Jean De Calais (suite)

On fit escale sur la côte de France et Jean envoya à son père la nouvelle de son heureuse expédition et de son prochain retour, mais il ne souffla mot de son mariage. En recevant cette nouvelle, le vieux seigneur prépare une belle réception à son fils et invite tous les gens de la ville à se divertir avec la famille.

Le bâtiment accoste lentement au quai de Calais, puis on procède au débarquement. Jean se dirige vers son père avec Isabelle suivie de Constance. Le père embrasse son fils, et, à la vue des deux femmes, demanda à Jean :

« Quelles sont ces deux femmes ?

- Celle-ci, répond Jean, en désignant Isabelle. C'est ma femme.

- Comment ta femme ? dit le seigneur tout pâle. Es-tu marié ?

- Oui, dit Jean. Je suis marié, bien marié devant l'aumônier ;j'ai mes certificats...

- Mais comment s'appelle ta femme ? interroge toujours le vieillard.

- Isabelle.

- Isabelle qui ?

- Isabelle tout court. Je ne lui connais pas d'autre nom !

Le père en demeure tout scandalisé.

- Je ne puis accepter un mariage comme celui-là. Mon fils, tu n'auras pas de réception. Monte au château tout de suite. »

Jean se dirigea avec sa femme et Constance vers le château, se demandant comment les choses allaient tourner.

Une fois au château, le père, en colère, appela Jean et lui fit une semonce :

« Jean, je ne te pensais pas capable de me déshonorer de la sorte. D'abord, je t'enlève ton bateau : ta vie de marin est finie. De plus, tu ne resteras pas avec moi au château. Tu ne sais même pas le nom de ta femme, tu ne sais pas d'où elle vient ...

- Mon père, interrompt Jean de Calais, j'ai une bonne femme, je l'aime et je vivrai avec elle.

- Eh bien, soit ! dit le vieux seigneur. Tu iras habiter la petite maison de bois équarri, en dehors de la ville. Je ne te donne pas cette maison : je te donne seulement le droit de l'habiter. Et là, tu vivras ton propre labeur, comme tu pourras ... »

Jean se dirigea donc avec Isabelle et Constance vers la petite maison abandonnée. Ils se mirent à l'œuvre. Les deux femmes s'ingénièrent à cultiver un potager tandis que Jean gagnait par jour un maigre salaire. Toutefois ils vivaient heureux.

Au bout d'un an, un petit garçon vint s'ajouter à la maisonnée, Jean dit à sa femme : « J'ai l'intention d'aller voir mon père et de lui annoncer la naissance de notre fils ; cela pourrait peut-être le ramener à des meilleurs sentiments à notre égard ... »

Isabelle essaya de dissuader son mari en lui disant qu'ils vivaient à l'aise avec leurs légumes et le peu d'argent qu'il rapportait chaque jour ; mais Jean se rendit chez son père.

Le vieillard le reçut un peu froidement, cependant il se laissa aborder.

« Mon père, dit Jean, je viens vous annoncer que vous êtes grand-père depuis ce matin, et moi, je suis papa d'un beau garçon. »

Cette heureuse nouvelle adoucit le vieux seigneur. Il s'informa auprès de Jean comment vivait sa famille.

Jean lui raconta que sa femme et Constance cultivaient un potager, que lui-même avait bonne santé et qu'il trouvait un travail abondant en ville.

Le vieux risqua un aveu : « Sais-tu Jean, je regrette un peu ma conduite. Tu es content de ta femme ? C'est une bonne femme ? » Jean n'eut pas le temps de faire tout l'éloge d'Isabelle, le vieux continuait :

« Je te ferai encore un cadeau.

- Papa, reprit Jean tout heureux et tout confiant, le seul cadeau qui puisse me faire plaisir, ce serait d'obtenir de vous un autre bateau qui me permettrait d'aller donner la chasse aux pirates. Vous n'ignorer pas que les pirates vont revenir. Si nous attendons qu'ils soient à notre porte, ce sera trop tard : il vaut mieux aller à leur rencontre ... »

Le vieux seigneur s'était laissé gagner :

« Mon Jean, je vais t'en faire construire un bateau et un beau ! »

Jean de Calais revint vers sa femme et lui raconta son entrevue avec son père, surtout lui annonça la reprise prochaine de ses aventures de marin.

Loin de s'attrister de cette nouvelle, Isabelle sembla, au contraire, approuver son mari, mais elle mit sa discrétion à l'épreuve :

« J'aurais deux faveurs à te demander, Jean. Je t'en demanderai une, trois jours avant ton départ, et l'autre, le jour de ton départ. »

Jean voulut connaître la teneur des deux faveurs, mais Isabelle garda son secret.

Le vieux seigneur, le jour même de la visite de Jean, avait réuni des équipes de techniciens, de charpentiers, de forgerons et leur avait recommandé d'achever la construction du bâtiment le plus tôt possible. Jour après jour, on voyait la coque du navire prendre forme ; bientôt ce fut le lancement et l'aménagement du voilier. Jean suivait de près la construction du bateau de ses rêves.

Un matin, il annonça à sa femme qu'il mettrait à la voile dans trois jours et lui demanda de lui exposer sa première faveur désirée.

« Si tu veux, Jean, tu vas faire peindre sur la proue de ton bateau, un grand tableau portant mon portrait, celui de Constance et celui de notre fils.

- Ce n'est pas une faveur, c'est une nécessité je ne sais pas combien de temps je serai absent et avec ce tableau je vous aurai toujours sous mes yeux. »

Jean convoqua les peintres, et après deux jours on pouvait admirer, sur la proue du navire, la réplique exacte des trois figures aimées.

Le matin du départ arriva. Jean de Calais invita Isabelle à lui demander sa deuxième faveur.

« Quelle direction veux-tu prendre, Jean ?

- Oh ! je ne sais pas au juste ; je me propose de suivre d'abord la côte ...

- Eh bien ! moi, je désire que tu te diriges vers Lisbonne, capital du Portugal ...

- Mais, je ne connais personne là-bas ; qu'est-ce que je vais faire à Lisbonne ? Je n'y suis jamais allé ...

- Va à Lisbonne, insista Isabelle ; c'est là la faveur que je te demande.

Et que le Bon Dieu te guide !

- Puisque tu le veux, soit ! j'irai. »

Quelques heures plus tard, Jean de Calais mettait à la voile et donnait ordre au capitaine de mettre le cap sur Lisbonne.

Il ne fut pas question de donner la chasse aux pirates, mais de filer sur Lisbonne sans retard.

Dès qu'il fut en vue du Portugal, Jean de Calais, fit hisser le drapeau blanc, emblème de paix.

Le roi du Portugal fut bientôt mis au courant de l'approche d'un navire. Il envoya une délégation au port pour s'assurer du but de cette visite inattendue.

En descendant sur le quai le Lisbonne, Jean de Calais demanda s'il y avait un roi dans la ville et s'il lui serait possible de lui rendre visite. On lui donna les renseignements les plus urgents, puis on le conduisit au palais royal.

Le roi lui donna audience : Jean de Calais s'identifia et surtout assura au roi qu'il n'était pas venu dans un but de guerre, et pour dissiper tout doute, il invita le roi à visiter le bâtiment dont il était fier.