Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 12  (VI:2), 1968

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A propos d'un portrait d'Alfred Pellan

par Jean-René Ostiguy
conservateur chargé de la recherche en art canadien
Galerie nationale du Canada

English Summary

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Alfred Pellan connut à Paris, entre 1935 et 1940, un moment de célébrité qui le mit au même niveau que certains artistes prometteurs du temps: Germaine Richier, André Marchand, TalCoat, Le Moal et autres. (1) Par exemple, au sujet de son exposition à l'Académie Ranson en 1935 le critique Jacques Lassaigne écrivait: "Les natures mortes que Pellan vient d'exposer, abondantes et savamment ordonnées, aux couleurs franches et sobres, sont l'oeuvre d'un tempérament si riche qu'il peut prendre à tous sans devoir rien à personne." (2)

Ce jugement rend compte d'un aspect bien particulier de la personnalité de Pellan, aspect qui se maintiendra jusqu'en 1942, deux ans après son retour au pays. Par la suite, Pellan dut freiner ses emprunts, mais à l'époque dont nous parlons, ce procédé d'assimilation lui était nécessaire. Sans doute y voyait-il un moyen de se trouver lui-même, les influences multiples de Braque, de van Gogh, de Matisse, de Klee, de Miro, contrebalançant en lui l'influence dominante de Picasso. C'était aussi pour Pellan un moyen de démontrer aux siens la vitalité du mouvement moderne, en donnant un exemple de la richesse de son champ d'exploration.

La Jeune fille aux anémones (vers 1932) (Couverture et fig. 1), tableau acquis par la Galerie nationale en mai 1967, résume parfaitement l'art de Pellan au moment de la deuxième Guerre mondiale. Il s'agit d'un art où domine la pure plastique de la couleur. Toutefois, par l'originalité de son style et la qualité de son contenu, l'oeuvre rejoint, voire dépasse, certaines toiles célèbres, comme la Jeune fille au col blanc (vers 1931) et la Femme au peignoir rose (vers 1931). Le choix du sujet appartient probablement au maître d'atelier, mais Pellan a su l'interpréter intelligemment. Il a su voir dans le bouquet d'anémones un témoignage d'admiration envers le personnage féminin. Il est parti de là pour dégager la grâce et la jeunesse de son modèle, donnant une importance considérable au beau volume de la tête blonde. La coiffure soignée, le port de tête gracieux, la souplesse des lignes du corps reflètent le charme distinctif de la Parisienne. On voit que l'artiste est séduit d'emblée par cet exemple de raffinement. Mais il ne s'en tient pas là, il saisit l'expression de son modèle au moment où, songeuse et fatiguée de la pose, la jeune fille s'évade dans le monde des souvenirs et de la réflexion. Quant au décor du fond, ses motifs abstraits servent à rappeler l'époque contemporaine. La répétition de l'ovale de la tête, loin de gêner la composition, ajoute un élément fantaisiste qui invite à la rêverie.

La toile n'est pas sans rappeler des exemples célèbres. Lesquels au juste? On a souvent parlé de force instinctive pour qualifier l'élan créateur de Pellan. Serait-il si près de Maurice de Vlaminck? Son art ne se nourrit-il pas plutôt d'emprunts subtils et bizarres? Dans le tableau qui nous occupe, pourtant, la bizarrerie est réduite au minimum. La couleur sert ici a unifier le tableau, grâce à d'habiles oppositions de surfaces transparenteset opaques. C'est un procédé que l'artiste tient de son premier maître, Lucien Simon. Un portrait de Madame Vanier (vers 1939) (fig. 2) souligne peut-être encore davantage ces ressemblances entre Pellan et son maître. Remarquons cependant la tendance de Pellan à maintenir la couleur dans une tonalité élevée, souvent aussi vive que chez Robert et Sonia Delaunay.

À propos de Delaunay, on aurait tort de ne pas mentionner le Portrait de Tristan Tzara (1923) où, tout comme le modèle du tableau de Pellan, le poète, les bras croisés, porte une écharpe vivement colorée. Dans les deux cas, d'ailleurs, cette écharpe affecte des drapés qui vont légèrement à l'encontre des lois de la pesanteur. Et pourtant, l'harmonie des couleurs, le rythme de la composition intéressent tellement le regard que l'on glisse sur cet effet sans en être vraiment choqué.

La couleur, tout autant que la jeune fille, constitue le sujet de la toile de Pellan. C'est une couleur chaude et riche, où l'éclat des jaunes, des verts tendres et des bleus poudre est appuyé par les orangés, les rouges magenta et les bruns dorés, présentés en grandes masses. Mais toute comparaison doit forcément s'en tenir à des ressemblances générales car ici Pellan nie toute influence, encore qu'il soit permis de noter chez lui un goût commun avec Matisse et Picasso pour les vigoureux empâtements colorés. (3)

C'est pourtant chez Picasso qu'il faut chercher l'explication du motif décoratif qui apparaît au fond du tableau de Pellan. Delaunay ne dédaignait pas non plus les motifs de ce genre, qu'il utilisait surtout dans ses natures mortes, comme dans celle du Musée national d'Art moderne de Paris (datée de 1908). Mais on sait que Pellan avait été fortement impressionné par la rétrospective Picasso présentée à la Galerie Georges Petit en 1932. Il est fort probable que plusieurs dessins et peintures de 1920 à 1923 que nous connaissons par le catalogue raisonné de Zervos, et qui se rattachent de près ou de loin à la Jeune fille aux anémones, aient fait partie précisément de cette rétrospective. (4)

Pellan place derrière son modèle, sur la droite, un paravent recouvert de motifs décoratifs de son invention. Ce paravent passe derrière la figure du personnage pour laisser voir en rebord un pointillé de couleur rouge. C'est une façon ingénieuse de meubler l'espace et de créer un contraste avec le personnage. Picasso avait fait de même dans le portrait d'Olga, qui date de 1917, et où l'éventail dans la main droite et le beau pan fleuri de la robe offrent un contraste avec la figure de la femme. Les compositions de Picasso intitulées Le peintre et son modèle (1926 et 1928) montrent, elles aussi, le rebord clouté d'un châssis, un peu comme le rebord du paravent dans le tableau de Pellan. Ce dernier tire parti encore de la démarcation entre le mur et le plancher de la pièce à gauche du personnage, introduisant un pan d'ombre à l'extrémité du tableau. On peut voir là le reflet d'un procédé utilisé par Picasso en 1926 et 1927, notamment dans Femme assise (reproduit au catalogue Zervos). (5)

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