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Maladies chroniques au Canada

Volume 31, no. 2, mars 2011

Apport alimentaire en sodium chez les Canadiens adultes souffrant d’hypertension et chez ceux ne souffrant pas d’hypertension

Y. Shi, Ph. D.; M. de Groh, Ph. D.; H. Morrison, Ph. D.; C. Robinson, M.A.; L. Vardy, B.A.


Rattachement :

  1. Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques, Agence de la santé publique du Canada, Ottawa (Ontario) Canada

Correspondance : Dr Yipu Shi, Division de l’intégration scientifique, Centre de prévention et de contrôle des maladies chroniques, Agence de la santé publique du Canada, 7e étage, 785, avenue Carling, Ottawa (Ontario) Canada  K1A 0K9; tél. : 613-957-8584;
téléc. : 613-941-2633;
courriel : yipu.shi@phac-aspc.gc.ca

 

Résumé

Introduction : Près de 30 % des cas d’hypertension chez les Canadiens pourraient être dus à l’excès de sodium alimentaire.

Méthodologie : À l’aide de données de rappel de 24 heures provenant de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, cycle 2.2, Nutrition (2004), nous avons examiné l’apport moyen en sodium chez les Canadiens de 30 ans et plus, qui souffrent d’hypertension et qui ne souffrent pas d’hypertension, en fonction de leur état à l’égard du diabète et selon l’âge et le sexe. Nous avons comparé l’apport moyen absolu (brut) en sodium chez les personnes hypertendues et chez les autres à l’apport recommandé par le Programme éducatif canadien sur l’hypertension (PECH) 2009 et ajusté l’apport moyen en sodium entre les personnes hypertendues et celles qui ne le sont pas.

Résultats : Aussi bien les personnes atteintes d’hypertension diagnostiquée que les autres affichent un apport moyen en sodium bien supérieur aux 1 500 mg/jour recommandés par le PECH 2009 (respectivement 2 950 mg/jour et 3 175 mg/jour). Après ajustement pour éliminer les facteurs confusionnels potentiels, les personnes atteintes d’hypertension affichent un apport moyen en sodium significativement plus élevé que les autres (p = 0,0124). Selon les analyses par sous-groupes stratifiés, l’apport moyen en sodium chez les personnes hypertendues était plus élevé chez les hommes de 30 à 49 ans (p = 0,0265), chez les femmes de 50 à 69 ans (p = 0,0083) et chez les sujets non diabétiques (p = 0,0071) que chez les groupes de même type ne souffrant pas d’hypertension.

Conclusion : Nous devons améliorer notre politique de réduction de l’apport en sodium, tant auprès des patients atteints d’hypertension qu’auprès du reste de la population.

Mots-clés : apport en sodium, apport en sel, hypertension, hypertension artérielle, Programme éducatif canadien sur l’hypertension, recommandations du PECH

Introduction

L’hypertension est l’un des facteurs de risque les plus importants à l’origine des maladies cardiaques et des accidents vasculaires cérébraux, eux-mêmes deux des causes principales de décès et d’hospitalisation au Canada. Environ 19 % des adultes canadiens de 20 à 79 ans sont hypertendus et approximativement 90 % des Canadiens vont souffrir d’hypertension au cours de leur vie1,2. Près de 30 % des cas d’hypertension au Canada pourraient être attribués à un apport alimentaire excessif en sodium3. En effet, une relation dose-réponse entre l’apport en sodium et une tension artérielle élevée a été démontrée maintes fois dans le cadre d’études épidémiologiques4a-6a. Réduire l’apport alimentaire en sodium contribue à diminuer la tension artérielle, cet effet étant amplifié chez les sujets hypertendus7,8. Une réduction prolongée de sodium alimentaire est associée à des résultats positifs d’ordre cardiovasculaire, par exemple la diminution des incidents cardiovasculaires9.

Dans les recommandations du Programme éducatif canadien sur l’hypertension (PECH) mis à jour en 2009, il est conseillé pour contrôler l’hypertension, outre d’avoir une alimentation équilibrée, de restreindre l’apport alimentaire en sodium à 1 500 mg/jour, et de ne pas excéder 2 300 mg/jour10a. Ces seuils se basent sur les valeurs nutritionnelles de référence établies par l’Institute of Medicine en 2004, selon lesquelles 1 500 mg/jour est considéré comme un apport suffisant (AS) pour les adultes en santé et 2 300 mg/jour comme l’apport maximal tolérable (AMT) pour les adultes11a. Un apport supérieur à l’AMT augmenterait le risque d’effets indésirables sur la santé. Des études révèlent déjà clairement une relation dose-réponse entre la tension artérielle et un apport en sodium même inférieur au niveau de l’AMT11b.

Malgré la diffusion de directives cliniques et le grand nombre de messages de santé publique prônant la réduction du sodium alimentaire, un rapport récent de Statistique Canada indique que les Canadiens de tous âges ont un apport moyen en sodium élevé12a. Si diminuer la consommation de sodium est important pour tout le monde, c’est essentiel pour les personnes souffrant d’hypertension.

Les personnes hypertendues reçoivent-elles davantage de conseils de leur médecin à propos de leurs habitudes de vie, particulièrement en ce qui a trait à la réduction du sodium alimentaire? Après avoir appris qu’elles souffrent d’hypertension, diminuent-elles leur apport en sodium ou, à tout le moins, se gardent-elles de l’augmenter? Même si certaines personnes souffrant d’hypertension sont capables de maintenir à long terme une alimentation pauvre en sel, le processus est semé d’embûches et une approche globale est nécessaire pour qu’il soit couronné de succès13a. Afin de comparer la quantité de sodium consommée par les personnes atteintes d’hypertension et par les autres, nous avons ajusté l’apport quotidien moyen en sodium, ce qui permet de contrôler les principaux facteurs de confusion potentiels.

Méthodologie

Échantillon

Dans le cadre de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC), cycle 2.2, Nutrition (2004), un sondage de rappel alimentaire de 24 heures a été mené afin de recueillir des données sur l’apport quotidien individuel en sodium14a. L’ESCC 2.2 visait les personnes de tous âges vivant dans des demeures privées dans les dix provinces; étaient exclus les habitants des trois Territoires, les membres à temps plein des Forces canadiennes et les personnes vivant dans les réserves indiennes, en établissement et dans les régions reculées, ce qui a donné finalement un échantillon représentatif d’environ 98 % de la population des dix provinces. Le taux de réponse global pour l’ESCC, cycle 2.2, Nutrition (2004) a été de 76,5 %. Statistique Canada et Santé Canada ont publié des descriptions détaillées du plan d’enquête, de l’échantillonnage et du protocole d’entrevue de l’ESCC14b,15a. En bref, 35 107 personnes au total ont répondu à une entrevue initiale de rappel portant sur toutes les boissons et tous les aliments consommés de minuit à minuit avant l’entrevue. Une méthode en cinq étapes basée sur l’Automated Multiple-Pass Method (AMPM), mise au point par le Department of Agriculture des États-Unis (USDA), a été utilisée pour optimiser la collecte de données16. Les valeurs nutritives des aliments canadiens proviennent du Fichier canadien sur les éléments nutritifs (FCEN), qui est une imposante base de données, informatisée et bilingue, contenant jusqu’à 143 nutriments et plus de 5 500 aliments, dont des aliments spécifiquement canadiens17a. Seuls les répondants de 30 ans et plus ont été inclus dans notre étude.

Variables

Dans l’ESCC, les états chroniques sont définis comme « des états à long terme que l’on s’attend à voir durer (ou qui ont déjà duré) six mois ou plus et qui ont été diagnostiqués par un professionnel de la santé », et ils sont autodéclarés par les enquêtés. Pour l’hypertension, on a demandé aux participants s’ils « faisaient de l’hypertension ». Ceux qui ont répondu autrement que « oui » ou « non » à cette question ont été exclus de nos analyses. Nous avons inclus comme autres variables l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle (IMC), le niveau de scolarité et de revenu du ménage, le tabagisme, l’activité physique durant les loisirs, la présence ou non de diabète et l’apport énergétique quotidien total.

Nous avons établi trois groupes d’âge pour cette étude : 30 à 49 ans, 50 à 69 ans et 70 ans et plus. L’IMC a aussi été réparti en trois catégories : poids insuffisant ou normal (IMC < 25,0 kg/m2), surpoids (25 kg/m2IMC < 30,0 kg/m2) et obésité (IMC ≥ 30,0 kg/m2). L’apport énergétique total, mesuré en kilocalories (kcal), est la somme de tous les apports énergétiques de source alimentaire en une journée17b.

Pour définir le niveau de scolarité du ménage, nous nous sommes fondés sur le niveau d’instruction le plus élevé détenu par un adulte du foyer et avons établi les quatre catégories suivantes : études secondaires non terminées, études secondaires terminées, études postsecondaires non terminées et études postsecondaires terminées. En divisant le total des sources de revenu du ménage dans les 12 mois précédant l’entrevue par le nombre de personnes vivant dans le ménage, nous avons formé quatre catégories de revenu : revenu faible, revenu moyen-inférieur, revenu moyen-supérieur et revenu élevé15b. En raison d’un nombre considérable de refus de répondre à la question du revenu, une cinquième catégorie de revenus (manquant) a été créée.

Nous avons défini trois catégories de comportement face au tabagisme : les fumeurs quotidiens (ceux qui fumaient de manière quotidienne au moment du sondage et avaient déjà fumé 100 cigarettes ou plus au cours de leur vie), les anciens fumeurs (ceux qui avaient fumé de manière quotidienne mais avaient arrêté, ou qui fumaient encore mais occasionnellement au moment du sondage) et les non-fumeurs (ceux qui n’avaient jamais fumé et ceux qui avaient fumé moins de 100 cigarettes au cours de leur vie). Dans le même ordre d’idées, nous avons classé les répondants en trois groupes selon leur niveau d’activité physique (fréquence, durée et intensité) durant leurs loisirs au cours des trois mois précédents : inactif, modérément actif et actif15c.

Le répondant était considéré comme diabétique s’il déclarait avoir reçu un diagnostic de diabète de la part d’un professionnel.

Analyses

Nous avons restreint nos analyses aux adultes de 30 ans et plus ayant participé à une entrevue de rappel alimentaire de 24 heures valide (n = 15 232). De cet échantillon, nous avons éliminé 189 participants pour lesquels l’apport énergétique quotidien total était de moins de 500 kcal, 21 autres qui ne savaient pas s’ils souffraient ou non d’hypertension et enfin 6 155 dont le poids et la taille n’ont pas été mesurés (pour calculer l’IMC), ce qui nous a fait un total de 8 867 répondants. Nos comparaisons sur les caractéristiques de base des répondants ont utilisé leur état auto-déclaré quant à l’hypertension, leur apport énergétique quotidien total, leur âge, leur sexe, leur IMC, leur activité physique durant les loisirs, le niveau de scolarité et de revenu de leur ménage ainsi que leur comportement face au tabagisme et la présence ou non de diabète. Nous avons calculé l’apport quotidien moyen en sodium pour les personnes souffrant d’hypertension et pour les autres, et nous avons estimé des intervalles de confiance (IC) à 95 % pour les moyennes en utilisant la méthode bootstrap, afin de tenir compte de la structure à plusieurs niveaux de l’enquête. Nous avons déterminé le seuil de signification statistique en comparant les intervalles de confiance à 95 % pour les moyennes et nous avons comparé les estimations moyennes brutes d’apport en sodium correspondant à des groupes spécifiques aux valeurs recommandées par le PECH 200910b.

Nous avons également comparé l’apport moyen en sodium des personnes souffrant d’hypertension et celui des autres en utilisant une régression linéaire multivariée, afin de contrôler les différences importantes sur le plan de l’âge, du sexe, de l’IMC, de l’apport énergétique quotidien total, du revenu et du niveau de scolarité du ménage, du tabagisme, de l’activité physique et de la présence de diabète. Nous avons appliqué une transformation logarithmique à l’apport quotidien en sodium et à l’apport énergétique pour obtenir la distribution normale requise pour les analyses statistiques et nous avons calculé les moyennes ajustées d’apport en sodium en utilisant les moyennes marginales et les coefficients b des équations de régression linéaire multivariée. Nous avons déterminé le seuil de signification statistique à partir des résultats de la méthode bootstrap. De plus, nous avons effectué des analyses stratifiées en fonction de l’âge et du sexe des répondants, et avons comparé les différences dans les apports moyens en sodium (bruts et ajustés) entre les groupes souffrant d’hypertension et les autres.

Résultats

Des 8 867 Canadiens âgés de 30 ans et plus ayant participé à l’étude, 2 455 affirmaient avoir reçu un diagnostic d’hypertension d’un professionnel de la santé, soit 19 % après application des facteurs de pondération appropriés au sondage. Les hypertendus sont plus âgés, davantage obèses, moins scolarisés, plus souvent anciens fumeurs, ils ont un revenu familial moins élevé et sont plus souvent diabétiques (état chronique comorbide) (tableau 1).

Tableau 1 :
Caractéristiques de base des participants (âgés de 30 ans
et plus) atteints et non atteints d'hypertension
  Hypertendus Non hypertendus
Source des données : Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, cycle 2.2,
Nutrition (2004)14c.
Abréviations : IMC, indice de masse corporelle; IC, intervalle de confiance; p, signification statistique.
*p < 0,05
Taille de l'échantillon 2455 6412
Échantillon pondéré 3 415 831 14 998 862
Apport énergétique moyen (IC à 95 %) 1870  (1809 – 1931)* 2140 (2089 – 2190)
Âge moyen (IC à 95 %) 63,6 (62,7 – 64,5)* 49,4 (49,1 – 49,8)
Hommes (%) 48,8 (45,4 – 52,3) 49,0 (48,2 – 49,8)
IMC moyen (IC à 95 %) 29,6 (29,1 – 30,1)* 27,0 (26,8 – 27,3)
Groupes d'âge (%)
30 à 49 ans 14,4 (11,2 – 17,6)* 58,2 (57,1 – 59,3)
50 à 69 ans 49,4 (45,9 – 52,9)* 32,3 (31,1 – 33,4)
>70 ans et plus 36,3 (33,3 – 39,2)* 9,6 (9,0 – 10,1)
IMC (%)
< 25 kg/m2 21,8 (18,4 – 25,1)* 39,1 (36,7 – 41,4)
Entre 25 kg/m2 et 30 kg/m2 37,2 (33,6 – 40,8) 38,8 (36,5 – 41,1)
≥ 30 kg/m2 41,0 (37,2 – 44,9)* 22,5 (20,2 – 24,1)
Fumeurs (%)
Fumeurs quotidiens actuels 18,8 (15,7 – 21,9)* 25,6 (23,5 – 27,8)
Anciens fumeurs 38,1 (34,5 – 41,6)* 30,2 (28,0 – 32,4)
Non–fumeurs 43,1 (39,3 – 47,0) 44,1 (41,6 – 46,5)
Loisirs (%)
Actifs 14,6 (11,9 – 17,3) 17,3 (15,4 – 19,1)
Modérément actifs 21,6 (18,6 – 24,7) 24,3 (22,3 – 26,3)
Inactifs 63,8 (60,2 – 67,4) 58,5 (56,1 – 60,9)
Scolarité (%)
Études secondaires non terminées 32,6 (29,4 – 35,7)* 18,2 (16,6 – 19,9)
Études secondaires terminées 18,2 (15,0 – 21,4) 18,5 (16,4 – 20,5)
Études postsecondaires non terminées 5,0 (3,6 – 6,3) 6,2 (5,1 – 7,3)
Études postsecondaires terminées 43,4 (40,0 – 47,0)* 56,0 (53,5 – 58,6)
Revenu (%)
Faible 12,2 (9,4 – 15,1)* 7,3 (6,0 – 8,5)
Moyen–inférieur 24,9 (21,4 – 28,5)* 18,2 (16,4 – 20,0)
Moyen–supérieur 32,3 (28,7 – 36,0) 33,3 (31,0 – 35,6)
Élevé 22,8 (19,2 – 26,4)* 34,1 (31,6 – 36,7)
Manquant 7,7 (5,8 – 9,6) 7,2 (5,9 – 8,4)
Revenu (%)
Diabète (Oui) 16,6 (14,2 – 19,0)* 3,7 (2,8 – 4,6)

L’apport quotidien moyen (brut) en sodium est de 2 950 mg (IC à 95 % : 2 810 – 3 090 mg) pour les personnes souffrant d’hypertension et de 3 175 mg (IC à 95 % : 3 078 – 3 273 mg) pour les autres (tableau 2). Les estimations de l’apport moyen brut en sodium, que ce soit pour les personnes hypertendues ou pour les autres, et quels que soient les groupes d’âge, le sexe et le diagnostic de diabète, se situent bien au-delà du seuil de 2 300 mg/jour fixé par les recommandations du PECH 200910c.

Tableau 2 :
Apport moyen en sodium (mg/jour), données brutes et données
ajustées par régression linéaire multidimensionnelle chez les
personnes atteintes et non atteintes d'hypertension (âgées de
30 ans et plus) selon l'âge, le sexe et l'état à l'égard du diabète
  Hypertendues
(IC à 95 %)
Non hypertendues
(IC à 95 %)
Coefficient β Erreur-type Signification
statistique (p)
Source des données : Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, cycle 2.2,
Nutrition (2004)14d.
Abréviations : IC, intervalle de confiance n, taille du sous-échantillon.
Moyenne ajustée : moyenne marginale estimée à l'aide d'une régression linéaire multidimensionnelle.
Tous (30 ans et plus) (n) 2455 6412      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2950
(2810–3090)
3175
(3078–3273)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2877 2723 0,024 0,0094 0,0124
Sexe
Hommes (n) 878 2812      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 3349
(3099–3599)
3580
(3432–3728)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 3162 2972 0,027 0,0133 0,0429
Femmes (n) 1577 3600      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2570
(2458–2682)
2787
(2677–2897)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2655 2512 0,024 0,0144 0,0975
Âge
30 à 49 ans (n) 244 2761      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 3676
(3001–4351)
3290
(3147–3433)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 3258 2911 0,049 0,0279 0,0815
50 à 69 ans (n) 1041 2404      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 3064
(2910–3219)
3052
(2931–3172)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2799 2612 0,03 0,0124 0,0176
70 ans et plus (n) 1170 1247      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2451
(2338–2563)
2666
(2500–2832)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2415 2466 -0,009 0,0117 0,4413
Diabète
Oui (n) 464 322      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2767
(2541–2992)
2915
(2644–3185)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2449 2500 -0,009 0,0193 0,6326
Non (n) 1989 6090      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2987
(2827–3147)
3185
(3085–3286)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2805 2636 0,027 0,0102 0,0071

Nous avons ensuite comparé l’apport moyen en sodium chez les personnes souffrant d’hypertension et chez les autres après avoir procédé à un ajustement pour contrôler les différences dans l’apport énergétique total et dans les autres variables confusionnelles. Les apports moyens en sodium après ajustement sont considérablement plus élevés chez les personnes souffrant d’hypertension que chez celles n’en souffrant pas (p = 0,01) (tableau 2). Les hommes hypertendus ont un apport moyen en sodium significativement plus élevé que ceux qui ne le sont pas (p = 0,04), alors que chez les femmes, celles souffrant d’hypertension ont bien un apport moyen en sodium plus élevé que les autres, mais la différence n’atteint pas le seuil de signification statistique. Les femmes et les hommes hypertendus de 50 à 69 ans ont un apport moyen en sodium beaucoup plus élevé que ceux du même âge qui ne le sont pas (p = 0,02). On observe une différence similaire entre les personnes hypertendues et non hypertendues ayant entre 30 et 49 ans, mais elle n’atteint pas le seuil de signification statistique (p = 0,08). Quant aux personnes de 70 ans et plus, qu’elles soient atteintes d’hypertension ou non, leur apport moyen en sodium est le même.

L’apport en sodium est considérablement plus élevé chez les personnes non diabétiques souffrant d’hypertension que chez les non diabétiques ne souffrant pas d’hypertension (p = 0,007) (tableau 2). Il est également plus élevé chez les personnes non diabétiques que chez les diabétiques. Chez ces dernières, il faut noter qu’il n’y a aucune différence statistiquement significative entre l’apport moyen en sodium de celles souffrant d’hypertension et de celles ne souffrant pas d’hypertension.

Enfin, nous avons exploré les interactions possibles entre les groupes d’âge et l’hypertension en distinguant les caractéristiques des hommes et celles des femmes (tableau 3). Après ajustement pour contrôler les facteurs confusionnels potentiels, seuls les hommes hypertendus ayant entre 30 et 49 ans présentent un apport en sodium significativement plus élevé que les hommes du même âge non hypertendus (p = 0,03). Quant aux femmes, il n’y a que celles du groupe des 50 à 69 ans souffrant d’hypertension qui présentent un apport moyen en sodium bien plus élevé que les femmes du même âge n’en souffrant pas (p = 0,008).

Tableau 3 :
Apport moyen en sodium (mg/jour), données brutes et
données ajustées par régression linéaire multidimensionnelle
chez les personnes atteintes et non atteintes d'hypertension (âgées
de 30 ans et plus), hommes et femmes, selon le groupe d'âge
.
  Hypertendues
(IC à 95 %)
Non hypertendues
(IC à 95 %)
Coefficient β Erreur-type Signification
statistique (p)
Source des données : Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, cycle 2.2,
Nutrition (2004)14e.
Abréviations : IC, intervalle de confiance; n, taille du sous-échantillon.
Moyenne ajustée : moyenne marginale estimée à l'aide d'une régression linéaire multidimensionnelle.
Hommes
Âgés de 30 à 49 ans (n) 120 1282      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 4223
(3250–5195)
3699
(3485–3913)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 3855 3250 0,074 0,0335 0,0265
Âgés de 50 à 69 ans (n) 402 1038      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 3384
(3121–3647)
3505
(3282–3727)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2844 2767 0,012 0,0169 0,4834
Âgés de 70 ans et plus (n) 356 492      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2716
(2516–2916)
2922
(2733–3111)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2729 2716 0,002 0,018 0,924
Femmes
Âgées de 30 à 49 ans (n) 124 1479      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2810
(2338–3281)
2886
(2729–3043)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2965 2723 0,037 0,0509 0,4646
Âgées de 50 à 69 ans (n) 639 1366      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2753
(2585–2920)
2694
(2531–2857)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2698 2410 0,049 0,0186 0,0083
Âgées de 70 ans et plus (n) 814 755      
Apport moyen en sodium (mg/jour) 2256
(2151–2361)
2477
(2238–2716)
     
Apport moyen en sodium ajusté (mg/jour) 2143 2218 -0,015 0,014 0,2695

Analyse

Plusieurs facteurs peuvent contribuer au risque d’hypertension : l’âge, les antécédents familiaux, la race ou l’origine ethnique, l’apport en sodium, l’IMC, la consommation d’alcool, l’activité physique et l’alimentation18. Des études épidémiologiques ont démontré à plusieurs reprises un lien entre un apport alimentaire en sodium important et l’apparition de l’hypertension4b-6b. Bien qu’une certaine concentration de sodium soit nécessaire au corps humain pour réguler les liquides et la tension artérielle ainsi que pour maintenir le fonctionnement des muscles et des nerfs, 230 mg de sodium par jour suffisent à une personne en bonne santé pour maintenir son équilibre sodique19. L’hypertension frappe principalement les pays développés, où l’on ajoute sans cesse du sodium aux aliments transformés et aux aliments de restauration; les personnes vivant dans des sociétés reculées et isolées où l’apport en sodium est habituellement bas présentent généralement peu d’hypertension, et peu ou pas d’élévation de la tension artérielle à mesure qu’elles vieillissent20. La surconsommation de sodium est associée non seulement à l’hypertension, mais aussi au cancer de l’estomac, à l’hypertrophie ventriculaire gauche, à l’obésité et peut-être à l’ostéoporose21-25.

Nos résultats montrent que les Canadiens âgés de 30 ans et plus consomment des quantités de sodium se situant au-dessus de l’AMT, ce que relevaient déjà des rapports de synthèse à propos de l’ESCC, cycle 2.2, Nutrition (2004). De plus, nous avons constaté que les Canadiens affichent un apport moyen élevé en sodium qu’ils soient ou non hypertendus : plus de deux fois plus élevé que le niveau considéré comme adéquat (AS), et considérablement plus élevé que l’AMT. Au Canada, les personnes atteintes d’hypertension diagnostiquée sont donc loin d’avoir atteint les objectifs de réduction du sodium recommandés par le PECH pour leur sous-groupe.

L’excès de consommation de sodium alimentaire est considéré comme un facteur de risque lié aux habitudes de vie et modifiable.

Les directives cliniques recommandent donc sa réduction, ce qui constitue une mesure de prévention de l’hypertension pour les personnes en bonne santé, et ce qui est préconisé avant toute autre intervention pharmaceutique pour les personnes souffrant déjà d’hypertension10d. Les Canadiens adultes souffrant d’hypertension ajouteraient significativement moins de sodium à leurs aliments au cours des repas ou durant la cuisson que ceux qui ne sont pas hypertendus12b. Une partie de la population hypertendue est donc consciente qu’il est important de diminuer sa consommation de sodium, et elle agit en ce sens. Cependant, étant donné la nature transversale des données de notre étude, il nous a été impossible de déterminer si les personnes hypertendues participantes réduisaient effectivement leur apport en sodium et, si c’est le cas, de combien. Notons que limiter l’ajout de sodium durant les repas ou la cuisson des aliments pourrait ne pas être vraiment efficace, sachant que la principale source de sodium dans l’alimentation des Canadiens provient des aliments transformés et des aliments de restauration.

Notre étude démontre que, après ajustement pour contrôler les facteurs confusionnels potentiels, les Canadiens d’âge adulte souffrant d’hypertension diagnostiquée consommeraient davantage de sodium que ceux ne souffrant pas d’hypertension. Les analyses par sous-groupes révèlent des degrés variés de différence, en fonction du sexe et de l’âge. Les hommes jeunes (30 à 49 ans) hypertendus ainsi que les femmes d’âges moyen et mûr (50 à 69 ans) hypertendues affichent un apport moyen en sodium plus élevé que leurs homologues ne souffrant pas d’hypertension. Notre étude révèle aussi que les Canadiens plus âgés (70 ans et plus) souffrant d’hypertension consomment du sodium dans des concentrations similaires à celles relevées chez ceux qui ne sont pas atteints d’hypertension. Bien qu’un effet de survie puisse influencer les résultats chez les personnes plus âgées, d’autres études rapportent que la réduction de sodium dans l’urine paraît augmenter avec l’âge, ce qui laisse penser que les personnes âgées pourraient être généralement plus conscientes de leur santé et plus disposées à réduire leur consommation de sodium que les personnes plus jeunes13b,26,27. Une étude prospective en Finlande a mis en lumière qu’il n’y avait pas de diminution de l’apport en sel plus significative, sur une période d’étude de trois ans, chez les sujets souffrant d’hypertension que chez ceux n’en souffrant pas28. La réduction de l’apport en sodium semble donc difficile à réaliser. D’après nos résultats, l’âge et le sexe pourraient jouer un rôle important dans l’adhésion des personnes hypertendues à une alimentation faible en sodium, et il devrait donc y avoir des programmes destinés à aider les personnes qui ne réussissent pas à changer.

À ce propos, nous voudrions souligner que l’apport moyen en sodium (après ajustement) chez les personnes atteintes à la fois de diabète diagnostiqué et d’hypertension diagnostiquée n’était pas différent de celui des personnes atteintes de diabète diagnostiqué mais non hypertendues. En revanche, chez les personnes non diabétiques, celles atteintes d’hypertension avaient un apport moyen en sodium significativement plus élevé que celui des personnes non hypertendues. Ces résultats sont particulièrement intéressants, compte tenu du fait que les directives cliniques canadiennes pour la gestion du diabète recommandent que l’hypertension artérielle soit traitée sérieusement — l’objectif étant que les patients atteignent une tension artérielle cible de moins de 130/80 mmHg — et c’est dans cette optique qu’elles préconisent des changements dans les habitudes de vie, afin notamment de limiter l’apport en sodium29. Même s’il est difficile de réduire la consommation de sodium, certaines personnes présentant un risque élevé sont donc capables d’y parvenir.

Notre étude comporte plusieurs limites. En premier lieu, elle est basée sur les données d’une enquête transversale, ce qui ne permet pas une évaluation directe des changements d’habitudes de vie avec le temps. Cependant, même si nous ne pouvons pas déterminer dans quelle mesure les sujets hypertendus réduisent leur consommation de sodium, il est peu probable qu’ils augmentent cette consommation après avoir découvert qu’ils sont atteints d’hypertension. La nature transversale de ces données ne nous permet pas non plus d’explorer la relation étiologique entre l’apport en sodium et l’hypertension, mais nous pouvons comparer les apports actuels en sodium en fonction de la présence ou l’absence d’hypertension déclarée par les participants au sondage. En deuxième lieu, les données portant sur les diagnostics d’hypertension, sur la consommation de sodium et sur les autres facteurs relatifs aux habitudes de vie des répondants étaient basées sur le rappel alimentaire de 24 heures et sur des diagnostics médicaux déclarés par les intéressés, ce qui pourrait avoir donné lieu à des biais et à une mauvaise classification. La mesure directe de tous les paramètres aurait été optimale, mais coûteuse. De plus, la sous-déclaration des apports alimentaires est plus fréquente chez les personnes obèses que chez les personnes ayant une masse corporelle normale. On a constaté, chez les personnes souffrant d’hypertension diagnostiquée, un plus fort pourcentage d’obésité que chez les personnes n’en souffrant pas (respectivement 41,0 % et 22,5 %). Par conséquent, nos estimations de l’apport en sodium chez les personnes atteintes d’hypertension pourraient ne pas donner l’entière mesure de la situation. La présence d’une hypertension non diagnostiquée, estimée au Canada à un cinquième de l’hypertension diagnostiquée30, représente également une limite. La « mauvaise » classification des sujets atteints d’hypertension non diagnostiquée pourrait avoir atténué la différence dans les apports moyens en sodium observés entre les deux groupes, ceux souffrant d’hypertension et les autres. En outre, les répondants atteints d’états chroniques autres que l’hypertension et le diabète (p. ex. de maladies cardiaques ou de maladies rénales) doivent eux aussi réduire leur consommation de sodium, mais ils n’ont pas pu être considérés séparément à cause de la taille limitée de l’échantillon.

Avec le vieillissement de la population, nous nous attendons à une hausse de la prévalence de l’hypertension, ce qui nécessitera des efforts accrus de la part de la santé publique dans la lutte contre cet état chronique. Étant donné que la plupart des facteurs de risque modifiables liés à l’hypertension sont caractéristiques du mode de vie occidental, les messages de santé publique et les directives cliniques devraient mettre l’accent sur les changements d’habitudes favorisant la santé, comme atteindre et maintenir un poids santé, réduire son apport en sodium, limiter sa consommation d’alcool et augmenter son activité physique. Le Canada a adopté des mesures de réduction de l’apport alimentaire en sodium pour l’ensemble de sa population. En 2007, le gouvernement fédéral a créé un groupe de travail multilatéral ayant pour but de superviser l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie globale de réduction de sodium31. Les recommandations du Groupe de travail sur le sodium, publiées en juillet 2010, contiennent des conseils spécifiques dans quatre domaines : la réduction volontaire des concentrations de sodium dans la fourniture d’aliments, une meilleure sensibilisation du public aux effets néfastes du sodium sur la santé et aux façons de réduire sa consommation, le soutien à la recherche visant à revoir les formules des aliments transformés et enfin la mise en place d’une surveillance globale de l’apport en sodium au Canada associée à une évaluation complète de la stratégie de réduction du sodium32. En plus des efforts en santé publique, les professionnels de la santé devraient mettre l’accent sur l’importance des changements à apporter aux habitudes de vie en vue de prévenir et de contrôler l’hypertension, notamment la nécessité, pour les patients, de respecter les seuils de consommation de sodium fixés par les directives cliniques canadiennes. Finalement, il est également important de souligner que, même si notre étude était axée sur l’apport en sodium chez les personnes atteintes d’hypertension, l’apport en sodium dépend de manière générale de la qualité de l’ensemble de l’alimentation ainsi que de la quantité de nourriture consommée par chacun. Étant donné que, dans la plupart des pays développés, entre 70 % et 80 % de l’apport quotidien en sodium provient des aliments transformés et des aliments de restauration, des mesures à plus grande échelle devraient être prises. La réduction de la consommation de sodium que d’autres pays ont réussi à obtenir nous porte à croire qu’il faudra instaurer une approche intégrée et systématique mettant à contribution le gouvernement, l’industrie de l’alimentation, les médecins et la population en général pour réaliser des changements de comportement alimentaire solides et durables33-36.

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