Nouvelles de la Bibliothèque nationale
Juin 1999
Vol. 31, no 6



Ma colletion Lucy Maud Montgomery

Ronald Cohen,
Collectionneur et philanthrope


Photo : Ottawa Citizen

Je pense que tout s'explique par mon instinct de collectionneur. Ainsi, à l'âge de six ans, c'était les timbres, et à dix ans, les pièces de monnaie. Ces passe-temps de l'enfance constituent le prélude de la collection d'ouvrages de Lucy Maud Montgomery que j'ai donnée à la Bibliothèque nationale. Quel est le lien ? Eh bien, la collection n'a pas été édifiée sur le modèle d'une collection de livres « ordinaire », par exemple le regroupement de premières éditions, quoi qu'en pense la Bibliothèque et les collectionneurs. Elle est plutôt structurée comme le serait une collection de timbres ou de pièces de monnaie, qui vise à acquérir les différentes versions d'un même article.

En raison de l'absence d'une bibliographie descriptive des oeuvres de Lucy Maud Montgomery, le collectionneur dans ce domaine est confronté à la tâche d'assembler un casse-tête où seuls les morceaux de la bordure, soit les titres des livres, sont discernables. Aucune vue d'ensemble du casse-tête n'existe. À l'exception des premières éditions de L.C. Page (Boston) des sept premiers ouvrages de Mme Montgomery publiés entre 1908 et 1915, pour lesquelles le fil directeur en matière d'édition se dégage nettement, le tout s'emmêle, pour ne pas dire s'embrouille complètement. (À l'exception de The Golden Road, ces ouvrages n'ont pas été publiés au Canada avant 1942, l'année du décès de Mme Montgomery !) À cet égard, les pistes se sont brouilllées tout à fait lorsque McClelland, Goodchild & Stewart, qui deviendra McClelland & Stewart, est devenu l'éditeur canadien de Mme Montgomery. Trouver le fil directeur des éditions et même des réimpressions se révèle difficile, pour ne pas dire pratiquement impossible.

Étant donné que je ne disposais pas d'information sur le contexte, j'ai essayé de rassembler le plus grand nombre possible d'exemplaires différents dans l'espoir qu'un jour, ils deviennent la source d'indices pour des bibliographes, des universitaires et des collectionneurs pour qui ces oeuvres sont précieuses non seulement en tant que récits, mais également en tant qu'artefacts. Les différences entre ces exemplaires, qu'il s'agisse de la présentation de la page de titre, du tissu de la reliure, du nom de l'imprimeur, de l'œil utilisé dans la composition de l'avis de l'imprimeur ou de la date du droit d'auteur, ont orienté le regroupement laborieux des morceaux du casse-tête.

Pour le collectionneur passionné, tout le plaisir est dans la chasse. Le moins que je puisse dire en ce qui me concerne, c'est que ce plaisir a été décuplé lorsque l'Administrateur général de la Bibliothèque nationale s'est montrée intéressée par la collection. Elle a donné un but bien précis à ma collection. Avant cela, je n'avais déterminé aucun objectif à long terme pour cette collection. En fin de compte, les collectionneurs collectionnent afin de, eh bien, de collectionner. Quand je me suis rendu compte que la Bibliothèque nationale attachait de la valeur à cette collection, sa raison d'être était toute trouvée. La chasse s'est intensifiée, et elle est devenue plus gratifiante. Par exemple, j'ai découvert pas moins de cinq éditions pouvant prétendre au titre de première édition canadienne de Anne's House of Dreams. De plus, la collection ne compte pas seulement un exemplaire rare du recueil de poésie de 1916, The Watchman, mais trois, dont deux portant jaquette (des jaquettes différentes, bien sûr). Enfin, j'ai réussi mon plus beau coup au cours de la semaine où j'ai fait don de ma collection : un exemplaire de l'édition de 1909 de Anne of Green Gables sous jaquette !

J'espère que les collectionneurs qui, comme moi, ont rassemblé des collections semblables d'ouvrages du patrimoine littéraire canadien veilleront à leur conservation en les confiant à l'établissement national qui a pour mandat de rassembler le patrimoine du pays. Outre le fait d'enrichir la collection d'oeuvres de l'un des auteurs les plus connus et les plus prisés du 20e siècle au Canada, si ce don incite d'autres Canadiens à faire de même avec leur collection, il aura atteint un but beaucoup plus important que celui de servir mon seul instinct de collectionneur.


Droit d'auteur. La Bibliothèque nationale du Canada. (Révisé : 1999-6-1).