Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 5 (III:1), 1965

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Marc-Aurèle Fortin et la maison
dans la peinture canadienne


par Jean-René Ostiguy, 
directeur des Services extérieurs


English Summary

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Peut-on dénombrer les paysages canadiens où la maison compte vraiment dans la composition au point de faire le sujet de l'oeuvre ou du moins, de s'y rattacher d'une façon essentielle? Le total s'établirait sûrement à une ou deux centaines sur un nombre quasi incalculable de paysages inhabités. Puis, les thèmes se dessineraient. Celui des maisons vues du dehors, figées sur elles-mêmes, souvent tristes et même fantômatiques, ou situées dans des paysages inhumains. Celui des maisons rêvées, maisons protectrices et chaleureuses, sises dans des paysages plusieurs.

Certaines peintures de Lawren Harris, de Prudence Heward, d'Yvonne McKague Houser, de Charles Comfort et de Carl Schaeffer se classent dans le premier groupe, d'autres passent à des groupes intermédiaires et se rapprochent ainsi de peintures d'A. Y. Jackson, d'Arthur Lismer, de David Milne, d'Henri Masson, de LeMoine FitzGerald. Vont décidément au deuxième groupe, des James Wilson Morrices, des Ozias Leducs, des Albert H. Robinsons, des Clarence Gagnons et enfin, un fort pourcentage de la production de Marc-Aurèle Fortin. Des thèmes imprécis rassemblent des Delfosses, des A. J. Cassons, ainsi que d'autres Gagnons et Fortins. L'imprécision vient alors du fait d'une peinture sans âme véritable, trop descriptive ou trop préoccupée par le rendu.

Chez Marc-Aurèle Fortin le thème de la maison « extensible » occupe pratiquement toute l'oeuvre de l'artiste. Sur cent huit oeuvres au catalogue de l'exposition rétrospective de la Galerie nationale, (1) soixante-trois avaient pour sujet la maison. De ce nombre, trente-quatre exposaient merveilleusement le thème de la maison protectrice et considérée comme lieu de rêverie ouverte sur le monde. Il semble bien que la position de Fortin dans la peinture canadienne se résume par une contribution généreuse et unique au thème de la maison pris dans son sens poétique le plus chaleureux.

Un bel exemple de cette « chaleur » dont il est ici question apparaît lorsque l'on compare le tableau de Fortin Paysage à Ste-Rose (Fig. 1) à celui de Harris Chalet dans le parc Algonquin (Fig. 2). C'est, dans les deux cas le « cottage » entouré d'arbres et bien chaud pour ses occupants amateurs de sports d'hiver. Mais, il est des degrés à la chaleur et celui de Fortin rassure beaucoup mieux. Dans le beau tableau de la collection Angers Ste-Rose à midi (Fig. 3) l'on devine à travers les volets fermés de la maison, l'ombre douce qui fait rime à la fraîcheur réconfortante des sous-bois. Il en est de même pour Paysage, Ahuntsic (Fig. 4), quoique, dans ce dernier cas, l'atmosphère évoque plutôt midi aux premiers jours d'automne. Ferme à St-Eustache de la collection Buisson (Fig. 5) illustre une atmosphère de liberté aérée, de parenté entre les êtres et les choses. Jusqu'à l'ombre de l'arbre qui se confond avec le dessin des bardeaux de cèdre sur le toit de la vieille maison.

Ce serait refuser l'évidence que de ne pas voir comment Fortin a su, dans un langage poétique qui défie les paradoxes, lier la maison canadienne à son monde ambiant. Une tache indiquant une fenêtre suffit pour unir à l'intérieur d'une toute petite maison la montagne et tous ses arbres (Fig. 6), la frondaison des grands ormes parasols, les nuages immenses ou la rive touffue d'un lac (Fig. 7). Dans un paysage de Percé, c'est tout le rocher, la mer et ses voiliers qui pénêtrent dans les habitations (Fig. 8). Parfois, à l'instar de FitzGerald, Fortin a su tout baigner dans une même atmosphère comme dans le petit paysage de la collection de Mme Lange: Ste-Rose après la pluie (Fig. 9). FitzGerald, l'homme des plaines de l'Ouest où l'air sec charrie tout vers le ciel, utilise une technique minutieuse et pointilliste. Pour mieux rendre son personnage trempé par la pluie et cherchant abri sur la galerie d'une maison vétuste et humide de la région de Ste-Rose, Fortin a choisi de brosser ses couleurs les unes dans les autres. C'est l'unification par la fusion.

Chaleur et harmonie jusque dans les maisons décrépites et abandonnées, parce qu'en accord avec leurs entourages. Le Grand chicot (Fig. 10), ce qui reste d'une maison deux fois centenaire dessinée sur un arrière plan dominé par le Mont-Royal, prend l'allure d'un monument à la gloire des maisons vivantes. Autre paradoxe! Par une allusion à la mort des maisons, Fortin célèbre la continuité de leur vie. Le dessin des éléments de sa composition, leur mode d'agencement font penser aux enchevêtrements de feuilles et de sarments de vigne. Curieux art nouveau que le sien.

Comment distinguer maintenant les maisons de Fortin de celles qui chez d'autres artistes s'en rapprochent le plus? Chez Morrice, chez Leduc, Robinson et Gagnon, la maison existe pour le paysage. Chez Fortin, le paysage existe pour la maison qui, elle-même 
« engage avec le monde un commerce d'immensité ». (2)

Tout ceci est le sceau d'une invention imagiste des plus originales. Il est amusant de suivre le trajet de cette aventure. Fortin a débuté comme tous les peintres, soit en imitant. D'abord avec le métier emprunté à Maurice Cullen, tel qu'en fait foi son Rang de la Côte Croche, et selon l'esthétique de l'École de Barbizon. Comme Horatio Walker et Maurice Cullen lui-même, il répète plus ou moins un cliché: une petite lumière qui brille à la fenêtre d'une maison cachée dans la pénombre. La personnalité de l'artiste prend vite le dessus cependant, comme en témoigne la petite toile intitulée: Paysage au voyage de foin, de la collection Bergeron (Fig. 11). Fortin invente dès lors une technique du découpage en silhouette qu'il affinera sous l'influence de la décoration genre « Art Nouveau ». Puis, les audaces de couleurs de ce style le conduisent à un certain fauvisme (Fig. 12). Dès 1925, Fortin aura réussi un amalgame où la tache fauve dominera.

Par les sentiments profondément humains qui l'animent et par l'originalité de sa plastique, l'oeuvre de Marc-Aurèle Fortin mérite le respect. Elle se compare favorablement à bien d'autres, mineures si l'on veut et sans grand lendemain, mais toujours appréciables, de par le monde.

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