Canadiens français ou métèques? |
Canadiens français ou métèques?
Née sur les lèvres d'un peuple fier, perfectionnée par les plus grands génies de lhumanité, la langue française nous fut transmise comme un patrimoine sacré et elle a su jusquici traverser intacte les campagnes les plus passionnées menées en vue de l'annihiler.
Mais au moment où l'appui moral de la France nous manque, où nous devons conserver dans toute son intégrité la culture gréco-latine, nous la laissons lentement sombrer dans l'alourdissement, dans l'obscurité, sans nous soucier de tout ce qu'elle représente pour nous.
Fait indéniable, la langue française reçoit de sérieuses atteintes; lentement, des termes étrangers, barbares, sinfiltrent au sein même de l'édifice français et menacent de le saper à sa base, danger dautant plus redoutable qu'il est caché.
Dans tous les domaines en effet, le français est à la baisse. La machinerie, par exemple, semble ignorer l'existence de termes français dans son vocabulaire. On ne se donne même pas la peine de rechercher quel peut être l'équivalent français des termes à consonnance heurtée, dont on ne sait d'ailleurs pas la prononciation juste, servant à désigner des outils, des pièces de machine. Et il en est de même dans tous les autres métiers.
Les sphères commerciales et industrielles souffrent du même mal. Ainsi, on ignore à peu près complètement la tenue des livres en français. La plupart de nos hommes d'affaires, convaincus que la langue anglaise est la seule langue commerciale de notre continent aux trois quarts anglais, abdiquent avec une indifférence coupable leur langue maternelle; ou s'ils l'emploient, ils la surchargent de néologismes douteux qui contribuent de façon inquiétante à alourdir la langue française si vive et si claire.
À la merci de ces influences néfastes, la langue que parle le moyen peuple ne se ressent que trop de lambiance anglaise. Par exemple, rares sont les sports où l'on ne s'exprime pas en une sorte de patois inintelligible pour ceux qui n'y sont pas initiés. Et les pages comiques de nos journaux à sensation! Ces histoires, traduites souvent d'un anglais mauvais et rédigées en un français détestable, répandent chez nous une littérature de mauvais aloi qui passe dans le langage courant des jeunes.
Mais c'est sans contredit le cinéma américain qui exerce le plus de ravages dans nos rangs. En effet, à la sortie des théâtres, nos bonnes gens croient bien faire en se servant des quelques expressions anglaises qu'ils ont comprises; et ces tournures, tirées littéralement de ce qui nest trop souvent qu'un vulgaire patois, faussent complètement la mentalité française chez nous.
Et pour comble, certains béotiens, qui se recrutent parmi nos compatriotes même, qui se piquent d'une certaine culture française, prônent lenseignement de langlais aux enfants dès les plus basses classes. Sans doute la connaissance de langlais est-elle très utile; mais ces enfants à qui lon enseignerait deux langues à la fois, confondraient si bien leurs langues quils nen posséderaient aucune de façon convenable. Si ce nest pas, de la part de ces messieurs, une inconscience condamnable, on peut sans crainte affirmer quils font preuve dune bêtise monumentale, dun esprit anti-français désastreux.
Une étude quelque peu approfondie révélerait encore dautres lacunes; quon lise, sur ce sujet, un article fort au point de M. Victor Barrette sur le Droit, paru au cours de mars dernier. Il est évident quune réaction énergique simpose. Pour rester vivante au Canada, la langue française doit nadmettre dans son sein que les mots riches, savoureux, qui font image, et bannir impitoyablement tout ce clinquant, tout ce vocabulaire de carrefour qui est en train de lui faire perdre sa vigueur et sa lumineuse précision. Cette réaction, elle doit saccomplir par la coopération de tous: y faillirons-nous?
Georges Perreault
Philosophe Jr.