Mai/Juin 2003 « Le défilé des écoliers »
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Saviez-vous qu'il était courant, au Canada, à la fin du 19e siècle, d'indiquer le sexe d'un garçon en l'habillant en rose, et celui d'une fille en l'habillant en bleu ? Durant le SAVOIR FAIRE du 10 décembre 2002, Mme Jo-Anne M. McCutcheon a examiné le rôle joué par le vêtement à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle en tant que médiateur des relations entre les parents canadiens et leurs enfants et dans le façonnement de l'identité des enfants. Elle s'est concentrée sur la façon dont, lors de la transition du vêtement fait maison à la fabrication en série, les vêtements prêts-à-porter ont affecté ces relations et ces identités. Sa présentation reposait sur la recherche de sa thèse de doctorat Clothing Children in English Canada, 1871-1930.
Elle a d'abord remercié les organisateurs de SAVOIR FAIRE en déclarant que la plupart des sources principales dans sa recherche de thèse — The Farmer’s Advocate, Dry Goods Review, le Timothy Eaton Catalogue, le Robert Simpson Company Catalogue et le Hudson's Bay Company Catalogue — venaient des collections de la Bibliothèque nationale.
L'exposé avait trois objectifs : fournir un contexte aux questions de recherche au centre de sa thèse; discuter des questions contemporaines reliées à l'habillement des enfants et au façonnement de l'identité sexuelle; et expliquer les résultats de ses recherches sur le sexe et l'habillement des enfants dans les catalogues de Eaton, Simpson et de la Compagnie de la Baie d'Hudson, des années1890 aux années 1920.
« Le défilé des écoliers » : Pendant quatre jours, à l'automne de 1913, la compagnie Timothy Eaton a organisé un spectacle somptueux, présentant l'habillement pour les « nouveaux garçons ». La scène fut montée pour fournir aux garçons de l'espace à la fois pour jouer et pour montrer leur nouveaux vêtements à une salle à manger remplie surtout de mères, mais aussi de frères, sœurs et pères. |
La présentation de Madame McCutcheon était tirée d'un chapitre de sa thèse qui examinait le vêtement, les enfants et la formation de l'identité sexuelle. Le point de départ de sa thèse était constitué de photos de familles montrant des enfants aux cheveux longs portant des tenues du 20e siècle — images qui semblaient incompatibles avec la réalité de la vie quotidienne, particulièrement dans le Canada rural.
Dans une grande variété de sources du 19e siècle et du début du 20e siècle, les garçons peuvent être habillés d'une façon que nous pourrions maintenant associer à celle des filles. À la fin du 19e siècle, il semble être commun d'indiquer le sexe d'un garçon en utilisant la couleur rose, alors que les filles sont identifiées par le bleu. À un certain moment, après la Première Guerre mondiale, il semble s'être produit un changement, et le bleu est devenu de plus en plus populaire pour les petits garçons.
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La question de la couleur nous amène à la question plus large de la façon dont le vêtement était relié à l'identité sexuelle de l'enfant durant les changements rapides de la fin du 19e siècle. L'identité sexuelle est clairement liée aux décisions des adultes. Comme les enfants dépendaient des adultes pour produire et acheter des tissus et des vêtements, leur habillement était associé de près aux attentes des adultes dans le contexte des limites et impératifs sociaux, économiques et culturels du temps. Les preuves ont révélé l'importance du vêtement en tant que médiateur dans les relations et rôles changeants de la famille.
Madame McCutcheon a mis au point une base de données d'environ 1 200 descriptions de vêtements de garçons, filles et enfants trouvées dans des catalogues et des annonces publicitaires des années 1880 aux années 1920. Elle a créé des tableaux analysant par sexe les vêtements d'enfants prêts-à-porter dans les catalogues. Avec ces outils, elle a découvert que tout au long de cette période, les vêtements de garçons constituaient le plus gros pourcentage de vêtements d'enfants prêts-à-porter, dominant les annonces et les descriptions dans les catalogues.
Les vêtements de garçons
À la fin du 19e siècle, les descriptions de costumes d'enfants apparaissaient dans des catalogues de vente par correspondance. Dans des images du début du 20e siècle, de très jeunes garçons apparurent parfois portant ces vêtements. À l'ère du « haut-de-chausses » à la fin du 19e et au début du 20e siècle, quand les garçons passaient du monde féminin des combinaisons au monde masculin des pantalons, les pantalons étaient presque toujours courts et stylisés comme des culottes bouffantes, des pantalons aux genoux, des culottes de golf ou des hauts-de-chausse. À la fin du 19e siècle, le haut-de-chausse était un rite de passage entre les mères et les fils, alors que dans les années 1920, les catalogues représentaient les garçons comme étant ceux qui décidaient quand ils commenceraient à porter des pantalons longs.
Dans les années 1890, les catalogues annonçaient des culottes bouffantes pour les garçons. Vers les années 1920, toutefois, 11 pour cent des habits de garçons incluaient des pantalons longs, disponibles pour des garçons aussi jeunes que trois ans.
Du fait maison au prêt-à-porter
Dans le cadre de la transition des vêtements faits maison aux prêts-à-porter, la diversité des vêtements augmenta. Dans le cadre de sa recherche, Mme McCutcheon a attribué un type et un style à chaque vêtement, le sexe déterminant qui portait quel style de vêtement.
L'étude et l'analyse de catalogues de compagnies de 1890 à 1929 a fourni des preuves de la perception changeante des besoins et priorités des acheteurs. Les détaillants ont essayé de servir de médiateurs entre les désirs des mères et les priorités des enfants. Alors que le vêtement attirait les garçons qui voulaient jouer en tout confort, les annonces disaient aux femmes que c'était beaucoup moins compliqué et beaucoup plus économique d'acheter le vêtement d'enfant prêt-à-porter que de coudre des vêtements, tels que des barboteuses. Madame McCutcheon a expliqué que c'est pour cela que les parents ont alors commencé à faire photographier leurs enfants en barboteuses plutôt que dans le style plus formel du genre Petit Lord Fauntleroy.
Dans les années 1920, les catalogues annonçaient pantalons et chemises séparément. De cette façon, les familles avaient plus de choix, et les vêtements cousus maison, tels les chemises ou les simples pantalons, étaient de plus en plus disponibles en prêts-à-porter.
Vêtements pour filles
Tout au long de cette période, il y avait moins de diversité dans le vêtement conçu spécifiquement pour les filles que pour les garçons. Les robes représentaient 100 pour cent des vêtements prêts-à-porter pour les filles jusqu'en 1909. Dans la décennie suivante, deux tendances sont apparues : la première est le nombre croissant de vêtements prêts-à-porter pour les filles; la seconde est la disponibilité des vêtements faciles à faire à la maison, comme les jupes et les blouses. C'est seulement dans les années 1920 que la diversité des types de vêtements prêts-à-porter augmenta. Le nombre de vêtements pour filles prêts-à-porter annoncés dans les catalogues se multiplia par onze entre les années 1890 et les années 1920.
Dans les années 1920, un style de couvre-tout/salopettes pour filles est apparu dans les catalogues de vente par correspondance, différents des salopettes pour garçons de nombreuses façons. Premièrement, ils étaient appelés couvre-tout; deuxièmement, ils étaient décorés au passepoil et avec des accessoires utilisés pour symboliser la féminité; et enfin, ils n’étaient pas disponibles pour les filles âgées de plus de six ou huit ans. Alors que le denim était le tissu prédominant pour les garçons, les salopettes ou couvre-tout pour les petits enfants et les filles étaient faits de treillis ou de satin.
Les culottes bouffantes, souvent associées aux garçons au tournant du siècle, prirent un sens différent pour les filles dans les années 1920. Les culottes bouffantes furent raccourcies et des élastiques leur furent ajoutés, et elles furent portées sous les robes de telle sorte que la longueur de la robe d'une très jeune fille pouvait aussi être raccourcie. Selon les descriptions des catalogues, ces culottes bouffantes ou robes-culottes permettaient aux jeunes filles de s'amuser, tout en gardant leur apparence féminine. Un autre style de vêtement à l’intention des filles était l'ensemble garçon manqué, qui, avec les blouses et les jupes, créa une demande et attira les filles « actives ». Les catalogues firent la publicité de ces vêtements pour les filles de 6 à 14 ans seulement.
Le langage de la publicité
Pour analyser le langage publicitaire des catalogues de vente par correspondance de 1890 à 1929, Mme McCutcheon a conçu un tableau de la liste des mots-clés décrivant les vêtements prêts-à-porter des garçons, des filles et des enfants.
Dans les premiers catalogues publiés par la Compagnie T. Eaton, un simple texte clairsemé décrivait les articles disponibles. Avec le temps, les catalogues ont fourni des descriptions de plus en plus précises des vêtements prêts-à-porter, incluant des détails sur la confection des vêtements et leur fonction. L'information sur la texture, le poids et la durabilité du matériel était très importante, parce que les consommateurs se fiaient à ces descriptions au lieu d'en vérifier la qualité en personne au magasin. Cette information aida à convaincre les clients de la valeur du vêtement prêt-à-porter. Elle révéla également la nature sexuée des vêtements d'enfants prêts-à-porter grâce, par exemple, à l'usage de détails décoratifs tels que la garniture de perles, le galon, la broderie, la dentelle, les manchettes en dentelle ou le volant.
Au début du 20e siècle, les différences sexuelles entre les vêtements des garçons et ceux des filles demeurèrent. Des complets-veston pour les garçons furent créés avec des épaulettes « coussinées », et des fermetures éclair furent ajoutées aux pantalons. L'ajout de la fermeture éclair aux pantalons des garçons semble avoir été fondé sur l'âge, ajoutant une autre étape au rituel de passage de l'adolescence à l'âge adulte en rapport avec le vêtement.
En plus de fournir aux clients des renseignements sur la confection des vêtements, les catalogues décrivaient aussi la qualité de la couture et de la fabrication. Par exemple, dans les années 1920, ils ont présenté des vêtements prêts-à-porter comme étant cousus main, ou ayant l'apparence du tricot fait main. Ces descriptions ont mis en relief la manière dont les vêtements prêts-à-porter allégeaient le fardeau des mères à l'égard de la couture maison. C'était très important pour le consommateur — les mères — de retrouver la qualité et l'apparence du fait maison. Il semble qu'il y ait eu un nouveau marché pour les vêtements cousus main, tricotés à la main ou brodés.
La provenance du tissu — canadienne, américaine, anglaise, italienne, importée, etc. — était clairement considérée comme une information importante pour les clients. Les compagnies mentionnaient parfois une ville d'origine, comme New York ou Paris, pour appuyer la perception de qualité, telle que le style et la valeur du tissu.
Le vocabulaire étendu utilisé dans les catalogues était conçu pour convaincre les clients d'acheter des vêtements prêts-à-porter. Les mots clés utilisés pour dire pourquoi un vêtement devrait être acheté révèlent plusieurs façonnements de l'identité sexuelle et de l'enfance. Il y avait du sens et de la valeur dans le fait que les vêtements des garçons apparaissaient « virils », « richards », « chics » ou « élégants » dans les catalogues d'achat par correspondance. Les vêtements des filles étaient exclusivement « délicats », voire « féminins ». Ces descriptions de catalogues mettaient l'accent sur la différence entre les vêtements de filles et ceux des garçons, et l'intérêt de chacun.
Dans les années 1920, les descriptions des vêtements prêts-à-porter débordèrent non seulement de messages sur le sexe et l'âge, mais aussi sur l'économie. Il était important de transmettre de l'information sur l'économie du vêtement prêt-à-porter, et leur valeur fut donc notée. Les mots clés utilisés constamment pour refléter la valeur furent le prix « modéré », « bas », « raisonnable » et « économique ». Le fait de prétendre que les vêtements étaient « populaires » a donné l'impression qu'il y avait une demande pour ces styles. Les vêtements prêts-à-porter pour les enfants étaient « splendides » et « plaisants», et une garantie de totale « satisfaction » suggérait aux clients qu'ils ne regretteraient pas leurs achats.
En conclusion
La présentation intéressante de Madame McCutcheon a permis d’améliorer notre compréhension des traits culturels inhérents à la transition du vêtement fait maison aux vêtements prêts-à-porter. Durant les premières années du 20e siècle, habiller les enfants est devenu un processus bien plus complexe qu'auparavant. Les catalogues d'achat par correspondance indiquent clairement que la garde-robe des enfants s’est de plus en plus diversifiée, surtout à l'égard des options sexuelles. Les catalogues de cette période ont joué un rôle significatif dans le façonnement de l'identité sexuelle des enfants de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle au Canada.
Jo-Anne M. McCutcheon a récemment obtenu son doctorat en histoire de l'Université d'Ottawa. Elle est actuellement à mettre sur pied sa compagnie de recherche, Humanities Research and Associates, qui se spécialise dans la recherche archivistique et son orientation.
Les personnes intéressées à assister à une présentation de SAVOIR FAIRE ou à toute autre activité de la gamme étendue de programmes publics qui se tiennent à la Bibliothèque et aux Archives du Canada peuvent consulter notre brochure des Programmes publics en direct à www.nlc-bnc.ca/calendrier.