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Canadian Conference of the Arts

Bulletin de la CCA 07/07

Du bureau d'Alain Pineau

Directeur général

Conférence canadienne des arts

Ottawa, 20 février 2007

Pourquoi vous préoccuper de la crise du Fonds canadien de télévision?

La meilleure téléréalité ces jours-ci n’est pas à la télévision mais porte sur la télévision.  Elle se déroule en partie dans les journaux et autres médias, mais l’intrigue bat son plein derrière des portes closes… et c’est pourquoi tous les Canadiens devraient être reconnaissants envers les membres du Comité permanent du patrimoine canadien qui nous ont offert, deux fois la semaine pendant une bonne partie du mois de février, des épisodes en direct (et palpitants!) qui permettent de suivre les nombreux revirements de la saga du Fonds canadien de la télévision (FCT). C’est un docudrame qui mérite vraiment les meilleures cotes d’écoute possible.

Pourquoi tous les membres du secteur canadien des arts et de la culture devraient-ils s’intéresser à la crise qui secoue le FCT?  Parce qu’elle soulève avec beaucoup de force la question fondamentale suivante : qui prend réellement les décisions en matière de politiques et de stratégies culturelles au Canada? Comme Monsieur Douglas Barrett, président du FCT, affimait le 8 février à la séance d’ouverture des audiences parlementaires sur la crise :

« La question à examiner en fait aujourd'hui est la suivante : qui doit être le principal responsable du choix et de la conception des structures appropriées pour soutenir la production télévisée au Canada avec les ressources publiques? Le débat doit-il être mené par le Parlement, par les ministres et par les fonctionnaires, avec l'aide de l'organisme de réglementation concerné, ou alors par les groupes d'intervenants du secteur privé, avec les leviers financiers dont ils disposent? »

Les faits en résumé…

Les câblodistributeurs Shaw Communications et Vidéotron ont décidé unilatéralement, l’un avant Noël et l’autre le 23 janvier dernier, (Bulletin 03/07 de la CCA) de cesser les paiements mensuels qu’ils versent depuis plusieurs années au FCT, comme tous les autres câblodistributeurs et les services de radiodiffusion par satellite, conformément à la réglementation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Étant donné les réalités des cycles de la production télévisuelle, ce coup de force met en péril toute l’écologie de la production télévisuelle au pays.

Les deux câblodistributeurs justifient leur décision de se faire eux-mêmes justice en disant que le FCT est inefficace, qu’il dépense de l’argent pour des programmes que les auditeurs ne regardent pas et qu’il ne devrait pas réserver 37 % de son budget pour des productions indépendantes présentées à la Société Radio-Canada, déjà financée par l’État. Techniquement, les deux câblodistributeurs ne contreviendraient à la réglementation du CRTC qu’au 31 août prochain, mais ils ont utilisé une faille du système pour exercer des pressions politiques et obtenir ce qu’ils veulent d’un gouvernement  visiblement jugé accueillant.

L’absence initiale de réaction de la ministre du Patrimoine canadien, l’honorable Bev Oda, a incité le Comité permanent du Patrimoine canadien à décider à l’unanimité de tenir des audiences publiques sur la crise du FCT qui ont commencé il y a deux semaines. La ministre Oda a depuis rencontré tous les joueurs importants de ce docudrame et au soulagement du milieu, a annoncé que le gouvernement s'est engagé à verser 100 millions de dollars au cours des deux prochaines années au FCT. La ministre a également déclaré à plusieurs reprises qu’il appartient au CRTC de veiller à ce que les magnats du câble se comportent correctement. Dans l’épisode du 13 février de la série, la ministre Oda comparaissait devant le Comité permanent et annonçait qu’elle avait demandé aux barons des médias de respecter l’esprit, sinon la lettre, de la loi du pays.

Faisant écho aux propos de la ministre Oda devant le Comité, le tout nouveau président du CRTC, Konrad von Finckenstein, indiquait pour sa part que « Shaw et Québécor ont soulevé un certain nombre de questions importantes qui doivent être résolues et qui n’ont pas encore été traitées par le Conseil d’administration du FCT » et accueillait comme digne d’intérêt l‘engagement de Québécor relatif aux émissions canadiennes.

Comme le journaliste du Globe and Mail Konrad Yakabuski l’écrivait le 15 février, « La position de M. von Finckenstein n’est pas surprenante. (…) Après tout, il a été choisi personnellement par le premier ministre Stephen Harper pour secouer le CRTC, l’organisme qui surveille le fonds de la télévision. Sa nomination était également soutenue par la ministre Oda qui, à titre de commissaire du CRTC en 1996, s’était opposée à la création du FCT. En compagnie de deux autres commissaires, elle avait  rédigé une opinion dissidente faisant valoir que ‘les tarifs du câble devraient être fondés sur leurs mérites, et non pas être utilisés comme levier pour extraire des revenus à d’autres fins’. » [traduction]

La semaine dernière, la Société Radio-Canada (CBC/SRC), l’une des cibles des parties contrevenantes, a corrigé bon nombre de faits quant aux origines du Fonds et à son fonctionnement. Hier, c’était au tour du p.d.-g. de Shaw Communications, Jim Shaw Jr. et de celui de Québécor Pierre-Karl Péladeau de comparaître devant le comité parlementaire. Quiconque pensait voir là des gens contrits est resté sur son appétit!

 

M. Shaw a réaffirmé que sa décision de suspendre les paiements mensuels au FTC étaient non seulement tout à fait légale mais également légitime pour obtenir les changements qu’il veut voir apportés au Fonds, qu’il continue de qualifier d’inefficace, d’irresponsable,  un échec total qui finance des émissions que les Canadiens ne veulent manifestement pas regarder. Quant à M. Péladeau, il a repris la “proposition” rendue publique la semaine dernière à l’effet que sa filiale, le câblodistributeur Vidéotron, verserait 109 millions de dollars sur une période de trois ans, incluant 30 millions de dollars en 2007, dans un fonds pour la production canadienne pour remplacer sa contribution au Fonds canadien de télévision. Cet argent serait consacré aux programmes destinés aux diverses plateformes que le géant des médias du Québec possède et qui seraient produits à l’interne ou par des producteurs « indépendants » mais qui apparemment auraient à accepter de ne pas travailler ailleurs!

Réagissant à l’invitation à la collaboration de la ministre Oda, Jim Shaw Jr a annoncé que tout comme Vidéotron, il allait recommencer à faire ses paiements mensuels au Fonds, maintenant qu’il a eu l’assurance que ses plaintes avaient été entendues. Québécor avait fait de même la semaine dernière, pour des raisons identiques.

Moins d’une heure plus tard, le CRTC annonçait la mise sur pied d’un groupe de travail sous la présidence du vice-président radiodiffusion, Michel Arpin, dont le mandat est:

  • L’utilisation la plus efficace possible des contributions requises des entreprises de distribution;
  • La taille et la structure du conseil d’administration du FCT les plus appropriées;
  • Les mécanismes les plus appropriés afin de résoudre les conflits d’intérêts réels ou apparents au sein du FCT.

Le communiqué de presse ajoute que « Les travaux du Groupe de travail nécessiteront une interaction soutenue et une très grande ouverture entre les intervenants, et peut nécessiter de partager des informations confidentielles.  Les travaux du Groupe de travail se feront donc dans la confidentialité. Le Conseil n’émettra aucun autre commentaire sur la question jusqu’à ce que le rapport du Groupe de travail soit publié.  Néanmoins, le président du CRTC comparaîtra devant le Parlement plus tard cette semaine pour répondre à des questions relatives au processus que le Groupe de travail compte suivre. » (notre insistance)

Le Groupe de travail doit remettre son rapport le 31 août prochain, rapport qui sera rendu public. Il est particulièrement intéressant de noter que « Si requis ou recommandé dans le rapport, le Conseil émettra un avis public et tiendra une audience. »

La CCA suit chaque épisode de ce docudrame de realpolitik avec attention et interviendra par écrit plus tard cette semaine. Ne manquez pas le prochain épisode, où nous analyserons en détail les arguments mis de l’avant par les deux câblodistributeurs et ferons rapport de la comparution devant le comité du président du CRTC Konrad von Finckenstein’s.

 

Alors, la crise est finie? Et bien, pas tout à fait…

Il est difficile ne ne pas se sentir outré devant la déclaration unilatérale d’indépendance de Shaw Communications et Québécor, et devant l’oreille sympathique tendue par le  gouvernement et l’autorité réglementaire. Depuis qu’ils existent, ces deux cartels médiatiques ont profité de la protection de leurs marchés, de la réglementation et des subventions directes et indirectes du gouvernement fédéral et du CRTC, un fait qu’ils convient évidemment maintenant d’oublier.

Au delà de l’indignation qu’elle provoque, la contestation des politiques culturelles canadiennes par Shaw et Quebecor soulève de profondes inquiétudes à propos de la réaction du gouvernement envers une telle attitude et de ce qui a pu et pourra encore se passer à huis clos. Quand ce qui équivaut à de la désobéissance civile est accueillie avec tant de complaisance, on ne peut que craindre la conclusion de l’exercice.

La CCA et quiconque se préoccupe de transparence et de responsabilité manifeste au sein du gouvernement et des ses agences ne peut que s’inquiéter vivement devant le processus mis en place par le CRTC avec l’accord de la ministre et du bureau du premier ministre. Il est bien évident que malgré l’assurance du contraire de la ministre Oda, accepter la « proposition » de Québécor signifierait de facto la fin du Fonds comme nous le connaissons et donne tout son sens à la déclaration du vice-président principal de Shaw Communications, Ken Stein, après sa rencontre avec la ministre : « Le Fonds n’est pas réparable, il n’est pas mieux que mort. » [traduction] (lien)

Il semble que nous connaissons maintenant la réponse à la question posée par M. Barret et c’est pourquoi nous devrions tous être inquiets devant cette crise.