une propagande à la fois politique et missionnaire. Les aventures et les privations subies par les missionnaires ainsi que leurs succès, bien que mitigés, auprès des Amérindiens leur valurent une abondante publicité auprès des autorités religieuses et de la noblesse. Il faut se rappeler que chaque mission était responsable des ressources financières nécessaires au maintien des activités dans sa mission. Les Relations contribuèrent à convaincre la noblesse pieuse et la bourgeoisie riche de contribuer à cet effort par des dons en argent ou en biens. Le pouvoir colonial voyait aussi un grand intérêt dans ces récits qui savaient allumer chez les colons et les marchands la fièvre de la colonisation, montrant à tous les succès des Français comme colonisateurs de l’Amérique. Les jésuites en profitaient également en encourageant les vocations chez les jeunes Français et Françaises. Ils furent responsables entre autres choses de la venue en Nouvelle-France de religieuses cloîtrées. Il n’est pas surprenant que ce genre de récits fut très populaire parmi les lecteurs de toutes les couches de la société et ceci pour plusieurs raisons. En général les Relations sont rédigées dans un style clair et simple et donc accessible à plusieurs types de lecteurs, du noble au marchand ou paysan. Lecteur intéressé ou simplement curieux, nul ne pouvait résister au récit de missionnaires français faisant face aux plus grands dangers chez des peuples dont les mœurs et coutumes leur étaient complètement étrangères et qui, de plus, racontaient le tout avec une simplicité désarmante. C’était aussi l’époque où récits de voyages authentiques côtoyaient les voyages imaginaires et où les romans historiques avaient les mêmes lecteurs que les pseudo-mémoires. La distinction entre ces divers genres est plutôt une invention des critiques du XIXe siècle, car les lecteurs de l’époque ne se souciaient que du récit.

Livre
Relation de 1668 et 1669 de François Le Mercier.

Les exemplaires des Relations sont rares aujourd’hui mais leur popularité et un grand nombre de variantes dans les tirages ont porté la plupart des historiens à affirmer qu’elles bénéficièrent d’un tirage très important. Je pense toutefois qu’on a exagéré l’importance des variantes qui ne sont en fait, pour la plupart, que des accidents typographiques en cours d’impression, résultat d’un travail rapide et peu soigné. On a probablement fait un ou deux tirages de chacune des éditions mais je doute que le tirage total dépassait quelques milliers d’exemplaires. Il faut se rappeler que les tirages de cet époque étaient loin d’atteindre les chiffres astronomiques de ceux d’aujourd’hui. Populaires, importants, rares, oui certainement, mais de beaux livres, pas vraiment. Ayant la même apparence que les livres de piété et les romans à bon marché, ces petits livres, bien que publiés par le grand imprimeur Sébastien Cramoisy, sont, comme les autres publications du genre, assez mal imprimés, remplis de coquilles et de fautes de pagination. Il n’y a aucune illustration et une seule Relation contient une carte. Si l’on ne compte que celles publiées d’abord en France au XVIIe siècle, 41 Relations différentes virent le jour (celle du Père Bressani fut publiée en Italie), et si on compte les différentes éditions  -  non les variantes mais les véritables éditions  -  le total augmente à 53. Toutes les Relations, sauf une, furent publiées par Sébastien Cramoisy, d’abord seul et plus tard en collaboration avec son frère et son petit-fils. Cramoisy était imprimeur du Roi, libraire et ami de Richelieu, très près des jésuites et de la colonisation de la Nouvelle-France. Il fut l’imprimeur habituel des ouvrages rédigés par les jésuites. Aujourd’hui les textes de ces pères jésuites constituent la source imprimée la plus importante pour l’étude de cette tranche du XVIIe siècle en Nouvelle-France. Ces missionnaires, hommes lettrés et intelligents, étaient non seulement prêtres mais aussi de fins observateurs, de précieux chroniqueurs, d’habiles négotiateurs ainsi que de braves explorateurs. On y retrouve donc des témoignages de première main d’événements historiques, comme la fondation de Montréal, des descriptions simples et émouvantes du paysage, de la géographie, et, combien utiles aujourd’hui, des mœurs et coutumes ainsi que de la langue des autochtones. Puisqu’elles étaient si populaires et si utiles, pourquoi donc leur publication a-t-elle pris fin en 1673 ? Sans entrer dans les détails, il semble que la cause principale fut l’interdiction par Rome de la publication des comptes rendus d’activités missionnaires sans son autorisation. En France gallicane, un livre portant cette autorisation n’aurait pas été publié. Aujourd’hui certains historiens du livre signalent que les jésuites ne se plièrent pas tout de suite à cette interdiction et qu’une autre raison, purement commerciale celle-là, s’ajoutait à la polémique religieuse. À l’époque de la dernière Relation de la Nouvelle-France, l’intérêt des lecteurs pour l’Amérique avait beaucoup diminué et avait été remplacé par une curiosité de plus en plus soutenue pour l’Orient.

Bien que les Relations ont toujours eu leurs amateurs, il semble que ce ne soit qu’au milieu du 19e siècle que leur popularité commença à grandir au Canada. Dans sa communication à la New York Historical Society en 1847, l’ancien patriote E.B. O’Callaghan fait un bref mais très utile résumé de chaque Relation et présente même, avec l’aide de son ami Jacques Viger, un tableau montrant le nombre d’exemplaires des Relations dans les plus grandes collections américaines et canadiennes2. Cet intérêt donna lieu à la réimpression à Québec en 1858 des Relations du XVIIe siècle quelques années après que la collection de l’Assemblée législative du Québec fut détruite dans un incendie3. La magnifique publication de Reuben Gold Thwaites contenant le texte français et une traduction anglaise ainsi que plusieurs textes retrouvés depuis consacra les Relations comme des ouvrages d’une importance capitale4. Comme la plupart des grandes collections publiques furent formées par le legs de collections privées, quel intérêt suscita les Relations chez les bibliophiles de l’époque ? Il faut d’abord dire que, bien que publiés en France, ces petits livres modestes et dénués de gravures n’intéressèrent que très peu les collectionneurs français amateurs de beaux livres illustrés, de somptueuses reliures et de belle typographie. En fait ce fut un mal pour un bien. Les reliures de vélin, d’aspect artisanal, qui ornaient les volumes originaux et que l’on retrouve encore très souvent intactes, n’auraient pas fait long feu devant le goût des amateurs français du XIXe siècle pour le maroquin moderne. Les Relations furent, et sont encore, collectionnées surtout par les bibliophiles américains et canadiens. Les missionnaires de l’époque n’avaient pas à contingenter avec les frontières de nos voisins du sud et leurs nombreux périples dans les régions qui font aujourd’hui partie des États-Unis intéressèrent les collectionneurs de documents américains. De plus, les textes portant sur les mœurs des autochtones moussèrent encore plus cet intérêt chez les historiens américains des Premières Nations. Dès le recensement de O’Callaghan, les noms de John Carter Brown, A. Gallatin, O.H. Marshall, Henry C. Murphy aux États-Unis ainsi que John Fraser, F. Griffin et le Père Plante au Canada figurent au palmarès. Plus tard, tous les grands bibliophiles de documents américains et canadiens, comme John Lenox et S.L.M. Barlow inclurent les Relations dans leurs collections. Les prix grimpèrent rapidement. Philéas Gagnon dans son Essai de bibliographie canadienne les déclare très rares et souligne qu’elles se vendent entre 50 $ et 200 $.

Le grand libraire britannique Henry Stevens dans son Rare Americana : A Catalogue, publié à Londres vers 1925, décrit 14 Relations avec des prix variant entre 35 £ et 55 £. Le bibliophile montréalais Victor Morin avait décidé de vendre une partie de ses livres les plus rares à New York en 1931 mais en pleine crise économique l’affaire s’avéra financièrement désastreuse. Même dans un tel climat économique instable, il réussit à vendre 11 Relations des jésuites dont certaines pour près de 300 $. C’est à cette époque que le plus important bibliographe des Relations se mit à examiner des centaines d’exemplaires et à en déceler les moindres variantes. Sa bibliographie, publiée après sa mort, est encore l’ouvrage de référence de base pour ces publications5. L’autre bibliographie la plus utilisée est celle de la collection de James F. Bell6. Plusieurs des grandes collections privées de Relations se retrouvèrent dans les bibliothèques canadiennes : la collection Philéas Gagnon et celle de Witton à la Bibliothèque municipale de Montréal, celle de Lawrence Lande à l’Université McGill, la collection Javitch à l’Université de l’Alberta, etc. Toutes les grandes bibliothèques possèdent une bonne collection de Relations y compris la Bibliothèque du Parlement, la Bibliothèque nationale du Québec, la Metropolitan Toronto Library, etc. La collection la plus complète est celle du Séminaire de Québec qui possède toutes les Relations sauf la première (dont aucun exemplaire se trouve au Canada). La seule collection complète est celle de la John Carter Brown Library à Providence au Rhode-Island. Après la grande vente Streeter à la fin des années 60, le marché des Relations sembla se stabiliser et les prix ne commencèrent à grimper graduellement qu’à la fin des années 80 pour se stabiliser de nouveau jusqu’à la vente Siebert dont nous parlerons plus tard. Les dix dernières années sont une période charnière qui vit la disparition de grands collectionneurs et l’émergence d’une nouvelle génération de bibliophiles plus jeunes, très enthousiastes et également très riches. Les bibliothèques ont de plus en plus de difficulté à rivaliser avec ces acheteurs internationaux dont les ressources financières semblent illimitées et l’appétit insatiable. Les nouveaux collectionneurs n’ont pas la patience de leurs prédécesseurs. Ils veulent tout tout de suite et à n’importe quel prix.

Livre
Relation de 1668 et 1669 de François Le Mercier.

La Bibliothèque nationale du Canada possède une collection enviable avec 35 des 41 Relations (la BNC a deux exemplaires de celle de Bressani) et 38 des 53 éditions. Si l’on ajoute les différentes variantes, le total augmente à 48 exemplaires auxquels il faut ajouter 12 doubles. Depuis un an, la BNC a fait l’acquisition de six nouvelles Relations, deux achetées d’un libraire canadien et quatre en vente publique. Une de celles acquises d’un libraire, la très rare troisième Relation de Paul Le Jeune publiée en 1635, fut achetée grâce à la générosité des Amis de la Bibliothèque nationale du Canada. L’acquisition faite en vente publique a une petite histoire. En mai 1999, Sotheby’s New York organisait une importante vente aux enchères de documents américains et canadiens. C’était la collection de Frank T. Siebert, collectionneur depuis 50 ans de livres sur la culture et les langues amérindiennes. Des 25 Relations présentées dans cette vente, quatre ne se trouvaient pas représentées à la BNC. Malheureusement, une forte compétition ne nous permit pas de les acquérir. Toutes ces Relations furent adjugées à Joseph A. Freilich, un autre collectionneur américain. En janvier de cette année, M. Freilich mit à son tour en vente sa collection de livres scientifiques dans laquelle étaient enfouies les 25 Relations des jésuites. Cette fois-ci la chance nous sourit et la BNC réussit à acheter les quatre Relations qui furent ajoutées à la Collection des livres rares.

Quand on examine les 60 exemplaires des Relations de la collection de la BNC, on se rend compte que plusieurs proviennent des mêmes collections privées. L’achat de la bibliothèque Daviault permit d’ajouter 14 exemplaires. Six exemplaires proviennent de la bibliothèque de l’éminent bibliophile montréalais Lawrence Lande. Deux exemplaires portent l’ex-libris de l’historien américain George Bancroft. Ces derniers proviennent probablement de la bibliothèque de Victor Morin qui possédait plusieurs exemplaires de la bibliothèque de Bancroft. Neuf exemplaires ont une provenance très précieuse car ils firent partie tour à tour de la collection du bibliographe James C. McCoy et de celle de James F. Bell (voir plus haut). Mais les deux exemplaires dont la provenance est la plus extraordinaire sont ceux qui, d’après les notes manuscrites de l’époque sur les titres, firent partie de la bibliothèque du Collège des Jésuites à Québec : la 31e Relation (pour les années 1661/1662 par le Père Lalemant) et la 37e (pour les années 1667-1668 par le Père Le Mercier). Cette bibliothèque, la première au Canada, fut fondée en 1632 par les missionnaires jésuites et fut dispersée à la fin du XVIIIe siècle. Plusieurs volumes furent remis à des institutions religieuses, d’autres furent vendus à des particuliers. D’après la reconstitution partielle de la bibliothèque du Collège par Antonio Drolet, il y aurait 13 autres Relations avec la même provenance qui sont maintenant dans les bibliothèques d’institutions religieuses7. Il est très émouvant de tenir entre ses mains ces petits livres qui virent le jour en Nouvelle-France, furent imprimés à Paris et revinrent en Nouvelle-France, vers la fin du XVIIe ou au début du XVIIIe siècle, servir de lecture à plusieurs générations de jésuites et de leurs étudiants.

Il est bon de souligner en terminant que, même si les Relations qui manquent à notre collection seront difficiles à trouver, la BNC espère pouvoir éventuellement ajouter à ce trésor national.

__________
Notes

1 Joyce Banks. «Ad majorem Dei gloriam : les Relations des jésuites», dans Nouvelles de la Bibliothèque nationale, vol. 18, no 10 (octobre 1986), p. 9-11 ; Joyce Banks. «Les Relations des jésuites à la Division des livres rares de la Bibliothèque nationale du Canada : mise à jour 1990», dans Nouvelles de la Bibliothèque nationale, vol. 23, no 5 (mai 1991), p. 11.

2 E.B. O’Callagnan. Jesuit Relations of discoveries and other occurrences in Canada and the northern and western states of the Union, 1632-1672. New York : Press of the Historical Society, 1847. 22 p.

3 Relations des jésuites : contenant ce qui s’est passé de plus remarquables dans les missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France. Québec : A. Côté, 1858. 3 vol.

4 Reuben Gold Thwaites, éd. The Jesuit relations and allied documents : travels and exploration of the Jesuit missionaries in New France, 1610-1791 : the original French, Latin, and Italian texts, with English translations and notes. Cleveland : Burrows Bros. Co., 1896-1901. 73 vol.

5 James C. McCoy. Jesuit relations of Canada, 1632-1673 : a bibliography. Paris : A. Rau, 1937. xv, 310 p.

6 Frank K. Walter et Virginia Doneghy. Jesuit Relations, and other Americana in the Library of James F. Bell : a catalogue. Minneapolis : University of Minnesota Press, 1950. xii, 419 p.

7 Antonio Drolet. «La Bibliothèque du Collège des jésuites», dans Revue d’histoire de l’Amérique française, vol.14, no 4 (mars 1961), p. 487-544.