Rapport spécial du Comité canadien de lutte antituberculeuse
L'émergence de souches pharmacorésistantes de tuberculose menace les efforts de prévention et de lutte contre la tuberculose partout dans le monde. Une étude effectuée par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l'Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires (UICTMR) a mis au jour des souches résistantes à des antituberculeux majeurs dans 74 des 77 pays étudiés. L'OMS estime que 300 000 personnes sont infectées chaque année par des souches de bacilles tuberculeux pharmacorésistantes1.
Par l'intermédiaire du Système canadien de déclaration des cas de tuberculose (SCDCT), la Division de la lutte antituberculeuse (DLA), de l'Agence de la santé publique du Canada, recueille de l'information sur tous les nouveaux cas de tuberculose et de rechute diagnostiqués au Canada. On retrouve entre autres des données sur le pays de naissance (origine) et la résistance primaire et secondaire (acquise) aux antituberculeux majeurs. Vu que la collecte de données sur « l'origine » a débuté en 1970 (Autochtones nés au Canada, non-Autochtones nés au Canada et personnes nées à l'étranger), on a observé une augmentation régulière de la proportion de cas de tuberculose signalés chez les personnes nées à l'étranger. Actuellement, plus de 65 % de tous les cas de tuberculose au Canada surviennent chez des personnes nées à l'étranger, et la pharmacorésistance est beaucoup plus répandue dans cette population. Toutes les études canadiennes antérieures ont montré que le fait d'être né à l'étranger était un facteur important associé à la pharmacorésistance2-8.
Le but du présent rapport est de mesurer le fardeau que représente la pharmacorésistance primaire et acquise aux antituberculeux chez les cas canadiens nés à l'étranger et de déterminer les tendances relatives à la pharmacorésistance primaire selon le pays d'origine, l'année d'arrivée au Canada, l'année du diagnostic et le statut d'immigrant.
Nous avons examiné les données concernant les cas de tuberculose signalés entre 1992* et 2002 au SCDCT. Le système de déclaration est conçu pour recueillir de l'information sur tous les nouveaux cas actifs et les cas de rechute† de tuberculose diagnostiqués au Canada et dans toutes les provinces et tous les territoires. Les cas signalés au SCDCT répondent à la définition de cas des Normes canadiennes pour la lutte antituberculeuse9. Le rapport de cas contient des renseignements sur certaines caractéristiques démographiques, dont le pays de naissance, l'année d'arrivée au Canada et le statut d'immigrant au moment du diagnostic.
Nous avons obtenu les estimations démographiques annuelles selon l'origine, y compris les estimations pour chaque groupe d'âge et chaque sexe, de Statistique Canada.
La pharmacorésistance primaire concerne les patients non traités qui sont porteurs d'organismes résistants aux médicaments, probablement parce qu'ils ont été infectés par une source externe de Mycobacterium tuberculosis résistant. On parle de résistance acquise (ou secondaire) lorsque les patients qui étaient au départ porteurs d'une bactérie sensible aux médicaments sont devenus résistants à cause d'un traitement inadéquat, inapproprié ou irrégulier ou, surtout, à cause de la non-observance du régime thérapeutique.
* 1992 représente l'année où une résistance primaire a été pour la première fois signalée au SCDCT. Les premiers cas de résistance secondaire ont commencé à être déclarés en 1997.
† On entend par cas de rechute (réactivation) les cas s'accompagnant d'une preuve documentaire (au Canada) ou ayant des antécédents de tuberculose active qui est devenue inactive.
Entre 1992 et 2002, 11 % de tous les cas nés à l'étranger affichaient une résistance à un ou plusieurs antituberculeux majeurs et les cas nés à l'étranger étaient trois fois plus nombreux à présenter une résistance aux médicaments que les cas non autochtones nés au Canada. Bien que les cas de tuberculose multirésistante (TB-MR), définie comme une résistance à tout le moins à l'isoniazide et à la rifampicine, ne représentent que 1 % (1,6 % en 2002) de tous les cas au Canada, les cas nés à l'étranger étaient six fois plus nombreux à présenter une multirésistance. La résistance à l'isoniazide (INH) était de loin la plus fréquente et était signalée chez 34 % de tous les cas pharmacorésistants. Les profils de pharmacorésistance n'ont pas beaucoup évolué avec le temps, à l'exception d'une légère augmentation de la multirésistance au cours de la dernière année de déclaration.
Plus de 75 % de tous les cas de pharmacorésistance étaient issus de dix pays. Les trois pays en tête de liste pour la pharmacorésistance primaire était le Vietnam, les Philippines et la République populaire de Chine (tableau RS-1).
Tableau RS-1
Distribution des cas nés à l'étranger
présentant une résistance primaire aux
antituberculeux selon le pays
d'origine,1992-2002,Canada
Pays d'origine | Total des cas de TB |
Nombre de cas résistants |
Pourcentage du total |
Nombre de cas de MR |
Pourcentage du total |
Vietnam | 1 354 | 308 | 22,7 % | 25 | 1,8 % |
Philippines | 1 319 | 193 | 14,6 % | 17 | 1,3 % |
République populaire de Chine | 1 419 | 152 | 10,7 % | 22 | 1,6 % |
Inde | 1 410 | 99 | 7,0 % | 10 | 0,7 % |
Somalie | 605 | 79 | 13,1 % | 15 | 2,5 % |
Hong Kong | 734 | 56 | 7,6 % | 3 | 0,4 % |
Haïti | 313 | 54 | 17,3 % | 4 | 1,3 % |
Ancienne Éthiopie* | 295 | 36 | 12,2 % | 2 | 0,7 % |
Pakistan | 291 | 30 | 10,3 % | 3 | 1,0 % |
République de Corée | 160 | 27 | 16,9 % | 5 | 3,1 % |
* Inclut l'Éthiopie et l'Érythrée pour 1992 |
Figure
RS-1 |
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La majorité des cas pharmacorésistants ont été signalés chez les nouveaux arrivants (depuis cinq ans ou moins au Canada). Cela concorde avec la tendance dans la déclaration des cas, à savoir que la majorité des cas de tuberculose nés à l'étranger sont diagnostiqués chez les personnes qui sont arrivées récemment au Canada (figure RS-2).
Plus de 90 % des cas de tuberculose pharmacorésistante nés à l'étranger qui ont été signalés au SCDCT provenaient de quatre provinces : Alberta, Colombie-Britannique, Ontario et Québec (figure RS-3).
La distribution selon l'âge et le sexe des cas pharmacorésistants était égale chez les hommes et les femmes; 53 % des cas étaient des hommes, et l'âge médian était de 37 ans. Les femmes représentaient 47 % de tous les cas de pharmacorésistance signalés, l'âge médian étant de 35 ans (figure RS-4).
Les résultats du traitement (cas guéris et traitement terminé) étaient légèrement moins favorables chez les cas pharmacorésistants que chez les cas non résistants (71 % guéris; 80 % guéris ayant terminé le traitement). Le décès des suites d'une tuberculose (celle-ci étant la cause initiale du décès ou y ayant contribué) était aussi fréquent dans le cas des souches non résistantes et résistantes (7 % contre 8 %).
Figure
RS-2 |
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Figure RS-3 |
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Figure
RS-4 |
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Une pharmacorésistance primaire a été signalée chez seulement huit cas de tuberculose positifs pour le VIH. Seuls deux cas de résistance secondaire associés au traitement chez des sujets positifs pour le VIH ont été déclarés au SCDCT pendant la période de 1997 à 2002.
Il est peu fréquent qu'une résistance soit acquise durant le traitement. Entre 1997 et 2002, 58 cas de pharmacorésistance secondaire ont été recensés (moins de1%de tous les cas). La résistance associée au traitement la plus fréquemment acquise était la résistance à l'INH, étant à l'origine de 69 % de tous les cas de résistance secondaire. Il est très rare que les cas développent une résistance à plusieurs médicaments durant le traitement. Seulement 19 personnes ont développé une résistance à deux médicaments, huit à trois médicaments et cinq à quatre antituberculeux majeurs.
Dans le dernier rapport du projet mondial de surveillance de la résistance aux antituberculeux mené conjointement par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l'UICTMR, la prévalence médiane de la résistance générale aux antituberculeux chez les nouveaux cas diagnostiqués dans les pays participants s'établissait à 10,2 % et la prévalence médiane de la TB-MR était de 1,1 %1. Ce rapport fournit une liste des pays où la prévalence de la résistance tant primaire que secondaire est élevée, le Kazakhstan présentant le plus fort taux de résistance primaire et de multirésistance1. D'autres études internationales font état d'une incidence plus élevée de la tuberculose pharmacorésistante chez les hommes, chez les personnes déjà traitées pour une tuberculose et celles âgées de plus de 65 ans10,11.
Il n'est pas encore possible de déterminer l'incidence de la co-infection par le bacille tuberculeux et le VIH et son impact sur la tuberculose pharmacorésistante à partir des données du SCDCT.
Entre 1997 et 2002, le statut sérologique à l'égard du VIH a été signalé en moyenne chez seulement 10 % des cas nés à l'étranger. On ne peut trop insister sur l'importance du dépistage du VIH et de la déclaration des cas séropositifs chez toutes les personnes atteintes de la tuberculose. Ces pratiques sont essentielles si l'on veut prévenir et lutter contre les cas futurs de tuberculose au Canada.
Les résultats observés jusqu'à maintenant dans le système de surveillance concordent en grande partie avec les données nationales antérieures ainsi qu'avec les données internationales pour ce qui est des tendances relatives à la pharmacorésistance. D'autres données nationales sur la résistance aux antituberculeux sont présentées dans la série La tuberculose : La résistance aux antituberculeux au Canada, qui fait état des résultats des études de sensibilité aux médicaments effectuées sur certains isolats de bacilles tuberculeux. Cette série fournit des données annuelles à jour sur les nouvelles tendances de la pharmacorésistance, mais renferme peu de données épidémiologiques. Bien qu'ils ne correspondent pas exactement aux données sur les cas, les résultats présentés dans La tuberculose : La résistance aux antituberculeux au Canada corroborent la prévalence générale de la pharmacorésistance primaire décrite dans le présent rapport12.
Le fait d'être né à l'étranger constitue un prédicteur important de la pharmacorésistance. Bien que le taux de TB-MR ait crû légèrement depuis 2001, il n'y a pas lieu de s'alarmer, car le taux demeure inférieurà2%.Une étroite surveillance de cette tendance à la hausse mérite d'être exercée, il faudra cependant disposer de données portant sur un plus grand nombre d'années pour avoir un aperçu de la tendance de la résistance aux antituberculeux au Canada. L'existence d'une pharmacorésistance, peu importe le niveau, souligne la nécessité d'administrer un traitement adéquat et approprié à tous les cas.
Membres : Dr V. Hoeppner (président); Dre M. Baikie; M. C. Balram; Mme C. Case; Dr E. Ellis (secrétaire exécutif); Dr R.K. Elwood (ancien président); Mme E. Randall; M. B. Graham; Dr S. Martin; Mme C. Helmsley; Dr E.S. Hershfield; Dr A. Kabani; Dre B. Kawa; Dr M. Lem; Dr R. Long; Dre F. Stratton; Dr L. Sweet; Dre T.N. Tannenbaum.
Le présent rapport a été rédigé par Mme Melissa Phypers, épidémiologiste principale, Lutte antituberculeuse, Agence de la santé publique du Canada.
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