Sauter les liens de navigation (touche d'accès : Z)
Bibliothèque nationale du Canada
Page d'accueil BNC EnglishContactez-nousAideRecherche BNCGouvernement du Canada

Bulletin Article précédentSommaireArticle suivant


Novembre / Décembre
2001
Vol. 33, no 6

SAVOIR FAIRE
Pourquoi étudier la littérature jeunesse ?

Marie-Josée Tolszczuk
Services de recherche et d’information

Josiane Polidori and Françoise Lepage.
Josiane Polidori et Françoise Lepage.

Françoise Lepage, spécialiste en littérature jeunesse et professeure de littérature jeunesse au Département des lettres françaises à l’Université d’Ottawa, était la conférencière invitée du séminaire SAVOIR FAIRE qui a eu lieu le 19 juin dernier à la Bibliothèque nationale du Canada.

Diverses raisons peuvent nous inciter à étudier la littérature pour la jeunesse, soutient Mme Lepage, dont, entre autres, l’envie de découvrir et d’étudier les valeurs et l’évolution sociale d’une collectivité. Mme Lepage a entrepris de démontrer cette thèse à l’aide de la littérature jeunesse québécoise et franco-canadienne.

Notre conférencière a tenu à souligner dès le début l’apport indéniable de la Bibliothèque nationale du Canada et le flair dont cette dernière a fait preuve en 1975, en fondant son Service de recherche en littérature de jeunesse. Elle a insisté sur la richesse exceptionnelle de cette collection et mentionné s’y être abondamment inspirée.

Elle a d’abord décrit l’évolution de la littérature jeunesse en la divisant en trois grandes périodes : de 1920 à 1945, de 1945 à 1970, et celle de 1971 à nos jours. Mme Lepage a tracé les grands traits de l’évolution sociale du Québec et du Canada français en illustrant ses propos d’exemples tirés de la littérature jeunesse.

La littérature des origines : c’est ainsi qu’on nomme la production littéraire de la première période évoquée par Mme Lepage, qui se situe entre 1920 et 1945. Les auteurs de littérature jeunesse de cette époque visaient tout d’abord à transmettre aux jeunes générations leurs valeurs et leurs convictions. L’attachement aux valeurs religieuses et patriotiques a marqué la société québécoise durant ces années. Les auteurs visaient une édification morale et non le divertissement. L’adulte avec ses valeurs constituait un modèle à suivre pour l’enfant et l’adolescent. Cette volonté des auteurs subira malgré tout une mutation profonde durant tout le siècle.

Parmi les publications qui caractérisent cette période, mentionnons celles de Marie-Claire Daveluy avec sa série mettant en vedette Perrine et Charlot ainsi que la publication L’Oiseau bleu créée et diffusée par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. Celles-ci s’adressent à la jeunesse de tous âges avec un souci évident de s’assurer de transmettre les valeurs de base aux jeunes et de leur éviter d’être exposés aux idées nouvelles. Du côté des nationalistes, on peut citer Luc Lacoursière et Marius Barbeau, qui se sont donné comme mission de rassembler et de conserver le patrimoine des contes et chansons populaires. Ils effectuent un véritable travail de défricheurs. Les valeurs collectives et sociales priment toujours. Quant aux valeurs religieuses, elles se retrouvent dans beaucoup de biographies à saveur religieuse telles que celles consacrées à la vie des saints. Ces lectures sont fortement encouragées par le clergé et les établissements d’enseignement.

La période de 1946 à 1970 marque une ouverture sur le monde et la modernité. Les programmes jeunesse des médias (radio et télévision) vont avoir une incidence directe sur la diffusion et la consommation de littérature. Ainsi, les Contes de tante Lucille garderont l’antenne durant 26 ans. Qui de cette génération ne se souvient pas des émissions « Pépinot et Capucine » ou du « Grenier aux images » ? Tout aussi marquante fut l’émission quotidienne « Bobino et Bobinette ». Réginald Boisvert, André Cailloux et Michel Cailloux, les artisans de la première heure à la télévision, amorcent un tournant dans la production jeunesse au Québec. Grâce à eux, on voit poindre l’attrait du divertissement sans toutefois négliger les valeurs sociales.

Le roman pour adolescente, représenté entre autres par Berthe Potvin et Reine Malo, prône toujours par contre des valeurs conservatrices en regard du rôle de la femme dans la société québécoise. Les héroïnes de roman sont pieuses, mères et tendres épouses dévouées à leur famille. Ces auteures dénoncent la femme qui s’aventure sur le marché du travail, les mariages mixtes ou la vie urbaine, soit toute nouvelle façon de faire qui amorce une émancipation de la femme québécoise moderne. Paule Daveluy, avec son roman L’Été enchanté, essaie de donner à son public une image plus moderne de la jeune adolescente québécoise.

Group Photo
De g. à dr. : Ginette Landreville, adjointe à la rédaction, Lurelu; Daniel Sernine, directeur, Lurelu; Françoise Lepage et Josiane Polidori, chef, Service de littérature canadienne pour la jeunesse.

Les valeurs traditionnelles côtoient un vent de renouveau durant cette période et la littérature jeunesse reflète la société en voie de transformation. La Jeunesse étudiante catholique (JEC) publie énormément pour les jeunes, parallèlement à ses activités sociales axées sur le sport, la culture et la vie en plein air. Les rencontres-échanges sont le pain quotidien des activités de la JEC. Cet organisme incite les jeunes à l’engagement social et à l’autoréflexion au lieu de copier les modèles de la génération précédente. Les publications de la JEC reflètent ces valeurs.

C’est également durant cette période que les ouvrages de science-fiction et des héros de bandes dessinées font leur apparition pour contrer l’influence des « comic strip » américains.

Le passage entre les valeurs collectives et le développement de l’individu marquera fortement la troisième période décrite par Mme Lepage. En effet, après un moment de latence en 1969-1970, on note en 1971 un renouveau dans le monde de la littérature jeunesse. Plusieurs maisons d’édition spécialisées en littérature jeunesse sont fondées. Notre conférencière souligne en particulier la maison Le Tamanoir en 1974 ainsi que La courte échelle en 1978. De nouveaux sujets de roman jeunesse apparaissent et ils sont maintenant répartis d’après les types d’âge : premier roman (7 à 8 ans); roman jeunesse (9 à 11ans); roman plus (12 ans et plus). Les préoccupations des jeunes prennent toute la place dans le roman. Le suicide, le divorce, le racisme, la pauvreté et la grossesse deviennent autant de thèmes abordés par les auteurs de littérature jeunesse de cette décennie. Les intrigues durent quelques jours, parfois quelques mois, mais l’action s’étale rarement sur plus d’un an. L’auteur n’impose pas la solution comme avant; le choix de l’auteur reflète probablement ses convictions morales, comme dans Les Grands sapins ne meurent pas de Dominique Demers, mais on offre cependant plus d’une solution au jeune lecteur ainsi qu’un éventail de choix lui permettant de poursuivre sa réflexion. Les modèles parentaux ont disparu. Tout au plus y retrouve-t-on différents types d’adultes. La littérature fantastique et d’horreur s’installe, des livres à préoccupation sociale (l’environnement, la pollution) font leur apparition, par exemple chez l’éditeur Michel Quentin, qui en fait sa principale préoccupation. Ces valeurs de fin de siècle viennent à leur tour côtoyer et interpeller l’individu tourné vers son épanouissement individuel. Mme Lepage précise que la littérature jeunesse se raffine au cours de cette dernière période. Ainsi, les structures des récits sont plus intéressantes, comme on peut le constater à la lecture, entre autres, d’Un été de jade de Charlotte Gingras, ou plus complexe au niveau de l’intrigue.

Tout au long de sa causerie, Mme Lepage nous a étonné avec ses exemples, elle nous a plongé dans des souvenirs de lecture et a suscité le goût de la relecture de notre littérature jeunesse afin de nous permettre de découvrir les éléments qu’elle a fait ressortir. Les échanges joyeux et nostalgiques d’après conférence entre Mme Lepage et le public témoignent de son succès et nous prouvent qu’il est essentiel d’étudier non seulement la littérature jeunesse d’ici mais également celle d’ailleurs.

Sources

Daveluy, Marie-Claire.  -  Perrine et Charlot à Ville-Marie.  -  Montréal : Granger, 1940.  -  192 p.

Daveluy, Paule.  -  L’Été enchanté.  -  Montréal : l’Atelier, [1958].  -  146 p.

Demers, Dominique.  -  Les Grands sapins ne meurent pas.  -  Montréal : Québec/Amérique, 1993. 154 p.

Gingras, Charlotte.  -  Un été de jade.  -  Montréal : La Courte échelle, 1999.  -  155 p.

L’Oiseau bleu : Revue mensuelle illustrée pour la jeunesse.  -  Montréal : Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.  -  1921?-1940.

Potvin, Berthe.  -  Le Calvaire de Monique.  -  Montréal : Fides, 1953.  -  150 p.

Lepage, Françoise.  -  Histoire de la littérature pour la jeunesse : Québec et francophonies du Canada; suivie d’un Dictionnaire des auteurs et illustrateurs.  -  Orléans (Ont.) : Éditions David, 2000.  -  826 p.