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Marc-Aurèle
Fortin et la maison
dans la peinture canadienne
par Jean-René Ostiguy,
directeur des Services extérieurs
English Summary
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Peut-on dénombrer les paysages canadiens où la maison compte
vraiment dans la composition au point de faire le sujet de l'oeuvre
ou du moins, de s'y rattacher d'une façon essentielle? Le total s'établirait
sûrement à une ou deux centaines sur un nombre quasi incalculable
de paysages inhabités. Puis, les thèmes se dessineraient. Celui
des maisons vues du dehors, figées sur elles-mêmes, souvent
tristes et même fantômatiques, ou situées dans des paysages
inhumains. Celui des maisons rêvées, maisons protectrices et
chaleureuses, sises dans des paysages plusieurs.
Certaines peintures de Lawren Harris, de Prudence Heward, d'Yvonne
McKague Houser, de Charles Comfort et de Carl Schaeffer se classent
dans le premier groupe, d'autres passent à des groupes intermédiaires
et se rapprochent ainsi de peintures d'A. Y. Jackson, d'Arthur
Lismer, de David Milne, d'Henri Masson, de LeMoine FitzGerald. Vont
décidément au deuxième groupe, des James Wilson Morrices, des
Ozias Leducs, des Albert H. Robinsons, des Clarence Gagnons et
enfin, un fort pourcentage de la production de Marc-Aurèle Fortin.
Des thèmes imprécis rassemblent des Delfosses, des A. J. Cassons,
ainsi que d'autres Gagnons et Fortins. L'imprécision vient alors du
fait d'une peinture sans âme véritable, trop descriptive ou trop
préoccupée par le rendu.
Chez Marc-Aurèle Fortin le thème de la maison « extensible »
occupe pratiquement toute l'oeuvre de l'artiste. Sur cent huit
oeuvres au catalogue de l'exposition rétrospective de la Galerie
nationale, (1) soixante-trois avaient pour sujet la maison. De ce
nombre, trente-quatre exposaient merveilleusement le thème de la
maison protectrice et considérée comme lieu de rêverie ouverte
sur le monde. Il semble bien que la position de Fortin dans la
peinture canadienne se résume par une contribution généreuse et
unique au thème de la maison pris dans son sens poétique le plus
chaleureux.
Un bel exemple de cette « chaleur » dont il est ici question apparaît
lorsque l'on compare le tableau de Fortin Paysage à Ste-Rose (Fig.
1) à celui de Harris Chalet dans le parc Algonquin (Fig. 2).
C'est, dans les deux cas le « cottage » entouré d'arbres et bien
chaud pour ses occupants amateurs de sports d'hiver. Mais, il est
des degrés à la chaleur et celui de Fortin rassure beaucoup mieux.
Dans le beau tableau de la collection Angers Ste-Rose à midi (Fig.
3) l'on devine à travers les volets fermés de la maison, l'ombre
douce qui fait rime à la fraîcheur réconfortante des sous-bois.
Il en est de même pour Paysage, Ahuntsic (Fig. 4), quoique,
dans ce dernier cas, l'atmosphère évoque plutôt midi aux premiers
jours d'automne. Ferme à St-Eustache de la collection
Buisson (Fig. 5) illustre une atmosphère de liberté aérée, de
parenté entre les êtres et les choses. Jusqu'à l'ombre de l'arbre
qui se confond avec le dessin des bardeaux de cèdre sur le toit de
la vieille maison.
Ce serait refuser l'évidence que de ne pas voir comment Fortin a
su, dans un langage poétique qui défie les paradoxes, lier la
maison canadienne à son monde ambiant. Une tache indiquant une fenêtre
suffit pour unir à l'intérieur d'une toute petite maison la
montagne et tous ses arbres (Fig. 6), la frondaison des grands ormes
parasols, les nuages immenses ou la rive touffue d'un lac (Fig. 7).
Dans un paysage de Percé, c'est tout le rocher, la mer et ses
voiliers qui pénêtrent dans les habitations (Fig. 8). Parfois, à
l'instar de FitzGerald, Fortin a su tout baigner dans une même
atmosphère comme dans le petit paysage de la collection de Mme
Lange: Ste-Rose après la pluie (Fig. 9). FitzGerald, l'homme
des plaines de l'Ouest où l'air sec charrie tout vers le ciel,
utilise une technique minutieuse et pointilliste. Pour mieux rendre
son personnage trempé par la pluie et cherchant abri sur la galerie
d'une maison vétuste et humide de la région de Ste-Rose, Fortin a
choisi de brosser ses couleurs les unes dans les autres. C'est
l'unification par la fusion.
Chaleur et harmonie jusque dans les maisons décrépites et abandonnées,
parce qu'en accord avec leurs entourages. Le Grand chicot (Fig.
10), ce qui reste d'une maison deux fois centenaire dessinée sur un
arrière plan dominé par le Mont-Royal, prend l'allure d'un
monument à la gloire des maisons vivantes. Autre paradoxe! Par une
allusion à la mort des maisons, Fortin célèbre la continuité de
leur vie. Le dessin des éléments de sa composition, leur mode
d'agencement font penser aux enchevêtrements de feuilles et de
sarments de vigne. Curieux art nouveau que le sien.
Comment distinguer maintenant les maisons de Fortin de celles qui
chez d'autres artistes s'en rapprochent le plus? Chez Morrice, chez
Leduc, Robinson et Gagnon, la maison existe pour le paysage. Chez
Fortin, le paysage existe pour la maison qui, elle-même
« engage
avec le monde un commerce d'immensité ». (2)
Tout ceci est le sceau d'une invention imagiste des plus
originales. Il est amusant de suivre le trajet de cette aventure.
Fortin a débuté comme tous les peintres, soit en imitant. D'abord
avec le métier emprunté à Maurice Cullen, tel qu'en fait foi son Rang
de la Côte Croche, et selon l'esthétique de l'École de
Barbizon. Comme Horatio Walker et Maurice Cullen lui-même, il répète
plus ou moins un cliché: une petite lumière qui brille à la fenêtre
d'une maison cachée dans la pénombre. La personnalité de
l'artiste prend vite le dessus cependant, comme en témoigne la
petite toile intitulée: Paysage au voyage de foin, de la
collection Bergeron (Fig. 11). Fortin invente dès lors une
technique du découpage en silhouette qu'il affinera sous
l'influence de la décoration genre « Art Nouveau ». Puis, les
audaces de couleurs de ce style le conduisent à un certain fauvisme
(Fig. 12). Dès 1925, Fortin aura réussi un amalgame où la tache
fauve dominera.
Par les sentiments profondément humains qui l'animent et par
l'originalité de sa plastique, l'oeuvre de Marc-Aurèle Fortin mérite
le respect. Elle se compare favorablement à bien d'autres, mineures
si l'on veut et sans grand lendemain, mais toujours appréciables,
de par le monde.
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