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Nouvelles de la Bibliothèque nationale
Mai 2000
Vol. 32, no 5



Le Centre bibliographique canadien

Paul Kitchen, ancien membre du personnel de la Bibliothèque nationale et directeur éxécutif de la Canadian Library Association (1975-1985)

De même que sir John A. Macdonald avait supervisé les premiers débats parlementaires sur une bibliothèque nationale, c'est son buste qui présida aux premières activités du précurseur de la bibliothèque, le Centre bibliographique canadien. Les locaux étaient peut-être une « sombre chambre », mais ce n'était quand même pas la Chambre des communes. Les quelques personnes engagées au début de 1950 pour mettre sur pied les activités du Centre s'assirent derrière des classeurs placés à une extrémité de la salle du musée des Archives publiques, sur la promenade Sussex. Des visiteurs leur demandaient où étaient les chaussures de bébé du général Wolfe.


Espace restreint occupé par le Centre bibliographique canadien dans la salle d’expositions de l’édifice des Archives publiques.

Dès sa première réunion, en mars 1949, le Comité consultatif de la Bibliothèque nationale, approuvé par le Cabinet quelques mois auparavant, avait recommandé la création immédiate d'un centre bibliographique. Ce centre serait le premier pas vers la création d'une bibliothèque nationale pour le Canada. Présidé par l'archiviste du Dominion, W. Kaye Lamb, le Comité voyait comme point de départ du centre un catalogue collectif des fonds des bibliothèques gouvernementales d'Ottawa, auxquels s'ajouteraient plus tard des collections spéciales d'autres bibliothèques à travers le pays. Le Comité recommanda donc que le centre proposé ait la tâche de dresser une bibliographie à jour des publications canadiennes. Le secrétaire d'État Gordon Bradley approuva le plan et, en février 1950, nomma M. Lamb administrateur du nouveau Centre bibliographique canadien.

Même si, par souci de simplicité, le financement du Centre fut inclus dans les prévisions budgétaires des Archives publiques, le Centre, avec son budget initial de 41 000 $, représenta une organisation indépendante des Archives dès sa création. M. Lamb procéda sans délai à trois nominations capitales. La première fut celle de Martha Shepard, qui assuma ses responsabilités de directrice dès le premier mai, le jour même où le Centre fut officiellement créé. Mme Shepard était tout à fait qualifiée pour ce poste, grâce à ses dix ans d'expérience en tant que bibliothécaire à la référence de la Toronto Public Library et à sa formation photographique spécialisée, un attribut essentiel pour la tâche. Le travail de Mme Shepard était de mettre sur pied un service de référence et d'entreprendre la compilation d'un catalogue collectif national.

La seconde nomination, deux mois plus tard, fut celle de Jean Lunn, détentrice d'un doctorat en histoire canadienne de l'Université McGill et bibliothécaire à l’Institut Fraser. En tant que bibliographe, Mme Lunn allait créer une bibliographie nationale et assumer la responsabilité de la production d'autres listes. M. Lamb recruta ensuite Adèle Languedoc, avant tout pour travailler sur les publications et les bibliographies francophones. Bibliothécaire professionnelle, Mme Languedoc arriva au Centre après quatre ans de service à l'American Relief pour la France, où elle avait aidé à la restauration des bibliothèques après la guerre. Bientôt, mademoiselle Clarisse Cardin se joignit à l'équipe pour travailler sur la bibliographie nationale, suivie par M. Ian Wees, chargé d'aider à la mise sur pied du catalogue collectif.

Le travail sur le catalogue collectif national commença dès l'arrivée de Mme Shepard. Il s'agissait de microfilmer les notices principales du catalogue des bibliothèques choisies (en commençant par les bibliothèques gouvernementales d'Ottawa), en faire des rouleaux de cinq pouces de largeur, les découper pour en faire des copies conformes des cartes originales, les tamponner avec un sigle indiquant l’emplacement de la bibliothèque, et les rassembler en un seul ordre alphabétique pour en faire le Catalogue collectif. À la fin de 1950, les catalogues de quatre bibliothèques gouvernementales, de la Division de référence de la Toronto Public Library et de la Bibliothèque de l'Université du Nouveau-Brunswick étaient terminés. À partir de là, il fut demandé aux bibliothèques ainsi « rassemblées dans le troupeau » de faire parvenir les fiches de leurs nouvelles acquisitions et de leur élagage, afin de tenir le catalogue à jour. À la fin de 1952, le Catalogue collectif représentait plus d'un million de volumes détenus par 37 bibliothèques.

Au même moment, le Centre a commencé à rassembler ce qui allait devenir une énorme collection d'ouvrages bibliographiques et autres ouvrages de référence. Ils serviraient à concilier les entrées du catalogue collectif provenant de différentes bibliothèques lorsqu'on pensait avoir affaire à la même édition du même ouvrage, à identifier et vérifier les publications mal citées par les bibliothèques demandant des localisations pour un prêt entre bibliothèques, et à répondre aux demandes de renseignements habituelles.

Le Centre désirait faire rapidement une bonne impression sur la collectivité des bibliothèques canadiennes. L'occasion se présenta presque immédiatement. M. Lamb avait appris que deux membres du personnel de la Toronto Public Library, Dorothea Todd et Audrey Cordingley, avaient dressé une liste de contrôle des ouvrages imprimés canadiens de la période 1900-1925. Il obtint leur permission de faire publier cette liste par le Centre bibliographique. Avec la collaboration de la directrice exécutive de l'Association canadienne des bibliothèques, Elizabeth Morton, le Centre prit des dispositions pour en obtenir des copies prêtes à présenter à la conférence de l'Association en juin 1950.


Édifice des Archives publiques, promenade Sussex. Avec la permission des Archives nationales du Canada.

La principale publication projetée restait toutefois la bibliographie nationale – la liste de tous les ouvrages actuels publiés au Canada, ayant le Canada pour sujet, ou écrits par des Canadiens, mais publiés ailleurs. La Toronto Public Library publiait annuellement un Canadian Catalogue of Books depuis 1923, mais, en 1950, des dispositions furent prises pour publier le catalogue en fascicules dans le Bulletin de l'Association canadienne des bibliothèques. Avec l'arrivée du Centre bibliographique canadien, la Toronto Public Library ne fut que trop heureuse d'abandonner la responsabilité de la production bibliographique au Centre. Le premier numéro de Canadiana, le nouveau nom du catalogue, parut comme une publication indépendante en janvier 1951. Canadiana continua et développa ce premier catalogue, y ajoutant les publications du gouvernement canadien. Les titres français étaient inscrits en français et les titres anglais, en anglais. Après les six premiers numéros bimensuels, Canadiana devint un mensuel. En mai 1951, environ 420 bibliothèques canadiennes le recevaient gratuitement.

Adèle Languedoc assumait la responsabilité capitale de recueillir des informations sur les publications canadiennes, en prenant contact avec les éditeurs pour les persuader d'envoyer des exemplaires de ces ouvrages au Centre, aux fins de catalogage et d'inscription. Plusieurs éditeurs, mais pas tous, furent heureux de coopérer. Ceux-là comprirent qu'il était avantageux que leurs titres soient portés à l'attention de centaines de bibliothèques qui pourraient éventuellement en faire l'acquisition. À la différence de quelques autres pays, le Canada n'imposait à cette époque aucune exigence de dépôt légal. Il faudrait attendre pour cela la Loi sur la Bibliothèque nationale. Mme Languedoc et M. Lamb en personne scrutaient les journaux étrangers et les listes des éditeurs pour trouver des documents ayant un intérêt canadien. Le Centre en faisait alors l'acquisition. Au même moment, Mme Lunn examinait avec soin les publications envoyées à la Bibliothèque du Parlement sous le régime complètement indépendant du dépôt de droit d'auteur. La plupart des titres étaient américains, mais il lui fallait les voir pour déterminer lesquels se qualifiaient pour Canadiana. Pour cela, elle se rendait directement aux rayons de la Bibliothèque du Parlement, recueillant les titres voulus et les cataloguant sur place, souvent perchée sur une échelle.

La production de Canadiana était laborieuse. Le personnel tapait les entrées de catalogage sur des rouleaux de carton à fiches ligné, les coupait et les collait sur des feuilles de papier brun. Ces feuilles étaient ensuite envoyées à l'imprimerie du gouvernement pour y être photographiées. À leur retour, les fiches étaient retirées de leur support de papier au moyen d'un coupe-papier, classées avec celles des éditions précédentes, et enfin assemblées à la fin de l'année pour la refonte annuelle.

M. Lamb a toujours été convaincu que la conservation était l'une des tâches les plus importantes d'une bibliothèque nationale. Dès les premiers jours du Centre bibliographique, il s'aperçut que des centaines de titres inscrits dans Bibliography of Canadian Imprints to 1800, de Marie Tremaine, n'existaient qu'en un ou deux exemplaires. Grâce à une subvention de l'Americana Corporation de New York et à une caméra portative Recordak E empruntée à la Library of Congress, il passa ses vacances familiales et ses voyages d'affaires à rechercher et à microfilmer des ouvrages rares dans les bibliothèques de tout le pays. Des copies en furent ensuite proposées pour prêt ou achat.

Parmi les autres projets de la première heure, citons la publication d'un guide des Thèses des gradués canadiens dans les humanités et les sciences sociales (1951), et, en coopération avec l'Association canadienne des bibliothèques, la refonte annuelle de l'Index de périodiques et de films documentaires canadiens (1952).

C'était là le travail du Centre bibliographique canadien. Mais l'objectif ultime d'une bibliothèque nationale n'était pas oublié. Dans des conversations enregistrées voilà plusieurs années, M. Lamb a rappelé les étapes qui ont mené à l'adoption de la Loi sur la Bibliothèque nationale. En 1949, peu après l'arrivée de M. Lamb à Ottawa comme archiviste du Dominion, l'aide du premier ministre, Jack Pickersgill, lui confia qu'une commission royale sur les arts, les lettres et les sciences (la Commission Massey) était sur le point d'être créée, et que la question d'une bibliothèque nationale lui serait soumise. M. Lamb fut déconcerté par l'idée qu'on demande aux commissaires de recommander ou non une bibliothèque, puisqu'il pensait que la question avait déjà reçu une réponse selon les termes de sa propre nomination. Il suggéra qu'on leur demande plutôt des recommandations sur le rôle et la portée de la bibliothèque. C'est ce que fit la Commission dans son rapport de 1951. Même si, en ce qui concernait M. Lamb, la Commission n'a suggéré que peu de choses sortant du domaine du conventionnel, elle a rappelé au gouvernement sa promesse d'une bibliothèque nationale.

Le Discours du Trône de février 1952 déclara que le Parlement considérerait une législation relative à la création d'une bibliothèque nationale et à la construction d'un édifice qui l'abriterait. En mai 1952, M. Lamb était assis dans la galerie quand le premier ministre St-Laurent prononça son discours parrainant le projet de loi. Tout se passa rapidement, et la sanction royale fut accordée en moins de deux mois. La Loi sur la Bibliothèque nationale est entrée en vigueur le premier janvier 1953.

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Sources principales

Carolynn Robertson, The Canadian Bibliographic Centre: Preparing the Way for the National Library of Canada. Ottawa, Bibliothèque nationale, 14 août 1999.

F. Dolores Donnelly, The National Library of Canada. Ottawa, Canadian Library Association, 1973.

Lawrence J. Burpee, « A Plea for a National Library ». The University Magazine, février 1911.

Chambre des communes. Débats.

Transcription d'une entrevue historique orale avec W. Kaye Lamb, animée par Basil Stuart-Stubbs, 1988.

Transcription d'une entrevue historique orale avec Adèle Languedoc et Jean Lunn, animée par Beryl Anderson, 1988.

Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport, Ottawa, 1951.

Hier et aujourd'hui

Centre bibliographique canadien

Bibliothèque nationale du Canada
1950/1951

2000/2001
Budget total 41 240 $
Budget total 32 070 000 $
Personnel 5
Personnel 425
Catalogue canadien

Canadiana
1950 360 entrées
Notices bibliographiques 60 000
1951 environ 2140 entrées
Notices d'authorités 17 000
Catalogue collectif (fonds) 263 000
Catalogue collectif (fonds) 35 500 000

N.B. Les chiffres de l'année 2000/2001 sont des projections.


Droit d'auteur. La Bibliothèque nationale du Canada. (Révisé : 2000-4-10).