Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 5, 1981-1982

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Lotto di Giovanni Salviati et
La Vierge à l'Enfant entourée de Saints
de Benozzo Gozzoli 
à la Galerie nationale du Canada

par Pierre Hurtubise, o. m. i.

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Le retable de la Vierge à l'Enfant entourée de Saints de Benozzo Gozzoli (v. 1420-1497) à la Galerie nationale du Canada (fig. 1) fut acquis en 1866 par le peintre et collectionneur allemand réputé Johann Anton Ramboux, également conservateur des musées municipaux de Cologne. Suivant le décès de ce dernier, le tableau a été mis aux enchères en 1867 et acheté par le musée Wallraf-Richartz de Cologne. Ce dernier l'a revendu à son tour en 1943 et la Galerie nationale du Canada en est devenue propriétaire en 1952. Le retable a été attribué à Benozzo par Ramboux, attribution subséquemment acceptée par tous les chercheurs. On ignore tout de la provenance et de l'histoire du tableau antérieurement à son achat par Ramboux.

Ce tableau pose de fait de gros problèmes, tout d'abord, de datation. À première vue, rien de très compliqué. L'inscription accompagnant le tableau dit très clairement: « QVESTA TAVOLA FV FORNITA.ADI.X.XVII. DIMARZº. Mº. CCCCº. LXXIII ». Nous devrions donc en conclure qu'il fut terminé et livré le 27 mars 1473. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Première question: cette datation correspond-elle au calendrier florentin ou au calendrier pisan? Il faut savoir en effet que même si l'un et l'autre de ces calendriers suivaient le style de l'Incarnation, c'est-à-dire qu'ils faisaient commencer l'année le 25 mars, celui de Pise anticipait d'une année sur celui de Florence. Un 27 mars 1473 à Pise équivalait donc à un 27 mars 1472 à Florence, tandis qu'un 27 mars 1473 à Florence correspondait à un 27 mars 1474 à Pise. Ce décalage peut paraître en soi anodin, mais Benozzo ayant travaillé et à Florence et à Pise, il devient important de connaître pour chacune de ses oeuvres datées quel calendrier chaque fois était employé. Autrement, on risque des confusions et de date et d'attribution.

De 1467 à 1494 au moins, Benozzo vécut et travailla à Pise. Il y a donc de fortes chances que le tableau dont il est question ici fut exécuté à Pise, ce qui devrait nous incliner à croire que la date indiquée sur le dit tableau correspond au calendrier pisan. On ne peut toutefois écarter la possibilité que l'oeuvre ait été destinée à un client florentin ou encore exécutée à l'intérieur du périmètre florentin et que la datation, dans ce cas, fût, elle aussi, florentine.

Où et pour qui le tableau fut-i1 de fait exécuté? Une théorie veut qu'il ait été commandé par la Compagnia de' Fiorentini de Pise et destiné à son église dans cette dernière ville. Vasari parle explicitement d'oeuvres que Benozzo aurait peintes pour cette église.(1) Cette dernière ayant été démolie au début du XVIe siècle, (2) les oeuvres en question furent sans doute transportées ailleurs, puis éventuellement dispersées, ce qui permettrait d'expliquer le sort du présent tableau et le brouillard qui continue d'entourer les deux premiers siècles de son existence. Cette théorie semble confortée par la deuxième partie de l'inscription accompagnant le tableau. On y lit en effet: « ALTE[M]PO DELMAGNIFICO HVOMO L[O]TT' DIGIOVAN[N]I SALVIATI CA[PITAN]. DI[GNI]SS[I]MO ». Or Lotto di Giovanni Salviati fut capitaine de la citadelle de Pise au temps de Laurent le Magnifique. Personnage important, investi de l'autorité de Florence et chargé de faire respecter cette autorité à Pise, on l'imagine facilement appuyant la démarche de la Compagnia de' Fiorentini, voire même en prenant l'initiative.

Autant d'éléments qui rendent vraisemblable la théorie plus haut évoquée. Il reste une difficulté toutefois, et elle est de taille. Lotto di Giovanni Salviati fut capitaine à Pise du 30 novembre 1476 au 30 mai 1477. (3) Or notre inscription parle de mars 1473. Il y aurait donc un écart d'au moins trois ans entre la résidence de Salviati à Pise et la date d'exécution du tableau. En regroupant tous les éléments dont il a été question précédemment, ceci pourrait s'expliquer de trois façons: 1) le tableau ne fut pas exécuté pour une institution ou un mécène de Pise ou du moins n'était pas destiné à cette ville; 2) la date inscrite sur le tableau est inexacte; 3) la référence à Lotto di Giovanni Salviati n'a rien à voir avec son séjour comme capitaine à Pise, mais pourrait tout simplement faire allusion au prestige dont il jouissait par ailleurs dans cette ville.

Or Lotto Salviati n'ayant exercé qu'une seule « capitainerie » durant la période qui nous intéresse, soit la « capitainerie » de Pise, on voit mal comment on pourrait admettre la première et la troisième de ces explications. Ou alors il faudrait nous résigner à croire que le (ou les) auteur(s) de l'inscription étaient très mal informés, n'avaient aucune notion de temps ou d'espace ou ne savaient absolument pas ce qu'ils faisaient. De fait, il n'y a qu'une seule façon d'échapper au dilemme devant lequel nous nous trouvons, c'est d'admettre que le (ou les) auteur(s) de l'inscription se sont trompés, qu'il faudrait donc lire « XXVII DI MARZ. M. CCCC. LXXVIII » ou  « LXXVIII » (selon qu'il s'agit du calendrier florentin ou pisan) au lieu de « M. CCCC. LXXIII ». Mais alors, comment expliquer leur erreur?

Plusieurs interprétations sont ici possibles. Ou il s'agit d'une erreur purement matérielle commise par l'artiste lui-même ou quelque autre personne chargée de munir le tableau d'une inscription. (Mais alors, on voit mal que quelqu'un à l'époque ne se soit pas rendu compte de l'erreur en question et n'ait pas cherché à la faire corriger.) Ou il s'agit d'une erreur formelle, mais commise longtemps après, soit par le (ou les) auteur(s) de l'inscription (à supposer que l'inscription n'ait pas existé sur le tableau original, mais ait été ajoutée plus tard, par exemple, au moment du déménagement du tableau, suite à la destruction de l'église de la Compagnia de' Fiorentini au début du XVIe siècle), soit par des restaurateurs mal informés ou malhabiles (à supposer qu'il y ait eu une inscription au départ, mais que s'étant détériorée il ait fallu par la suite la refaire ou la rafraîchir, du moins en partie). Nous avons peu d'éléments nous permettant d'opter pour l'une ou l'autre de ces deux dernières hypothèses, mais nous croyons que c'est dans cette direction qu'il faudrait orienter la recherche, d'autant plus que l'inscription, si on la compare à celles figurant sur des retables de Benozzo, est malhabile et inélégante. Chose certaine, nous pouvons difficilement accepter la datation qui figure aujourd'hui sur le tableau. (4)

Nous n'arriverons probablement jamais à savoir si le tableau a été commandé à l'origine par Lotto di Giovanni Salviati lui-même ou tout simplement sous son égide ou sa protection, mais, dans la mesure où son nom est étroitement lié à l'oeuvre en question, il est au moins une chose que nous pouvons affirmer avec certitude: il devait être un personnage de poids et de prestige pour mériter de figurer ainsi (et en ces termes) sur l'inscription apparaissant au bas du tableau de Benozzo. D'où la question qu'on ne peut éviter de se poser: qui était Lotto di Giovanni Salviati?

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