Mai/Juin 2003 SAVOIR FAIRE
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Simone Nelles a présenté le 21 janvier 2003 le séminaire SAVOIR FAIRE, « Encore d’actualité, contenus mais intenses : Les œuvres et les mondes d’Ethel Wilson dans la littérature canadienne du début du vingtième siècle ». Récipiendaire d'une licence et d'une maîtrise de la Johannes Gutenberg-Universität de Mayence, Allemagne, et d'une bourse de recherche de troisième cycle du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, Simone Nelles poursuit sa recherche doctorale interdisciplinaire à l'Université Carleton, se concentrant sur les ouvrages de fiction de Lucy Maud Montgomery, Hugh MacLennan et Ethel Wilson.
Un aspect fondamental des œuvres de fiction d'Ethel Wilson est son exploration approfondie et intelligente des défis et complexités des relations humaines. Mme Nelles a fait remarquer que Wilson était particulièrement intéressée à la façon dont les individus se perçoivent eux-mêmes et perçoivent les autres et comment ils abordent l'amour, la perte et l'isolation. Avec sa sensibilité intuitive, Ethel Wilson a décrit les subtilités et difficultés des relations individuelles ainsi que les éléments de lumière et de ténèbres de l'environnement naturel de ses personnages.
Ethel Wilson est née le 20 janvier 1888 en Afrique du Sud. Après la mort de sa mère en 1889, son père, un ministre méthodiste, l'a amenée en Angleterre où elle a vécu ses premières années. Son père est mort en 1897, et elle a alors déménagé à Vancouver pour demeurer avec sa grand-mère, retournant plus tard en Angleterre pour y faire son école secondaire. Après avoir obtenu un certificat d'enseignement, elle a enseigné à l'école élémentaire pendant 14 ans avant d'épouser un médecin de Vancouver, le docteur Wallace Wilson, en 1921. Elle a entrepris sa période littéraire assez tard dans la vie; elle avait presque 60 ans lors de la parution de son premier roman, Hetty Dorval.
Pour illustrer le style et l'approche thématique d'Ethel Wilson, Mme Nelles a cité des extraits d'un certain nombre de romans, de courts romans, de nouvelles et de lettres. Ces extraits traduisent une notion de son usage original et efficace de la langue et de caractérisations délicates de ses personnages; ils illustrent la vision toute en finesse de Wilson.
« Maggie s'assit là, dans le noir, et éleva son cœur dans la désolation et la prière. Le vent d'ouest soufflait dans le courant de la rivière; le vent, la rivière et le son tranquille du clapotement de la rivière, le soupir des pins enveloppés de tranquillité et les étoiles dans l'arc de ciel nocturne entre les montagnes, l'odeur des pins, les rochers antiques en-dessous et au-dessus d'elle; la terre faite de pin, une langueur physique, sa solitude, son esprit troublé et une élévation de son esprit vers Dieu par la rivière lui remplit les yeux de larmes. Je suis en marge de la vie, pensa-t-elle, et elle se souvint que deux fois, auparavant, dans sa propre existence, elle s'était vue mise en marge d'un monde puissant et proche »1. [traduction]
Madame Nelles a décrit un certain nombre de thèmes qui se retrouvent dans les œuvres de Wilson. Un thème récurrent est celui de l'engagement simultané de l'individu envers la vie et sa responsabilité envers la collectivité. Les écrits de John Donne ont eu un effet intense sur Ethel Wilson et ses paroles « Aucun homme n'est une île, entier par lui-même… » influencent ses œuvres de fiction. Son exploration du concept de l'individualité et de l’engagement se retrouvent dans les luttes implacables de ses personnages pour l'indépendance et contre l'aliénation. L'intérêt de Wilson pour l'interdépendance humaine est aussi illustrée dans son examen du pouvoir de l'amitié. Ainsi, dans le roman Swamp Angel, la protagoniste Maggie est à maintes reprises mise à l'épreuve et au défi par Vera, l'épouse jalouse et tourmentée de l'employeur de Maggie. Les expériences tragiques de la vie de Maggie elle-même et sa capacité à comprendre la désolation de Vera approfondissent et enrichissent le lien entre les deux femmes, et ce rapport devient éventuellement un moyen de salut pour Vera.
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La conscience aiguë de Wilson de la beauté et du pouvoir du monde naturel est aussi évidente dans ses descriptions précises et vivantes du paysage. Simone Nelles suggère que l'évocation faite par Ethel Wilson de la beauté de la nature sert à la fois d'arrière-plan et de réflexion de la vie de ses personnages. Les liens entre le monde naturel et l'expérience humaine sont constants, chacun contenant un potentiel de beauté et de cruauté. Dans la nouvelle The Birds, Wilson décrit une relation complexe et difficile entre la protagoniste féministe, qui vient juste de rompre ses fiançailles, et sa sœur repliée sur elle-même. Alors que la première observe les petits oiseaux se jetant innocemment et dangereusement dans une fenêtre panoramique, elle réalise en un instant la fragilité de son indépendance et les dangers possibles des relations humaines. Nelles souligne que l’emploi par Ethel Wilson de la mer comme une métaphore se retrouve aussi dans quelques-unes de ses œuvres et étend sa vision de la fragilité de la vie réfléchie dans la lutte humaine pour la survie. Toutefois, malgré la noirceur occasionnelle du monde naturel, sa beauté durable permet aux personnages de Wilson de transcender leur vie, même si ce n'est que pour de brefs moments.
Madame Nelles a signalé que l'intérêt pour les œuvres de fiction d'Ethel Wilson survit aujourd'hui à cause de la pertinence actuelle de leurs thèmes universels. Ses romans sont toujours disponibles dans la collection New Canadian Library et ses nouvelles ont été rééditées dans des anthologies récentes. Il est intéressant de constater que lorsque Swamp Angel fut publié en 1954 par Harper & Brothers aux États-Unis et par Macmillan à Toronto, la version américaine était complète alors qu'il manquait à l'édition canadienne deux chapitres et le dernier long paragraphe du livre. L'édition 1990 de ce roman faisant partie de New Canadian Library est tirée de l'édition américaine, plus complète.
Tout au long de sa vie, les romans et nouvelles d'Ethel Wilson furent bien reçus au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans les pays du Commonwealth. Ses contemporains Gabrielle Roy, Morley Callaghan et Joyce Marshall, en plus des critiques littéraires de l'époque, ont rendu hommage à ses écrits dans divers comptes rendus critiques de son oeuvre. Wilson a reçu en 1961 la Médaille du Conseil des Arts du Canada pour son apport à la littérature canadienne, la médaille Lorne-Pierce de la Société royale du Canada en 1964, et a été nommée Officier de l'Ordre du Canada en 1970. L'Ethel Wilson Fiction Prize a été créé en 1985 et est accordé annuellement à un auteur de la Colombie-Britannique ou du Yukon.
L'œuvre et l'héritage littéraire de Wilson subsistent dans la littérature canadienne. La liste Quill & Quire de 1999 des 40 meilleurs romans canadiens qui définissent le Canada et le 20e siècle place Swamp Angel au 28e rang.
Simone Nelles a conclu sa présentation en rappelant que, par sa profonde exploration des thèmes humains et du « déséquilibre éternel qui gouverne la vie », ses portraits convaincants et ses descriptions saisissantes de paysages, la place d'Ethel Wilson dans notre patrimoine littéraire canadien semble assurée.
La Bibliothèque et les Archives du Canada possèdent une vaste collection d'ouvrages d'Ethel Wilson, dont la plupart peuvent être empruntés à votre bibliothèque de quartier à l’aide du prêt entre bibliothèques. Pour savoir comment, visitez une bibliothèque de votre région ou vérifiez sur AMICUS, le catalogue collectif canadien.
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Note
1Extrait de Swamp Angel, New Canadian Library,Toronto, McClelland & Stewart, 1990, p. 42.