Gouvernement du CanadaAgence de santé publique du Canada / Public Health Agency of Canada
   
Sauter toute navigation -touch directe z Sauter au menu vertical -touch directe x Sauter au menu principal -touch directe m  
English Contactez-nous Aide Recherche Site du Canada
Accueil - ASPC Centres Publications Lignes directrices Index A-Z
Santé - enfants Santé - adultes Santé - aînés Surveillance Santé Canada
   

Maladies chroniques au Canada


Volume 23
Numéro 1
2002

[Table des matières]

 

  Agence de santé publique du Canada

Mortalité pendant et après la grossesse selon la cause et définition de la mortalité maternelle


Linda A Turner, Michael S Kramer et Shiliang Liu, pour le Groupe d'étude sur la mortalité et la morbidité maternelles du Système canadien de surveillance périnatale

Résumé

Dans le cadre d'une étude cherchant à déterminer si la mortalité maternelle au Canada était insuffisamment déclarée, nous avons cherché à établir la validité de l'inclusion des décès qui n'étaient pas directement liés à la grossesse. Nous avons couplé les enregistrements de naissances vivantes et de mortinaissances aux enregistrements de décès s'appliquant aux femmes en âge de procréer, entre 1988 et 1992. Nous avons calculé les rapports de mortalité standardisés, par cause, pour les décès de femmes qui étaient enceintes et pour les décès de femmes du même âge qui n'étaient pas enceintes pendant la période visée. Les femmes qui étaient enceintes risquaient deux fois moins de mourir que ce à quoi l'on s'attendait, pour chacune des deux périodes de six mois considérées : de 20 semaines de gestation à 42 jours après l'accouchement (RMS 0,4, IC à 95 % 0,3-0,5) et de 42 jours à 225 jours après l'accouchement (RMS 0,5, IC à 95 % 0,5-0,6). Il ressort en outre que les femmes enceintes et celles qui viennent d'accoucher sont moins nombreuses à mourir de causes spécifiques, à l'exception des maladies des artères, des artérioles ou des capillaires (RMS 3,5, IC à 95 % 1,3-7,7) pendant leur grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison. Le seul RMS supérieur à 1 concerne les décès causés par des maladies vasculaires cérébrales pendant la grossesse et dans les 42 jours suivant l'accouchement, encore qu'il ne soit pas significatif (RMS 1,4, IC à 95 % 0,8-2,2). Aucun autre RMS attribuable à une cause spécifique n'est supérieur à 1. En outre, les femmes qui viennent d'accoucher sont moins nombreuses à se suicider ou à être victimes d'homicide. Aucune justification empirique ne nous autorise à préconiser l'inclusion des décès qui ne sont pas directement liés à la grossesse dans le décompte déclaré des morts maternelles pour la plupart des catégories de causes prises en compte.

Mots clés : définition de la mortalité maternelle, mortalité maternelle, surveillance de la mortalité maternelle


Introduction

La mortalité maternelle est considérée depuis plusieurs décennies comme un problème de santé publique de premier plan1. La comparaison des rapports de mortalité maternelle d'une année et d'un pays à l'autre permet de dresser un «bilan» des tendances et des différences dans le niveau général de santé, la qualité des soins médicaux et la situation économique et sociale des femmes au sein d'une population donnée2. Une définition objective et systématique de cet indicateur de santé largement diffusé est par conséquent nécessaire. Avant l'adoption de la 9e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-9), les décès incontestablement causés par des complications de la grossesse et de l'accouchement comme la rupture d'une grossesse ectopique, l'éclampsie et l'hémorragie du post-partum, étaient considérés comme des morts maternelles.

La publication de la CIM-9 a toutefois élargi la définition de la mortalité maternelle, laquelle recouvre désormais la notion de décès par cause obstétricale «indirecte»3. La mort maternelle s'entend «du décès d'une femme survenu au cours de la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, quelle qu'en soit la durée ou la localisation, pour une cause quelconque déterminée ou aggravée par la grossesse ou les soins qu'elle a motivés, mais ni accidentelle, ni fortuite». Les morts maternelles se répartissent dans deux catégories distinctes : les «décès par cause obstétricale directe» et les «décès par cause obstétricale indirecte». Les décès par cause obstétricale directe sont «ceux qui résultent de complications obstétricales» alors que les décès par cause obstétricale indirecte sont ceux «qui résultent d'une maladie préexistante ou d'une affection apparue au cours de la grossesse (...) sans qu'elle soit due à des causes obstétricales directes, mais qui a été aggravée par les effets physiologiques de la grossesse».

Même s'il est évident que la plupart des décès par cause obstétricale directe ne se seraient pas produits si la femme n'avait pas été enceinte, déterminer si un décès est directement lié à la grossesse est un exercice nécessairement subjectif. La définition de la mortalité par cause obstétricale indirecte fournie par la CIM est plus inclusive depuis la parution de la 10e révision4. Premièrement, alors que certaines causes de décès non liées à des traumatismes, comme le cancer, ne pouvaient être incluses dans les décès par cause obstétricale indirecte dans la CIM-9, la liste des catégories admissibles a été élargie dans la 10e révision et recouvre les décès survenus pendant la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison, quelle qu'en soit la cause, exception faite des décès liés à des traumatismes4. Deuxièmement, la CIM-10 comprend une catégorie dite de «mort maternelle tardive» qui s'entend de tout décès «résultant de causes obstétricales directes ou indirectes survenu plus de 42 jours, mais moins d'un an, après la terminaison de la grossesse». La 10e révision de la CIM apporte également un autre changement : les décès causés par des troubles cérébro-vasculaires survenus pendant la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison doivent être classés parmi les décès par cause obstétricale indirecte, plutôt que directe.

Les femmes enceintes ou en début de grossesse courent-elles plus de risques de mourir de l'une, de l'autre ou de toutes ces causes? Certains groupes de chercheurs ont tenté de répondre à cette question, du moins en partie. Khlat et Ronsmans ont observé des taux de mortalité supérieurs causés par des traumatismes non intentionnels chez les femmes de 15 à 19 ans, au Bangladesh, pendant la grossesse et peu de temps après l'accouchement, alors que les taux de mortalité par traumatisme dans les autres groupes d'âge n'étaient pas supérieurs5. Ces chercheurs ont également constaté que les taux de mortalité dans la catégorie générale des «autres» causes non directement liées à la grossesse étaient inférieurs chez les femmes enceintes ou qui venaient d'accoucher, par rapport à tous les autres groupes5.

Dannenberg et ses collègues ont recensé un nombre plus élevé qu'attendu d'homicides parmi les femmes enceintes ou qui venaient d'accoucher à New York, même si les autres taux de mortalité par traumatisme dans ce groupe de femmes n'étaient pas supérieurs aux prévisions6. De même, des chercheurs du Tennessee ont signalé que le taux de mortalité ajusté, tous traumatismes confondus, n'était pas supérieur chez les femmes qui avaient donné naissance à un enfant vivant ou mort-né pendant l'année précédente que chez les femmes qui n'avaient pas accouché, même si les taux d'homicide étaient quelque peu supérieurs parmi les femmes qui venaient d'accoucher (rapport des taux 1,2, intervalle de confiance à 95 % [IC] 0,75-1,92)7. Le même groupe de chercheurs ont également fait état de taux de mortalité par maladies cardio-vasculaires légèrement supérieurs chez les femmes qui avaient accouché l'année précédente (rapport de risques de 1,32, IC à 95 % 0,81-2,14) mais des taux de mortalité par cancer significativement inférieurs chez ces femmes de même que dans la catégorie des décès non liés à la grossesse et aux traumatismes7. D'autres chercheurs ont signalé des risques inférieurs de suicide pendant la grossesse et dans l'année qui suit l'accouchement9.

Aucune étude n'a, à notre connaissance, tenté de savoir si les femmes enceintes sont plus susceptibles que les femmes non enceintes de mourir pendant la grossesse ou après l'accouchement de causes spécifiques non directement liées à la grossesse (quelles que soient les principales catégories de causes). Ce type de renseignement pourrait permettre de justifier l'inclusion d'autres causes de décès dans la définition de la mortalité maternelle que celles qui ont un rapport évident avec la grossesse. À l'occasion d'une étude cherchant à évaluer la mortalité maternelle au Canada, dont les résultats préliminaires sont présentés dans l'article qui précède (pages 26-35), nous avons comparé les taux de mortalité par cause chez les femmes mortes pendant leur grossesse ou dans l'année suivant l'accouchement, aux taux enregistrés chez les femmes du même âge qui n'étaient pas enceintes l'année précédente. Dans cet article, nous présentons les méthodes et résultats de ces comparaisons.

Méthodologie

Nous avons retracé les décès survenus chez les femmes enceintes et qui venaient d'accoucher en couplant les enregistrements de naissances vivantes et de mortinaissances aux enregistrements de décès de femmes en âge de procréer. Le processus de couplage des enregistrements et l'examen des certificats de décès repérés par un groupe de spécialistes sont décrits dans l'article précédent. Il est tout à fait possible que toutes les femmes mortes pendant les 20 premières semaines de grossesse n'aient pas été identifiées, car les naissances au Canada ne sont pas enregistrées si elles surviennent avant 20 semaines (quoique cela varie légèrement d'une province à l'autre). Par conséquent, les décès survenus pendant cette période n'ont pas pu être couplés à des enregistrements de naissance. Huit décès survenus pendant cette période, dont la cause a été classifiée comme maternelle (grossesse extra-utérine et avortement spontané et médical), ont toutefois été repérés (voir le tableau 1 de l'article précédent, page 29). De même, nous n'avons vraisemblablement pas pu identifier toutes les femmes mortes pendant leur grossesse ou peu de temps après l'accouchement, si la naissance n'a pas été déclarée pour d'autres raisons. Par contre, nous aurions pu identifier les décès correspondants s'ils avaient été classés parmi les morts maternelles, qu'il y ait eu ou non enregistrement de la naissance.

Les cas de décès chez les femmes ont été inclus dans la population «obstétricale» s'ils s'étaient produits à compter de la 20e semaine de gestation, période d'environ 20 semaines (ou 140 jours) pour la majorité des femmes. Pour obtenir une période d'observation d'un an pour les femmes de la population obstétricale, nous avons dénombré, dans le fichier couplé, tous les décès survenus entre la 20e semaine de gestation et l'accouchement (soit 140 jours environ pour la majorité des femmes) ou dans les 225 jours suivant la terminaison de la grossesse (140 jours + 225 jours = 365 jours). La période totale d'observation pour la population obstétricale s'est donc établie à 365 jours, comme pour la population non obstétricale. Si la période de suivi n'avait pas été limitée à 225 jours, cette équivalence n'aurait pu être obtenue sans prolonger la période d'observation dans la population non obstétricale.

À l'aide des données de la section des données sur la santé et l'état civil de Statistique Canada, nous avons obtenu le nombre total de décès, par cause, survenus pendant chacune des cinq années visées par l'étude parmi les femmes des six groupes d'âge suivants : 15-19 ans, 20-24 ans, 25-29 ans, 30-34 ans, 35-39 ans et 40-44 ans. En raison de la sous-déclaration des naissances à Terre-Neuve entre 1988 et 1999, les décès enregistrés pendant ces années dans la population obstétricale de Terre-Neuve ont été exclus, au même titre que les décès féminins survenus dans la population générale de cette province.

Nous avons calculé le nombre de décès par cause dans les six groupes d'âge de la population non obstétricale (femmes qui n'étaient pas enceintes), en soustrayant le nombre de décès par cause recensés parmi les femmes de la population obstétricale, dans chaque groupe d'âge.

Nous avons obtenu le nombre total estimé de personnes-années, sur cinq ans (de 1988 à 1992), pour les femmes appartenant aux groupes d'âge qui nous intéressaient, auprès de la Division de la démographie de Statistique Canada. Nous avons soustrait le nombre de personnes-années s'appliquant aux femmes de Terre-Neuve dans chaque groupe d'âge, de 1988 à 1990. Pour calculer le nombre de décès attendus dans la population obstétricale pour chaque cause et dans chaque groupe d'âge, nous avons d'abord calculé le nombre de personnes-années non obstétricales dans chaque groupe d'âge en soustrayant le nombre total de naissances vivantes et de mortinaissances sur cinq ans du nombre total estimé de personnes-années sur cinq ans, pour chaque groupe d'âge. (Dans la mesure où le décompte des naissances totales dans les tranches d'âge maternel disponible auprès de Statistique Canada englobe les naissances multiples, nous avons déduit le nombre déclaré de jumeaux, les deux tiers du nombre déclaré de triplés, les trois quarts du nombre déclaré de quadruplés et les quatre cinquièmes du nombre déclaré de quintuplés, dans chaque groupe d'âge maternel de naissances vivantes et de mortinaissances.)

Pour calculer séparément le nombre de décès attendus pour chacune des deux périodes d'observation de six mois, nous avons divisé par deux le nombre total de décès, de naissances vivantes et de mortinaissances et de personnes-années, dans chaque tranche d'âge par cause. Pour chacune des périodes de six mois et dans chacune des tranches d'âge par cause, nous avons calculé le nombre de décès attendus de la manière suivante :

Décès attendus =     ½td - do    
½(tpa - nvmn)

x ½nvmn

Où :

td = total des décès dans la tranche d'âge

do = décès observés pour cette cause parmi les femmes enceintes et qui viennent d'accoucher au cours de la période de six mois

tpa = total des personnes-années dans la tranche d'âge

nvmn = naissances vivantes + mortinaissances dans le groupe d'âge, ajustées pour tenir compte des naissances multiples

Autrement dit, nous avons calculé le taux de mortalité chez les femmes qui n'étaient pas enceintes, pour chaque cause, dans chaque groupe d'âge et avons appliqué ce taux au nombre de femmes qui étaient enceintes dans le groupe d'âge en question (nvmn). Cela nous a donné le nombre de décès attendus pour chaque cause, si le taux de mortalité des femmes enceintes de ce groupe d'âge avait été identique, pour cette cause, à celui des femmes non enceintes. Pour chaque cause et période de six mois, nous avons additionné les nombres de décès observés et attendus dans tous les groupes d'âge. Nous avons calculé les rapports de mortalité standardisés par cause (RMS), pour chaque période, en divisant le nombre de décès observés par leur nombre attendu et avons obtenu les intervalles de confiance exacts à 95 % des RMS, selon une distribution de Poisson, en utilisant la stratégie proposée par Sun et coll.10.


TABLEAU 1
Mortalité des femmes enceintes et qui viennent d'accoucher

Causes de décès

Principales rubriques de
la CIM-9
et sous-rubriques choisies

Période

20 semaines de gestation à 42 jours
après l'accouchement
43 jours à 225 jours
après l'accouchement
Décès observés Décès attendus RMS
obs./att.
IC à 95 % exact suivant une distribution de Poisson Décès observés Décès attendus RMS
obs./att.
IC à 95 % exact suivant une distribution de Poisson
Maladies infectieuses et parasitaires 8 12 0,7  0,3-1,31 4  12,6 0,3 0,1-0,8
VIH 2 6,3 0,3 0,04-1,2 0 6,4 0 0-0,6
Maladies endocriniennes, de la nutrition et du métabolisme 1  12,6 0,1 0,002-0,4 0  12,6 0 0-0,3
Diabète sucré 0 5,4 0 0-0,7 0 5,4 0 0-0,7
Maladies du sang 2 2,3 0,9 0,1-3,1 1 2,4 0,4 0,01-2,3
Troubles mentaux 0 5,4 0 0-0,7 4 5,1 0,8 0,2-2,0
Psychose alcoolique 0 3,4 0 0-1,1 3 3,2 0,9 0,2-2,7
Maladies du système nerveux et des organes des sens 8  16,9 0,5 0,2-0,9 3  17,5 0,2 0,04-0,5
Épilepsie 6 6,6 0,9 0,3-2,0 3 7,1 0,4 0,1-1,2
Maladies de l'appareil respiratoire 1  15,2 0,1 0,002-0,4 8  14,5 0,6 0,2-1,1
Maladies de l'appareil circulatoire  33  38,4 0,9 0,6-1,2  36  36,7 1,0 0,7-1,4
Cardiopathies rhumatismales chroniques 0 0,8 0 0-4,6 2 0,7 2,9  0,4-10,3
Cardiopathies ischémiques 2 7,1 0,3 0,03-1,0 6 6,5 0,9 0,3-2,0
Maladies vasculaires cérébrales  19  13,8 1,4 0,8-2,2 9  14,1 0,6 0,3-1,2
Artères, artérioles et capillaires 6 1,7 3,5 1,3-7,7 3 1,9 1,6 0,3-4,6
Maladies de l'appareil digestif 2  11,4 0,2 0,02-0,6 3  11 0,3 0,05-0,8
Maladies des organes
génito-urinaires
0 3,3 0 0-1,1,0 0 3,3 0 0-1,1,0
Anomalies congénitales de l'appareil circulatoire 3 3,5 0,9 0,2-2,5 3 3,5 0,9 0,2-2,5
Maladies du système ostéo-articulaire, des muscles et du tissu conjonctif Tous les lupus aigus disséminés (indiqués ci-dessous)
Lupus aigu disséminé 2 2,8 0,7 0,1-2,6 1 2,9 0,3 0,01-1,9
Tumeur (tous les sièges)  11 110,4 0,1 0,05-0,2  41 108 0,4 0,3-0,5
Cancer du sein 1  26,3  0,04 0,001-0,2 9  25,7 0,4 0,2-0,7
Cancer du col 0 9,8 0 0-0,4 5 9,3 0,6 0,2-1,3
Leucémie myéloïde 2 4,6 0,4 0,05-1,6 3 4,5 0,7 0,1-2,0
Tous les traumatismes  34 217 0,2 0,1-0,2 141 207,9 0,7 0,6-0,8
Accidents de la circulation  22 85,5 0,3 0,2-0,4  52  83 0,6 0,5-0,8
Suicide 4 64,9 0,1 0,02-0,2  45  61,5 0,7 0,5-1,0
Homicide 2 20,9 0,1 0,01-0,4  16  19,6 0,8 0,5-1,3
Toutes causes confondues  187a 475 0,4 0,3-0,5  251b 469 0,5 0,5-0,6
a Englobe 76 décès dus à des causes obstétricales directes (autres que les troubles cérébro-vasculaires), dont 8 se sont produits à moins de 20 semaines de gestation.

b Englobe 4 décès dus à des causes obstétricales directes.


   

Résultats

Parmi les 1 939 471 femmes qu'on savait avoir été enceintes ou avoir accouché pendant la période étudiée, nous avons identifié 438 femmes qui sont mortes soit pendant leur grossesse, soit pendant les 225 jours faisant suite à l'enregistrement d'une naissance vivante ou d'une mortinaissance; 944 décès auraient été attendus si les taux de mortalité pendant la grossesse et dans les 225 jours suivant sa terminaison avaient été les mêmes que chez les femmes non enceintes du même âge pendant une période d'un an. Le rapport global de mortalité standardisé selon l'âge s'est établi à 0,4 (IC à 95 % 0,3-0,5) pour les décès toutes causes confondues pendant la grossesse et dans un délai de 42 jours suivant sa terminaison. Parallèlement, le RMS s'est établi à 0,5 (IC à 95 % 0,5-0,6) pour les décès toutes causes confondues entre 43 et 225 jours après l'accouchement.

Le tableau présente le nombre de décès observés et attendus par catégorie de cause pour chacune des deux périodes d'observation. Les catégories de causes englobent quatre décès classifiés par des codificateurs médicaux dans la rubrique 648 de la CIM-9 (morts maternelles indirectes), ainsi que tous les décès dus à des troubles cérébro-vasculaires, qu'ils aient été codés et déclarés comme morts maternelles directes dès le départ (code 674.0 de la CIM-9) ou qu'ils aient été codés par erreur (voir l'article précédent). Les rapports de mortalité standardisés (RMS) et les intervalles de confiance à 95 % correspondants pour les principales rubriques (en caractères gras) et les sous-catégories choisies y sont également présentés.

Les décès sont plus fréquents chez les femmes enceintes que chez les femmes non enceintes dans une seule catégorie. Les décès relevant de la rubrique maladies des artères, artérioles et capillaires (codes 440 à 448 de la CIM-9) sont significativement plus fréquents que prévu pendant la première période de six mois (RMS = 3,5, IC à 95 % 1,3-7,7). Quatre des six décès dans cette catégorie sont dus à un purpura thrombopénique survenu six à 29 jours après l'accouchement et les autres sont dus à des anévrismes survenus à 36 semaines de gestation. Les décès causés par des troubles cérébro-vasculaires sont également un peu plus nombreux que prévu pendant la première période de six mois (RMS = 1,4, IC à 95% 0,8-2,2).

Analyse

Nous constatons que les décès chez les femmes qui étaient enceintes, pendant chacune des deux périodes de six mois, étaient environ deux fois moins nombreux que prévu. Peu d'études antérieures ont examiné les taux de mortalité due à des causes non obstétricales chez les femmes enceintes ou qui venaient d'accoucher. Une étude menée au Tennessee a obtenu des résultats comparables, les femmes qui avaient donné naissance à un enfant vivant ou mort-né l'année précédente n'étant pas plus nombreuses à mourir de l'une des causes envisagées par les auteurs que les femmes qui n'avaient pas accouché7. Inversement, des chercheurs du Bangladesh ont signalé que les taux généraux de mortalité des femmes enceintes ou qui venaient d'accoucher étaient deux fois plus élevés que ceux des femmes du même âge qui n'étaient pas enceintes5. Dans la population bangladaise, toutefois, le taux de mortalité des femmes de plus de 20 ans non-blessées, enceintes et qui venaient d'accoucher, était significativement inférieur à celui des femmes qui n'étaient pas enceintes, une fois exclus les décès par cause obstétricale directe. Dans notre étude, les femmes enceintes et qui venaient d'accoucher étaient moins nombreuses à mourir, même après inclusion des causes obstétricales directes.

Les différences dans les risques de décès attribuable à des causes obstétricales directes entre la population du Bangladesh et celle du Canada témoignent des avantages de l'accès universel à des soins médicaux de qualité pendant la grossesse et l'accouchement. L'obtention de résultats similaires dans ces deux populations (à savoir que les femmes enceintes et qui viennent d'accoucher sont moins nombreuses à mourir de causes non directement liées à la grossesse) donnent à penser que les mêmes effets protecteurs et sélectifs sous-jacents évoqués ci-dessous agissent dans les deux pays, malgré les supposées différences dans l'état de santé sous-jacent de la population et dans l'accès aux soins médicaux.

Si l'on considère les catégories de causes spécifiques de décès, nous constatons que le RMS est inférieur à 1 dans pratiquement toutes les catégories de la CIM-9 que nous avons prises en compte. La seule catégorie de causes de décès dans laquelle le nombre de décès est sensiblement supérieur à ce que l'on prévoyait concerne les maladies des artères, artérioles et capillaires, lorsque le décès survient pendant la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison.

Nous savons que notre étude présente quelques limites d'ordre méthodologique. Le couplage des enregistrements ne permet d'évaluer les décès survenus pendant la grossesse ou pendant une période définie après sa terminaison que si le décès est couplé à une naissance. Toutes les grossesses ne donnent pas nécessairement lieu à une déclaration de naissance et nous avons constaté que certains enregistrements faisaient défaut. Notre stratégie ne nous a permis d'identifier les décès de femmes enceintes ou venant d'accoucher qui n'étaient pas couplés à un enregistrement de naissance que lorsque la cause initiale du décès avait été classifiée comme mort maternelle, c'est-à-dire qu'on lui avait attribué un des codes de la CIM-9 compris entre 630 et 676, qui correspondent aux décès attribuables à un avortement spontané ou médical ou à une grossesse extra-utérine ou molaire. Les décès attribués à une grossesse sans tentative de délivrance du foetus, les décès de femmes enceintes dont la grossesse n'a pas été diagnostiquée et les décès survenant pendant ou peu de temps après une grossesse résultant en une mortinaissance non déclarée auraient été classés dans la population non obstétricale par erreur. Il s'agirait donc d'une grave erreur de classification, compte tenu de l'objectif de cette analyse, mais du fait de la rareté des morts maternelles par rapport aux autres décès dans la population féminine, l'impact sur le RMS serait relativement faible. Dans la mesure où tous les enregistrements couplés de naissance-décès n'ont pas fait l'objet d'une évaluation manuelle, il est également possible que certains couplages aient été des faux positifs non décelés ayant entraîné une erreur de classification, c'est-à-dire qu'ils aient été répertoriés dans la population obstétricale. Ce type d'erreur devrait toutefois avoir pour effet de réduire juste un peu plus le véritable RMS.

Nous avons constaté que la grossesse ou le fait d'avoir accouché depuis peu protège les Canadiennes des risques de décès par traumatisme. Les femmes qui viennent d'accoucher restent généralement chez elles avec leur enfant au début du post-partum, évitant ainsi l'exposition aux accidents de la circulation, par exemple. Nous avons également observé que les femmes enceintes et qui viennent d'accoucher étaient moins nombreuses à se suicider ou à être victimes d'un homicide. Cette observation coïncide avec les études antérieures qui démontrent que le risque de suicide est inférieur chez les femmes enceintes et qui viennent d'accoucher8,9. D'autres chercheurs ont observé un taux de mortalité par traumatisme supérieur chez les femmes enceintes et celles qui viennent d'accoucher, pour certains types de traumatismes seulement et plus particulièrement les homicides dans certaines sous-populations; les taux de mortalité totaux liés à des traumatismes intentionnels et non intentionnels observés dans le cadre de ces études ont également été généralement inférieurs5-7.

Les quatre décès par suicide et les deux décès par homicide recensés pendant la première période de six mois, ont eu lieu pendant le post-partum; nous avons donc constaté qu'aucun décès attribuable à ces causes ne s'était produit pendant la grossesse (même si nous avons observé d'autres décès liés à des traumatismes survenus pendant la grossesse). Nous n'aurions toutefois pas pu repérer les décès causés par un suicide, un homicide ou une blessure survenu pendant une grossesse, si aucune tentative d'accouchement n'avait été faite. Dans ces cas, il n'y aurait pas eu en effet d'enregistrement de naissance. Parallèlement, nous n'aurions pas pu identifier les décès par suicide, homicide ou autre traumatisme qui auraient pu survenir en début de grossesse, même si le nombre de décès par suicide ou homicide ou autre traumatisme est vraisemblablement faible et peut-être nul, compte tenu du fait qu'aucun n'a été décedé vers la fin de la grossesse et du petit nombre décédé dans la période faisant suite à l'accouchement. Nous pensons que les décès survenus pendant le post-partum ont tous été identifiés grâce à notre méthode de couplage des enregistrements. Le nombre de décès par suicide a augmenté sensiblement pendant la deuxième période de six mois mais reste bien en deçà du nombre attendu. Alors que la dépression post-partum touche de toute évidence de nombreuses femmes11, elle ne se solde apparemment pas par une incidence accrue de suicide. Il semble au contraire que le fait d'avoir un enfant protège contre le suicide et, au Canada du moins, contre les homicides.

Pour les décès attribuables à d'autres causes que les traumatismes ou les causes obstétricales directes, de nombreux facteurs peuvent expliquer que le RMS soit inférieur chez les femmes enceintes ou qui viennent d'accoucher. L'un d'eux tient à ce que les femmes qui deviennent enceintes et qui mènent une grossesse à terme sont en meilleure santé que les autres; il s'agit là de l'«effet de la mère en bonne santé» analogue à l'effet bien connu du travailleur en bonne santé12. En outre, les femmes qui envisagent d'avoir un enfant, celles qui sont enceintes et celles qui s'occupent de nouveau-nés sont plus susceptibles d'éviter des comportements délétères, pour elles et leur enfant, alors que les femmes gravement malades sont plus susceptibles d'éviter de devenir enceintes ou de mettre un terme à leur grossesse. De plus, les femmes enceintes font presque toujours l'objet d'un suivi médical au Canada; elles ont donc plus de chances de bénéficier d'une détection précoce et d'une prise en charge des maladies qui engagent le pronostic vital. Les soins prodigués aux femmes atteintes d'une maladie sous-jacente peuvent également être meilleurs pendant la grossesse. Enfin, l'état physiologique de la grossesse semble lui-même conférer une protection contre certaines maladies. Ainsi, alors qu'il arrive parfois qu'elles s'aggravent, les maladies graves comme les maladies cardiaques et l'asthme, diagnostiquées avant la grossesse, s'améliorent parfois pendant la grossesse13,14.

Si une affection donnée non directement liée à la grossesse survient ou s'aggrave pendant la grossesse ou le post-partum et que la femme en meure, il est impossible d'affirmer qu'elle ne serait pas morte si elle n'avait pas été enceinte. Toutefois, le nombre de décès liés aux maladies des artères, artérioles et capillaires, parmi la population obstétricale, sur une période d'un an, a été supérieur au nombre attendu, au même titre que les décès attribuables à des troubles cérébro-vasculaires, pendant la grossesse ou dans un délai de 42 jours après sa terminaison. Cela donne à penser que les décès dans ces catégories devraient être comptabilisés comme des morts maternelles. De fait, les décès attribuables à des troubles cérébro-vasculaires pendant la grossesse et la puerpéralité ont longtemps été classés comme des morts maternelles directes15,16, même si dans la CIM-10, elles sont classées à la rubrique O99, «autres maladies de la mère classées ailleurs», au même titre que les causes «indirectes»4.

Alors qu'il n'est pas évident que les décès causés par un purpura thrombopénique soient directement liés à la grossesse, il est possible qu'il s'agisse d'une manifestation de prééclampsie qui n'a pas été diagnostiquée ou que la personne qui a rempli le certificat de décès ne connaissait pas. Nos résultats suggèrent qu'il serait peut être raisonnable d'inclure les décès causés par des maladies des artères, des artérioles et des capillaires dans la catégorie des décès par cause obstétricale directe. Il serait également plus raisonnable de classifier les décès causés par un trouble cérébro-vasculaire comme décès par cause obstétricale directe plutôt qu'indirecte. Les résultats que nous avons obtenus ne justifient pas l'inclusion des décès relevant des autres catégories prises en compte dans le dénombrement des morts maternelles.

Références

1. King CR. The New York maternal mortality study: a conflict of professionalization. Bull Hist Med 1991;65:476-502.

2. Organisation mondiale de la Santé et Unicef, Estimations révisées pour 1990 de la mortalité maternelle : Nouvelle méthodologie OMS/UNICEF. Genève : OMS, 1991.

3. Organisation mondiale de la Santé. Manuel de la classification internationale des maladies, traumatismes et causes de décès, 9e révision, vol. 1. Genève : OMS, 1977.

4. Organisation mondiale de la Santé. Manuel de la classification internationale des maladies et problèmes de santé connexes, 10e révision, vol. 1. Genève : OMS, 1993.

5. Khlat M, Ronsmans C. Deaths attributable to childbearing in Matlab, Bangladesh: indirect causes of maternal mortality questioned. Am J Epidemiol 2000;151:300-6.

6. Dannenberg AL, Carter DM, Lawson HW, Ashton DM, Dorfman SF, Graham EH. Homicide and other injuries as causes of maternal death in New York City, 1987 through 1991. Am J Obstet Gynecol 1995;172:1557-64.

7. Jocums SB, Berg CJ, Entman SS, Mitchell EF. Postdelivery mortality in Tennessee, 1989-1991. Obstet Gynecol 1998;91:766-70.

8. Marzuk PM, Tardiff K, Leon AC, Hirsch CS, Portera L, Hartwell N, Iqbal MI. Lower risk of suicide during pregnancy. Am J Psychiatry 1997;154(1):122-23.

9. Appleby L. Suicide during pregnancy and in the first postnatal year. BMJ 1991;302:137-40.

10. Sun J, Ono Y, Takeuchi Y. A simple method for calculating the exact confidence interval of the SMR with a SAS function. J Occup Health 1996;38:196-97.

11. Georgiopoulos AM, Bryan TL, Wollan P, Yawn BP. Routine screening for postpartum depression. J Fam Pract 2001;50:117-22.

12. Kelsey JL, Whittemore AS, Evans AS, Thompson WD. Methods in observational epidemiology. 2e ed. Oxford: Oxford University Press, 1996.

13. McFaul PB, Dornan JC, Lamki H, Boyle D. Pregnancy complicated by maternal heart disease. A review of 519 women. Br J Obstet Gynaecol 1988;95:861-67.

14. Schatz M, Harden K, Forsythe A, Chilingar L, Hoffman C, Sperling W, Zeiger RS. The course of asthma during pregnancy, postpartum, and with successive pregnancies: a prospective analysis. J Allergy Clin Immunol 1988;81:509-17.

15. Organisation mondiale de la Santé. Manuel de la classification internationale des maladies, traumatismes et causes de décès, 7e révision, vol. 1. Genève : OMS, 1957.

16. Organisation mondiale de la Santé. Manuel de la classification internationale des maladies, traumatismes et causes de décès, 8e révision, vol. 1. Genève : OMS, 1967.


Coordonnées des auteurs

Linda A Turner, Shiliang Liu, Bureau de la santé génésique et de la santé de l'enfant, Santé Canada, Ottawa (Ontario) pour le Groupe d'étude sur la mortalité et la morbidité maternelles* du Système canadien de surveillance périnatale

Michael S Kramer, Département de pédiatrie et Département d'épidémiologie et de biostatistique, Faculté de médecine de l'Université McGill, Montréal (Québec); scientifique émérite des Instituts de recherche en santé du Canada

Correspondance : Linda A Turner, Institut canadien d'information sur la santé, 90, avenue Eglinton Est, bureau 300, Toronto (Ontario) M4P 2Y3; Télécopieur : (416) 481-2950

*Membres du Groupe d'étude sur la mortalité et la morbidité maternelles : Margaret Cyr et Martha Fair, Statistique Canada , Maureen Heaman, Université du Manitoba, Robert AH Kinch, Université McGill, et Robert Liston, BC Women's Hospital

[Précédente] [Table des matières] [Prochaine]

Dernière mise à jour : 2002-02-21 début