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Maladies chroniques au Canada


Volume 24
Numéro 4
2003

[Table des matières]

Office de la santé publique du Canada

Quels essais cliniques sur le cancer devraient faire l'objet d'une évaluation économique? Critères de sélection du Groupe de travail sur l'évaluation économique de l'Institut national du cancer du Canada


William K Evans, Douglas Coyle, Amiram Gafni, Hugh Walker et le Groupe de travail sur l'analyse économique du Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada


Résumé

La hausse du coût des soins de santé, le prix élevé des nouvelles techniques thérapeutiques et l'augmentation des attentes des patients exercent d'énormes pressions sur le système public de santé au Canada. Les décideurs ont donc besoin d'information sur le coût et la rentabilité des nouvelles thérapies en plus de données sur les avantages cliniques. Pour répondre à ce besoin, le Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada (GEC INCC) a chargé un Groupe de travail sur l'analyse économique (GTAE) de lui fournir des conseils sur l'évaluation économique des nouvelles thérapies anticancéreuses. Le présent article décrit les recommandations du GTAE quant aux essais qui devraient faire l'objet d'une analyse concomitante des aspects économiques et des aspects connexes, tels que le nombre de patients requis pour une analyse économique dans le cadre d'un essai clinique prospectif et le choix des centres participants. Les recommandations présentées dans le document se veulent pragmatiques, car le GTAE reconnaît que les fonds pour la recherche et les ressources humaines disponibles pour ce type d'étude au Canada sont limités. Ces recommandations servent actuellement à orienter l'établissement des priorités relativement à l'évaluation économique dans les essais de l'INCC. Les auteurs illustrent par des exemples comment ces recommandations ont été mises en oeuvre dans des essais concrets.

Mots clés : coût; essais cliniques; évaluation économique


Introduction

La hausse du coût des soins de santé, le prix élevé des nouvelles techniques thérapeutiques et l'augmentation des attentes des patients exercent tous des pressions sur les gouvernements provinciaux, qui sont les principaux bailleurs de fonds du système universel de santé au Canada1. Le cancer contribue grandement à alourdir le fardeau économique des soins de santé, et on s'attend à ce que ce fardeau augmente par suite du vieillissement de la population et de l'émergence de nouvelles modalités diagnostiques et thérapeutiques. En 1998, le fardeau économique associé au cancer au Canada était estimé à 14,2 milliards de dollars, soit 2,46 milliards de dollars en coûts directs et 11,76 milliards en coûts indirects2.

Les décideurs au sein des gouvernements et des organismes qui gèrent les ressources dans le domaine de la santé ont besoin de plus en plus d'information sur le coût de même que sur les avantages des nouvelles interventions. Cependant, seul un nombre relativement limité d'analyses économiques des interventions médicales ont été effectuées pour aider les décideurs à affecter les ressources aux divers traitements anticancéreux ou à toute autre intervention thérapeutique3-5. En 1998, le Groupe des essais cliniques de l'Institut national du cancer du Canada (GEC INCC) a créé un Groupe de travail sur l'analyse économique (GTAE) pour répondre au besoin de disposer de données économiques sur les nouvelles thérapies anticancéreuses. Le présent article décrit les recommandations du GTAE relatives aux essais qui doivent faire l'objet d'une analyse concomitante des aspects économiques et connexes, tels que le nombre de patients requis pour une analyse économique dans le cadre d'un essai clinique prospectif et le choix des centres participants. Les auteurs ne cherchent pas à décrire la façon dont une évaluation économique doit être effectuée. Ils renvoient les lecteurs à des documents comme les Lignes directrices pour l'évaluation économique des produits pharmaceutiques : Canada publiées par l'Office canadien de coordination de l'évaluation des technologies de la santé6.

Rôle des évaluations économiques

Une analyse économique peut orienter le choix d'une intervention thérapeutique ou aider à estimer l'impact total d'une nouvelle thérapie sur un système de santé. C'est la raison pour laquelle certains organismes gouvernementaux de réglementation exigent des analyses économiques quand l'industrie pharmaceutique soumet de nouvelles présentations de drogues7-9; mais le coût n'est qu'un facteur parmi tant d'autres à analyser lorsqu'il faut déterminer l'utilité d'une nouvelle modalité diagnostique ou thérapeutique. Les avantages cliniques de la thérapie demeurent la principale considération et englobent les résultats cliniques tels que l'amélioration de la survie, le ralentissement de la progression des tumeurs, la réduction de la toxicité et l'amélioration de la qualité de vie. De même, les valeurs personnelles des décideurs et certaines notions d'équité influent sur la prise de décisions10.

Les analyses économiques les plus utiles sont celles qui comparent l'avantage additionnel avec le coût additionnel. Lorsqu'on mesure parallèlement les avantages et les coûts, on peut obtenir quatre résultats possibles (tableau 1) :

  1. Amélioration du résultat et diminution du coût. Ce type de stratégie est considéré comme une stratégie dominante et devrait toujours, en principe, être adopté.

  2. Amélioration du résultat et augmentation du coût. Il existe un avantage clinique, mais le coût est supérieur à celui du traitement type actuel.

  3. Détérioration du résultat et diminution du coût. L'avantage clinique est inférieur, mais le système de santé réalise des économies.

  4. Détérioration du résultat et augmentation du coût. De telles thérapies associées à une diminution des avantages cliniques et à une augmentation des coûts ne devraient pas être adoptées.


TABLEAU 1
Résultats potentiels d'une analyse économique

  Diminution de l'efficacité Amélioration de l'efficacité
Diminution du coût Nécessité de déterminer si les économies sont assez intéressantes pour compenser la diminution de l'efficacité Rentable
Augmentation du coût Non rentable Nécessité de déterminer si l'augmentation de l'efficacité justifie l'augmentation du coût

Dans le cadre d'un essai clinique, des données sur l'utilisation des ressources et la mesure des préférences relatives à l'état de santé peuvent être recueillies de façon prospective avec la même rigueur que les données cliniques, ce qui permet d'effectuer des analyses sophistiquées qui résisteront à un examen scientifique minutieux.

À partir des données sur l'utilisation des ressources (coût) et des données sur les résultats cliniques, il est possible d'estimer le rapport coût-efficacité ou coût-utilité des interventions thérapeutiques. Par exemple, dans une analyse coût-efficacité, la principale mesure des résultats est le plus souvent le coût d'une année additionnelle de vie sauvée11. Les différences dans la survie sont souvent faibles dans les essais sur le cancer, alors les mesures de la morbidité liée à la maladie et au traitement jouent un rôle important dans la décision concernant l'utilité d'une nouvelle thérapie. Dans une analyse coût-utilité, de l'information est recueillie sur l'évolution de l'état de santé des patients durant le traitement, à l'aide de méthodes comme l'utilisation des loteries (Standard Gamble) ou les arbitrages temporels (Time Trade Off), et est intégrée dans l'analyse. On obtient ainsi une mesure de l'amélioration de la qualité de vie résultant de l'intervention thérapeutique. Le rapport coût-utilité s'exprime habituellement sous la forme d'un coût additionnel par année de survie ajustée pour la qualité de vie (QALY)12.

Il n'existe pas de définition claire de ce qui constitue une intervention thérapeutique rentable (efficace par rapport au coût). Le chiffre de 750 000 $US par QALY est couramment utilisé pour décrire un niveau de dépense jugé acceptable pour la société. Ce montant est fondé sur le degré de rentabilité de l'hémodialyse lorsque le Congrès des États-Unis a voté que ce traitement serait remboursé par le régime Medicare. Au Canada, Laupacis et coll. ont proposé qu'un montant inférieur à 20 000 $ par QALY soit considéré rentable et qu'un montant entre 20 000 et 40 000 $ par QALY soit jugé modérément rentable13. Comme le reconnaissent les auteurs, ces limites sont arbitraires, mais semblent refléter la « perception intuitive » de la rentabilité des nouvelles techniques14.

Facteurs limitant la réalisation d'évaluations économiques

Bien que la réalisation d'une évaluation économique parallèlement à un essai clinique ajoute de la valeur, elle augmente le fardeau et le coût d'exécution de l'essai11. Ce fardeau englobe le coût de la collecte de données additionnelles sur les ressources utilisées pour dispenser le traitement, des descriptions de la qualité de vie et des états de santé privilégiés par les patients. Pour recueillir des données, il peut être nécessaire d'extraire de l'information de documents originaux, d'effectuer des entrevues auprès de patients et d'utiliser des journaux remplis par les patients. Au début, lorsqu'on jumelle les analyses économiques aux essais cliniques, il faut former les assistants de recherche clinique et mettre en place une infrastructure pour la collecte et l'analyse des données. La quantité limitée de fonds disponibles pour financer la recherche sur les services de santé et le petit nombre d'économistes dans le domaine de la santé qui s'intéressent au cancer au Canada sont d'importants facteurs qui limitent la réalisation d'une analyse économique en parallèle avec des essais cliniques.

Enfin, pour obtenir de l'information économique utile du point de vue canadien, l'essai clinique doit disposer de données sur l'utilisation des ressources par un nombre suffisant de patients canadiens. Cette exigence deviendra peut-être un obstacle restreignant de plus en plus les évaluations économiques, car un nombre croissant d'essais sont menés dans le cadre d'études de collaboration internationale portant sur un petit nombre de patients canadiens seulement.

Lorsqu'on détermine si une analyse économique devrait être effectuée parallèlement à un essai clinique, il faut soupeser le fardeau additionnel associé à la réalisation d'une analyse économique plutôt que d'autres formes d'examen de l'aspect économique. Si la collecte de données impose un fardeau trop lourd aux chercheurs et aux patients, cela pourrait nuire au recrutement des patients et influer sur l'exhaustivité et la qualité des données d'essais cliniques recueillies. Aussi faut-il non seulement faire preuve de pragmatisme lorsqu'on détermine quels essais sur le cancer devraient être accompagnés d'une évaluation économique, mais également fixer des critères clairs pour la sélection des essais cliniques les plus appropriés pour une évaluation économique.

Choix des essais cliniques appropriés pour une évaluation économique

Certains plans d'essai clinique ne se prêtent pas à l'examen de questions économiques11. Les essais doivent être à tout le moins en partie pragmatiques et être liés à la pratique clinique réelle si l'on veut effectuer une analyse économique15. Le GTAE de l'INCC recommande qu'au moins un des critères suivants soit satisfait avant qu'une analyse économique ne soit entreprise parallèlement à un essai clinique du GEC INCC.

1. On s'attend à ce que la nouvelle intervention ne procure qu'un avantage thérapeutique modeste dans une population potentiellement assez vaste. 

Citons à titre d'exemple l'essai randomisé comparant l'anastrozole et le tamoxifène chez les femmes ménopausées atteintes d'un cancer du sein débutant16. Après une période médiane de suivi de 47 mois, l'anastrozole a contribué à réduire d'environ 2 % (= 0,03) le risque absolu en ce qui a trait à la survie sans morbidité. Compte tenu du grand nombre de patientes potentiellement admissibles à ce traitement, une évaluation économique serait instructive pour les décideurs. Des avantages modestes pourraient ne pas justifier une grande augmentation du coût.

2. La nouvelle thérapie est potentiellement très coûteuse. 

Si l'intervention thérapeutique est très coûteuse et si l'on s'attend à ce qu'elle soit utilisée assez souvent pour générer un coût global important, un essai clinique peut alors aider à déterminer si le nouveau traitement est suffisamment rentable pour qu'on l'adopte. Citons l'exemple de l'utilisation de l'interleukine-2 (IL-2) à hautes doses chez les patients porteurs d'un mélanome malin de stade IV. La nécessité d'hospitaliser le patient pour gérer les effets toxiques importants liés au traitement et le coût élevé de l'IL-2 sont d'importants facteurs de coûts17. En outre, l'avantage clinique est modeste, seul un faible taux de régression des tumeurs ayant été obtenu. Ces facteurs devraient inciter à effectuer une analyse économique dans un essai sur l'utilisation de l'IL-2 pour traiter les mélanomes malins afin de fournir des données permettant aux décideurs de déterminer si une intervention doit être financée.

Il convient de noter qu'une analyse économique risque peu d'être exigée lorsqu'il s'agit d'évaluer une thérapie très coûteuse mais peu utilisée. De même, il est peu probable qu'un traitement très coûteux mais très efficace (qui guérit une forte proportion de patients) nécessite une analyse économique.

3. Il existe une grande incertitude en ce qui concerne l'impact économique du traitement examiné. 

Un nouveau traitement peut sembler apporter des avantages pour la santé, mais être associé à des effets secondaires importants ou à d'autres conséquences qui peuvent remettre en question le caractère positif ou négatif de l'impact économique net. Dans un tel cas, l'analyse économique devrait idéalement prendre la forme d'une étude coût-utilité, car c'est la meilleure façon de déterminer l'impact des effets secondaires sur le profil économique d'un nouveau traitement. L'évaluation des régimes de chimiothérapie dans les cas avancés de cancer bronchopulmonaire «non cellules» en donne un bon exemple. Il existe de nombreux régimes qui sont comparables du point de vue de la réponse tumorale et de la survie générale, mais dont le profil d'effets secondaires est unique. L'utilité pour les patients (information sur les états de santé des patients) évaluée durant un essai comparatif permettrait de déterminer le coût par QALY sauvée par rapport au traitement type actuel.

4. Une évaluation économique associée à des essais d'équivalence peut fournir de l'information utile pour la détermination de la pratique usuelle. 

Dans le cas d'un essai d'équivalence, l'évaluation économique peut fournir des renseignements importants si l'on adopte différentes perspectives, notamment celle du patient, du fournisseur, du gouvernement ou de la société dans son ensemble. Les effets secondaires, la facilité d'administration et le coût deviennent alors les principaux paramètres orientant l'élaboration de politiques.

Prenons l'exemple récent de l'utilisation de l'acide zolédronique comme solution de rechange au pamidronate pour la prévention des événements osseux dans les cas avancés de myélome multiple et de cancer du sein18. Un essai clinique a montré que l'acide zolédronique contribuait autant que le pamidronate à la prévention des événements osseux, mais l'acide zolédronique peut être perfusé sur une période de 15 à 30 minutes plutôt que de deux à quatre heures dans le cas du pamidronate. L'acide zolédronique est cependant environ deux fois plus coûteux que le pamidronate. Du point de vue du gouvernement (tiers-payant), une évaluation économique aiderait à déterminer si le coût accru de l'acide zolédronique est compensé par la réduction des coûts d'administration du traitement. Une évaluation économique du point de vue du patient peut mettre en lumière une réduction des dépenses personnelles, notamment des frais de stationnement et de gardienne. Des données économiques complètes ainsi que des données recueillies de façon prospective sur les préférences des patients seraient utiles dans ce contexte pour les décideurs.

5. Les données économiques faciliteront les évaluations économiques futures de nouvelles thérapies. 

Dans le cas de certaines études, l'ajout d'une analyse économique sous forme d'étude du coût de la maladie ou d'estimation du coût des effets secondaires fournira des données sur l'utilisation des ressources et sur les coûts qui pourront servir dans des études ultérieures, notamment dans des études de modélisation. Les données sur l'utilisation des ressources recueillies au cours d'un essai portant sur un médicament qui n'a pas donné d'avantages thérapeutiques importants peuvent néanmoins être utiles pour d'autres études.

Ces cinq critères sont maintenant utilisés pour évaluer si de nouveaux essais du GEC INCC se prêtent à une analyse économique. Plus d'un critère peut s'appliquer à un essai donné.

Cas où une analyse économique ne doit pas être effectuée

Comme il faut établir des priorités quant à l'utilisation de fonds pour une analyse économique, il peut ne pas être utile d'effectuer une telle analyse dans un certain nombre de situations cliniques, notamment lorsqu'un traitement coûteux est très efficace chez un petit nombre de patients19. L'utilisation de la cisplatine pour traiter le cancer du testicule en est un bon exemple. Même si la cisplatine était très coûteuse au moment où elle a été introduite, elle augmentait grandement le taux de guérison chez les patients atteints d'un cancer métastatique du testicule. De même, certaines thérapies dont le coût ne diffère que très peu aboutissent à des résultats cliniques similaires pour des maladies courantes. Une évaluation économique peut ne pas être indiquée si l'échantillon de patients dans l'essai clinique n'est pas assez important pour qu'on puisse analyser suffisamment des variables liées aux ressources et aux coûts ou si la durée du suivi clinique est trop courte pour une évaluation économique. De plus, les principaux paramètres cliniques peuvent ne pas être des mesures d'efficacité adéquates pour une évaluation économique. Par exemple, dans un essai clinique d'un traitement du cancer, la réduction de la tumeur locale peut être le principal résultat recherché. Dans une évaluation économique, cependant, la durée de la survie constituerait une mesure des résultats plus appropriée.

Sélection de la taille de l'échantillon pour une analyse économique

La taille de l'échantillon recruté pour un essai clinique dépend normalement du nombre de patients requis pour répondre aux questions cliniques. Une fois que la nécessité d'une analyse économique a été établie, il est néanmoins important de déterminer la taille de l'échantillon requise pour le volet économique, car la taille de l'échantillon déterminera à quel point on pourra mesurer précisément les résultats économiques pertinents.

On ne peut généraliser et affirmer que la taille de l'échantillon pour une évaluation économique doit être inférieure, égale ou supérieure à la taille de l'échantillon pour l'examen d'une question clinique, car la taille variera d'une étude à l'autre. Il faut toutefois prendre en considération les éléments suivants dans la planification du volet économique de l'essai clinique.

  1. Pour les études de minimisation des coûts, la taille de l'échantillon est liée à la capacité de mesurer précisément la différence de coûts entre les deux traitements étudiés. Une différence de coûts quantitativement importante pourrait être déterminée à l'avance, et la taille de l'échantillon nécessaire, calculée à l'aide de méthodes standard. La définition de ce qui constitue une différence de coûts quantitativement importante n'est cependant pas claire. Qui plus est, la nécessité de démontrer la signification statistique dans des études économiques a été remise en question, vu notamment que c'est l'efficacité clinique qui doit être prouvée20.

  2. Dans les analyses coût-efficacité et coût-utilité, le résultat qui nous intéresse est le ratio de deux différences. Il n'y a pas de méthodes généralement reconnues pour déterminer la signification statistique de tels ratios, et la pertinence de cette pratique a été encore une fois mise en doute21,22. Pour estimer les calculs de la taille de l'échantillon, il faut s'entendre sur la définition du coût maximal acceptable par résultat gagné. Les décideurs se sont montrés naturellement hésitants à établir de telles limites.

On se heurte donc à d'importantes difficultés méthodologiques et pratiques lorsque vient le temps de déterminer la taille de l'échantillon requis pour la réalisation d'une analyse économique en parallèle avec un essai clinique. Pour estimer la taille de l'échantillon conformément à une méthode « fréquentiste » standard, il faut disposer d'estimations des coûts, des avantages et de la qualité de vie du traitement témoin et des avantages prévus du nouveau traitement. Il reste qu'en réalité, cette information n'est pas habituellement disponible au moment où l'on établit le plan de l'essai et, si elle l'était, on pourrait avancer qu'une analyse économique complète n'est pas nécessaire et qu'une étude de modélisation suffit22. Récemment, des approches bayesiennes ont été proposées pour déterminer la taille de l'échantillon, quoiqu'elles s'appuient également sur les mêmes renseignements relatifs aux coûts, aux avantages et à la qualité de vie21.

Du point de vue de la recherche, l'idéal serait d'avoir un échantillon de taille optimale pour répondre aux questions tant économiques que cliniques. Deux considérations particulières peuvent toutefois faire en sorte que l'analyse économique doive s'appuyer sur un échantillon plus réduit22.

Tout d'abord, l'obligation de tenir des journaux ou d'effectuer des mesures de la qualité de vie peut représenter une charge additionnelle pour les patients qui participent à l'analyse économique. Les chercheurs peuvent hésiter à recruter certains patients dans des études requérant une participation plus grande.

Deuxièmement, la collecte de données peut représenter une charge accrue pour les centres participants. Pour s'assurer que l'essai clinique démarre sans problèmes, il peut être utile de retarder la saisie de données pour le volet économique de l'essai jusqu'à ce que les techniques de recrutement des patients soient bien rodées. Dans un essai en cours portant sur la radiothérapie régionale du cancer du sein débutant qui est effectué par l'INCC, un échantillon de taille réduite a été accepté pour le volet économique, ce qui a permis d'attendre que l'essai soit bien avancé avant d'ajouter des sujets au volet économique.

La détermination de la taille de l'échantillon dans les essais cliniques comportant une analyse économique doit donc mettre en équilibre les aspects pragmatiques, éthiques et scientifiques. Lorsque le fardeau additionnel que représente la participation à l'étude économique est faible tant du point de vue du patient que de celui du centre participant, l'échantillon devrait être de la même taille que celui requis pour le volet clinique de l'essai. Lorsqu'on s'inquiète de la charge qui peut être associée à la réalisation du volet économique de l'étude, la taille de l'échantillon doit être proportionnelle au degré de précision qui peut être obtenu avec un échantillon de taille réduite. Cela dit, les analyses de sensibilité devraient toujours avoir préséance sur l'analyse statistique.

Choix des centres faisant l'objet d'une analyse économique

On présume en général que le coût des soins varie grandement entre les centres de traitement qui participent à des évaluations économiques et multicentriques. Le coût des biens et des services (coûts unitaires) risque de varier d'un établissement à l'autre et d'un lieu géographique à l'autre à cause des différences dans les contrats d'approvisionnement, les salaires et d'autres facteurs23. L'utilisation des ressources dans le traitement des patients dans certains centres peut également varier à cause de différences dans la pratique clinique24. Des essais cliniques multicentriques sont habituellement effectués pour recruter un nombre suffisant de patients en vue de répondre à une question d'intérêt clinique, et les données provenant des différents centres sont regroupées, l'hypothèse de base étant que les effets cliniques de l'intervention peuvent être généralisés à tous les centres participant à l'étude. On ignore cependant si les données économiques recueillies dans un certain nombre de milieux variés comportant une structure de coûts différente peuvent être regroupés de la même manière. Il est donc nécessaire d'examiner la façon dont les centres sont sélectionnés pour l'estimation du coût.

Une approche courante consiste à regrouper les données sur l'efficacité et l'utilisation des ressources provenant de tous les patients de tous les centres, mais de choisir un centre pour estimer les coûts unitaires. Le centre est choisi habituellement en fonction du critère de commodité. La mesure dans laquelle les coûts unitaires d'un centre peuvent s'appliquer aux coûts unitaires de tous les centres participants (applicabilité interne) ou à tous les centres où l'intervention serait généralement pratiquée (applicabilité externe) n'est pas bien établie et n'est généralement pas prise en compte. Du point de vue de l'applicabilité interne, les coûts unitaires devraient idéalement être obtenus de tous les centres participants. L'absence de systèmes normalisés crédibles d'information sur les coûts dans la plupart des établissements de santé fait cependant en sorte qu'une telle approche est peu pratique. Les facteurs et options qui suivent devraient être pris en considération lorsqu'on choisit un échantillon de centres pour une estimation des coûts unitaires.

Premièrement, la saisie de données sur l'utilisation des ressources comporte un coût. La quantité de fonds disponibles pour l'étude déterminera donc le nombre de centres qui peuvent participer à la collecte des données. Deuxièmement, il faut examiner la méthode d'échantillonnage des centres pour la collecte d'information sur les coûts unitaires. Il pourrait s'agir d'une approche systématique (selon la région géographique, la taille des centres) ou d'une méthode fondée sur une sélection aléatoire. Le degré de sous-analyse jugé souhaitable peut également exercer une influence. Par exemple, s'il est nécessaire de décrire le degré de variation géographique dans les coûts, il faudra choisir des établissements situés dans différentes régions géographiques. Un autre aspect à considérer est l'obtention de données rigoureuses sur les coûts et leur facilité d'accès. L'existence dans un établissement d'un cadre d'estimation des coûts jouera un rôle important dans la détermination des centres qui seront inclus dans la base d'échantillonnage. Si l'on s'intéresse à l'applicabilité externe, un centre qui ne participe pas à l'étude peut être retenu.

Le choix des centres retenus pour une estimation des coûts unitaires et la façon dont ces centres sont stratifiés pour l'analyse dans un essai multicentrique peuvent avoir des répercussions appréciables sur les résultats de l'analyse des coûts. On ne dispose pas actuellement de suffisamment d'information pour orienter les décisions concernant la stratégie optimale d'échantillonnage, mais cette stratégie risque de varier selon les objectifs de l'étude.

Études de cas

Pour illustrer l'application des lignes directrices exposées dans le présent article, nous décrirons des essais cliniques qui ont été examinés par le GTAE. Le premier de ces essais était une vaste étude multicentrique qui a comparé le trastuzumab et un placebo pris pendant un ou deux ans par des femmes porteuses d'un cancer primitif du sein HER-2 positif qui avaient terminé une chimiothérapie adjuvante. Compte tenu du coût d'achat élevé du trastuzumab, du grand nombre de patientes potentiellement admissibles et de la longue durée d'utilisation du médicament si l'essai s'avérait positif, on s'attendait à ce que l'impact d'un tel traitement sur le budget canadien des soins de santé soit considérable. Comme le prévoyaient donc les lignes directrices courantes, une analyse économique devait être effectuée parallèlement à cet essai clinique. Des données sur l'utilisation des ressources devaient être recueillies auprès de grands centres d'oncologie représentatifs dans tout le Canada. Les coûts unitaires devaient être obtenus d'un centre, et une analyse de la sensibilité devait servir à évaluer l'impact de la variation régionale des coûts unitaires.

Le GTAE a examiné un second essai : une étude portant sur des femmes qui avaient subi une mastectomie pour un cancer du sein de stade II et qui couraient un risque de récidive à cause d'une atteinte des ganglions axillaires. L'intervention dans la branche expérimentale de l'essai était la radiothérapie, et le résultat étudié était l'impact sur la survie générale. Un examen de l'état d'avancement de l'essai a révélé que le recrutement des patientes était lent, ce qui empêchait l'essai de vérifier rapidement l'hypothèse principale. L'intervention se prêtait à des techniques informatiques de modélisation pour l'évaluation économique. Dans ce cas, le GTAE a recommandé qu'une évaluation économique ne soit pas effectuée parallèlement à l'essai clinique.

Le troisième essai clinique que le GTAE a examiné était un essai randomisé contrôlé contre placebo portant sur un traitement adjuvant au ZD-1839 (IressaR) chez des patients atteints d'un cancer bronchopulmonaire «non à petites cellules» (CPNPC) qui avaient subi une résection chirurgicale complète. Les patients ont été répartis de façon aléatoire en deux groupes : l'un recevant pendant un an un traitement adjuvant au ZD-1839 et l'autre, un placebo. Les taux de récidive et la survie générale étaient les principaux résultats étudiés dans cet essai. Deux essais de phase II (IDEAL 1 et 2) ont montré que le ZD-1839 (250 mg/jour) pouvait atténuer la maladie chez les patients atteints d'un CPNPC réfractaire à la chimiothérapie25,26. Comme ce traitement adjuvant du cancer du poumon toucherait un grand nombre de patients et serait administré pendant une longue période, une analyse économique visant à déterminer le coût additionnel par année de vie sauvée était jugée nécessaire. Une telle analyse économique serait grandement prisée par les décideurs dans le domaine de la santé, car elle permettrait de comparer le coût du ZD-1839 par année de vie sauvée avec celui d'autres traitements anticancéreux actuellement offerts au Canada.

Bref, trois essais cliniques examinés par le GTAE de l'INCC ont servi à illustrer la façon dont les lignes directrices proposées pour la sélection et la conception des évaluations économiques ont été appliquées dans des essais cliniques du GEC INCC.

Conclusion

Les analyses économiques réalisées parallèlement aux essais comparatifs randomisés du GEC INCC revêtent une importance de plus en plus grande, vu la prolifération de nouvelles modalités de traitement du cancer et les inquiétudes concernant la viabilité du système public de santé au Canada. Compte tenu des ressources actuellement disponibles, nous avons proposé une approche pratique pour déterminer quels essais se prêtent à une analyse économique. Le présent article renferme également des recommandations concernant la taille de l'échantillon et le choix des centres qui devraient participer à la saisie de données sur l'utilisation des ressources et les coûts unitaires. Nous n'y abordons pas cependant les questions pratiques liées à la réalisation de ces analyses dans le cadre d'un essai donné.

Le GEC INCC a établi un processus selon lequel le GTAE passe en revue les essais soumis par les groupes sur les sièges de maladie par l'entremise de leurs agents de liaison avec le GTAE. Si l'on estime qu'un essai répond aux critères dont nous avons discuté précédemment et si le GEC INCC est satisfait du mérite scientifique de l'essai clinique, le GTAE identifie un économiste de la santé qui sera chargé de travailler avec les chercheurs principaux. Ensemble, ils détermineront les paramètres économiques de l'étude, qui seront indépendants des paramètres cliniques, ainsi que les éléments d'information nécessaires à la réalisation de l'analyse économique.

Comme les restrictions budgétaires au sein du système de santé canadien suscitent de plus en plus de préoccupations, il est essentiel de démontrer la rentabilité des nouvelles techniques plus coûteuses. Dans un tel contexte, l'approche adoptée par le GEC INCC pour les évaluations économiques et les essais cliniques permettra d'obtenir des données canadiennes qui aideront à éclairer les décisions relatives à l'affectation efficiente des rares ressources disponibles en santé.

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Coordonnées des auteurs

Dr William K Evans, Action Cancer Ontario, Toronto, Ontario, Canada.

Douglas Coyle, Unité d'épidémiologie clinique, Hôpital Civic d'Ottawa, Ottawa, Ontario, Canada.

Dr Amiram Gafni, Centre for Health Economics and Policy Analysis, Université McMaster, Hamilton, Ontario, Canada.

Dr Hugh Walker, Radiation Oncology Research Unit, Kingston General Hospital, Kingston, Ontario, Canada.

Groupe de travail sur l'analyse économique du Groupe des essais cliniques, Institut national du cancer du Canada (Dr Raghu Rajan, Université McGill;
Douglas Coyle, Hôpital Civic d'Ottawa; Dre Eva Grunfeld, Centre régional de cancérologie d'Ottawa; Dr M. Neil Reaume, Centre régional de cancérologie d'Ottawa; Kathryn Roche, Toronto-Sunnybrook Regional Cancer Centre; Bev Koski, Université Queen's; Carole Chambers, Tom Baker Cancer Centre; Dre Heather-Jane Au, Cross Cancer Institute; Amin Haiderali, AstraZaneca Canada; Dr William Evans, Action Cancer Ontario; Dr Jeff Hoch, Université Western Ontario; Dr Steve Morgan, Université de la Colombie-Britannique).

Correspondance : Dr W. K. Evans, Médecin hygiéniste en chef, Action Cancer Ontario, 620 University Ave., Toronto (Ont.) Canada M5G 2L7; Fax : (416) 217-1235; courriel : bill.evans@cancercare.on.ca

 

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Dernière mise à jour : 2004-01-09 début