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Nouvelles de la Bibliothèque nationale
Mai 2000
Vol. 32, no 5



Les premiers temps du Centre bibliographique canadien

Martha Shepard, anciennement directrice du Centre bibliographique canadien et des services de référence de la Bibliothèque nationale du Canada

Dans les débuts du Centre bibliographique canadien, en mai 1950, bien avant que l'ordinateur bouleverse le monde des bibliothèques, nous faisions beaucoup de choses et nous recourions à des méthodes qui sembleraient étranges aujourd'hui. Les microfilms et les microcartes étaient le dernier cri de la technologie et les catalogues de fiches de tout le pays étaient tenus à jour par une multitude de catalogueurs et de préposés au classement.

M. William Kaye Lamb a été nommé par le premier ministre King en tant qu'archiviste du Dominion et bibliothécaire national, avec le mandat de mettre sur pied une bibliothèque nationale. Avec sagesse, puisque la Bibliothèque nationale n'avait ni existence légale, ni collection, ni locaux, il commença par créer le Centre bibliographique canadien. Situé à une extrémité de la salle d'exposition, dans l'ancien édifice des Archives sur la promenade Sussex, le Centre fut créé pour atteindre deux objectifs :


Hélène (Alie) Beaudry lors du microfilmage des fiches de catalogues des bibliothèques de la région d’Ottawa.

Il s'agissait également de bâtir une collection de bibliographies et d'outils de référence.

Le microfilm était l'outil rêvé pour reproduire les fichiers des autres bibliothèques. Une fois agrandies au format original des fiches (trois par cinq pouces), elles pourraient être classées dans le Catalogue collectif.

Photographe enthousiaste durant presque toute ma vie, j'ai été impliquée dans la microphotographie dès le début; j'avais aidé à mettre sur microfilm les journaux canadiens, un travail entrepris par l'Association canadienne des bibliothèques. Pendant que M. Lamb préparait les plans du Centre bibliographique canadien, je travaillais à la Division de référence de la Toronto Public Library depuis plus de dix ans; je suppose donc que je n'aurais pas dû être surprise quand il demanda à Bert Hamilton, le bibliothécaire anglophone de la Bibliothèque du Parlement, alors à Toronto pour une réunion, de me demander si j'étais intéressée à poser ma candidature comme directrice du Centre bibliographique. Ce poste inclurait la responsabilité de la compilation du Catalogue collectif et de la mise sur pied du Service de référence de la future Bibliothèque nationale. J'ai été surprise parce que je n'avais jamais pensé à quitter la Toronto Public Library, mais je fus heureuse du défi qui m'était lancé. Bert fit savoir à M. Lamb que j'étais très intéressée.

Les semaines passèrent et je n'en entendis plus parler. Puis, en novembre 1949, M. Lamb m'écrivit pour me dire qu'il allait venir à Toronto et qu'il aimerait déjeuner et parler avec moi. Je me souviens encore à quel point j'étais nerveuse dans le tramway qui me conduisait au Royal York Hotel, où nous devions déjeuner. Malheureusement, c'était le jour du défilé du Père Noël, et nous n'avancions que très lentement sur la rue Yonge. J'étais en retard d'une demi-heure, ce qui ne m'aidait pas à me calmer. Le déjeuner fut agréable; M. Lamb m'exposant ses plans. À mi-chemin, il me dit tout-à-coup : « Au fait, ceci est votre examen d'entrée officiel dans la fonction publique ». Il m'épargna ainsi le supplice de devoir me présenter devant un comité de la fonction publique, ce dont je lui fus profondément reconnaissante parce que, quand je suis sous pression, j'ai tendance à oublier même mon nom et qui je suis.

Le premier mai 1950, je me suis présentée au travail à l'édifice des Archives publiques sur la promenade Sussex; on m'a indiqué mon « bureau », c'est-à-dire l'une des extrémités de la salle d'exposition. Il y avait là un bureau, une chaise, une machine à écrire et un assortiment de fournitures de bureau. Il y avait aussi un exemplaire du catalogue imprimé de la Library of Congress, toujours dans ses boîtes, puisqu'il n'y avait pas d'étagères. Avec l'aide de M. Lamb, j'ai commencé à préparer la tâche de microfilmer les catalogues des nombreuses bibliothèques ministérielles d'Ottawa, leur rendant visite pour nouer des liens d'amitié avec les bibliothécaires et évaluer le temps nécessaire pour tout microfilmer. C'était le début de ce que je considérais comme une tâche de missionnaire – répandre la bonne nouvelle de la Bibliothèque nationale et expliquer son utilité pour chaque bibliothèque.

Comme le catalogue de la Division de référence de la Toronto Public Library était bien fait, et parce que j'y étais chez moi, il fut décidé que les premiers documents microfilmés en dehors d'Ottawa seraient ceux de Toronto.

Dans l'intervalle, Mme Jean Lunn, auparavant de la bibliothèque de l'Institut Fraser de Montréal, arriva pour mettre sur pied la section de catalogage de la future Bibliothèque nationale et pour compiler et publier Canadiana, la bibliographie nationale canadienne. On nous a également affecté notre propre dactylo. Maintenant, nous avions trois personnes à trois bureaux, et tous les visiteurs des Archives nous remarquaient. Les questions les plus fréquentes étaient : « Où est le fauteuil de Wolfe? » et « Où sont les toilettes? » J'en suis venue à haïr le fauteuil de Wolfe.

Mme Lunn travaillait très fort à mettre sur pied Canadiana. Peu de temps après, Adèle Languedoc fut désignée pour travailler avec elle à informer les éditeurs de la nécessité de faire parvenir à la Bibliothèque nationale deux exemplaires de chaque livre qu'ils publiaient. Sa tâche fut grandement simplifiée par l'adoption de la législation sur le dépôt légal. Tels furent les débuts de la Division des acquisitions de la Bibliothèque nationale; en peu de temps fut rassemblée une collection impressionnante de livres – mais nous n'avions pas de place où les mettre.

L'événement suivant fut l'arrivée de douzaines de classeurs métalliques, remplis de fiches de la Library of Congress, dont la bibliothèque de l'Université de Toronto n'était que trop heureuse de se débarrasser. Ils étaient accompagnés de ce qui semblait être des centaines de paquets non ouverts, contenant des fiches attendant d'être rangées dans les classeurs.

Nous avons entrepris d'engager des commis de classe 1, pour la plupart des filles juste assez âgées pour quitter l'école, qui entreprirent de classer les fiches. De plus, alors que le microfilmage des fiches des bibliothèques d'Ottawa avançait, elles coupèrent et classèrent les agrandissements des fiches dans le Catalogue collectif nouveau-né. Classer ces fiches en ordre alphabétique à la journée longue pouvait s'avérer une tâche abrutissante, mais d'une façon ou d'une autre, les filles trouvèrent le moyen de s'amuser et elles firent un travail superbe.

Clarisse Cardin était maintenant affectée au catalogage, et elle se joignit à notre trio. Peu après, nous avons entrepris de parler anglais les lundis, mercredis et vendredis, et français les mardis, jeudis et samedis. (À cette époque antédiluvienne, nous travaillions une demi-journée le samedi.) Cela aida le personnel anglophone à vaincre l'embarras qu'il ressentait à s'exprimer dans un français, plutôt approximatif. Lorsque je suis allée à l'Université Laval, à Québec, pour microfilmer leur catalogue, j'ai réussi à me faire comprendre et j'ai compris la plus grande partie de ce qu'on me disait.

À chaque fête de Noël, le personnel des Archives et du Centre bibliographique organisait une fête pendant laquelle on procédait à un tirage. Pour le financer (le premier prix était de 50 $), un dollar était prélevé de chaque paie de chaque employé. Avant la première fête, j'avais dit à tout le monde que si je gagnais le premier prix, j'achèterais une bouilloire électrique pour le thé de l'après-midi. Ça ne m'inquiétait pas de faire cette promesse, puisque je n'avais jamais rien gagné de ma vie. Naturellement, j'ai gagné les 50 $, et le thé de l'après-midi devint un des moments préférés de notre routine.

J'avais commencé à choisir des livres de référence pour notre collection, et j'ai vécu avec le Guide to Reference Books de Winchell pendant des mois. Lorsque nous avons déménagé dans l'édifice de la Bibliothèque nationale et des Archives nationales en 1967, nous possédions une bonne collection de bibliographies, qui nous était fort utile dans notre travail.

Après l’ajout d’un certain nombre de catalogues de bibliothèques au catalogue collectif, notre service de localisation prit son essor. Au début, nous recevions quelques demandes par semaine, mais bien vite il y en eut plusieurs milliers par mois. En 1967, nous recevions les demandes de localisation par téléphone, courrier et télex. Un opérateur de télex avait pour unique tâche de recevoir les demandes et d'expédier les résultats de nos recherches au Catalogue collectif. Mais tout cela arriva longtemps après notre séjour sur la promenade Sussex.

Au fur et à mesure que le Centre bibliographique canadien se développait, ses effectifs augmentaient en fonction de la charge de travail et des services à rendre. Les pionniers de la première heure furent Ian Wees, Hélène (Alie) Beaudry, Ruth-Ann (McGrath) Ladas, Suzanne Monette (Mme Beauchamp) et Edith Bracey. Peu après que le Centre bibliographique canadien soit devenu la Bibliothèque nationale, on procéda à l'embauche de plusieurs nouveaux membres du personnel; parmi ceux-ci, Pamela Hardisty (qui s'en alla plus tard à la Bibliothèque du Parlement), Eleanor Belyea (Mme Wees), Jean-Paul Bourque et Philip Chaplin. J'ai toujours ressenti une vive affection pour le personnel qui est demeuré avec nous toutes ces années. Notre récompense arriva lors de notre déménagement dans le nouvel édifice, qui nous permit de devenir une bibliothèque officielle.

Je dois rendre un ultime hommage à M. Lamb. Sa vision et son dévouement, combinés à la notoriété et au respect dont il jouissait en haut lieu, lui permirent d'atteindre ses objectifs. Quand j'ai dû décider si j'allais ou non abandonner la sécurité que m'offrait la Toronto Public Library et prendre le risque de travailler pour le Centre bibliographique canadien, je suis allée voir M. William Wallace, alors bibliothécaire de l'Université de Toronto, pour lui demander son opinion. Il me dit que je ne commettrais pas une erreur en allant travailler avec M. Lamb, « un excellent historien, un gentleman et un érudit ». Et il a bien eu raison.


Droit d'auteur. La Bibliothèque nationale du Canada. (Révisé : 2000-4-10).