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Canadian Conference of the Arts

Bulletin de la CCA 10/10

26 mars 2010

 

Le CRTC rêve-t-il en Technicolor?

 

Pourquoi ce sujet est-il important pour nous tous?

  • Toutes plates-formes confondues, la radiodiffusion constitue un des médias culturels dominants Elle soutient le plus d’emplois créatifs dans le secteur culturel et la Loi sur la Radiodiffusion (1991) contient l’expression de politique culturelle la plus complète jamais adoptée par le Parlement fédéral et, comme telle, elle constitue un point de référence important pour l’ensemble du secteur.
  • La Conférence canadienne des arts (CCA) a participé activement aux processus réglementaires du CRTC depuis des décennies, et souvent ces quatre dernières années devant l’accélération des consultations et audiences menées par le Conseil. La CCA a été activement impliquée dans le processus actuel : elle s’est présentée deux fois devant le Conseil au cours de l’automne, sur l’approche par groupe à l’atttribution de licences aux services de télévision  et sur la consultation ordonnée par le ministre du Patrimoine sur l’impact sur les consommateurs d’une éventuelle compensation pour la valeur des signaux.

 

Les faits en résumé

Cette semaine, le CRTC rendait public un document fort attendu, sa Politique réglementaire de radiodiffusion, résultante d’un processus alambiqué d’avis de consultation et d’audiences étendu sur deux ans (la Politique CRTC 2010-167 fait référence à non moins de 24 Avis et Décisions intérimaires!).

Bien que la Politique s’intitule Approche par groupe à l’attribution de licences aux services de télévision privée, la question qui préoccupait tout le monde était de savoir si après l’avoir rejetée deux fois au cours des deux dernières années, le Conseil finirait par endosser la notion d’un tarif de distribution (ou une compensation pour la valeur des signaux (CVS), ainsi que l’a rebaptisé le Président du Conseil en cours de chemin). Cet enjeu a pendant plusieurs mois dressé diffuseurs et exploitants de câble et de satellite les uns contre les autres, dans une des plus acrimonieuses batailles publiques de mémoire.

En bref, voici ce que le CRTC a annoncé :

  •  Dorénavant, le Conseil attribuera les licences aux stations privées de télévision sur une base de propriété de groupe, ce qui « permettra aux grands groupes de susciter l’intérêt des téléspectateurs envers leurs différents services de télévision, tout en encourageant la production d’émissions canadiennes originales. » Cette approche doit mener à une plus grande flexibilité dans la façon de rencontrer les obligations en matière de dépenses sur les diverses chaînes du groupe ainsi qu’à une plus grande flexibilité dans leur programmation.
  • Il est important de noter que si les réductions dans les exigences de contenu canadien s’appliqueront immédiatement à tout le monde, l’application de la nouvelle Politique réglementaire de radiodiffusion sera retardée de plusieurs mois et ne s’appliquera qu’à des groupes de propriété privée désignés « dont le revenu des stations traditionnelles privées de langue anglaise dépasse 100 millions de dollars et qui détiennent au moins un service de télévision payante ou spécialisée de langue anglaise. » Les seuls groupes à rencontrer ces critères pour le moment sont CTVgm Inc., Canwest Television Limited Partnership, et Rogers Communications. Inc. Pour ce qui est de la Société Radio-Canada et des diffuseurs privés de langue française, le CRTC a jugé qu’il était urgent d’attendre encore un peu plus: il traitera de leurs enjeux propres l’an prochain, dans le cadre du renouvellement respectif de leurs licences.
  • Le Conseil réintroduit l’obligation pour les diffuseurs de consacrer au moins 30% de leur revenu brut à la production d’émissions canadiennes, une demande que la CCA et plusieurs intervenants faisait depuis plusieurs années déjà. Par ailleurs, « au moins 5% du revenu brut par groupe de propriété au cours de la période de licence » devra être cosnsacré à la production d’émissions d’intérêt national, c'est-à-dire les émissions dramatiques et comiques, les documentaires de longue durée et les émissions canadiennes de remise de prix. Le CRTC a résolu d’autre part de ne pas imposer de limites sur les sommes que les diffuseurs privés peuvent dépenser sur l’acquisition d’émissions étrangères.
  • Pour ce qui est de la quantité d’émissions canadiennes à offrir, le Conseil a décidé de réduire à 55% l’obligation faite aux diffuseurs en 1971 de présenter 60% de l’année de radiodiffusion aux émissions canadiennes. Ces émissions devront continuer de constituer 50% de la période dite de haute écoute de la télévision, soit de 18h à minuit.  
  • Le CRTC mise sur une négociation entre diffuseurs et entreprises de distribution de radiodiffusion (EDR) pour l’établissement d’un système de compensation pour la valeur des signaux (CVS). À tous les trois ans, les diffuseurs privés anglophones auront l’option de renoncer aux avantages que leur garantit  la réglementation actuelle (distribution obligatoire, alignement des canaux prioritaires, substitution simultanée, etc.) en faveur d’une compensation négociée avec les EDR pour la distribution de leurs signaux locaux. Faute d’en arriver à une entente, les diffuseurs pourront exiger le retrait des émissions pour lesquelles ils ont les droits, y compris le blocage de ces émissions sur les chaînes américaines distribuées par l’EDR. Le CRTC ne s’impliquera dans le processus que dans les cas manifestes de mauvaise foi ou pour arbitrer, mais à condition d’y être invité par les deux parties.  La mise en œuvre de ce processus devra attendre au moins six mois, le CRTC ayant demandé à la Cour d’appel fédérale de confirmer s’il a la compétence légale de mettre en place un tel régime. Par conséquent, le Conseil  a décidé de prolonger encore une fois d’un an les licences des diffuseurs privés, sous les conditions actuellement en place.
  • Enfin, le CRTC sollicite observations et plus amples infomations sur le nombre de Canadiens qui pourraient perdre l’accès à la télévision locale gratuit en raison de la conversation à la diffusion hertzienne numérique. Des questions spécifiques sont soulevées concernant les convertisseurs numériques, l’équipement de réception satellite et l’établissement éventuel d’un régime de subventions pour les téléspectateurs en direct.
 

Commentaire

La nouvelle Politique réglementaire de radiodiffusion vise à répondre en partie au fait reconnu par tous (sauf peut-être par les EDR) que le modèle d’affaire de la television traditionnelle est cassé. Du point de vue des objectifs culturels inclus dans la Loi sur la radiodiffusion, il est fort peu probable que la « décision » du CRTC mène à un accroissement d’une programmation canadienne anglaise de qualité  et si elle y parvient jamais, ce n’est pas pour demain.

Il faut reconnaître que cette politique a des côtés positifs, le plus important étant la reconnaissance que les signaux de télévision représentent une valeur commerciale pour les exploitants de câble et de satellite. Le CRTC cite à ce sujet un principe fondamental de son Énoncé de politique sur la télévision par câble (1971) à l’effet que :

« les stations de télévision sont les fournisseurs et les systèms de télévision par câble sont les usagers. Le principe fondamental en jeu ici est le suivant : chacun doit payer pour ce qu’il utilise dans l’exploitation de son entreprise. » (Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-167, para. 156)

Le Conseil ajoute que bien que cette politique n’ait pas été mise en oeuvre à l’égard de la télévision traditionnelle en 1971 ou au cours des années suivantes, ce principe demeure valide aujourd’hui.

La décision d’accorder les licences par groupes de propriété constitue un premier pas vers la reconnaissance que le système de production et de distribution audiovisuelle doit être considéré dans sa totalité et qu’il faut cesser de tenter de répondre à des enjeux globaux par le biais d’une série de processus disjoints. Le CRTC a encore du chemin à faire à ce sujet, tout comme d’ailleurs nos politiciens.

D’autres aspects positifs de la décision du CRTC concernent la réintroduction d’exigences en matière de dépenses en émissions canadiennes, la réaffirmation du rôle créatif des producteurs indépendants dans le système de radiodiffusion et la reconnaissance, aux termes de la Loi, des différences qui caractérisent les marchés francophones et anglophones.

On peut également se réjouir du fait que le CRTC reconnaisse que ce qui importe dans la nouvelle ère numérique, c’est la production d’émissions canadiennes de qualité et leur distribution sur toutes les plateformes :

« La création d’un contenu canadien attrayant, disponible en tout temps et sur toutes les plateformes, est donc un objectif que le système de radiodiffusion canadien devrait atteindre afin de répondre aux demandes du public et de conserver sa pertinence et son aspect concurrentiel dans la nouvelle ère numérique. » (Ibidem, para. 8)

Il par ailleurs dommage que le Conseil ne reconnaisse pas le fait que les nouvelles plateformes ressemblent de plus en plus aux anciennes et qu’il est plus que temps d’harmoniser la réglementation de façon à ce qu’elles contribuent de manière appropriée au financement de programmes canadiens de qualité.  

Ceci étant dit, on constate malheureusement toute une série d’aspects négatifs à l’annonce de cette semaine.  

Un des problèmes majeurs de la télévision canadienne de langue anglaise est la quasi absence d’émissions dramatiques canadiennes. C’est la raison pour laquelle ACTRA, la CCA et d’autres intervenants avait recommandé que 5 ou 6% du revenu brut des diffuseurs soit consacré uniquement à la production d’émission de ce genre. Le Conseil a plutôt décidé que 5% du revenu brut devra être consacré à la production combinée d’émissions dramatiques et comiques, de reportages de longue durée et d’émissions canadienne de remise de prix. S’ajoutent à cela la décision de ne pas imposer de restrictions sur les acquisitions étrangères (i.e. américaines); le maintien d’une définition laxe de la période de haute écoute et l’absence d’exigences quant à la mise à l’horaire d’émissions d’intérêt national. L’effet combiné de toutes ces décisions et non-décisions est que les « consommateurs » ne sont pas près de se voir offrir plus d’émissions dramatiques, en dépit de la constatation par le CRTC que « les dramatiques constituent le genre d’émissions que les Canadiens préfèrent avant tout. »

Cet appétit sera peut-être satisfait par l’acquisition d’encore plus d’émissions américaines! Les diffuseurs privés anglophones sont d’ailleurs bien engagés dans cette direction : le Conseil publiait la semaine dernière des données démontrant qu’en 2009, avec un dollar canadien dont le pouvoir d’achat ne cesse d’augmenter, ils ont consacré un niveau record de 846,3 millions de dollars à l’acquisition d’émissions américaines, tandis qu’ils investissaient moins de 600 millions dans la production d’émissions canadiennes, ce qui représente une baisse fde 3,3% par rapport à l’année précédente! Et en prolongeant les licences d’un an sous les conditions actuelles, le CRTC exclut la possibilité que les profits éventuels liés à la diffusion des Jeux Olympiques de Vancouver amène une contribution au développement d’émissions canadiennes d’intérêt national.

De façon plus importante encore, en optant de compter sur les mécanismes du marché pour assurer l’atteinte des objectifs culturels inscrits dans la Loi, le CRTC abdique encore une fois son rôle de régulateur et ce faisant, exclut de la solution qu’il propose la principale source de progammation canadienne. Il est vrai que tous les diffuseurs, Radio-Canada compris, ont dit préféré la négociation à la réglementation (une position que la CCA ne partageait pas). Fidèle à sa conviction que la meilleure réglementation consiste à en avoir le moins possible, le Conseil a également exclu la possibilité de protéger les consommateurs en empêchant les EDR de simplement leur refiler la facture pour toute forme de CVS, comme ils le font dans le cas de la contribution de 1,5% qu’ils doivent faire au Fonds pour l’amélioration de la programmation locale (FAPL).

Radio-Canada est la première victime du fait que le CRTC s’en remette aux mécanismes du marché pour résoudre ses problèmes. Partenaire des diffuseurs privés dans la campagne pour l’obtention d’une compensation de la part des EDR, la SRC est la principale source de programmation canadienne dans presque tous les genres : elle investit plus de ressources en ce sens que tous les diffuseurs anglophones combinés. Le CRTC conclut à juste titre que la solution qu’il propose pour en arriver à l’établissement d’une compensation ne peut s’appliquer dans son cas car le diffuseur public ne peut en aucun cas menacer de défendre la retransmission d’un service qu’il est mandaté par le Parlement d’offrir à tous les Canadiens par tous les moyens appropriés. Le Conseil ne donne pas d’indications quant aux solutions qui pourraient s’appliquer à la SRC dont le revenu commercial subit les mêmes contrecoups que ceux vécus par les diffuseurs privés.

Il n’est donc pas surprenant que Radio-Canada ait réagi avec vigueur à l’annonce de la nouvelle Politique. Depuis sa création, et par volonté politique, le diffuseur public doit compter à niveau de 40% sur le revenu commercial pour s’acquitter de son complexe mandat. Face à un revenu commercial qui s’effrite et au spectre de la lutte contre le déficit budgétaire fédéral qui pourrait bien sabrer dans des subsides déjà grugés par vingt ans d’inflation, il est normal que la SRC soit déçue des positions du CRTC. Le fait que le diffuseur public est laissé pour compte est d’autant plus ironique que la SRC est à l’avant-garde de la stratégie visant à offrir une programmation de qualité sur toutes les plateformes, stratégie que le Conseil vient tout juste d’embrasser.

Quant au diffuseurs privés, il ne semble pas qu’ils soient sur le point de recevoir de nouveaux revenus, compte tenu des délais dans l’implantation du régime proposé et de l’improbabilité que des négociations avec les EDR aient lieu. Sauf pour CTV, leurs réactions ont d’ailleurs été plutôt discrètes, un fait qui se comprend aisément dans le cas de Rogers Communications et de Global, dont les actifs sont sur le point d’être acquis par Shaw. Un membre de la haute direction de Rogers Communications a déclaré que le Président du CRTC devait rêver en Technicolor s’il pensait que les EDR allaient participer à de telles négociations et a promis encore une fois de contester la décision devant les tribunaux. C’est sans doute pour éviter une longue série de contestations judiciaires que le Conseil cherche l’opinion de la Cour d’appel fédérale quant à sa juridiction en la matière.

Par ailleurs, en refusant de défendre par réglementation les intérêts des consommateurs, le CRTC se trouve à renforcer la préoccupation majeure du gouvernement qui désire clairement que les Canadiens soient le moins « taxés » possible, nonobstant une politique culturelle ou la rémunération due à la propriété intellectuelle. Compte tenu de la position publique adoptée par le Ministre du Patrimoine, qui espère que « des compensations non-financières pour la valeur des signaux auront priorité sur les compensations financières » (trad. libre), on peut douter voir dans un avenir rapproché un accroissement des sommes investies dans la production d’émissions canadiennes. Dans ce contexte, il est tentant d’être d’accord avec le Vice-Président de Rogers Communications et de conclure que le CRTC rêve en Technicolor.

Dans la Révision du cadre réglementaire des services de radiodiffusion au Canada, étude commandée par le CRTC et publiée en 2007 (rapport Dunbar-Leblanc), on concluait que les seules forces du marché ne suffiraient pas pour atteindre les objectifs de la Loi sur la radiodiffusion : 

« L’information disponible suggère fortement que les mesures réglementaires incitatives et les obligations concernant les émissions dramatiques canadiennes de langue anglaise ne sont pas efficaces. » 

Après presque trois ans de consultations, de soumissions et d’audiences publiques, il ne semble pas que l’on soit plus près d’une solution à la crise qui confronte la télévision canadienne traditionnelle et aux défis confrontant la production et la dissémination d’émissions anlgophones de qualité..

On ne peut qu’espérer que dans deux ou trois ans, une fois que les mécanismes de marché auront prouvé une fois encore leur inaptitude à contribuer au bien public dans ce domaine, le CRTC puisse se souvenir que les organismes de réglementation sont créés justement pour répondre aux limites du marché.