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Sa vie sur la Côte-Nord

Maison de Johan Beetz sur la Côte-Nord, 1921
Maison de Johan Beetz à Piastrebaie
(Source: Société historique de la Côte-Nord)

Au matin du 12 avril 1897, Johan quitte le Havre, non pour le Congo mais à destination de Québec. Sur le bateau, il se lie d’amitié avec un Monsieur J. B. Laliberté, gros commerçant de fourrure à Québec, qui rentrait d’Allemagne. Cet ami de dernière heure le renseigne sur les us et coutumes du pays. On parle surtout chasse et pêche et naturellement de commerce de fourrure. La traversée dure treize jours. Une mer houleuse que Johan ne peut supporter le rend très malade. Heureusement, il y a cet ami d’infortune qui le réconforte et lui permet de tenir le coup jusqu’au 25 avril quand le bateau atteint enfin le port de Québec.

Le 4 mai 1897, en compagnie de son guide Robert Doré venu le rencontrer, il s’embarque sur le S.S Otter, un caboteur qui fait le service de la Côte-Nord, et le 8 mai par une journée très clémente, il arrive en face de Piesthebi. Johan se sent bien seul, loin des siens et dans un pays nouveau pour lui, entouré d’étrangers très aimables certes, amis de milieux et moeurs différents et cela le laisse songeur. Il admire la Côte, ce petit village tout au fond d’une baie.

Johan Beetz en tenue d'hiver
Johan Beetz en tenue d'hiver
On lui indique le camp que lui a vendu Monsieur Warner. Il est bien déçu de cette «espèce de maison » comme il l’appelait mais il en admire le site, magnifique promontoire qui, face à la mer, domine cette localité. Cette petite maison à peine confortable offrait un contraste difficile à supporter pour ce jeune aristocrate habitué à la vie de château qu’il avait toujours connue. Il s’accommode cependant à cette vie modeste, aidé d’abord par un dévouement inlassable de ses deux guides : Joseph Boucher et Robert Doré, puis par la sympathique famille de Monsieur Sébastien Tanguay, enfin par toute cette petite population accueillante qui lui témoigne beaucoup de respect d’abord et d’amitié sincère par la suite. Johan aime ces gens simples mais riches de coeur.

Cette première année en terre Canadienne est une année d’adaptation consacrée à l’étude du milieu, à la chasse et à la pêche. Il s’attache à ces braves et honnêtes gens, de belle éducation qui vivent simplement mais heureux. Adéla, l’aînée de la famille Tanguay assiste sa mère au bureau de télégraphe. Elle est charmante et très jolie. C’est pourquoi, sans doute, Johan multiplie ses visites. Il est conquis et Adéla a tôt fait de lui faire oublier son
Adéla Tanguay
Adéla Tanguay, fille aînée de Sébastien Tanguay
chagrin d’amour et les projets de fonder un foyer commencent à surgir. Ce premier hiver est difficile pour Johan pas habitué aux seuls moyens de transports: la raquette et le traîneau tiré par des chiens. De nombreuses aventures plus ou moins heureuses lui arrivent. Heureusement que ses guides expérimentés sont là; mais avec son caractère téméraire et fougueux, ses guides ont quelquefois de la difficulté à le contrôler.

Au début de mai 1898, Johan retourne en Europe, d’abord pour visiter sa famille puis pour étudier le marché des fourrures. Il fait part à sa famille de son prochain mariage et après quatre mois il revient à Piesthebi. Le 27 septembre de la même année il épouse Adéla. Elle n’a que 14 ans et lui 24. Cette union donne par la suite 11 enfants.

Ici commence véritablement l’oeuvre humanitaire de Johan dans ce coin isolé de la Grande Côte-Nord. Il achète à gros prix toutes les fourrures qu’on lui amène, une véritable manne pour tous ces trappeurs. Il fait venir des médicaments de toutes sortes, pour répondre au besoin, et qu’il distribue gratuitement. Il ne peut voir la souffrance sans essayer de la soulager. On vient de partout, même les indiens Montagnais en profitent lorsqu’ils viennent vendre leurs fourrures.

Johan devient un médecin malgré lui. Puis, il fait venir périodiquement à ses frais, dentistes et infirmières pour soigner ces gens. Combien de vies a-t-il sauvées? Pour lui tout le village est sa famille. Grâce à des moyens préventifs et la ténacité de Johan , le seul village au Canada à être épargné de la fameuse grippe espagnole en 1918, est ce pittoresque petit village de Baie-Johan-Beetz.

Parc à renards de Johan Beetz
Parc à renards de Johan Beetz à Piastrebaie
(Source: Livre La merveilleuse aventure de Johan Beetz)
Il rencontrait de temps à autre le comte de Puyjalon et Comeau, devenus des amis et c’est sans doute au cours de leurs conversations que germe l’idée d’élever en captivité le renard et le vison (voir section Renards). À grands coups d’argent (une fortune), Johan fait construire d’immenses enclos en pleine forêt pour y placer des couples de renards pour la reproduction; des renards noirs croisés et rouges. Par des croisements savants il réussit à fixer définitivement la race du renard argenté qui amène une certaine prospérité sur la Côte et plus tard ailleurs au Québec et dans les Maritimes.

Ce pionnier ne connaît pas de limites. En 1898, il fait descendre sa petite maison au pied de la rivière et sur ce même emplacement, tout au haut des rochers il fait construire cette grande villa qui avait, dans le temps, une allure beaucoup plus altière que celle d’aujourd’hui que tous appellent encore : «Le Château ». Contiguë à cette maison, il se fait construire une maisonnette qui lui sert de laboratoire. Il la tient sous clef de peur que les enfants ne se blessent ou s’empoisonnent avec toutes ces fioles aux attrayantes couleurs. Pour tous, ce Laboratoire est bien mystérieux. Johan s’enferme des heures durant à faire des recherches, des mélanges compliqués pour en arriver à trouver une formule, un liquide, un procédé de conservation gardant l’animal complet : viscères, chair, peau, plumes et poils; tout y était. Il emporte le secret avec lui. Cependant, il laisse quand même le fruit de ces recherches en momifiant ou, pétrifiant si l’on peut dire, quelques milliers de spécimens : oiseaux, mammifères, poissons, crustacés, etc... Collection unique au monde comprenant une variété considérable de spécimens, en tout 4,000 pièces qu’il vend plus tard pour presque rien à la province de Québec.

Quand la température est inclémente, il occupe ses loisirs tantôt à collectionner des timbres qui au cours des ans lui méritent des prix pour leur grande valeur; tantôt à peindre de véritables tableaux à l’huile sur les portes intérieures de sa maison. Il exécute des fusains, des aquarelles d’après la nature ou tout simplement des animaux ou des fleurs.

Il reçoit beaucoup; non seulement c’est le lieu de rendez-vous de la jeunesse du village mais aussi de tous les missionnaires de la Côte. Il reçoit aussi plusieurs étrangers, des Européens qui, pour fuir la guerre 1914 – 1918, se réfugient durant des mois chez lui où il les héberge gratuitement. C’est la maison de tout le monde et l’hospitalité de Johan est proverbiale. Sans abus, on aime bien prendre un « p’tit » coup car le vin coule à flot et tous sont joyeux.

Les enfants grandissent et doivent parfaire leurs études au Havre-Saint-Pierre, à Québec et à Montréal. Étant privés de la présence des enfants durant dix longs mois de l’année, de concert, Adéla et Johan décident de quitter définitivement Baie-Johan-Beetz et d’aller s’installer à Ville Saint-Laurent, en banlieue de Montréal où Johan achète une grande propriété. C’est donc avec une certaine nostalgie qu’en novembre 1922, la famille Beetz au complet quitte ce joli petit village qui avait vu grandir toute cette progéniture et où, Johan et Adéla, y laissent leur cœur et 25 années de bonheur et de joie.

Dix ans plus tard, en 1932, Johan revient une dernière fois à Baie-Johan-Beetz avec Adéla pour un court séjour. Durant ce voyage, il constate l'amour et l'attachement des gens de la Côte-Nord (Blancs et Amérindiens) envers lui, ainsi que son propre amour pour ces gens. Plus tard, il écrit dans ses notes que : « Ce que je peux dire, c'est qu'aucun étre humain n'a été plus heureux que moi, pendant mon séjour sur la Côte-Nord où j'ai passé les plus belles années de ma vie. »

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