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Volume 18, No 3- 2000

 

 

Office de la santé publique du Canada

L'utilisation combinée des méthodes de recherche qualitatives et quantitatives pour améliorer l'étude des maladies chroniques

Ann L. Casebeer et Marja J. Verhoef


Résumé

Cette étude tente d'expliquer pourquoi les chercheurs en santé ont toujours eu de la difficulté à collaborer au-delà des parti pris qualitatif ou quantitatif, et pourquoi il est essentiel qu'ils ne se contentent plus d'adhérer à des méthodes d'enquête spécifiques, comme ils l'ont fait jusqu'ici. Les maladies chroniques sont le parfait exemple du type d'affections qui, par leur nature même, doivent être étudiées dans une double perspective, qui combine les méthodes tant qualitatives que quantitatives. Selon nous, si l'on veut que les recherches sur la gestion de ces maladies donnent les résultats escomptés, il faudra appliquer des perspectives, des méthodes et des instruments tant qualitatifs que quantitatifs. En outre, nous sommes d'avis que l'efficacité de la recherche sur les maladies chroniques de longue durée passe non seulement par la mise en commun des efforts chez les chercheurs, mais aussi par des programmes de recherches longitudinales, qui permettront d'observer dans le temps l'expérience de la gestion des affections chroniques.

Mots clés : Chronic disease; combined methods; longitudinal studies; qualitative research; quantitative research; research design


Introduction

Les personnes qui souffrent des symptômes de maladies chroniques doivent, dans bien des cas, lutter pour accepter de vivre avec une maladie donnée bien avant que la maladie ne soit diagnostiquée et avant de chercher à se faire soigner. En règle générale, les maladies chroniques sont diagnostiquées et nommées par les médecins, de sorte que, souvent, divers cliniciens et autres soignants qui prennent en charge ce type d'affections interviennent dans le traitement de longue durée et la surveillance des activités. Afin de bien comprendre et gérer les maladies chroniques de longue durée, aux effets sans cesse plus débilitants, il faut regrouper les connaissances diverses accumulées au fil du temps pour améliorer, sur les plans aussi bien qualitatif que quantitatif, le temps qui reste à vivre à la personne atteinte.

Plus particulièrement, les recherches qui contribuent à mieux nous faire comprendre comment gérer au mieux ces maladies chroniques et les expériences qui s'y rattachent doivent faire appel à des démarches et à des compétences très diverses. Holman1 fait clairement ressortir la nécessité d'intégrer une approche qualitative aux recherches médicales en citant le cas des maladies chroniques. Il conclut que toute recherche médicale sérieuse reconnaît la complémentarité des méthodes d'enquête quantitatives et qualitatives et leur interprétation.

Malheureusement, dans bien des cas, il est impossible de combiner les compétences en recherche au-delà des frontières méthodologiques traditionnelles. Les chercheurs qui souscrivent à un modèle qualitatif et ceux qui épousent une démarche quantitative ont des façons très différentes d'appréhender et de comprendre le monde. Ces conceptions peuvent sembler irréconciliables. Souvent, les chercheurs apprennent à ne maîtriser qu'une seule méthode, de sorte qu'ils se sentent à l'aise dans les analyses soit quantitatives, soit qualitatives, mais pas dans les deux. En conséquence, il est rare que les deux principales démarches, soit la qualitative et la quantitative, soient combinées, ce qui explique que leurs points forts respectifs ne sont pas connus des tenants de chaque approche2.

Une analyse de la littérature qui traite des maladies chroniques confirme la tendance générale consistant à réaliser des études soit quantitatives soit qualitatives et indique que les modèles qui combinent les deux méthodes sont relativement rares. Il ressort d'un examen des recherches figurant dans la base de données MEDLINE pour la période  de 1993 au septembre 1997, que 305 études quantitatives sur les maladies chroniques ont été publiées au cours de cette période, contre 112 études qualitatives (ce qui prouve, ne serait-ce que par les chiffres, que les analyses quantitatives continuent d'être privilégiées). Au total, 47 études faisant mention de techniques tant quantitatives que qualitatives ont été recensées. Bon nombre de ces études, toutefois, ont simplement appliqué des mesures diagnostiques qualitatives à un modèle quasi-expérimental et essentiellement quantitatif, ou renfermaient des analyses de recherches tant qualitatives que quantitatives sur la maladie chronique concernée. Seules 13 d'entre elles peuvent être considérées comme des études qui combinent les deux méthodes.

Que ces chiffres prouvent l'existence d'un débat réel ou de deux pistes de recherche distinctes, il est certain que la tendance qui domine dans les recherches sur les maladies chroniques consiste à utiliser une méthode ou l'autre. Cette tendance rend compte de la situation qui existe dans le secteur de la recherche médicale en général. En dissociant complètement les deux démarches, on risque d'obtenir des données incomplètes sur le problème de santé étudié.

En cherchant à encourager les chercheurs à entreprendre des analyses de méthodes mixtes, la présente étude accomplit ce qui suit.

  • Elle analyse les distinctions couramment établies entre les méthodes de recherche qualitatives et quantitatives.
  • Elle explique pourquoi les chercheurs devraient collaborer au-delà des parti pris méthodologiques traditionnels, et décrit comment les démarches tant qualitatives que quantitatives peuvent être complémentaires, au lieu de s'opposer ou de s'ignorer.
  • Elle explique, à l'aide d'exemples, pourquoi la recherche médicale, en général, et l'étude des maladies chroniques et des expériences qui y sont associées, en particulier, supposent une intégration continue des méthodes de recherche qualitatives et quantitatives.
Description des démarches

La recherche quantitative désigne la représentation et la manipulation numériques d'observations en vue de décrire et d'expliquer le phénomène dont rendent compte ces observations, alors que la recherche qualitative renvoie à l'examen et l'interprétation non numériques d'observations, en vue de découvrir des explications sous-jacentes et des modes d'interrelation3. Ces définitions aident à expliquer pourquoi la tendance dominante consiste à utiliser séparément chaque méthode et pourquoi le débat entre les chercheurs concernant l'intérêt relatif de chaque approche persiste. Les arguments sont peut-être complexes et parfois philosophiques; toutefois, ils renvoient en substance aux distinctions suivantes.

Le terme qualitatif suppose que l'accent est mis sur les processus et les explications qui ne sont pas rigoureusement examinés ou mesurés (lorsqu'ils le sont) à divers égards : quantité, nombre, intensité ou fréquence. Pour les partisans d'une démarche qualitative, la réalité est essentiellement façonnée par le contexte social. Ils insistent sur la relation intime entre le chercheur et le sujet de l'étude, et sur les contraintes conjoncturelles qui déterminent l'enquête... En revanche, les tenants d'une approche quantitative mettent l'accent sur l'évaluation et l'analyse de relations causales entre les variables, pas sur les processus. L'enquête est censée reposer sur une démarche objective4. [traduction]

S'il est peut-être un peu naïf d'établir des démarcations si radicales entre la recherche qualitative et la recherche quantitative, il est utile, pour commencer à saisir le fond du débat, de connaître les distinctions couramment établies et les définitions de base. De plus, les concepts fondamentaux qui servent à définir la recherche «scientifique» ont trop souvent pour effet de diviser les chercheurs dans le domaine de la santé, où les essais cliniques servent de critères de référence pour toutes les autres recherches5. Malheureusement, ces définitions perpétuent deux écoles de recherche distinctes et opposées, en faisant ressortir les arguments couramment invoqués pour justifier l'emploi de l'une ou l'autre des méthodes, au lieu de se borner à exposer les divers points de vue et perspectives traduits par les paradigmes de recherche qualitatifs et quantitatifs.

Les distinctions habituelles

Les méthodes de recherche quantitatives et qualitatives sont le plus souvent associées respectivement à des approches déductives et inductives. La démarche déductive consiste à partir d'une théorie connue et à la vérifier, généralement en tentant de confirmer ou d'infirmer une hypothèse préalablement définie à l'aide de preuves. La démarche inductive part d'observations pour aboutir normalement à une nouvelle hypothèse ou théorie. La recherche quantitative perçoit généralement la science comme une vérité objective alors que la recherche qualitative la ramène à une expérience vécue et, partant, à un phénomène subjectif. De façon générale, la recherche quantitative commence par exposer des objectifs préalablement définis, soit la vérification de résultats préconçus. Quant à la recherche qualitative, elle tente, à partir d'observations et d'analyses ouvertes, de découvrir des tendances et des processus qui expliquent le comment et le pourquoi des choses.

Lorsqu'on applique des méthodes quantitatives, on utilise souvent des estimations numériques et des inférences statistiques obtenues d'un échantillon représentatif d'une population «réelle» plus vaste. Dans la recherche qualitative, on fait habituellement appel à des descriptions narratives et à des comparaisons continues pour comprendre les populations ou situations étudiées. En conséquence, la recherche quantitative est le plus souvent perçue comme une méthode consistant à établir des relations causales dans des conditions normalisées (contrôlées). Inversement, la recherche qualitative est généralement considérée comme une méthode qui vise à mieux comprendre un phénomène naturel (non contrôlé). Le tableau 1 offre un résumé des genres de distinctions souvent établies concernant l'utilisation et l'intérêt des deux méthodes.


TABLEAU 1

Les distinctions habituellesa entre les méthodes quantitatives et qualitatives

Concepts généralement associés à la méthode quantitative

Concepts généralement associés à la méthode qualitative

Type de raisonnement

Déduction

Induction

Objectivité

Subjectivité

Cause

Explication

Type de question

Pre-déterminée

Ouverte

Axée sur les résultats

Axée sur le processus

Type d'analyse

Estimation numérique

Description narrative

Inférence statistique

Comparaison continue

a Le terme «habituel» ou «général» a été utilisé pour avertir le lecteur que
ces distinctions ne sont pas absolues. En fait, un certain nombre de
recherches combinent les deux méthodes qui transcendent ces
démarcations traditionnelles.


Ainsi, le grand débat théorique s'articule autour de conceptions fondamentalement différentes de la recherche scientifique, en particulier, et du monde, en général. L'adhésion à des paradigmes différents et distincts peut amener les chercheurs à penser qu'il n'existe qu'une seule façon authentiquement «scientifique» de mener des recherches6. Les exceptions aux règles ou principes généraux associés à ces méthodes de recherche donnent à penser que bon nombre des affrontements entre les tenants d'approches différentes relèvent davantage de systèmes de croyances et d'une incompréhension mutuelle que de méthodes. Pourtant, les arguments continuent de tourner autour d'aspects méthodologiques.

Préciser les différences et reconnaître les similarités

La dichotomie qui existe entre les analyses quantitatives et déductives réalisées dans des conditions normalisées et objectives, d'une part, et les recherches qualitatives et inductives visant à comprendre un phénomène dans un contexte naturel non contrôlé demeure une barrière entre les chercheurs issus de disciplines analytiques différentes7, surtout ceux qui étudient l'étiologie et les conséquences des maladies8. Selon nous, ces distinctions sont particulièrement nuisibles lorsque la recherche porte sur les problèmes chroniques. Les maladies chroniques, par leur nature même, supposent l'emploi complémentaire de méthodes de recherche aussi bien qualitatives que quantitatives puisqu'il s'agit à la fois de quantifier l'efficacité des traitements et de qualifier l'expérience de la maladie au cours de son évolution1.

Plutôt que de négliger ou de défendre un paradigme de recherche donné, il est possible et plus profitable de considérer que les méthodes qualitatives et quantitatives s'inscrivent dans un continuum de techniques de recherche, qui sont toutes pertinentes selon l'objectif visé. Par exemple, la conception qu'ont Shaffir et Stebbins de ce continuum remet en question la notion selon laquelle les approches qualitatives sont purement exploratoires et inductives et les méthodes quantitatives uniquement explicatives et déductives9. Guba et Lincoln10 nous offrent les éléments de réflexion suivants :

Les méthodes qualitatives et quantitatives peuvent toutes deux coexister dans tout paradigme de recherche. Les considérations méthodologiques sont secondaires par rapport au paradigme, qui est selon nous le système de croyance de base ou la vision du monde qui guide le chercheur. [traduction]

Un examen attentif de toutes les démarches qui relèvent des deux principaux paradigmes de recherche confirmera que les deux méthodes peuvent être utilisées de manière moins «conventionnelle». Autrement dit, il est possible de décrire de manière quantitative des faits observables dans le monde réel et de recueillir des preuves qualitatives dans un contexte expérimental préalablement défini. En plus de reconnaître que les deux méthodes peuvent être appliquées de manière «non conventionnelle», il est important de se rappeler que toutes deux impliquent de nombreuses approches différentes. Par exemple, les théories empiriques et les études de cas sont des approches différentes de celles qui relèvent de l'ethnographie et de la phénoménologie; pourtant, les quatre démarches sont essentiellement qualitatives. Le même genre de distinctions valent pour les approches quantitatives : les essais cliniques ne sont pas tous conçus de la même manière et font donc appel à des techniques diverses pour mesurer les résultats. Il existe bien des formes différentes de modèles expérimentaux, quasi-expérimentaux et pré-expérimentaux, qui ont recours à des analyses quantitatives tout aussi diverses. Il ne s'agit pas ici de saisir les distinctions entre ces techniques, mais plutôt de mettre en évidence la multiplicité des options que l'on retrouve dans les deux grands modèles de recherche, soit l'approche qualitative et l'approche quantitative11–13.

Il y a lieu de reconnaître que les deux écoles méthodologiques ont un rôle également respectable à jouer dans la recherche en santé et en soins de santé. Les techniques quantitatives et qualitatives peuvent et devraient coexister comme outils de recherche. Au lieu de chercher à justifier la méthode moins bien considérée (qui semble varier au fil du temps et selon la discipline), il faudrait plutôt tenter de comprendre pourquoi et quand il faudrait recourir à l'une ou l'autre des méthodes, ou aux deux.

Le milieu de la recherche médicale commence à s'intéresser davantage à l'idée de tirer parti de l'inter-relation des deux méthodes, au lieu de mettre l'accent sur les différences entre les deux. Ainsi, d'après Daly et ses collaborateurs14, la recherche efficace en soins de santé ne saurait se réduire à l'utilisation d'une méthode «solide» [que l'on estime plus souvent être quantitative que qualitative]; il faudrait plutôt aborder de nombreuses questions importantes en santé à l'aide de méthodes diverses.

Bref, nous pensons que pour apporter des solutions adéquates à la multiplicité des questions qui découlent de problèmes de soins de santé complexes, on doit absolument faire appel à un éventail tout aussi étendu de modèles de recherche.  Ceux qui entreprennent des évaluations et des recherches en soins de santé doivent par conséquent cultiver la souplesse méthodologique. [traduction]

Tout modèle de recherche ou combinaison de modèles de recherche choisis doivent être adaptés au problème ou à la question étudiés. Par exemple, l'étude de la mise en place de nouveaux mécanismes de prestation de soins de santé suppose une démarche essentiellement qualitative, puisqu'il est impossible de dissocier les processus de changement étudiés des contextes sociaux dans lesquels ils s'inscrivent. Par contre, une étude qui vise à déterminer la tolérance glucidique d'une population de diabétiques par rapport à une population qui ne présente pas de diabète appelle une analyse essentiellement quantitative des différences, faite dans des conditions rigoureusement contrôlées. En s'interrogeant ainsi sur la méthode à privilégier, on évite entièrement le débat et on respecte peut-être davantage les règles d'une démarche scientifique sérieuse15.

La collaboration au-delà des frontières traditionnelles

Dans le débat qui entoure la définition d'une démarche scientifique sérieuse, l'idée de faire davantage appel aux deux types de méthodes dans la recherche médicale, surtout en ce qui a trait aux maladies chroniques, évolue lentement, mais sûrement. Des exemples concluants d'expériences combinant les approches quantitatives et qualitatives nous viennent de certaines disciplines connexes à la santé.

La sociologie et les sciences infirmières sont des domaines où l'on observe une opposition entre les chercheurs qui privilégient l'une ou l'autre des techniques; or, certains chercheurs, dans les deux domaines, préconisent actuellement une plus grande harmonie. Ainsi, les sociologues Strauss et Corbin16 ont déclaré que : «Pour systématiser et solidifier les rapprochements, nous utilisons à la fois un raisonnement inductif et une démarche déductive, en passant constamment d'une approche à l'autre, en émettant des hypothèses et en établissant des comparaisons» [traduction]. À propos du schisme observé dans la recherche en sciences infirmières, Corner17 se dit d'avis que l'emploi de méthodes de recherche différentes peut mener à une compréhension plus grande du domaine étudié, qui serait impossible autrement.

La recherche médicale commence aussi à intégrer plus souvent les approches qualitatives. Ainsi, une équipe de médecins et d'autres chercheurs18 a fait appel à une enquête qualitative qui faisait partie d'une étude clinique plus vaste afin de mieux comprendre les attentes des patients à l'égard des soins médicaux.

De toute évidence, l'évolution d'un continuum de recherches en soins de santé passe par l'idée de déterminer quels sont les types de compétences en recherche et de méthodes de recherche qui sont adaptés aux problèmes auxquels des solutions doivent être apportées dans l'actuel contexte des soins de santé. C'est certainement là le genre de défis qui devront être relevés si l'on veut mieux comprendre et mieux aider les personnes atteintes de maladies chroniques.

Exemples de recherches sur les maladies chroniques

Élargir les paradigmes et combiner les méthodes

Les approches qui allient les méthodes de recherche sont particulièrement bien adaptées à l'étude des maladies chroniques et des maladies de longue durée1,19–21. Il convient surtout de reconnaître l'importance d'un élargissement des perspectives de recherche dans le cas des maladies chroniques. Comme le note Holman1, «la recherche biomédicale conventionnelle n'a pas apporté d'éléments d'information décisifs sur les origines ni sur la gestion des problèmes de santé les plus répandus de nos jours, à savoir les maladies chroniques» [traduction]. En tentant de transcender les frontières traditionnellement établies dans le domaine de la recherche, on peut aider à mieux comprendre certains des problèmes de santé de longue durée les plus répandus dans les populations actuelles. Selon nous, l'emploi combiné, soutenu et complémentaire de méthodes de recherche quantitatives et qualitatives est le meilleur moyen de faire reculer les limites de nos connaissances sur les maladies chroniques.

Une fois que les différences philosophiques (diversité des conceptions du monde) et que les obstacles pratiques (manque de connaissances ou d'expertise) liés à l'utilisation d'une approche mixte auront été reconnus, on parviendra à les surmonter et à trouver des moyens de combiner les techniques quantitatives et qualitatives. Plusieurs chercheurs en santé ont décrit des approches mixtes22–25; toutefois, l'utilisation de ces modèles qui font appel à des méthodes multiples est un phénomène encore relativement récent dans le contexte de la recherche sur les maladies chroniques.

Certains exemples qui montrent comment les approches mixtes peuvent nous aider à mieux comprendre et traiter les personnes atteintes de maladies chroniques rendent plus accessibles et pertinentes les utilisations générales dont rend compte le tableau 2. Six utilisations possibles des approches mixtes sont décrites ci-dessous, l'idée étant de promouvoir l'application de ce type de démarches dans les recherches à venir sur les maladies chroniques.


TABLEAU 2

Utilisations possibles de méthodes quantitatives et qualitatives combinées

Raisons justifiant l'emploi de données quantitatives et qualitatives

1. Mettre au point des mesures

2. Trouver les phénomènes pertinents

3. Interpréter et expliquer les données quantitatives

4. Interpréter et expliquer les données qualitatives

5. Exploiter également et parallèlement les deux types de données

6. Réaliser une analyse longitudinale (portant sur plusieurs stades)
efficace


Première utilisation : Mettre au point des mesures

La façon la plus communément admise d'utiliser les méthodes mixtes consiste à commencer par faire une analyse qualitative d'un problème peu étudié de manière à élaborer des instruments de mesure qui serviront aux recherches quantitatives ultérieures. Par exemple, dans leur étude sur le soutien social reçu des mères d'enfants atteints de maladies chroniques et vivant dans des quartiers centraux de ville, Bauman et Adair26 ont utilisé des techniques d'entrevue qualitatives pour obtenir les éléments d'information nécessaires à l'établissement d'un questionnaire. Un autre exemple de recherche à laquelle ce modèle convient est une étude exploratoire sur les effets du diabète chronique sur la qualité de vie et les choix de traitement des groupes culturels peu étudiés (dans le but de mettre au point, par la suite, un questionnaire).

Deuxième utilisation : Trouver les phénomènes pertinents

Les personnes souffrant de maladies chroniques comptent souvent sur les médicaments pour obtenir un soulagement à leurs symptômes douloureux et débilitants. C'est le cas des personnes atteintes d'une cardiopathie, qui ont recours à des médicaments prescrits pour alléger la douleur due à l'angine. Les recherches quantitatives ont permis de déterminer quels sont les médicaments qui sont «efficaces» contre ce genre de douleur. Ces types de recherches, toutefois, ne décrivent pas toujours de manière détaillée tous les effets secondaires qui peuvent accompagner la prise de ces médicaments, ni ne peuvent rendre compte de l'expérience vécue par les personnes qui éprouvent ces effets secondaires. Dans bien des cas, une étude qualitative complémentaire permet de mieux relever et expliquer les effets secondaires ou les problèmes de conformité au traitement médicamenteux subis par les personnes atteintes d'une cardiopathie chronique. De toute évidence, les deux types d'éléments d'information sont essentiels si l'on veut que la recherche rende compte intégralement de l'expérience des cardiopathies chroniques de longue durée.

Parmi les exemples que l'on retrouve dans la littérature, on pourrait citer une étude de Bashir et ses collaborateurs27 qui porte sur la pertinence des conseils qualitatifs offerts aux utilisateurs chroniques de benzodiazépines, et les travaux réalisés par Borges et Waitzkin28. Ces derniers ont passé en revue les techniques tant quantitatives que qualitatives d'échanges entre les patients et les médecins afin d'élaborer une méthode d'interprétation devant servir à leur étude sur les femmes souffrant de problèmes sociaux et affectifs chroniques.

Troisième utilisation : Interpréter et expliquer les données quantitatives

Dans bien des cas, la quantification des taux de maladies chroniques n'apporte pas aux chercheurs des réponses aux questions concernant le pourquoi des fluctuations de taux observées d'une période ou d'une région géographique à l'autre. Ainsi, par exemple, lorsque des données quantitatives indiquent une prévalence élevée d'asthme apparemment inexpliquée en Alberta, par rapport au reste du Canada, une analyse qualitative des causes d'un tel phénomène s'impose. Les techniques qualitatives expliqueront les analyses comparatives quantifiées. L'étude de Wainwright29 sur les maladies du foie chroniques utilise une telle approche, et décrit comment la recherche qualitative peut permettre de mieux apprécier quantitativement et qualitativement l'adaptation psychologique que suppose la phase terminale de la maladie du foie chronique.

Quatrième utilisation : Interpréter et expliquer les données qualitatives

Une étude des aspects qualitatifs de la vie d'une personne atteinte de nombreuses maladies chroniques peut permettre de bien saisir l'expérience vécue par certaines personnes malades. Parfois, ces données descriptives sur la façon dont les gens composent avec une maladie chronique donnée peuvent sembler incohérentes, selon le sexe ou l'âge des sujets. Dans le contexte d'une étude qualitative, la taille de l'échantillon et la méthode ne suffisent pas à vérifier la validité de toute distinction apparente. Seule une étude quantitative permet de vérifier ces constatations auprès d'un échantillon suffisant et pertinent.

Dans l'étude réalisée par Finkler et Correa30 sur la perception qu'ont les patients de s'être rétablis et sur l'importance des liens entre le patient et le médecin, l'analyse statistique a révélé que seules certaines composantes du lien ont profondément influé sur les résultats du traitement. Ce constat a incité les auteurs à analyser les données qualitatives et à pousser plus loin l'étude qualitative du lien entre le patient et le médecin.

Cinquième utilisation : Exploiter également et parallèlement les deux types de données

C'est sans doute la principale raison qui justifie l'emploi de méthodes combinées dans le contexte actuel, où l'on continue de mettre en doute l'intégration des approches tant quantitatives que qualitatives dans une même étude. On pourrait par exemple combiner les résultats d'études qui traitent, séparément mais simultanément, d'une maladie chronique. Ainsi, pendant qu'un groupe de chercheurs quantifierait l'efficacité d'un traitement donné contre le cancer du sein, un autre groupe pourrait comparer les expériences de femmes ayant déjà reçu un diagnostic de cancer du sein et un traitement contre cette maladie. Dans ce cas, toutefois, aucune étude coordonnée et combinant les deux méthodes n'a vraiment été réalisée.

Des approches intégrant réellement les deux méthodes viseraient spécifiquement à combiner les objectifs et les méthodes de recherche dans le cadre d'une seule étude ou dans un programme de recherche dans le but d'accéder à un éventail plus complet de données et d'expériences. Par exemple, Martin et Nisa31 ont sciemment combiné des données qualitatives et quantitatives afin de décrire les caractéristiques communes de maladies chroniques courantes dans la population infantile. L'étude de Rutgaizer et Larina32 sur les symptômes de douleur observés en gastroentérologie et celle de Murray et Graham33 sur les besoins en santé communautaire utilisent une approche qui combine vraiment les deux méthodes.

Sixième utilisation : Réaliser une analyse longitudinale (portant sur plusieurs stades) efficace

La nature même de la maladie chronique appelle des analyses longitudinales1,34. Le sujet atteint doit souvent composer avec un nombre de stades sans cesse plus incapacitants; il doit comprendre chaque stade en soi et dans le contexte de l'évolution globale de sa maladie. Un programme de recherches continues, qui mise à la fois sur les méthodes qualitatives et quantitatives, peut apporter des éléments d'information essentiels sur la nature évolutive de la maladie et sur l'expérience y afférente, ainsi que sur les besoins du sujet atteint.

Ainsi, par exemple, une enquête auprès de personnes vivant avec le VIH/sida, visant à quantifier l'incidence des nouveaux traitements sur la longévité, pourrait être planifiée dans le cadre d'une étude de suivi destinée à évaluer qualitativement les changements relatifs à la qualité de vie. Ces étapes de l'étude pourraient être suivies d'une intervention expérimentale dont l'objectif consisterait à comparer l'efficacité de deux différents types de traitement, dans le temps et par rapport à la durée et à la qualité de vie.

Un programme de recherche auprès de personnes souffrant de douleurs chroniques mené par Bates et Rankin-Hill35, combinant deux projets qualitatifs et deux projets quantitatifs, offre un exemple récent d'approche longitudinale combinant les deux méthodes. L'approche «en spirales», empruntée par de Vries et ses collaborateurs36, pour la planification de programmes d'éducation sanitaire, montre aussi l'«interaction» bénéfique que peut produire avec le temps l'emploi combiné de méthodes qualitatives et quantitatives.

L'intérêt d'une étude fondée sur des méthodes multiples

On est intuitivement tenté de combiner les méthodes de recherche, mais les facteurs qui séparent les chercheurs — conceptions du monde différentes, formations diverses, simple absence de contact et incompréhension — sont autant d'obstacles à la collaboration. La discussion, l'éducation et les débats sur les avantages et les possibilités qu'il y a à transcender les paradigmes de recherche conventionnels trouveront peut-être un accueil particulièrement favorable chez les chercheurs qui s'intéressent aux maladies chroniques. S'il est possible d'améliorer la recherche sur la gestion des maladies chroniques en rapprochant les partisans de la méthode qualitative des tenants de la démarche quantitative et en utilisant une approche mixte, il serait souhaitable d'encourager et d'appuyer de telles collaborations. Une telle mobilisation du milieu des chercheurs est certes justifiée, car il y va de l'intérêt des personnes qui vivent avec des maladies chroniques.

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Références des auteurs

Ann L. Casebeer et Marja J. Verhoef
, Department of Community Health Sciences, Faculty of Medicine, The University of Calgary, Calgary (Alberta)
Correspondance : Ann L. Casebeer, Department of Community Health Sciences, 3330 Hospital Drive NW, Calgary (Alberta)  T2N 4N1; Télécopieur : (403) 270--7307; Courrier électronique : alcasebe@acs.ucalgary.ca



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Dernière mise à jour : 2002-10-29 début