Nouvelles de la Bibliothèque nationale |
Tom Delsey,
directeur général,
Politique et communications
Avec la permission des Archives nationales du Canada |
(Cet hommage a d'abord été rendu lors du service commémoratif à la mémoire de W. Kaye Lamb qui a eu lieu à Vancouver le 31 août 1999.)
Je tiens pour un privilège de représenter la Bibliothèque nationale du Canada afin de rendre hommage à M. Kaye Lamb, le premier directeur général de la Bibliothèque nationale du Canada.
Les réalisations de M. Lamb au cours des 15 années où il a occupé le poste de directeur général de la Bibliothèque nationale ont été plus qu'impressionnantes. Il a littéralement bâti l'établissement. Il a élaboré le projet de loi créant la Bibliothèque nationale en 1953. Il a créé la bibliographie nationale et le catalogue collectif canadien. Il s'est assuré le soutien des conseils de recherche universitaires en compilant et en éditant la première bibliographie complète des thèses universitaires canadiennes en sciences humaines et en sciences sociales. Il a établi les bases des solides collections de musique imprimées et enregistrées de la Bibliothèque. Dans l'année du centenaire du Canada, il a vu couronnées des années d'efforts par l'inauguration de l'immeuble qui devait abriter de façon permanente la Bibliothèque nationale. Et tout juste un mois avant son départ à la retraite en 1968, il était présent pour voir l'index de la bibliographie nationale produit pour la première fois à l'aide de la technologie informatique.
Au cours des premières années de la Bibliothèque nationale, Kaye Lamb se présente comme l'architecte, l'ingénieur, l'entrepreneur et l'ouvrier tout à la fois. Les dimensions du rôle qu'il a joué dans la conception de la Bibliothèque se révèlent peut-être de façon plus frappante dans les cinq années ou à peu près qui ont précédé la proclamation de la Loi sur la Bibliothèque nationale en 1953.
En juin 1947, Kaye Lamb prononçait son discours inaugural comme président de la Canadian Library Association, nouvellement fondée, en décrivant ce qu'il caractérisait comme un « mandat pour l'avenir ». À la fin de son allocution, il invitait les membres de l'Association à se joindre à lui pour accomplir ce mandat. En préliminaire à cette invitation, il citait un extrait du discours qu'il avait entendu prononcer par George Bernard Shaw quelques années auparavant, à la Fabian Society à Londres. Shaw avait dit : « Vous vous mettez dans tous vos états au sujet d'un problème, vous vous énervez à propos d'une doléance, puis vous allez entendre quelqu'un faire un exposé sur ce sujet et discuter la chose de manière complète, et vous êtes tout à fait d'accord avec lui. Puis vous retournez chez vous en ayant l'impression totalement fausse que vous avez fait quelque chose à ce sujet. » M. Lamb avait alors terminé son discours en disant : « Il s'agit d'une façon détournée, mesdames et messieurs, de vous dire que le mandat dont je vous ai parlé n'est pas mon mandat, il s'agit de notre mandat pour l'avenir ».
L'une des premières choses que Kaye Lamb et d'autres participants à cette conférence étaient résolus de « faire », c'était de poser les bases d'une bibliothèque nationale pour le Canada. Dans la foulée immédiate de la conférence, sous la direction de M. Lamb, la CLA lançait une vigoureuse campagne de relations publiques afin de convaincre le gouvernement de la nécessité d'une bibliothèque nationale. Un an plus tard, l'Association tenait sa conférence à Ottawa. M. Lamb et la directrice de la CLA, Elizabeth Morton, dans une opération magistrale de lobbying, se sont organisés pour présenter au premier ministre MacKenzie King un microfilm que l'association avait produit du Colonial Advocate, le quotidien que le grand-père de King avait publié plus d'un siècle auparavant. La présentation s'est révélée une double réussite. Elle est parvenue, comme il avait été espéré, à attirer l'attention du premier ministre quant à l'importance du travail que pouvait effectuer une bibliothèque nationale. Le premier ministre fut également impressionné par l'homme qui avait présenté l'exposé. M. Lamb n'était pas sitôt sorti du bureau du premier ministre que M. King dit à son adjoint personnel, Jack Pickersgill, qu'il estimait que M. Lamb était l'homme pour combler le poste d'archiviste du Dominion.
Dès que le poste lui a été offert de manière officielle en septembre 1948, M. Lamb considéra l'offre comme une occasion, en partie, de promouvoir le projet de la Canadian Library Association, soit celui d'une bibliothèque nationale. Avant d'accepter, il obtint l'accord du gouvernement selon lequel son affectation comprendrait la responsabilité de « préparer la voie à l'organisation d'une bibliothèque nationale ».
Kaye Lamb voyait très clairement les priorités de cette nouvelle bibliothèque nationale. Il savait bien que le gouvernement fédéral possédait un nombre considérable de documents de bibliothèque. Les collections des ministères dans tout Ottawa, au total, représentaient une ressource importante. Mais cette ressource était fragmentée et non immédiatement accessible à l'échelle de l'appareil gouvernemental. Il ne voyait aucun avantage immédiat à reproduire ces collections, et savait qu'il était improbable dans l'immédiat qu'il obtienne l'approbation et le financement d'un immeuble pour abriter une collection de la Bibliothèque nationale. Il s'est plutôt concentré sur l'accroissement de la valeur des collections de bibliothèque des ministères fédéraux, objectif auquel il parviendrait en les rendant plus accessibles, en compilant un catalogue collectif des divers fonds fédéraux. En suivant la même idée pour englober les collections possédées par les bibliothèques publiques et universitaires de partout au pays, il vit en outre la possibilité d'exploiter ces collections de manière plus efficace - et de compenser par le fait même les limites des collections individuelles - en incluant des notices des fonds des grandes bibliothèques du Canada dans ce nouveau catalogue collectif.
En adoptant une démarche pragmatique, M. Lamb réussit à poser les fondations d'une bibliothèque nationale dans un laps de temps remarquablement court. En mai 1950, il avait créé le Centre bibliographique canadien pour amorcer la tâche de compiler le catalogue collectif et de publier la bibliographie nationale. Il n'existait pas d'immeuble, et pratiquement aucune collection. Mais en travaillant à partir d'un local quelque peu encombré du bâtiment des Archives publiques, la petite équipe du Centre se mit à la tâche avec un zèle de missionnaire.
Kaye Lamb semble avoir eu le chic pour recruter un personnel de talent et dévoué. Au cours de cette première année de fonctionnement du Centre bibliographique canadien, il attira à Ottawa Martha Shepard, de la Toronto Public Library; Jean Lunn, du Fraser Institute de Montréal; et Adèle Languedoc, qui avait travaillé en France dans un organisme de secours américain après la guerre. Toutes trois étaient des femmes brillantes, très instruites et passionnées par leur travail. Dotées des outils appropriés pour effectuer le travail, elles étaient en mesure d'accomplir de petits miracles.
« Accomplir » est vraiment le mot approprié. Au cours de ces premiers jours, tout le monde était de corvée. On pouvait voir Martha Shepard monter sa caméra 16 mm dans des bibliothèques de partout au pays, en train de filmer leurs fiches catalographiques pour les inclure dans le catalogue collectif. Quant à Jean Lunn, perchée sur une échelle appuyée sur les rayons de la Bibliothèque du Parlement, lampe de poche à la main, elle catalogait in situ des livres reçus en dépôt. M. Lamb, lui, apportait une caméra portative, dans ses déplacements pour affaires et durant son congé annuel pour filmer les volumes rares des premiers documents canadiens afin de les ajouter à la collection des microfilms de la Bibliothèque.
À partir de cette époque pionnière qui a vu l'édification du Centre bibliographique canadien, jusqu'à l'adoption en 1953 d'une loi qui créait la Bibliothèque nationale et l'obligation du dépôt légal, et au cours des 15 premières années du développement de la Bibliothèque, Kaye Lamb proposait la vision, l'orientation et la direction nécessaires pour soutenir ce qui était alors le plus jeune des établissements nationaux du Canada, obtenir le soutien du gouvernement pour sa croissance et son expansion, et pour faire en sorte que la Bibliothèque nationale remplisse son « mandat pour l'avenir ».
En terminant, j'aimerais revenir au discours inaugural prononcé par M. Lamb à la conférence de la CLA en 1947. Dans ce discours, il invitait instamment cette nouvelle association nationale à ne pas oublier la petite bibliothèque. Il comparait la bibliothèque à un bureau de télégraphe, en faisant remarquer que même la plus petite bibliothèque servait de « point de contact avec l'univers entier des bibliothèques ». Il rappelait à l'Association qu'elle existait, entre autres choses, pour faire fonctionner le réseau de bibliothèques du Canada de cette façon. Il invitait ses collègues « à veiller à ce que le personnel de première ligne profite également des grandes choses que nous essayons de faire à l'échelle nationale ».
Cette notion de liens interreliés entre les bibliothèques, et les possibilités de servir tous les Canadiens de façon plus efficace en faisant usage de ces liens se situait nettement au centre de la vision de Kaye Lamb pour la Bibliothèque nationale. Cette vision, je pense, n'a pas servi exclusivement à préciser l'orientation de la Bibliothèque dans les tout débuts de son développement, mais a donné à la Bibliothèque nationale du Canada la signification de son but et de la place qu'elle occupe dans le milieu canadien des bibliothèques qui a façonné son évolution au cours d'une période de près de 50 ans maintenant. Et cette vision fait partie de l'héritage permanent que Kaye Lamb a légué à notre pays.