Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 2 (I:2), décembre 1963

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Vers une histoire de l'art au Canada français

par Jean-Paul Morisset, 
agent de liaison pour l'est du Canada

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Nous sommes heureusement loin des années où il était encore possible à un membre du conseil d'administration de la Galerie nationale du Canada de situer les origines de l'art canadien au début du XIXe siècle, avec la naissance, en Autriche, en Angleterre, en Prusse, en France, en Hollande, de peintres tels que G. T. Berthon, Daniel Fowler, Paul Kane, O. R. Jacobi et Cornelius Krieghoff. (1)

On sait aujourd'hui que les premières manifestations suivies de l'art au Canada se situent autour de l'école des arts et métiers que Mgr de Laval établit à Saint-Joachim, près de Québec, en 1684. C'est de là que purent rayonner, en toute modestie, les véritables traditions d'art qui esquissèrent les premiers traits - les plus profonds, ceux de l'enfance - de notre visage culturel. Originaires de nombreuses provinces de France, comme les artistes et les artisans qui les implantèrent au Canada, ces traditions ne tardèrent pas à devenir canadiennes: elles évoluèrent au même rythme que ceux qui les connaissaient, qui les incarnaient et leur prêtaient vie. Elles furent ainsi tributaires du climat, des tensions sociales, des guerres.

Il ne faudrait cependant pas croire en une transformation radicale et complète de ces traditions d'art, du seul fait qu'elles aient changé de continent. On ne transvase pas des formes de pensées, des systèmes de références, des processus de création et d'éducation, aussi simplement que l'eau, dont Jean Cocteau remarquait justement qu'elle ne garde aucun souvenir des bouteilles qui l'ont déjà contenue. Il s'agit plutôt de mutations, de changements individuellement imperceptibles dont l'accumulation seule entraîne une orientation différente, une dimension nouvelle. A cet égard, l'exemple de Charles Bécard de Grandville, né à Québec en 1675, reste une exception. Les mer veilleux dessins de fleurs, d'indiens, d'animaux qu'il a laissés (2) doivent à la vérité peu de chose aux itinéraires des traditions. Mais la naïveté que l'on y trouve, ce regard neuf sur toutes choses, cette liberté enchantée, honnête plus que maladroite, ne quittera plus la peinture, la sculpture et les arts décoratifs de la Nouvelle-France: elle viendra tempérer de son sourire le sérieux des traditions. Si toutes les oeuvres n'en sont pas marquées, presque tous les peintres et les sculpteurs, et parmi les plus grands, lui ont fait à l'occasion la part belle. La virtuosité de l'Ange à la trompette attribué à Philippe Liébert ne nous fait pas négliger sa Dernière Cène. (3) Et nous ne pardonnons peut-être à Louis-Thomas Berlinguet ce léger excès de perfection, cette teinte d'académisme que présente la tête de son Saint Roch qu'en souvenir de la santé magnifiquement paysanne de ses grandes statues polychromées. (4) De Pierre Emond à Joseph Pépin, de Paul Beaucourt à Jean-Baptiste Roy-Audy, c'est toute l'histoire de l'art du Canada français, ou presque, qu'il faudrait citer pour rendre justice à l'importance de ce renouvellement par la naïveté.

Opposer ici traditions et renouvellement, c'est au fond transporter en terre nouvelle la querelle des Anciens et des Modernes. Pour être peut-être valables, de telles catégories n'en restent pas moins assez générales, beaucoup trop générales si l'on tient à présenter un panorama relativement complet et cohérent de l'évolution des arts en Nouvelle-France. De la sculpture vigoureuse de Denys Mallet (1685), à l'académisme de Léandre Parent (1870) s'étend un vaste domaine dont la géographie ne nous est qu'imparfaitement connue; des régions entières restent dans l'ombre, comme les terrae incognitae des anciennes cartes. Pourtant, depuis une quarantaine d'années, notre connaissance de cette géographie artistique a tellement évolué que, à la lumière des circonstances présentes, particulièrement encourageantes, il ne nous est pas interdit d'espérer pour bientôt ce panorama cohérent dont nous parlions plus haut. On nous permettra, après avoir esquissé à larges traits l'évolution des recherches sur l'art du Canada français, de risquer quelques considérations sur les perspectives d'avenir qui s'ouvrent devant ces recherches.

Déjà, en 1920, Emile Vaillancourt avait publié les résultats de ses travaux sur l'école de Quévillon. (5) A part une certaine dose de bons sentiments, où l'on retrace facilement l'influence de Huysmans, on y trouve un nombre appréciable de précisions, la consignation de traditions orales encore fraîches et la citation de quantité de documents de première main: contrats d'apprentissage, actes notariés, actes de décès, etc.

A partir de là, les recherches d'amateurs passionnés et d'historiens méticuleux, le labeur infatigable d'un Marius Barbeau, les solides monographies établies par G. A. Neilson, E. R. Adair, R, Traquair, à partir de 1938, tout cela devait contribuer, de près ou de loin, à l'édification de l'oeuvre monumentale que Traquair devait signer en 1947: The Old Architecture of Quebec. Il nous faut aussi signaler les importants ouvrages d'Alan Gowans, de l'université de Delaware, (6) l'intérêt de E. P. Richardson, directeur des Archives de l'art américain à Détroit, les activités de la Commission nationale des Monuments et Sites au Canada, et les textes de R. H. Hubbard de la Galerie nationale du Canada et de J. Russell Harper.

A l'heure où l'on semble vouloir évaluer la force et la nature des liens qui unissent le Canada français et le Canada anglais, il est particulièrement indiqué de reconnaître l'importante contribution que l'élément anglophone a apportée à la connaissance et à la conservation du patrimoine artistique légué par la Nouvelle-France - sans pour autant négliger la propre contribution du Canada français, évidemment.

Sans avoir dans son ensemble le sens des traditions, le respect des oeuvres de l'homme et de la nature que l'on reconnaît au monde anglo-saxon, le Canada français n'a pas toujours négligé son propre héritage culturel. Après un sombre période d'oubli et même de destruction, de 1875 à 1920-1930, les efforts isolés de quelques chercheurs, comme l'abbé Jean-Thomas Nadeau, purent réunir le quantum d'énergie et d'intérêt qui semble nécessaire à un minimum de reconnaissance sociale. Les travaux systématiques entrepris dans les années 1930, après une longue préparation, par Gérard Morisset, aujourd'hui conservateur du Musée de la province de Québec, finirent par se cristalliser en 1936-37 en un centre de recherches et de documentation, l'Inventaire des oeuvres d'art, rattaché au Secrétariat de la province (au'jourd'hui au ministère des Affaires culturelles). Secondé par des collaborateurs plus ou moins réguliers (Jules Bazin, Omer Parent, Maurice Gagnon, Paul-Emile Borduas, entre autres), toléré par des gouvernements dont le nationalisme n'était pas particulièrement culturel, le fondateur-directeur de l'Inventaire des oeuvres d'art se lança à la conquête des matériaux de notre histoire de l'art. Des centaines de milliers de documents et de fiches qu'il accumula, de l'iconographie prodigieuse qu'il réunit, il devait extraire la matière de centaines d'articles et de conférences, d'une dizaine de monographies et de trois ouvrages de synthèse: Coup d'oeil sur les arts en Nouvelle-France, (7) l'Architecture en Nouvelle-France, (8) et La peinture traditionnelle au Canada français, (9) sans parler de nombreux catalogues d'expositions. Ce n'est donc pas seulement d'une conquête des matériaux de base qu'il s'agit, mais aussi de quelques chapîtres de notre histoire de l'art, en même temps que, sur un autre plan, d'une sorte de croisade en faveur de valeurs culturelles méconnues et menacées.

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