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Volume 18, No 4- 2000

 

 

Agence de santé publique du Canada

Document de travail

Sécurité et promotion de la sécurité : aspects conceptuels et opérationnels

Pierre Maurice, Michel Lavoie, Antoine Chapdelaine et Hélène Bélanger Bonneau


Ce document servira de base aux discussions qui auront lieu à Québec, les 5 et 6 février 1998, lors d'un séminaire international sur la sécurité et la promotion de la sécurité. Vous pouvez contribuer à la préparation de ce séminaire en faisant parvenir rapidement vos commentaires sur le contenu de ce document à l'auteur chargé de la correspondance.


Résumé

Après avoir énuméré les principales difficultés généralement rencontrées dans les efforts consentis pour prévenir les traumatismes et améliorer la sécurité de la population, ce document propose un cadre de référence dans le domaine de la promotion de la sécurité. Il s'applique aussi bien à la prévention des traumatismes non intentionnels qu'à la problématique de la violence, de la criminalité et des suicides. Ce cadre devrait faciliter la concertation entre les intervenants concernés par ces problématiques en favorisant une meilleure intégration des différents modèles d'interventions utilisés. Il devrait également favoriser tant la mise en oeuvre que l'efficacité d'interventions de nature interdisciplinaires et intersectorielles.

Mots clés : Injury prevention; safety; safety promotion; wounds and injuries [Prévention des traumatismes; sécurité; promotion de la sécurité; blessures et traumatismes]


Introduction

Dans le cadre de sa coopération avec l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Centre collaborateur OMS du Québec pour la promotion de la sécurité et la prévention des traumatismes a eu le mandat de proposer 1) une définition de la sécurité, 2) une approche globale pour évaluer et promouvoir la sécurité d'une population et 3) une définition des facteurs critiques de succès pour mobiliser une communauté à améliorer sa sécurité. La présente publication vise à faire connaître l'état d'avancement des travaux relativement à ce mandat. Pour l'instant, cette proposition n'engage aucunement la responsabilité de l'OMS. Cette publication vise également à recueillir le plus de commentaires possible sur cette première proposition pour la bonifier avant qu'elle ne soit finalisée par consensus lors d'un séminaire international portant sur la sécurité et la promotion de la sécurité qui se tiendra à Québec, les 5 et 6 février 1998. Finalement, cette publication vise à souligner la participation du Canada dans cette importante nouvelle initiative de promotion de la sécurité.

Cette proposition s'adresse aux intervenants ou professionnels dont les mandats visent l'amélioration de la sécurité de la population ou la prévention des traumatismes intentionnels ou non intentionnels. Ces derniers peuvent provenir du domaine de la santé publique, mais également des autres secteurs intéressés tels que la justice, la sécurité publique, le transport, le domaine municipal ainsi que le sport et les loisirs.

Difficultés rencontrées pour améliorer la sécurité des communautés et prévenir les traumatismes

Les efforts déployés pour améliorer la sécurité des communautés et prévenir les traumatismes se heurtent en général à des difficultés d'ordre culturel, conceptuel, stratégique et opérationnel.

Sur le plan culturel

Un peu partout dans le monde, deux types d'attitudes prévalent au sein de la population concernant la survenue de traumatismes : le fatalisme et la «victimisation». Les deux nuisent à la mise en oeuvre de programmes efficaces de prévention des traumatismes et de promotion de la sécurité.

Le fatalisme est une attitude selon laquelle tous les événements sont fixés à l'avance par le destin. Cela mène à une acceptation résignée du problème des traumatismes et à la croyance qu'ils ne sont que le fruit du hasard ou d'une volonté suprême impossible à changer. Il en résulte une tolérance sociale au regard de ce problème de santé important, nuisant ainsi aux efforts déployées pour le prévenir.

La victimisation est une attitude voulant qu'un individu qui se blesse soit responsable de son malheur parce qu'il a fait une erreur de jugement, parce qu'il n'a pas voulu se protéger ou parce qu'il n'a pas été prudent. Cette attitude résulte du fait qu'un individu peut contrôler jusque dans une certaine mesure les risques associés à la pratique de diverses activités (p. ex., conduire une voiture, faire de l'alpinisme, manipuler un objet contondant). Cette observation conduit à la croyance que l'éducation du public constitue la principale façon de prévenir les traumatismes et ce, au détriment d'autres types d'interventions (p. ex., actions sur l'environnement).

Outre ces deux attitudes il faut également ajouter la notion d'acceptabilité sociale du risque. Pour un individu, un risque est toujours plus acceptable s'il a l'impression de le contrôler plutôt que de le subir, et ce, indépendamment de l'importance des conséquences potentielles sur sa santé. Par conséquent, la perception de contrôle des risques mentionnée au paragraphe précédent conduit la population à être plus tolérante face aux dangers de blessures qu'elle ne l'est face à des risques incontrôlables par un individu (p. ex., la pollution de l'air par des substances toxiques).

Sur le plan conceptuel

Il existe encore beaucoup de confusion autour des objets de travail principaux que sont les accidents, les traumatismes et la sécurité. La tendance dans le monde anglophone a été jusqu'ici de mettre l'accent sur la réduction des traumatismes et non des accidents1. L'argument généralement avancé pour justifier cette position est que le caractère généralement fortuit donné au terme accident peut nuire à une compréhension épidémiologique du phénomène et à la reconnaissance que les traumatismes surviennent selon une certaine logique sur laquelle il est possible d'intervenir pour les prévenir. Par traumatisme, on entend ici toute lésion corporelle résultant d'un transfert subit d'énergie (mécanique, thermique, électrique, chimique ou radiante) ou d'une privation subite d'un élément vital (p. ex., noyade, strangulation, engelure)1. Selon cette vision des choses, la prévention des traumatismes inclut toute la gamme d'interventions possibles allant de la prévention de l'événement pouvant conduire au traumatisme jusqu'à la prévention du traumatisme lorsque l'événement survient malgré tout2.

Dans le monde francophone, cette distinction entre accident et traumatisme est moins importante, et on tend à assimiler les deux termes3. On préfère en général utiliser le vocable prévention des accidents parce qu'il se rapproche d'avantage de la compréhension populaire du phénomène et qu'il permet de mettre le point de mire sur l'événement, et ce, qu'il ait ou non entraîné un traumatisme.

La distinction entre l'une et l'autre approche (prévention des accidents versus prévention des traumatismes) peut paraître théorique à prime abord. Elle conduit cependant à une compréhension un peu différente du problème de même qu'à des choix différents dans les objets de travail (p. ex., faut-il essayer de prévenir les accidents sans traumatisme) et dans les stratégies d'intervention (p. ex., place accordée à la prévention d'un événement par rapport à la prévention de ses conséquences incluant les blessures et les handicaps).

En ce qui concerne la sécurité, les visions sont encore plus diversifiées. Pour certains ce concept ne réfère qu'au contrôle de la criminalité et de la violence, pour d'autres il réfère davantage à un sentiment qu'à un état, ou encore à la satisfaction des besoins de base (manger, dormir, avoir un toit, etc.). Ce concept n'englobe pas toujours la prévention des traumatismes. Beaucoup d'intervenants ont mené des activités pour améliorer la sécurité de la population, mais peu d'efforts ont été consacrés à délimiter ce champ d'intervention. Le concept de sécurité est donc difficile à saisir dans toutes ses dimensions (physique, sociale, psychologique, etc.) et par conséquent difficile à promouvoir.

De plus, on ne tient pas toujours compte du fait que les différentes dimensions du concept de sécurité sont reliées et évoluent selon une dynamique particulière qui doit être prise en considération pour mener des actions efficaces. Par exemple, la présence d'un gardien armé aux portes d'un hôtel peut représenter un facteur de protection efficace contre des agressions, mais peut également générer un sentiment d'insécurité en raison de la nécessité d'avoir ce type de dispositif dans un quartier. À l'inverse, une personne qui conduit une voiture tellement bien insonorisée qu'elle n'entend aucun bruit provenant de l'extérieur peut se sentir en sécurité et faire des excès de vitesse. En d'autres mots, on n'est pas toujours conscient du fait qu'une mesure implantée pour améliorer la sécurité physique peut nuire à la sécurité psychologique et vice versa.

Sur le plan stratégique

Le niveau de priorité accordé à la sécurité n'est pas toujours à la hauteur de l'importance du problème. Malheureusement, prévenir les traumatismes ou améliorer la sécurité représente pour plusieurs davantage une dépense qu'un investissement. Cela constitue une barrière importante à nos interventions et fait en sorte qu'il faut consacrer beaucoup de temps et de ressources pour convaincre des interlocuteurs de l'importance d'agir. Cette observation s'applique tant à l'échelle individuelle (p. ex., convaincre un individu à utiliser un moyen de protection efficace), organisationnelle (convaincre une municipalité à consacrer des ressources pour améliorer la sécurité des citoyens) que communautaire (convaincre la population du bien-fondé de consacrer une partie de la richesse collective à l'amélioration de la sécurité).

Le faible niveau de priorité accordé au dossier de la sécurité fait que souvent les interventions efficaces ne voient jamais le jour. Si malgré tout des interventions sont menées pour répondre à une préoccupation de sécurité, ce ne sont souvent que des demi-solutions peu ou pas efficaces, ce qui constitue un gaspillage du peu de ressources disponibles. Cette observation se traduit également par un effort limité dans les ressources investies pour des activités de recherche. Il est donc difficile d'obtenir le financement nécessaire à la réalisation ou l'évaluation de projets novateurs.

Au fond, le dossier de la sécurité est aujourd'hui dans une position stratégique analogue à celle où se trouvait le dossier de l'environnement il y a 10 ou 15 ans. Si plus d'énergie est consentie aujourd'hui à améliorer la qualité de l'environnement, c'est en partie grâce aux nombreux mouvements écologiques prônant des stratégies globales qui ont fait de l'environnement une ressource importante à préserver. Ces stratégies ne s'intéressaient pas uniquement à la prévention de problèmes spécifiques liés à la présence de contaminants, mais avaient comme préoccupation la promotion d'un développement durable. Progressivement, les interventions pour améliorer la qualité de l'environnement sont devenues pour plusieurs décideurs un investissement économiquement et socialement rentable.

Sur le plan opérationnel

Parmi les stratégies de prévention des traumatismes, on a privilégié jusqu'ici une démarche «par problème». La majorité des interventions en cours s'insèrent dans la logique traditionnelle de prévention des maladies associée à la démarche «par problème», laquelle est imprégnée du modèle médical. Cette démarche repose sur une vision mécanique de la réalité. Pour chaque problème pris isolément, elle vise à identifier les principaux facteurs de risque et les solutions permettant de les modifier.

Le fait de privilégier ce type de démarche a pour conséquences : de cloisonner les interventions; de laisser pour compte le fait que souvent les problèmes sont reliés entre eux de même que leurs solutions; d'isoler les intervenants entre eux; de réduire l'efficience des interventions; et de nuire à l'émergence de solutions globales et d'une mentalité positive qui considère la sécurité comme une valeur importante à préserver plutôt qu'un problème dont il faut se débarrasser.

Finalement, plusieurs approches sont utilisées dans le domaine de la sécurité et de la prévention des traumatismes. Cette diversité d'approches au même titre que le cloisonnement des interventions rend difficile la communication et la collaboration entre intervenants. Ces approches trouvent des adeptes différents, souvent selon leur pays d'appartenance et leur profession. Ils utilisent un vocabulaire spécifique et proposent des façons parfois très différentes pour comprendre la réalité, concevoir des interventions et les mettre en oeuvre.

Par exemple, pour prévenir le suicide, certains vont utiliser un modèle clinique de prévention de la maladie mentale, d'autres vont utiliser un modèle de promotion de la santé mentale, alors que d'autres proposeront un modèle de prévention des traumatismes intentionnels4. Tous poursuivent les mêmes buts. Pourtant, l'absence de fil conducteur entre ces modèles fait que les uns comprennent mal ce que les autres font et qu'il est difficile de situer les actions de chacun par rapport à l'univers des interventions possibles. Cette situation contribue au renforcement du cloisonnement des interventions et des intervenants.

Le concept de sécurité

Bon nombre des difficultés décrites ci-dessus trouvent en partie leur solution dans la proposition d'une vision globale et positive en regard des enjeux de sécurité qui intègre les différentes approches et modèles utilisés dans le domaine. En proposant une telle vision, la présente proposition devrait favoriser une mobilisation des communautés locales, nationales et internationales autour des enjeux de sécurité. Elle devrait contribuer à faire de cette dernière une valeur à promouvoir parce que économiquement et socialement rentable, et elle devrait habiliter les intervenants dans la conception de leurs objectifs et dans les processus à mettre en oeuvre pour les atteindre.

Définition de la sécurité

La sécurité peut être définie comme un état ou une situation dépourvue de menaces d'ordre physique, matériel ou moral qui doit conduire à une perception d'être à l'abri du dangera.

a Source : Centre de santé publique de Québec, adapté à partir de la définition proposée lors d'un atelier de travail de l'équipe de sécurité communautaire, tenu à Québec en août 1994.

La sécurité comporte donc deux dimensions (figure 1) : d'une part, un état réel apprécié en fonction de paramètres comportementaux et environnementaux objectifs, appelé ici sécurité réelle (SR), et d'autre part un état perceptuel apprécié en fonction du sentiment de sécurité de la population (paramètre subjectif), appelé ici sécurité perçue (SP).

 

 

 


figure 1

   

Ces deux dimensions s'influencent mutuellement de façon positive ou négative. En effet, l'amélioration de la sécurité réelle conduit très souvent à l'amélioration du sentiment de sécurité de la population.  Toutefois, l'amélioration de la sécurité réelle peut dans certains cas diminuer la sécurité perçue (p. ex., la présence de nombreux policiers dans un quartier pour combattre la criminalité peut générer un sentiment de panique auprès de certaines personnes), de même que l'amélioration de la sécurité perçue peut entraîner une détérioration de la sécurité réelle ou «syndrome du Titanic» (p. ex., augmentation de la vitesse chez les conducteurs de véhicules munis de freins ABS; se procurer une arme à feu pour se protéger des agressions). Cette dynamique entre la sécurité réelle et perçue est parfois même mise à profit dans certains types d'intervention cherchant à induire un sentiment d'insécurité pour amener des comportements plus sécuritaires et ce, au bénéfice de l'ensemble de la population (p. ex., réduction des largeurs de rue pour ralentir la vitesse de la circulation dans une zone scolaire).

Liens entre la sécurité et la santé

Dans leur rapport pour le développement humain de 1994, les Nations unies considèrent la sécurité comme un droit fondamental et une condition essentielle de tout développement durable des sociétés5. Selon la théorie des besoins de Maslow6, tout comme la satisfaction des besoins physiologiques, la sécurité est un des besoins fondamentaux de l'être humain. Par conséquent, la sécurité peut être considérée comme un préalable au maintien et à l'amélioration de la santé et du bien-être de la population (figure 2).



figure 2

   

On doit comprendre que l'état de santé et de bien-être d'une population est déterminé par les conditions de l'environnement ou les comportements. Ici, l'environnement est pris au sens large (physique, social, technologique, politique, économique, organisationnel, etc.). Souvent l'effet des déterminants comportementaux et environnementaux sur la santé et le bien-être est fonction du niveau de sécurité atteint. Par ailleurs, il existe également une association entre l'environnement et les comportements (p. ex., l'utilisation de la ceinture de sécurité par un grand nombre d'automobilistes facilite l'adoption d'une loi la rendant obligatoire et vice versa).

Les trois conditions de base à la sécurité

L'atteinte d'un niveau optimal de sécurité pour un individu ou pour une communauté suppose la présence de trois conditions et l'assurance que tout est mis en oeuvre pour les atteindre ou les maintenir. Ces conditions sont les suivantes :

  • Un climat social de paix
  • Le contrôle des dangers reliés aux blessures
  • Le respect de l'intégrité physique, matérielle ou morale des personnes

Le climat social de paix réfère à la cohabitation harmonieuse et non violente des différentes collectivités ou groupes d'intérêt; cet état conduit à une société libre d'affrontements violents entre des groupes de pays, de race, de religion, de sexe, de niveau social ou économique, etc. différents.

Le contrôle des dangers reliés aux blessures réfère à la présence d'environnements et de comportements empêchant la survenue de lésions corporelles résultant d'un transfert subit d'énergie (mécanique, thermique, électrique, chimique ou radiante) ou d'une privation subite d'un élément vital (p. ex., noyade, strangulation, engelure).

Le respect de l'intégrité physique, matérielle ou morale des personnes réfère à la cohabitation harmonieuse et non violente entre les individus au sein d'une collectivité. Cet état assure à chaque individu de ne pas être personnellement agressé physiquement (voies de fait, viol, etc.) ou moralement (harcèlement, propos haineux, etc.) et de pouvoir jouir de ses biens sans risque de se les faire dérober ou vandaliser. Contrairement au climat social de paix (première condition), qui réfère à des actions entre groupes, la présente condition réfère plutôt à des actions entre individus. À noter que dans le cas du suicide, l'agression est auto infligée.

La promotion de la sécurité

Proposition d'une définition

L'Organisation mondiale de la Santé7 définit la promotion de la santé comme un processus qui vise à conférer aux populations les moyens d'assurer un plus grand contrôle sur leur santé et d'améliorer celle-ci. Ainsi, on pourrait définir la promotion de la sécurité comme un processus visant à conférer aux populations les conditions et les capacités nécessaires à l'atteinte et au maintien d'un niveau de sécurité optimal. Ces conditions peuvent être garanties par des actions sur l'environnement (physique, social, technologique, politique, économique, organisationnel, etc.) et les comportements. Cette définition suppose qu'il s'agit avant tout d'un processus d'habilitation d'une collectivité qui nécessite une participation active de la population tant dans la définition de ses objectifs que dans le choix des solutions.

Aspects opérationnels

Deux types de démarches sont possibles pour améliorer la sécurité d'une communauté : la démarche par problème et la démarche par milieu de vie (figure 3). Ces deux démarches, bien que distinctes, sont complémentaires et essentielles. Elles supposent toutes deux une participation active de la population et des décideurs. Le rôle de l'intervenant est avant tout d'animer et de supporter le processus spécifique à l'une et l'autre démarche.

Démarche par problème

La démarche par problème consiste en une recherche de solutions spécifiques pour un certain nombre de problèmes pris individuellement (figure 3). L'objet de mobilisation consiste en la prévention d'un type de traumatisme intentionnel ou non intentionnel, tel que les suicides, les traumatismes reliés à la route, les chutes, la violence en milieu urbain, etc. Ces problèmes ont pu être sélectionnés après avoir établi un ordre de priorité basé généralement sur leur importance en terme de fréquence ou de gravité dans une communauté donnée.

Dans cette démarche, la population d'intérêt est constituée des individus exposés aux facteurs de risque associés aux catégories de traumatismes jugés prioritaires. Le cheminement à suivre consiste, pour un problème donné, à en identifier les causes environnementales ou comportementales et à élaborer un programme d'intervention spécifique. Ainsi, l'amélioration du niveau de sécurité réelle et perçue constitue davantage une retombée qu'un objectif explicite.

La démarche par problème est essentielle à l'approche de promotion de la sécurité. Elle permet de bien définir les objectifs de santé à atteindre ainsi que les facteurs de risque sur lesquels il faut agir. Toutefois, lorsqu'utilisée seule cette démarche peut présenter certaines limites. Premièrement, le fait que le cadre conceptuel sous-jacent repose sur une simplification d'une réalité souvent complexe, rend plus difficile la prise en compte de l'interaction entre les problèmes. Par exemple, l'augmentation du risque d'être agressé dans certains quartiers centraux peut amener le déplacement des populations vers les banlieues, ce qui peut exposer la population travaillant au centre-ville à un risque accru de traumatismes routiers. De plus, ce modèle ne permet pas de tenir facilement compte de l'interaction entre les solutions proposées de telle manière qu'il n'est pas toujours assuré que la solution retenue améliore vraiment la sécurité réelle et perçue de la population concernée.

Il est même possible parfois que le résultat final d'une solution appliquée isolément pour régler un problème donné compromette le niveau de sécurité réelle ou perçue de la population. Par exemple, la construction d'un tunnel piétonnier pour réduire les risques de collision pourrait représenter une opportunité supplémentaire d'être victime d'agression dans un quartier. Également, l'installation d'appareils de jeu sécuritaires dans un parc peut amener un achalandage important aux alentours, ce qui peut représenter un risque accru de collisions avec un véhicule moteur dans le quartier. Ou même, l'exclusion systématique d'un groupe ou d'une catégorie d'individus pour assurer la paix sociale d'une place publique, peut porter atteinte à leur intégrité physique, matérielle ou morale en réduisant leurs droits et libertés.

Deuxièmement, en générant des solutions sur un seul problème à la fois, ce type de démarche ne favorise pas l'émergence de solutions globales qui chercheront à avoir des effets non seulement sur la réduction de plusieurs types de traumatismes à la fois, mais également sur d'autres problèmes de santé. Par exemple, un programme de réduction des chutes chez les personnes âgées proposera des interventions visant entre autres un meilleur entretien des trottoirs. Ce programme négligera cependant de considérer le climat d'insécurité dans la ville qui réduit les sorties quotidiennes des aînés, nuisant ainsi à leur santé mentale et au maintien de leur condition physique et de leur autonomie.

Et troisièmement, les problèmes dans une population sont souvent complexes d'où la nécessité de compétences diversifiées pour les solutionner. La démarche par problème ne favorise pas toujours l'intégration de ces compétences; elle conduit plutôt à un certain isolement des intervenants intéressés au domaine de la sécurité.

Démarche par milieu de vie

L'objet de mobilisation dans la démarche par milieu de vie n'est plus la solution d'un problème spécifique mais plutôt l'amélioration du niveau de sécurité d'une collectivité (figure 3). L'objectif n'est pas de prévenir tel ou tel problème, mais d'agir sur un ensemble de déterminants afin d'améliorer la sécurité réelle et perçue des citoyens. La prévention de problèmes spécifiques constitue davantage une des retombées probables qu'un objectif explicite.



figure 3

   

Dans cette démarche, la population d'intérêt est constituée d'individus regroupés dans un milieu de vie donné (ville, quartier, rue, parc, école, usine, etc.), lequel est considéré comme un système ayant une ou plusieurs finalités. Chaque milieu de vie est formé de plusieurs composantes (population; aménagement physique; infrastructures matérielles, économiques, techniques, etc.) qui remplissent chacune une fonction déterminée. Ces composantes s'influencent mutuellement selon certaines règles qui ne sont pas toujours connues. La sécurité est considérée comme un état résultant d'un équilibre dynamique qui s'établit entre les différentes composantes du système.

La démarche par milieu de vie comporte trois étapes.

Première étape : La première étape consiste à identifier les forces et faiblesses d'un milieu de vie donné afin de poser un diagnostic de sécurité. La figure 4 présente dans une matrice à deux axes les éléments à considérer pour poser ce diagnostic. L'axe horizontal comprend les éléments nécessaires à l'atteinte d'un niveau de sécurité optimal, soit la présence d'un climat social de paix, le contrôle des dangers reliés aux blessures et le respect de l'intégrité physique, matérielle ou morale des personnes. L'axe vertical comprend trois catégories d'indicateurs. C'est à partir de ces indicateurs que pourront être évaluées les conditions de sécurité apparaissant sur l'axe horizontal.

La première catégorie d'indicateurs permet d'évaluer les moyens mis en place par la collectivité pour assurer l'atteinte ou le maintien de chacune des conditions de sécurité (p. ex., mise sur pied d'un système de brigadiers scolaires pour aider les écoliers à traverser des carrefours dangereux). La deuxième catégorie permet d'évaluer l'exposition de la collectivité aux facteurs susceptibles de nuire ou d'aider à l'atteinte ou au maintien de ces mêmes conditions de sécurité (p. ex., nombreux conducteurs de véhicules moteurs conduisant avec des facultés affaiblies). La dernière catégorie d'indicateurs permet de documenter la survenue d'événements indésirables relatifs à ces mêmes conditions (p. ex., nombre d'écoliers impliqués dans des accidents de la circulation à des carrefours).

À chaque fois, les conditions de sécurité (axe horizontal) doivent être évaluées à partir de données objectives et subjectives au regard des trois catégories d'indicateurs (axe vertical). Les données objectives visent à évaluer le niveau de sécurité réelle du milieu de vie considéré : il s'agit de données factuelles qui peuvent être obtenues de différentes façons (rondes d'observation, analyse de données existantes, etc.). Les données subjectives visent à évaluer le niveau de sécurité du milieu de vie tel que perçu par la population qui y vit : il s'agit de perceptions qui peuvent être obtenues par différents mécanismes de consultation (groupes de discussion, plaintes, sondages, forums, etc.).

Le diagnostic du niveau de sécurité d'un milieu de vie donné comporte donc deux dimensions (objective et subjective) qui peuvent concorder ou diverger. Par exemple, en ce qui concerne les moyens déployés pour assurer un climat social de paix, il est possible que la population ait le sentiment que le nombre de policiers alloués est insuffisant alors que dans les faits ce nombre respecte ou même dépasse ce qui est nécessaire. Également, par rapport au nombre d'événements vécus dans une collectivité, une couverture médiatique prolongée à propos d'un viol peut conduire la population à croire que le phénomène est plus répandu qu'il ne l'est en réalité. Les dimensions subjective et objective sont tout aussi importantes l'une que l'autre. Cependant, elles doivent absolument être distinguées puisque de toute évidence elles ne conduisent pas aux mêmes solutions.

De plus, ce processus diagnostic ne doit pas considérer uniquement les déficiences d'une collectivité, mais également ses atouts sur le plan de la sécurité. Il doit également permettre une analyse de l'interaction entre les différentes forces et les différentes faiblesses identifiées, ce qui donne une compréhension dynamique et plus complète de l'état de sécurité de la population. Ainsi, l'utilisation d'une grille d'évaluation qui considère systématiquement l'ensemble des aspects de la sécurité d'une population permettra vraisemblablement d'identifier des phénomènes qui n'auraient pas pu l'être par la seule démarche par problème. Au terme de cette étape, l'on pourra dégager pour le milieu de vie étudié une image synthèse tant des forces à consolider que des faiblesses à corriger en priorité.



FIGURE 4

Diagnostic de sécurité d'un milieu de vie donné :
dimensions à considérer

CONDITIONS/INDICATEURS

Climat social
de paix

Contrôle des dangers de blessures

Respect de l'intégrité physique, matérielle ou
morale des personnes

Moyens déployés

1

4

7

Exposition à des risques

2

5

8

Nombre d'événements

3

6

9

Exemples de forces (F+) ou faiblesses (F-) pour chaque cellule de la matrice au regard de la sécurité réelle (SR) et perçue (SP) :

  1. La coexistence entre les jeunes marginaux et le reste de la population d'un quartier
      SR : On a formé un comité de concertation notamment de jeunes, de policiers et d'intervenants sociaux, pour identifier des solutions pacifiques aux tensions existantes. (F+)
      SP : La population croit que la police laisse les jeunes marginaux incommoder les passants. (F-)

  2. La coexistence entre des groupes de race différente dans une école
      SR : Les jeunes d'une école sont hostiles aux immigrants. (F-)
      SP : Les jeunes d'une école croient que les immigrants ont des comportements agressifs. (F-)

  3. Des manifestations de violence entre des groupes de supporters lors d'événements sportifs
      SR : Deux émeutes sont survenues au stade au cours de la dernière année. (F-)
      SP : Les organisateurs d'événements sportifs nient la possibilité d'émeutes entre supporters. (F-)

  4. Le contrôle des dangers reliés aux catastrophes dans une communauté
      SR : La communauté a un plan d'intervention efficace en cas de catastrophe. (F+)
      SP : La population croit que le plan d'intervention en cas de catastrophe est inefficace. (F-)
  5. Le contrôle des incendies dans un centre d'hébergement pour personnes âgées
      SR : De nombreux pensionnaires fument au lit. (F-)
      SP : La majorité des pensionnaires sont conscients qu'il est dangereux de fumer au lit. (F+)
  6. Le contrôle des intoxications chez les enfants dans une communauté
      SR : Le nombre d'intoxications chez les moins de 5 ans a augmenté. (F-)
      SP : La population croit que les intoxications chez les enfants surviennent rarement. (F-)
  7. Le respect de l'intégrité physique des personnes dans un pays
      SR : Il n'y a pas de réglementation efficace sur le contrôle des armes à feu. (F-)
      SP : La population croit inutile les mesures de contrôle des armes à feu. (F-)
  8. Les risques d'actes criminels entre individus au sein de la communauté
      SR : Il y a des inégalités socio-économiques importantes dans la communauté. (F-)
      SP : La population n'est pas consciente de l'importance des inégalités socio-économiques dans la communauté. (F-)
  9. Le nombre d'agressions dans les parcs d'une ville
      SR : Aucune agression n'a été constatée dans les parcs d'une ville depuis deux ans. (F+)
      SP : La population croit qu'il y a régulièrement des agressions dans les parcs. (F-)

   

Deuxième et troisième étapes : Les deuxième et troisième étapes de la démarche par milieu de vie permettent d'identifier les causes spécifiques et les solutions à privilégier pour chacune des déficiences observées à l'étape précédente. Cette identification se fait suivant la démarche par problème. Toutefois, le fait d'avoir une compréhension complète et dynamique de la situation devrait faciliter l'identification des causes ou des solutions communes à plusieurs problèmes et les forces de la collectivité qui vont nous permettre de solutionner ces problèmes. Elle permet également de mieux identifier les effets pervers potentiels des solutions envisagées.

La globalité de la démarche par milieu de vie nécessite l'intégration des différentes compétences, ce qui ne peut être atteint que par un travail d'équipe concerté. Tout cela devrait favoriser une meilleure efficience des interventions à réaliser. De plus, le processus de mobilisation des intervenants et de la population nécessaire à la réalisation de cette démarche devrait favoriser l'émergence d'une mentalité positive dans la collectivité considérant la sécurité comme une valeur et une ressource à préserver. Cette prise de conscience est susceptible de faire inclure davantage la sécurité dans l'agenda des décideurs et dans leurs critères de décision.

Si on se réfère à l'exemple utilisé plus haut, un programme de promotion de la sécurité des personnes âgées dans un quartier s'intéressera à l'amélioration globale de leur sécurité. Il pourrait cibler en plus d'un meilleur entretien des trottoirs, la mise sur pied d'un club de marche, le contrôle de la criminalité et l'adaptation de la signalisation piétonnière. Un tel programme aurait des effets non seulement sur la réduction des chutes chez les personnes âgées, mais également sur la réduction de leur isolement social ainsi que sur l'amélioration de leur autonomie, de leur condition physique et de leur santé mentale. Ce même programme bénéficierait également à l'ensemble de la population.

Les démarches par problème et par milieu de vie ont été décrites séparément pour mieux comprendre les éléments spécifiques à chacune. La proportion des activités d'un programme découlant de l'une ou l'autre démarche peut varier selon le contexte. Ainsi dans une ville, on peut supposer que, compte tenu du mandat très spécifique du service de lutte contre les incendies, ce dernier adoptera une démarche à prédominance par problème. Par contre, pour un conseil de ville dont un des mandats est d'assurer l'ensemble des conditions de sécurité de la population, une démarche à prédominance par milieu de vie pourrait s'avérer plus appropriée.

Conclusion

L'approche de prévention des traumatismes a permis de comprendre que les traumatismes constituaient un problème de santé important avec des facteurs de risque et des groupes cibles spécifiques. Ces concepts soulignent que, tout comme les autres problèmes de santé, les traumatismes sont dus à des causes sur lesquelles il est possible d'agir plutôt qu'à des événements aléatoires indépendants de notre contrôle. Cette compréhension du phénomène a suscité le développement de nombreuses initiatives pour mieux documenter le problème d'un point de vue épidémiologique et pour élaborer des moyens de prévention. Cette mobilisation s'est faite d'abord dans le domaine des traumatismes non intentionnels puis, plus récemment, dans le domaine des traumatismes intentionnels (violence, homicides et suicides).

La description du phénomène sous l'angle d'un problème de santé a permis de mettre les traumatismes à l'agenda surtout des intervenants du secteur de la santé. Comme les autres secteurs n'ont pas un mandat explicite de prévention des traumatismes, ils se reconnaissent moins bien dans cette façon de définir le problème, rendant ainsi certains arrimages parfois difficiles avec le secteur de la santé. Pourtant, quiconque travaille en prévention des traumatismes connaît la contribution indispensable des autres secteurs que celui de la santé (sécurité publique, transport, justice, loisirs, sport, habitations, etc.) lorsque vient le temps de concevoir des interventions.

Ces secteurs ont généralement parmi leurs mandats, celui d'assurer la sécurité de la population. C'est pourquoi nous croyons qu'une approche définissant les concepts de promotion de la sécurité peut constituer un point de jonction entre le secteur de la santé et les autres secteurs intéressés au domaine de la sécurité de la population. De plus, en proposant une base commune de compréhension, une telle approche devrait permettre une meilleure concertation entre les différents secteurs et disciplines touchés, et ainsi favoriser le décloisonnement des interventions. Elle devrait susciter la mise en valeur d'initiatives globales visant, non seulement la réduction de tel ou tel problème, mais aussi l'amélioration de la sécurité réelle et perçue de la population. Une vision positive de la sécurité en tant que valeur à promouvoir dans nos collectivités ne s'en trouvera ainsi que facilitée.

Références

    1. Haddon W, Baker SP. Injury control. Dans: Clark D, MacMahon B, rédacteurs. Preventive and community medicine. Little, Brown and Company, 1981:109-40.

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    3. OMS-CFES. Prévention des traumatismes et des accidents. Approche des pays francophones. 1995 oct. 16-18; Paris, France: 231.

    4. Silverman MM, Maris RW. I. Epidemiology and risk factors. The prevention of suicidal behaviors: an overview. Suicide and Life-Threatening Behavior 1995;25(1):10-21.

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    6. Maslow AH. Toward a psychology of being. New York: Di Van Nostrand, 1968.

    7. Organisation mondiale de la santé, Santé et Bien-être social Canada et l'Association canadienne pour la santé publique. Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé. Conférence internationale pour la promotion de la santé; 1986 nov.; Ottawa (Ontario).



Références des auteurs

Pierre Maurice, Michel Lavoie, Antoine Chapdelaine et Hélène Bélanger Bonneau, Centre collaborateur OMS du Québec pour la promotion de la sécurité et la prévention des traumatismes
Correspondance : Pierre Maurice, Expert de l'OMS, 2400, d'Estimauville, Beauport (Québec)  G1E 7G9; Téléphone : (418) 666-7000, poste 345 ou 406; Télécopieur : (418) 666-2776; Courrier électronique : Pmaurice@cspq.qc.ca

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Dernière mise à jour : 2002-10-02 début