Le Foyer de lecture |
Foyer de lecture
Aux derniers jours de janvier avait enfin lieu l'inauguration du nouveau Foyer de lecture.
L'ancien s'étant graduellement transformé en laboratoire de biologie, musée de sciences naturelles, classe de l'armée, etc. ne constituait plus guère un abri paisible pour philomates, littérateurs et bibliophiles de toutes catégories. Les scouts, toujours prêts à se sacrifier, ont cédé généreusement leur local afin que ne s'éteignît pas le foyer de l'intellectuel.
Aussi, depuis quatre mois se poursuivaient les travaux de réfection: ménage, aménagement et déménagement. Nous avions tous hâte de voir la métamorphose du chrysalide en joli papillon.
Vraiment on ne nous a pas déçus. Oh! l'apparence extérieure n'a pas changé. Rien dans le sombre corridor ne laisse soupçonner le clair refuge des intellectuels. Mais à peine a-t-on franchi le seuil, qu'on est charmé par cet intérieur à la fois pimpant et sobre. Les murs ont laissé leur aspect sévère sous de plus riantes couleurs. Ils sont même parés d'une galerie de dessins et de peintures exécutés par les élèves du Studio de dessin. D'épaisses draperies, bigarrées sans affections, encadrent les fenêtres et donnent déjà un cachet d'intimité à toute la salle. Des tubes fluorescents baignent de leur douce lumière les longues tables revêtues de tapis verts. Des fauteuils confortables attendent les lecteurs plus chanceux que nous, disent les anciens avec une note de regret dans la voix.
La tuyauterie qui s'agrippe au plafond dépare bien un peu l'ensemble. Cependant, avec un peu d'imagination on se la représente comme les solives de la librairie de Montaigne, telle qu'on la voit sur les vieilles gravures. Les rêveurs trouveront ainsi un nouveau sujet pour leurs envolées.
Mais gardant le sens de la réalité nous nous devons de rendre hommage à ceux qui ont doté le Séminaire de son foyer de lecture. Le Père Lefebvre en a eu l'idée et a fait une sélection de livres parmi l'abondant marché d'avant-guerre. Son goût sûr et son expérience nous ont préservés d'un encombrement de bouquins pour nous faire bénéficier de la quintescence des éditions. C'est encore à sa prévoyance que les élèves actuels doivent de ne pas trop souffrir de la pénurie de bon livres français.
Le Père CorbeiI marche dans la voie de son prédécesseur. La merveilleuse façon dont il a restauré le foyer de lecture est une preuve tangible de son esprit progressif pour tout ce qui a trait à l'éducation.
En fondant le foyer, on a voulu mettre à portée des élèves les livres récents et de valeur incontestée; et, en même temps, former le goût des élèves par les bons livres, inculquer l'amour de la lecture à ceux qui ne l'avaient pas encore, assouvir la curiosité intellectuelle d'un grand nombre. À cause de la tranquillité qui y règne et de la documentation sérieuse qu'on y a rassemblée, le foyer devenait aussi une salle de travail pour ceux qui ont des travaux littéraires, historiques à rédiger.
Je vous fais grâce de tous les noms qui me viennent à l'esprit. Enfin il s'y trouve des livres pour tous les goûts, des livres d'information et de formation. Je ne prétends pas que la collection soit parfaite; il est naturel qu'il y manque une infinité de bons livres. Mais il y aussi des livres récents dont la valeur à mon sens est fort discutable: La Grande Crise de la République Française, de Simon, Notre Révolution, de Gérard de Catalogne... en général, tous les livres de ces émigrés qui battent monnaie sur les malheurs de leur patrie et tentent de nous expliquer les mystères du destin de l'Europe. Je me demande quel profit les élèves retireront de ces lectures. Certainement pas le même que celui qu'ils pourront retirer de la lecture des Pensées de Pascal ou de L'Homme, cet inconnu, de Carrel.
Cependant il faut reconnaître en toute impartialité que la collection de livres du foyer de lecture montre les hautes préoccupations culturelles de ceux qui l'ont réalisé.
Il ne me reste qu'à souhaiter au plus grand nombre d'élèves d'en profiter, afin que dans cette atmosphère éminemment favorable ils prennent chef à couvert de la neige des ans.
Ce matin-là, j'ai reçu une vigoureuse pousment jusqu'à la moëlle ils admettront au moins avec Goldsmith que les livres sont une compagnie douce et irréparable pour les malheureux, et s'ils ne peuvent pas nous procurer les plaisirs de la vie, ils nous apprennent du moins à la supporter.
Jules Bibeau,
Philosophie Jr