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Lotto di Giovanni Salviati et
La Vierge à l'Enfant entourée de Saints
de Benozzo Gozzoli
à la Galerie nationale du Canada
par Pierre Hurtubise, o. m. i.
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Nous savons qu'il était né vers
1408, l'aîné d'une famille de sept garçons dont cinq
atteindront l'âge adulte.(5) Son père, Giovanni di Forese Salviati,
appartenait à l'élite politique de Florence et était
de toute évidence un homme considéré et respecté
dans la ville. Il avait siégé cinq fois à la Seigneurie
(l'exécutif florentin) comme prieur, en 1406, 1411 et 1415, comme gonfalonier, en 1426 et
1433. (6) En 1429, il se verra confier la charge
de capitaine de Livourne. (7) Au catasto de 1427, sa fortune (taxable)
était évaluée à 4 879 florins, ce qui le situait
parmi les patriciens à l'aise de la ville. (8) Il avait épousé
en 1403 Valenza de' Medici, fille de Vieri, un des plus puissants banquiers de Florence à la fin du XIVe siècle.
(9) On ne sera donc
pas surpris de le retrouver en 1434 parmi les « hommes de confiance » de Côme l'Ancien. En épousant Valenza de' Medici,
il avait en quelque sorte épousé la cause médicéenne.
Jusqu'à sa mort, peu après 1450, il continuera à remplir
diverses fonctions au service de la Commune et des Médicis (ce
qui, dans les circonstances, revenait pratiquement à la même
chose). (10)
Lotto sera, lui aussi, un « homme des
Médici », suivant en cela le bon exemple donné par
son père. Prieur en 1446, (11) il siégera par la suite au moins
cinq fois dans les diverses balle mises sur pied par les Médicis,
soit en 1452, 1458, 1466, 1471 et 1480. (12) Les Médicis savaient qu'ils
pouvaient compter sur lui. Aussi sera-t-il appelé à remplir
diverses charges à l'extérieur de Florence: podestat de Val
d'Ambra en 1445, capitaine de Castrocaro en 1454, podestat de Montelupo
en 1464, puis de Colle en 1471, (13) avant d'aller occuper en 1476, comme
déjà indiqué, le prestigieux office de capitaine de
la nouvelle citadelle de Pise. Il ne faut donc pas se surprendre de voir
son nom apparaître au bas du tableau de Benozzo, ne fût-ce
que comme simple repère chronologique.
Contrairement à son père qui
ne semble pas avoir eu une activité marchande - du moins son nom
n'apparaît pas dans les matricules des principaux Arts de l'époque
- Lotto se laissera tenter, mais sur le tard, par l'Art de la laine. En
1467, nous le voyons s'inscrire avec ses frères Vieri, Marco, Forese
et Bartolomeo, de même que son fils Lorenzo, à l'Arte della
lana de Florence. (14) Il ne semble toutefois pas avoir été
très heureux en affaires. Au catasto de 1469, sa fortune
(taxable) est estimée à 856 florins, mais ses charges et
dettes sont si élevées - plus de 1 200 florins - qu'il est
déclaré exempt d'impôt. (15) Il en est d'ailleurs de même
de ses frères Marco et Vieri, encore plus démunis que lui. (16)
(Bartolomeo et Forese étaient probablement déjà
morts à l'époque.) Quel contraste avec la relative prospérité
de leur père quelque trente ou quarante ans plus tôt. Il faut
dire que Florence avait connu un terrible krach en 1464-1465 et que beaucoup
de grandes familles y avaient laissé une bonne partie de leurs avoirs.
Lotto et ses frères n'étaient
pas nécessairement ruinés - on savait déjà
« maquiller » les rapports d'impôts à l'époque -
mais ils ne pouvaient manquer de s'interroger sur leur avenir. L'amitié
et la protection des Médicis devenaient, on l'imagine, plus souhaitables
et plus indispensables que jamais. Aussi les nombreuses charges qu'il furent appelés à remplir à
l'époque, probablement grâce à cette amitié
et à cette protection, durent leur paraître particulièrement
bienvenues, non seulement comme sources de prestige, mais également
comme sources de revenus, car à l'époque, il était
possible de vivre (et de vivre assez bien) de l'Etat à Florence.
Nous ne connaissons pas la date exacte de
la mort de Lotto di Giovanni Salviati. Mais, selon toute probabilité,
il mourut peu après 1480. (17) Il avait épousé Alessandra
Masini (ou Masi) (18) - encore ici, probablement d'une famille alliée
aux Médicis - qui lui donnera quatre fils, dont l'un, Lorenzo, déjà
mentionné, s'illustrera comme son père au service de la Commune (prieur, 1486, 1496; gonfalonier, 1501; capitaine de Pistoie,
1521) (19)
et un autre, Mathias, se fera dominicain en 1492. (20) À noter que
son frère Vieri passait pour être un humaniste de talent et
que Vespasiano da Bisticci le jugera digne de figurer dans sa galerie de
portraits du XVe siècle. (21)
Le sujet du tableau commandé à
Benozzo soit par Lotto Salviati lui-même soit par la « nation » florentine, mais sous l'égide du dit Lotto, n'a rien pour
nous surprendre. C'est un sujet à la mode et nous possédons
d'ailleurs plusieurs autres tableaux du même type de Benozzo lui-même.
(22)
Reste toutefois la question de savoir si, dans le cas du tableau qui nous
intéresse ici, le patronage de Lotto Salviati a influé sur
le choix du sujet en question et surtout les particularités de ce
choix. Or la liste des saints personnages représentés dans
ce tableau par l'artiste correspond si bien à celle que la famille
Salviati aurait pu elle-même dresser que nous nous sentons pleinement
justifiés de conclure qu'il y a au moins coïncidence entre
le choix de l'artiste et ce que nous savons de la piété des
Salviati à l'époque.
En effet, en regroupant autour de la traditionnelle
Vierge à l'Enfant, d'une part, saint Jean Baptiste, le pape saint
Grégoire et saint Dominique, de l'autre, saint Jean l'Évangéliste,
saint Julien et saint François, Benozzo rendait hommage à
des protecteurs qui faisaient depuis longtemps partie de l'univers religieux
des Salviati. En tout premier lieu, saint Jean Baptiste, protecteur attitré
de Florence, et saint Jean l'Évangéliste, lui aussi particulièrement
cher aux Florentins, deux saints dont les noms d'ailleurs reviennent très
souvent dans les invocations placées en exergue des livres de comptes
de la famille. (23) Puis, presque à égalité avec eux,
saint Dominique et saint François, fondateurs d'Ordres auxquels
les Salviati étaient tout particulièrement attachés.
Voisins de Santa Croce, c'est dans cette église, haut-lieu du franciscanisme
florentin, qu'ils enterraient leurs morts; habitués de San Marco,
c'est dans ce couvent, décoré par Fra Angelico (soit dit
en passant, maître de Benozzo), qu'ils viendront, surtout dans la
deuxième moitié du XVe siècle, se réfugier
ou encore se « ressourcer », attirés par la réputation
d'un saint Antonin, plus tard d'un Savonarole, dominicains célèbres
si jamais il en fut.
Saint Grégoire et saint Julien paraissent,
à première vue, moins familiers. Gregorio n'était
pas un prénom connu de la famille et il n'existait pas, que nous
sachions, un culte important de ce saint à Florence. Mais peut-être
l'artiste voulait-il par là rappeler les liens étroits de
certains Florentins et, en particulier, des Salviati avec la Radia
de Florence - Grégoire I était en effet une des grandes
figures de l'histoire bénédictine - tout comme les figures
de François et de Dominique servaient à illustrer les rapports
que cette même famille entretenait, à l'époque, avec
Santa Croce et San Marco. (24)
Le recours, par contre, à saint Julien, pose beaucoup moins de problèmes.
Les Giuliano ne manquaient pas dans la famille et surtout il y avait à
Florence un certain Julien de Médicis, frère cadet du Magnifique,
dont les Salviati tenaient à conserver l'amitié et les faveurs.
D'ailleurs, le modèle dont Benozzo s'est inspiré pour camper
son saint Julien pourrait bien être Giuliano de' Medici lui-même
et, si tel est le cas, comment ne pas croire qu'il entendait par là
évoquer le double patronage, ici-bas, des Médicis, là-haut,
d'un de leurs protecteurs et intercesseurs: saint Julien, soldat et martyr. (25)
Hypothèses que tout cela? Sans doute.
Mais elles correspondent si parfaitement à ce que nous savons
de la piété des Salviati ou, tout au moins, de la piété
florentine à l'époque qu'elles nous paraissent, pour le
moment et jusqu'à preuve du contraire, de loin les plus acceptables.
Ce n'est donc pas, semble-t-il, par simple hasard que le nom de Lotto Salviati
apparaît au bas du tableau de Benozzo et, si tel est le cas, la théorie
selon laquelle le tableau en question était destiné à
l'église des Florentins de Pise et, d'autre part, notre hypothèse
relative à la datation de l'oeuvre nous semblent mériter
encore plus sérieuse considération. Espérons tout
de même que des documents nouveaux nous permettront un jour d'atteindre
un plus grand degré de certitude concernant l'un et l'autre de ces
points.
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