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Volume 16, No 4- 1995

 

  Agence de santé publique du Canada

Le recours à la recherche qualitative pour mieux comprendre les origines socioculturelles du diabète chez les Micmacs du Cap Breton
Kim D. Travers

Résumé

C'est chez les Indiens de la région de l'Atlantique que l'on observe la plus forte prévalence de diabète non insulinodépendant (DSNID) parmi les populations autochtones du Canada. Les prédicteurs de variation de la prévalence dans ces populations semblent accréditer l'hypothèse de l'acculturation : une influence prolongée de la culture euro-canadienne sur le mode de vie serait associée à une prévalence accrue du DSNID. La Première Nation micmaque fut l'une des premières au Canada à entrer en contact avec les Européens. Cette longue histoire de contacts s'est accompagnée de changements dans le mode de vie correspondant aux facteurs de risque de DSNID. Une meilleure compréhension des origines socioculturelles du diabète dans les populations autochtones devrait donc permettre d'élaborer des politiques et des mesures de traitement du DSNID plus adaptées sur le plan culturel. Je décrirai dans le présent article le plan de recherche, les stratégies de collecte de données et les résultats préliminaires d'un projet de recherche qualitative en cours visant à élargir le corpus de données sur ce phénomène.

Mots clés
: Aboriginal health; diabetes mellitus, non-insulin-dependent; Nova Scotia; qualitative research; social environment


Introduction

D'après les données épidémiologiques, la prévalence du diabète non insulinodépendant (DSNID) serait sensiblement plus élevée dans les populations autochtones que dans le reste de la population canadienne. En Nouvelle-écosse, par exemple, la prévalence du DSNID s'élevait à 5,2 % dans les communautés autochtones; chez les personnes autochtones âgées de plus de 40 ans, la prévalence atteignait 25 % 1. Bien que l'on ne connaisse pas la prévalence du diabète dans la population non autochtone des provinces de l'Atlantique, on sait qu'elle est de 1,53 % pour l'ensemble de la population de l'Île-du-Prince-édouard 2.

Selon une enquête menée dans les populations autochtones du Canada, ce sont les Indiens de l'Atlantique qui affichent la prévalence la plus élevée (4,3 %) et la plus forte prévalence ajustée pour l'âge et le sexe (8,7 %)3. Les variations des taux de prévalence dans les populations autochtones ne peuvent cependant s'expliquer par les seuls facteurs génétiques. En fait, cette enquête a révélé que le plus puissant prédicteur de variation de la prévalence du diabète dans ces populations était la latitude, la prévalence augmentant selon un gradient nord-sud. Les auteurs ont postulé que la prévalence plus élevée de DSNID observée dans les communautés autochtones du sud du pays pourrait être associée à leur acculturation plus prononcée découlant de l'influence accrue des Euro-Canadiens sur leur mode de vie.

La Première Nation micmaque serait l'une des premières au Canada à être entrée en contact avec les Européens. La longue histoire de ces contacts s'est accompagnée de changements dans le mode de vie des autochtones, notamment dans leur régime alimentaire et dans leurs habitudes en matière d'activité physique. établis dans des réserves, les autochtones ont dû abandonner leur mode de vie nomade traditionnel et n'ont pu continuer à s'adonner avec autant de facilité et de succès à la chasse, à la pêche et à la cueillette 4. La diminution de l'activité physique et l'accès accru à des aliments moins nutritifs que les aliments traditionnels sont associés à une augmentation de la prévalence de l'obésité. Comme on compte, parmi les déterminants environnementaux du DSNID, plusieurs facteurs liés au mode de vie (comme l'obésité, l'alimentation et les habitudes en matière d'activité physique 5), l'impact de l'acculturation sur la prévalence de la maladie apparaît évident.

Une meilleure compréhension des origines socioculturelles du diabète dans les populations autochtones devrait donc permettre d'élaborer des politiques et des mesures de prévention et de traitement du DSNID plus éclairées et mieux adaptées sur le plan culturel. Un projet de recherche visant à acquérir une telle compréhension du problème est actuellement en cours au Cap-Breton en Nouvelle-écosse.

Méthodes

Plan de recherche
Des recherches antérieures sur les aspects socioculturels du mode de vie des Micmacs associés au diabète ont été évaluées à l'aide de questionnaires. Habituellement, ces questionnaires sont conçus par des «experts» et évalués en fonction de normes propres à la classe moyenne de la population blanche. Mais la recherche risque alors de donner des résultats qui ne correspondent pas aux expériences des autochtones. Par exemple, lorsqu'il obtient une majorité de réponses négatives à la question «Votre diabète vous cause-t-il des soucis?», le chercheur ou le professionnel de la santé non autochtone pourrait en conclure à l'apathie des répondants. Mais il risquerait ainsi de se tromper, car dans la culture micmaque traditionnelle, la notion de «stress» ou de «souci» n'existe pas. Une réponse négative pourrait ainsi signifier plutôt «Je fais attention à mon diabète, mais il fait partie de ma vie; je m'y adapte au jour le jour», interprétation fort différente de la conclusion d'apathie à laquelle peut conduire une analyse ne tenant pas compte du contexte. Les méthodes de recherche élaborées dans cette perspective classique ne nous permettent donc pas d'en arriver à une meilleure compréhension du problème.

Pour préserver les perspectives du peuple micmac, sauvegarder la nature holistique des problèmes sociaux et favoriser la participation des Micmacs, nous avons adopté des stratégies de recherche qualitatives 6 et participatives 7 en vue d'étudier les aspects sociaux du DSNID dans son milieu naturel. Malgré les succès obtenus par la recherche qualitative et anthropologique dans l'exploration de la perception du diabète chez les Saulteux (Ojibways)8 , nous n'y avons pas eu recours pour les Micmacs. Aucune étude ayant adopté des méthodes de recherche participatives n'a été publiée.

Sélection des communautés à l'étude
La variété des milieux étudiés augmente certes la richesse des données qui s'offrent à l'analyse et peut donc conduire à une compréhension plus globale de la situation. Après consultation de la Direction générale des services médicaux de Santé Canada et de l'Union des Indiens de la Nouvelle-écosse, nous avons donc contacté les conseils de bande de deux communautés micmaques (Membertou et Wagmatcook) pour négocier leur participation au projet. Bien que les deux communautés sélectionnées se trouvent dans la même région de la Nouvelle-écosse, l'une d'elle, Membertou, est située dans un centre urbain, alors que l'autre, Wagmatcook, est isolée des autres communautés micmaques de la province.

Sélection des participants
Nous nous sommes assurés de la collaboration sur place des représentants en santé communautaire et des infirmières hygiénistes pour identifier les membres atteints de DSNID susceptibles de participer à la recherche dans chaque communauté. Pour pouvoir examiner la plus vaste gamme d'expériences possible et maximiser ainsi nos chances de découvrir des catégories de similitudes et de différences, nous avons eu recours à un échantillonnage théorique 9, qui consiste à sélectionner expressément des personnes présentant des caractéristiques et des antécédents différents (sur le plan du sexe, de l'âge, du niveau de scolarité, du statut professionnel, de la durée de la maladie, de l'expérience du système de soins de santé, etc.). Guidé par le processus permanent de catégorisation pendant l'analyse des données, l'échantillonnage se poursuivra jusqu'à saturation théorique. On atteint la saturation théorique lorsqu'aucun thème ou problème nouveau n'apparaît plus dans une catégorie de données et lorsque les catégories sont bien définies et validées 9.

Collecte des données

Entrevues ethnographiques individuelles
Les sujets sont invités à participer à une série de 3 à 5 entrevues ethnographiques semi-structurées. Toutes les entrevues ont lieu au domicile ou au lieu de travail du participant et sont effectuées par le même chercheur micmac ayant reçu une formation à cet effet. Les entrevues sont enregistrées sur ruban magnétique et sont ensuite transcrites, puis analysées.

Dans une entrevue semi-structurée, la liste de sujets à aborder est déterminée d'avance, mais l'intervieweur a le loisir de modifier l'ordre et le libellé des questions en fonction du répondant et de la situation 10. L'entrevue porte au début sur le mode de vie quotidien et se poursuit par une exploration des valeurs, des croyances, des obstacles perçus et des ressources qui déterminent l'action.

Observation
L'observation 11 a avant tout pour but d'ajouter une dimension concrète aux données d'entrevue et de permettre d'en vérifier la validité interne en les confrontant à une seconde source de données ethnographiques à des fins de corroboration. Divers degrés de participation sont associés aux observations. Par exemple, le degré de participation exigé du chercheur micmac pour observer l'endroit où logent les participants ou la réserve et ses environs est minime, sinon nul, tandis que le chercheur micmac a accompagné certains participants à la clinique d'éducation sur le diabète et a participé comme leur invité. Toutes ces observations sont consignées dans les notes d'inspection détaillées.

Réunions/entrevues communautaires
Au cours d'une deuxième étape de la recherche, l'étape communautaire, on recrute, par les voies de communication propres à chaque communauté, un certain nombre de personnes intéressées (et pas nécessairement atteintes de diabète). Les participants aux réunions communautaires sont invités à échanger leurs points de vue sur la santé et sur les modes de vie, et à réfléchir aux principaux problèmes soulevés lors des entrevues individuelles et l'observation. Cette étape de l'étude répond à plusieurs objectifs : elle veut enrichir les données individuelles en puisant dans un plus large éventail de points de vue et d'expériences, accroître l'attention portée à la prévention primaire du diabète en incorporant au processus de recherche les expériences antérieures au diagnostic, solliciter la participation des communautés micmaques à l'analyse des données afin de s'assurer de la pertinence «culturelle» des résultats et servir de lieu d'échange où les résultats obtenus sont communiqués aux communautés micmaques en vue de leur donner suite, le cas échéant.

Analyse des données
La collecte et l'analyse des données se font simultanément. Les similitudes et les différences qui apparaissent d'emblée dans les expériences et les perceptions sont classées par thème 12. L'analyse initiale est inductive, c'est-à-dire qu'elle va du particulier (les expériences des participants) au général (les thèmes et les points communs qui semblent rendre compte des similitudes et des différences observées). Puis, par analyse logique, les données sont comparées aux thèmes pour assurer l'ajustement logique. Cette méthode s'apparente à la méthode comparative constante 13.

Par le biais des réunions communautaires, les membres des communautés micmaques participent à l'analyse et l'orientent. Ce genre de collaboration est en effet essentiel si l'on veut éviter de plaquer sur les expériences des participants des analyses biaisées sur le plan culturel et s'assurer que les analyses sont accessibles et pertinentes pour les communautés participantes.

Évolution des travaux

Nous avons terminé une série d'entrevues individuelles avec dix Micmacs et animé quatre réunions communautaires mensuelles dans la ville de Membertou. À Wagmatcook, les observations et les entrevues sont en cours. Je présente sommairement ci-dessous les premiers thèmes qui se dégagent des données recueillies jusqu'ici.

Politique
Lors des entrevues et des réunions communautaires tenues à Membertou, les aînés ont pu décrire les changements qui ont été apportés aux habitudes alimentaires de leur communauté au cours de leur vie. Selon eux, la «relocalisation» forcée de leur communauté dans les années 20 a beaucoup influé sur leurs habitudes alimentaires et sur leur mode de vie. Cette information fait bien ressortir l'influence de la politique, notamment des revendications territoriales, sur les facteurs de risque de DSNID. Autrefois situé sur les rives de la rivière Sydney, Membertou était entouré de terres fertiles et offrait à ses habitants un accès facile à la pêche dont ils tiraient leurs aliments traditionnels. Déplacée de force, la réserve se trouve maintenant loin de la rivière, dans une zone marécageuse accessible par une seule route. Pour la première fois de leur vie, les habitants de la réserve n'avaient plus aucune possibilité de pêcher, de chasser ni de cultiver la terre. C'est ainsi qu'ils en sont arrivés à dépendre totalement du marché pour leur alimentation... et qu'ils en dépendent toujours depuis.

L'économie de marché
Privés de leur accès aux sources traditionnelles d'aliments et contraints, par le fait même, d'acheter tous leurs aliments dans des commerces, ils ne peuvent plus se nourrir ni demeurer en bonne santé à moins d'avoir de l'argent. Nombre des participants ont dit trouver les aliments nutritifs fort chers compte tenu de leurs revenus fixes. Sur ce plan, les membres de la bande de Membertou sont avantagés du fait qu'ils vivent dans une région urbaine et ont donc facilement accès aux supermarchés, où les prix sont meilleurs et les aliments plus variés. À Wagmatcook, par contre, même s'il y a à moins de 15 kilomètres une communauté plus importante abritant deux épiceries, il faut, pour s'y rendre, avoir accès à un moyen de transport fiable. Si la plupart des personnes qui ont participé à la recherche déclarent pouvoir facilement s'arranger pour se rendre à l'une ou l'autre épicerie, il pourrait arriver qu'elles soient contraintes de s'approvisionner dans les magasins de la réserve et de renoncer ainsi à un régime sain. En effet, les magasins de la réserve offrent surtout des aliments très demandés, comme des boissons gazeuses, des friandises et des collations à forte teneur en graisses. Les fruits et les légumes y font cruellement défaut; au mieux, on y trouve parfois quelques boîtes de conserve, sans grande variété. On n'y trouve pas non plus de viande fraîche. La seule source de protéines, c'est le beurre d'arachide et les viandes transformées, du genre saucisses ou salami.

Soins de santé
Qu'ils suivent ou non un programme de traitement du diabète, la plupart des participants savaient quoi faire pour équilibrer leur maladie. En général, plus ils avaient étudié longtemps dans des établissements de la société blanche, mieux ils assimilaient les concepts présentés dans les programmes d'éducation sur le diabète offerts dans les hôpitaux. Certains ont toutefois plus de mal que d'autres à changer leur mode de vie, pour des raisons qui tiennent en partie à la nature de leurs expériences dans le système de santé. Pour certains, l'éducation sur le diabète offerte dans les cliniques hospitalières ne tient pas assez compte des différences culturelles.

Conséquences

En aidant les professionnels de la santé à mieux comprendre ce que vivent les Micmacs, la recherche qualitative devrait contribuer à ajuster la pratique professionnelle à leurs besoins. En aidant les Micmacs à mieux analyser leur situation, ce genre de recherche peut aussi amener ceux-ci à intervenir socialement, par le biais du développement communautaire, en vue de régler le problème du DSNID dans leurs communautés. Ainsi, les participants aux réunions communautaires à Membertou explorent actuellement les solutions à court terme suivantes.

  • Les propriétaires de magasins de Membertou étudient la possibilité de stocker des aliments plus sains et de les vendre à meilleur prix.
  • Les aînées envisagent d'organiser des cuisines communautaires où les jeunes de la bande pourraient apprendre à préparer des aliments traditionnels, socialiser et partager le coûts des aliments et le temps nécessaires à la préparation des repas.
À long terme, la recherche qualitative peut orienter les changements politiques amorcés dans les communautés en aidant les responsables et les décideurs à mieux comprendre comment les Micmacs perçoivent ces politiques.

Remerciements

Cette recherche a été rendu possible grâce au subvention n o 6603-1433-ND du Programme national de recherche et de développement en matière de sante (de Santé Canada).

Références

1. Locke K, Noseworthy R, Davies A. Management of diabetes mellitus in Nova Scotia Micmac communities. J Can Diet Assoc 1993;54:92-6.

2. Tan MH, Wornell MC, Beck AW. Epidemiology of diabetes mellitus in Prince Edward Island. Diabetes Care 1981;4:519-24.

3. Young TK, Szathmary EJE, Evers S, Wheatley B. Geographical distribution of diabetes among the native population of Canada: a national survey. Soc Sci Med 1990;31:129-39.

4. Miller V. The Micmac: a maritime woodland group. Dans: Morrison RB, Wilson CR, réds. Native peoples: the Canadian experience. Toronto: McLelland and Stewart, 1986:324-52.

5. Szathmary E. Genetic and environmental risk factors. Dans: Diabetes in the Canadian native population: biocultural perspectives. Toronto: Canadian Diabetes Association, 1987.

6. Marshall C, Rossman GB. Designing qualitative research. Londres: Sage, 1989.

7. Maguire P. Doing participatory research: a feminist approach. Amherst (MA): University of Massachusetts, 1987.

8. Garro L. Cultural knowledge about diabetes. Dans: Diabetes in the Canadian native population: biocultural perspectives. Toronto: Canadian Diabetes Association, 1987:97-109.

9. Glaser BG. Theoretical sensitivity. Advances in the methodology of grounded theory. Mill Valley (CA): The Sociology Press, 1978.

10. Achterberg C. Qualitative methods in nutrition education evaluation research. J Nutr Educ 1988;20:244-50.

11. Patton MQ. Qualitative evaluation and research methods. Newbury Park (CA): Sage, 1990.

12. Miles MB, Huberman AM. Qualitative data analysis: an expanded sourcebook. Thousand Oaks (CA): Sage, 1994.

13. Glaser BG, Strauss AL. The discovery of grounded theory. Strategies for qualitative research. Chicago: Aldine, 1967.

Références des auteurs

Kim D. Travers, Department of Human Ecology, Mount Saint Vincent University, Halifax, Nova Scotia B3M 2J6

Cet article fournit plus d'information méthodologique qu'une exposition orale présentée lors de la troisième Conférence internationale sur le diabète et les autochtones : «Théorie, réalité et espoir», tenu à Winnipeg (Manitoba) du 26 au 30 mai 1995.

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Dernière mise à jour : 2002-10-29 début