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Juillet/Août 2003
Vol. 35, no 4
ISSN 1492-4684

La restauration du Highlife au Ghana

Trevor Clayton, Communications

De son studio de Bibliothèque et Archives Canada, le conservateur des enregistrements sonores Gilles St-Laurent pouvait réfléchir confortablement à son voyage et fuir les rigueurs hivernales d'Ottawa pour l'étouffant Cap Coast du Ghana, du 14 au 30 mars 2003, et penser à l’aide cruciale qu’il pourrait apporter au développement du Gramophone Records Museum and Research Centre (GRMRC).

« C'est un beau pays avec des gens formidables, mais incroyablement chaud – des 30°C et plus, avec l'humidité… une humidité écrasante », s'est-il rappelé.

M. St-Laurent était le conseiller technique en chef, l'acheteur, celui qui mettait en place l'installation ainsi que l'éducateur pour un petit groupe de Ghanéens. Ce groupe avait reçu une subvention de 50 000 $ de la Fondation Daniel Langlois pour les arts et la technologie (www.fondation-langlois.org/), établie à Montréal, afin de s'équiper pour le projet. Le travail consistait à acquérir l'équipement nécessaire et à organiser, cataloguer, restaurer numériquement et mettre en ligne près de 20 000 enregistrements d'un genre musical à tout le moins oublié.

« Le Highlife est un style de musique qui a commencé au Ghana et qui n'est plus vraiment enregistré parce que, évidemment, les goûts des gens ont changé », explique M. St-Laurent au sujet de la collection vieille d'environ soixante ans. « C'est du vrai Highlife et il n'existe probablement aucune autre copie nulle part, et tout repose sous un même toit. C'est un projet très spécial ».

Approché par Carmelle Bégin, la conservatrice de l'ethnomusicologie du Musée canadien des civilisations et membre international du comité consultatif pour le GRMRC, Gilles St-Laurent a mis plusieurs mois de recherche avant d'acheter l'équipement aux États-Unis, de s'envoler pour l'Afrique et d’installer le système de restauration (ordinateur, tourne-disque, un compensateur de relecture, des haut-parleurs, un amplificateur, des convertisseurs analogues numériques et un poste de travail audionumérique).

Avec le conservateur Kwame Sarpong et deux étudiants, M. St-Laurent s’est mis en devoir de redonner au peuple ghanéen et au monde une époque révolue. La collection fournira la genèse de la Ghana National Sound Archive.

Tous les 20 000 enregistrements, qui remontent à l'occupation britannique du Ghana entre le milieu des années 1930 jusqu’à la fin des années 1950 (une période durant laquelle de l'équipement d'enregistrement sophistiqué fut amené dans la région), appartiennent à Sarpong, un audiophile qui a amorcé le projet GRMRC et qui a amassé une collection pendant trente-cinq ans.

« C'est sa collection, sa passion », fut l’éloge de Gilles St-Laurent. « Kwame n'a vraiment jamais eu l'équipement pour écouter ces disques correctement. Il est maintenant capable d'en écouter un grand nombre pour la première fois. Des gens n'ont pas entendu cette musique depuis cinquante ans ».

Un échantillon de disque compact obtenu par M. St-Laurent à partir de quelques-unes des œuvres restaurées révèle le son du Highlife : un mélange unique de musique africaine, afro-américaine et Western sur des rythmes de guitares acoustiques, une percussion vibrante, des harmonies vocales et des configurations répétitives. Une collection d'environ 1 000 chansons constituera le premier ensemble offert en ligne. On espère terminer le tout dans l'année à venir.

La procédure difficile de restauration des enregistrements très vieux et rares commence par le nettoyage minutieux de la surface de l'enregistrement au moyen d’une machine à nettoyer les disques, puis est suivie de l’enregistrement d’une version non filtrée de 24 bits (incluant sifflements, bruits secs et tout) sur l'ordinateur. Cette version, une fois gravée sur cédérom, devient la « copie de conservation ». À partir de la version de 24 bits sur ordinateur, on procède à un traitement audionumérique pour effacer le plus de bruits de fond possible tout en s’efforçant de trouver un bon équilibre entre l’effacement du bruit de fond et le risque de distorsion du son par un traitement abusif. De cette version en nouvelle matrice numérique est gravé un DC audio de 16 bits qui constitue alors la copie de consultation et la copie à utiliser sur le site Web.

« J'ai enseigné au personnel la manière d’utiliser le système et la théorie sous-jacente », dit Gilles St-Laurent, ajoutant que le climatiseur hors service du musée, de même que l'humidité permanente de l'Afrique, l'ont gardé à une « température de cuisson », le forçant à boire quatre litres d'eau chaque jour durant tout le voyage, sauf lors de la dernière étape. « Ils ont appris très rapidement. Après deux semaines, j'étais rassuré, sachant que les choses étaient entre bonnes mains ».

La confiance de M. St-Laurent donne de la crédibilité à n'importe quel projet de conservation audio. En 2002, on lui a présenté le prestigieux prix CEDAR d'Angleterre pour son travail de restauration d’un enregistrement de 1931 de La Chanson du bavard , chantée par Madame Édouard Bolduc. En 1998, il a joué un rôle primordial en introduisant Le Gramophone virtuel de la Bibliothèque, un site Web consacré au premier demi-siècle du son enregistré au Canada.

« J’ai pu utiliser mon expérience avec Le Gramophone virtuel ici pour leur enseigner à gérer tous les divers éléments du projet », dit-il.

Les deux étudiants associés à M. St-Laurent étaient des spécialistes en musique de l'Université de Cape Coast. L'un complétait sa maîtrise et l'autre se dirigeait vers une carrière en enseignement de la musique. Gilles St-Laurent se dit prêt à travailler avec Sarpong, si des problèmes techniques devaient survenir et, un jour, il retournera peut-être au Ghana.

Ses impressions sur le Ghana ont été saisies sur les nombreuses bobines de film qu'il a ramenées de l'aventure. M. St-Laurent est un photographe amateur insatiable, et ses images révèlent de nombreuses particularités culturelles : une campagne à couper le souffle, une forteresse des esclaves du XVIIe siècle (Château Elmina), des villages de pêche pittoresques au bord de la mer tranchent avec des routes pleines de « nids de poule dans lesquels des éléphants pourraient s’engouffrer », des taxis au pare-brise fracassé et sans ceinture de sécurité, crachant une fumée noire.

Peut-être que l'événement le plus extraordinaire (duquel il n'a aucune image) fut une fausse alerte à la bombe au début du voyage, sur la piste à Montréal, un événement qui força chaque passager à bord de l'avion à descendre et à subir les chiens renifleurs; M. St-Laurent a raté sa correspondance à Francfort vers Lagos, au Nigeria (il atteindra éventuellement Accra après un arrêt supplémentaire à Milan). Il est arrivé au Ghana avec sept heures de retard et sans bagages, mais il est demeuré inébranlable, tel un 78 tours.

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