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Propos d'artistes sur la collection
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Conserver et/ou altérer

de Francis LaPan

Version intégrale parue dans Parcours désordonné



L'artiste créateur est une sorte d'acrobate poète du sens. Il cherche à vivre et à faire vivre sa présence à la réalité mobile et changeante du monde.

Il vit le monde comme un équilibriste sans filet qui à chaque fois traverse le fil de la raison et de la déraison. Et à chaque fois sur le fil il est dans l'événement du cirque, solennel, unique, élégant sur sa vie éphémère. Mais subitement sous ses pieds, cette vie devient comme une lame tranchante. Il se sent à la frontière du «near death experience» : pris de vertiges dans tous les sens du terme. Il s'imagine mourir dans les bras des autres et puis tout à coup il chavire...

Et dans sa chute il se voit grossissant dans le reflet de tous ces yeux captifs et tendus. Il tombe dans ces yeux qui forment le regard du monde. C'est là seul qu'il se réincarne, qu'il se partage et qu'il se redécouvre sain et sauf.


Le regroupement

Notre collectif d'artistes a vécu un laboratoire de trois ans sur la collection qu'il a intitulé à la fin : «Parcours désordonné», titre qui peut connoter à première vue une sorte de «butinage» débridé et probablement un soupçon de délinquance, qualificatifs qu'on accole souvent, à tort ou à raison, aux artistes qui font preuve de créativité à travers des expériences très diversifiées.

Pour ma part, j'aime voir dans le consensus rapide qui s'est établi sur ce titre, quelque chose d'assez intimiste qui dans le non-dit est de l'ordre de plusieurs constats souriants sur la collection.

Aujourd'hui les artistes sont les complices d'oeuvres aux effets multiples. C'est plutôt la plurivalence d'idées et du sens qui se déplace. L'époque de «l'oeuvre ouverte» est celle de l'interprétation «pour soi», celle des associations libres... On admet, du moins en ce qui concerne les arts et la création, qu'il faut jouer avec le hasard et aussi faire confiance à l'intuition. Ce sont des principes avec lesquels il faut collaborer, c'est-à-dire qu'ils ont un rôle et une fonction dans le parcours créatif et dans le sens de l'oeuvre. Il faut donc savoir jouer avec eux au bon moment, les utiliser à la bonne place, c'est une attitude à l'affût d'un bon «timing».

Il y aussi des artistes qui font de la notion de «coïncidence» le pivot de leur création. John Cage par exemple avait cette attitude philosophique très orientaliste de voir le présent comme un événement créatif où tout concorde, un moment où il faut rejoindre les choses et les apprécier. Pour lui c'était ça l'art de vivre. La proposition centrale de son oeuvre portait sur l'imitation de la nature dans ses manières d'opérer et de structurer des mouvements diversifiés : les jeux de nombres, les multiples et les «opérations aléatoires» ("chance operation") allaient provoquer ces instants «convertibles» de «convergence». Des regroupements d'objets quittent alors leur état unidimensionnel et rationnel pour se retransformer en choses pour les sens et l'esprit : c'est une véritable collection inversée. Il y a une réunion d'objets pour célébrer l'éphémère et pour n'en conserver que l'énergie.

John Cage disait que la finalité de l'art n'était pas «l'expression de soi», mais plûtot «l'altération de soi», dans le sens qu'il fallait devenir... «devenir plus ouvert», «changer» en vivant des expériences transformantes. Il s'était lié d'amitié avec Marcel Duchamp et tous deux partageaient cette même conviction que «ce qui est effectivement le plus difficile pour tout le monde, c'est de se débarrasser de ses notions personnelles d'ordre et de goût ».

Ici on se rapproche de notre laboratoire sur la collection et le mot convient très bien pour traduire l'état d'esprit dans lequel nous avons abordé la réflexion et l'organisation de l'expérience vécue. Parcours désordonné laisse entendre qu'un travail d'ouverture à toutes ces notions originelles de nature et de jeu d'exploration avec les objets s'est effectué.

Mais si en tant que créateurs nous savons aujourd'hui faire appel à cette dimension active de l'enfance qui ne nous a jamais quittée et que nous voyons comme essentielle et vitale, il n'en demeure pas moins que celle-ci se modifie considérablement lorsqu'elle vient rejoindre l'adulte et l'artiste en nous. Ce qui nous attend à l'intérieur de nous-mêmes, ce qui peut être est prêt à se découvrir et se révéler, parlerait du même mouvement d'activité et d'ouverture mais en rajoutant cette fois le ressentir et/ou la conscience des paradoxes de la vie. «L'errance poétique» serait l'expression qui conviendrait le mieux pour saisir ce déplacement. «Dans l'expérience le poète sait qu'il n'y a pas de rupture entre corps et esprit mais entre l'homme et lui même», nous dit Jean-François Pirson. [1] «Quand la réalité est livrée (...) à l'état brut, le concret est offert sans unité.» [2]


Objet

Notre relation au monde est une expérience vivante, incarnée dans une situation, représentée dans notre esprit imaginant et médiatisée par quelque chose qui devient objet et possibilité d'échange.

Entre la chose et l'objet, il y a un monde qui va de la généralité à la présence attentive. Les choses partagent parfois avec nous un espace mouvant indifférencié. Il peut s'agir alors de tout ce qui nous sépare et nous maintient à distance, en état de détachement. Il y a des instants où les choses nous apparaissent banales et nous demeurons à l'intérieur de nous-mêmes. D'autres fois, au milieu d'elles ou avec elles, nous sommes bien, en toute quiétude, dans différents états neutres ou flottants. Elles donnent à ce moment là une texture, une peau à nos rêveries et à nos abandons, elles participent à nos sentiments océaniques.

Mais dès qu'un besoin apparaît, nous changeons d'état et de sensation, tout à coup une autre perception s'éveille. Toutes les choses deviennent abominablement présentes.

Immobiles, nous sommes devant le monde comme devant un texte à lire. Si nous nous tenons immobiles devant ce monde, il nous apparaîtra comme une montagne d'accumulation d'histoires, de vies, de choses, de signes hétéroclites et anachroniques.

Nous sommes entraînés par le besoin de voir qui nous sommes dans la démesure du savoir et nous sentons ce sentiment d'impuissance à réunir le sens dans cette rumeur des choses.

Aujourd'hui, il arrive que le monde nous apparaisse comme des rangées de choses. Aller voir à la bibliothèque que le sens tient au fil, au défilement... Nous suivons les points de repères et les analogies. Les actions déplacent les choses, nous obligent à une relecture ponctuelle et contextuelle qui révèle au fur et à mesure des sens possibles, des ordres possibles.

«(latin, objectum) Ce qui est placé devant de objicere "jeter (jacere) devant". » [3]

La problématique d'un objet est d'être tout à coup en face d'une chose avec laquelle j'ai un rapport bien séparé. Cette séparation est notre première condition. L'objet devient une chose qui reçoit toutes mes projections et définitions subjectives ou objectives, puisque je veux pouvoir m'en rapprocher et/ou m'en éloigner le plus possible. L'objet me définit dans la situation.

Nos premières relations à l'objet, celles de la toute petite enfance, vont s'engrammer en nous pour la vie [4]. Les premiers paradoxes. les premières douleurs sont celles de la séparation de la mère. Le besoin de chaleur et de nourriture, c'est la fondation du moi en tant qu'objet interne séparé de l'objet externe. Cette sensation est vécue comme une déchirure du moi. Le moi né de l'océanique s'oppose alors à la séparation, crie hargneusement, appelle de toutes ses forces cette autre partie de soi qui s'en va. Il la perçoit tout à coup comme une autre, qui menace et fait souffrir. Dans la peur, la confusion et la haine, le cri déchire et tue ...

L'imaginaire est d'abord cette opération de défense réactionnelle , de repli et de refoulement du meurtre du moi séparé. La situation imaginaire insupportable amène une capitulation, un deuil, un déplacement. Un «espace transitionnel» de réparation du moi se crée (Klein). L'imaginaire se détourne et reprend dans sa mémoire l'image de la fusion à l'autre partie (la mère), devient le lieu du réconfort qui chasse l'horrible image de la séparation. Dans l'imaginaire un déroulement d'images se répète comme un rituel magique, un appel magique... Et effectivement dans le concret il y a ce retour à la fusion, elle finit toujours par revenir.

Le moi vainqueur, tout-puissant magicien de l'unité du moi, c'est l'égo qui prend la relève. L'imaginaire devient ce rituel protecteur des souffrances de l'égo qui fait appel à lui dès qu'il y a l'insolite et l'insoluble. Le cycle répété dans l'imaginaire apprivoise les premiers paradoxes d'être, une zone symbolique est créée. Ces phénomènes transitionnels se transposeront quelque temps plus tard dans les premiers objets proches du corps dans le berceau. Enfant nous rejouons métaphoriquement les événements avec des objets transitionnels (Winnicott). L'imaginaire utilise dès lors l'espace réel aussi comme une scène symbolique de l'objet qui soigne les blessures narcissiques et redonne la cohésion au moi (Kohut).

Les artistes et les poètes sont des êtres fortement imprégnés des pouvoirs émotifs de ces stades de développement. Ils appellent constamment les sentiments paradoxaux liés aux origines de leurs émotions vitales : nostalgie de l'océanique fusionnel, sensation d'être, mais aussi répétition des rencontres avec l'objet qui font éprouver dans la résolution le sentiment créateur et "l'extase matérielle" (Le Clézio) où se revit constamment le drame de l'apparition et de la disparition. Cette poussée du moi archaïque pour obtenir l'amour et l'unité, c'est aussi cette lutte et ces efforts d'expression de haine sur des objets boucs émissaires, une résolution cathartique et sublimatoire. Les artistes seraient donc des êtres qui auraient été dotés à l'origine d'un imaginaire métaphorique fort, créatif.

« De façon générale, la psychanalyse propose que les plus grands créateurs seront nécessairement les individus les plus aptes à supporter plus longuement l'affect désagréable lié à un signifiant quelconque, qu'il s'agisse de peurs, de souffrances ou de frustrations. » [5]

« L'art commence à la résistance, à la résistance vaincue. » [6]

L'artiste est un être résistant et toute la gamme de ses états traverse les principes créateurs. L'artiste travaille des objets séparés qui deviennent la transposition de rapports esthétiques complexes et conflictuels. Son art devient le terrain de l'épreuve pour réconcilier ses contradictions existentielles incontournables. L'imaginaire est un processus qui renverse, déplace, sublime et universalise, ou qui condense le sens contradictoire dans le symbole et qui permet de se réincarner en tant qu'individu dans le monde.

«Ce qui travaille souterrainement le paysage culturel contemporain ne serait-il que la nostalgie d'une culture totale ? Aux fondements des rencontres entre arts et sciences serait alors la conscience d'un manque : celui d'une lecture simultanée du ressenti et du connu. Fragments d'anthologie, sensibles et réfléchis. »

Paradoxale nostalgie encyclopédique ? «Paradoxale parce que chacun sait depuis longtemps qu'il n'acquerra jamais qu'une infime partie des con-

naissances accumulées par l'humanité, dont le corpus n'est d'ailleurs concevable que dans un changement continuel.»[7]

La réalité humaine et nos réalités nous servent de point de départ mais ce qui nous attend à l'intérieur de nous-mêmes ce sont des associations libres... et des moins libres. Nous recherchons l'authenticité , nous interrogeons le stéréotype, le cliché et le masque, issus des associations.


Laboratoire

La meilleure façon de faire disparaître un éléphant, c'est de regarder à côté.

Vieux proverbe hindou

Le laboratoire sur la collection posait tout à coup le défi d'examiner à travers des exercices nos regards et nos visions sur les choses et de les partager entre nous. Qu'est-ce qui nous pousse à voir et à faire un objet, comment et pourquoi inscrivons-nous celui-ci dans un ensemble? Plus spécifiquement, quel est l'enjeu de notre pratique artistique? Qu'est-ce qui ce qui nous porte personnellement de l'expression symbolique intime jusqu'à l'oeuvre publique, dans le culturel et peut-être vers des collections? Quels sont ces multiples regards qui nous habitent?

« Quel est le regard que je porte sur l'autre et comment vais-je restituer ce regard que je porte sur l'autre dans l'oeuvre ? Quelle place vais-je laisser à l'autre dans l'oeuvre?» [8]

Faire face à ce qui nous motive à produire des oeuvres culturelles mais cette fois utiliser notre regard d'observateur très perspicace, cela exige de nous-même une authentique force d'attention. Ce regard distancié est réactivé lorsque l'on tente de formuler et d'articuler ses découvertes pour les partager avec les autres dans un échange.

«C'est dans le rêve et par la métaphore que la pensée s'organise, c'est là que les problèmes trouvent leur solution. Le rêve c'est bien cela qui empêche l'homme de devenir fou. C'est pourquoi notre époque, au bord de la démence apocalyptique, a tant besoin de reconnaître les pouvoirs du rêve.» [9]

La collection est aussi fondée par toutes les quêtes et projections du regard, tous les mécanismes perceptuels, ses permutations, ses transformations en réseaux de pensées, par les différentes conceptions du monde et par tout ce qui donne des points de repère ou d'ancrage à la sécurité, à l'identité et à l'appartenance.

Nos regards sont les transits de nos états, de nos mémoires et de nos jugements. Nos regards nostalgiques transportent les objets souvenirs dans la méditation et dans l'image. Nos regards vulnérables recherchent des objets talismans. Et nos regards poursuivent «en dépit de», ils sont les porteurs d'objets «à inventer». Même celui du scientifique qui tente de se donner les méthodes les plus strictes d'observation. Ce regard affûté cherche à confirmer des questions, des thèses et des discours. «C'est sa méthode de mesure plutôt que l'objet de sa mesure que le savant décrit. (...) Le savant croit au réalisme de la mesure plus qu'à la réalité de l'objet.» [10]

Le regard est porteur de l'héritage de la perception. La convergence des regards nous permet de voir. «Ce dont nous héritons c'est d'une perception du monde. L'oeuvre des artistes importants est dans nos subconscients.» [11] Nos regards ont ainsi cette possibilité de s'ouvrir au fur et à mesure de l'expérience. La création des autres nous change malgré nous.

«Arriver à une ponctualité de la vie (...) Etre réceptif ? Pour ça il faut vider la caisse, se vider avant, pour qu'on puisse vraiment entendre certaine choses (...) Il y a des moments pour lâcher prise, il y a des vides transformants. Vider pour laisser de la place devient une continuité pour recevoir...La roue tourne c'est le mouvement qui garde toujours la curiosité, l'intérêt dans le temporaire...» nous a si bien dit Irène Whittome lors de son workshop.

À l'autre extrême l'observation objective dans la collection est soutenue par une interrogation continuelle qui recherche l'intelligibilité et la compréhension de l'objet «en soi» et sa place. Nous cherchons à donner du sens à nos rêves et à les mettre en ordre. Peu importe l'objet fabriqué il porte le rêve en lui.

«La technique moderne réalise des rêves vieux de millions d'années : l'envol, dont parlent depuis toujours les sorciers et les mages , l'ubiquité , par la multiplication des sons et des images, ou encore l'apocalypse , dont l'humanité n'a jamais été aussi proche. Tous les grands rêves, grisants ou terribles, la technique moderne les inscrit dans le concret.» [12]

Qu'est-ce qui échappe à la collection? [13] Depuis les groupes d'objets réunis dans les sépultures primitives, aux trésors et butins de guerre, des objets bizarres et secrets dans les tiroirs d'enfants, aux collections privées les plus fantaisistes et aux collections culturelles de toutes les sortes, dans tout cela il y a le déplacement, la permutation, la transparence de l'ordre des relations aux objets.

La collection se présente comme la relation consciente et/ou inconsciente que l'humain établit avec différentes formes de rassemblements d'objets pour interroger et signifier à la fois, un ordre des choses auquel il s'identifie. De là, il peut s'y reconnaître (présence, place, valeurs, identité et participation au monde). Ces regroupements témoignent du développement des êtres et des sociétés à partir du mythologique jusqu'au scientifique, depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte.

Dans ce phénomène se manifestent les relations aux objets construites depuis la petite enfance, l'organisation subjective et objective dans le continuum cognitif et symbolique. Une observation attentive révèle aussi l'utilisation des méthodes naturelles ou des systèmes qui sont tous fondateurs de langage, de pensée, de conceptions du monde, de discours, d'institutions et de sociétés.

«Notre discours à propos du réel est structuré par ces objets ; il s'agit de les décrire, et de décrire les rapports qu'ils ont entre eux, rapports qui deviennent eux-mêmes des "objets d'étude".» [14]

Les «sciences exactes» sont arrivées à classer les choses à travers des méthodes qui utilisent le principe de négligeabilité. C'est-à-dire que pour définir l'ordre de quelque chose on demeure à un niveau unidimensionnel et linéaire.

Les choses se compliquent quand il s'agit de la relation multidimensionnelle aux objets humains. Des sciences exactes aux sciences humaines il y a souvent l'utilisation de lois, de discours qui bâtissent des preuves de causes à effets. Trop souvent on se contente encore d'assertions non prouvées. «Nous inventons la vérité pour utiliser la réalité comme nous créons des dispositifs mécaniques pour utiliser les forces de la nature», nous rappelle René Thom. Au nom d'un certain progrès , «au nom de l'achevé, nous voulons croire qu'un ordre existe qui nous permettrait d'accéder d'emblée au savoir. Au nom de l'insaisissable nous voulons penser que l'ordre et le désordre sont deux mêmes mots désignant le hasard...» [15]

L'expérience culturelle nous dit Foucault [16] se vit entre cette existence quotidienne régie par des codes culturels, des habitudes et des pratiques et une pensée qui définit, autorise et établit l'ordre des choses. L'expérience culturelle, c'est aussi l'ensemble des tensions vécues dans les paradoxes de l'ordre imposé par notre époque.

L'artiste est d'abord dans l'ordre vital, dans l'ordre de la réalité humaine. Si son oeuvre-collection interroge avec méfiance l'ordre culturel, la hiérarchie des valeurs et les modes, elle lui permet surtout de faire face et de symboliser une crise existentielle dans laquelle il est plongé. Cela arriverait quelquefois dans une vie. Cohésion de soi, nécessité, on est loin des effets du hasard, consciemment ou inconsciemment on reste dans la coïncidence...

Parcours désordonné peut être ainsi le titre donné aux bifurcations et aux contournement d'obstacles, aux embûches dans la cohésion du sens, aux orientations diverses empruntées par chacun et chacune. Il reflèterait nos louvoiements, la confrontation subtile de nos croyances, nos points de vues divergents, nos tolérances et ses fluctuations, bref, nos limites.

Je me souviens de l'une de nos premières rencontres. Dans l'enthousiasme, nous avions anticipé des effets positifs du laboratoire sur nos échanges mais déjà toute une série de questions exprimaient nos craintes et nos doutes : y aurait-il parallèlement à l'approfondissement de la réflexion, une «nouvelle» articulation de l'esprit critique et une autre perception de ce qui personnalise le travail de chacun et chacune? Serions-nous en mesure dans notre projet, de traiter, d'analyser et d'échanger nos idées, nos valeurs et nos convictions comme s'il s'agissait là d'objets classés dans nos personnalités d'artistes ? N'y avait-il pas là, LA collection fondamentale? A ce moment-là, les deux citations suivantes avaient alors été partagées et lues solenellement à voix haute :

«La collection et l'identité sont toutes deux le résultat de luttes et desconvergences d'une histoire personnelle et sociale, du contrôle, du genre, du goût , de l'éducation, du plaisir et/ou de l'économie. Toutes deux sont construites dans un moment de conflit, émergeant hors des zones d'intersection mouvantes qui composent la culture.» [17]

«La façon dont nous nous positionnons nous-mêmes face aux objets peut être le lieu où nos "voix" sont les plus évidentes, où nos pratiques parlent plus fort que nos mots.» [18]

Nous sommes des artistes dont les médiums, les processus, les pratiques et les démarches sont très variés, mais nous sommes ensemble. Nous étions au point de départ et nous sommes à l'arrivée une drôle de collection d'individus (collectif/collection...). N'en est-il pas de même quand on parle de tous regroupements , de la société et même du monde ?

La question s'est posée à maintes reprises en comparant toutes les collectivités humaines à des collections. Qu'est-ce qui fait que les choses tiennent ensemble? Par quelles méthodes et systèmes pouvons-nous faire une collection avec des rassemblements d'objets dont les identités sont toutes différentes et dont les familles et les ordres nous échappent ?

La collection commence avec la fin des choses, celle qui veille sur la présence de l'être. Vulnérable aux reflets le coeur s'ouvre à nouveau aux effluves...



Notes

1. Conférence de Jean-Francois Pirson au musée d'art de Joliette, mai 1994.
2. Albert Camus.
3. Le Nouveau Petit Robert, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1994.
4. Toute la suite du texte est inspiré des théories objectales de Klein et Winnicott de même que des théories du soi de Kohut.
5. Fernande Saint-Martin, «Sémiologie psychanalytique et esthétique»,De l'interprétation en arts visuels, Montréal, Triptyque, 1994, p. 166.
6. «Résistance», Le Nouveau Petit Robert,.
7. Claude Faure, «Une nostalgie d'encyclopédie», Autrement, no 158, octobre 1995, p. 191 et 192.
8. Ces questions, Jean-François Pirson nous les a posées lors de son premier workshop en mars 1994.
9. Thierry Gaudin, Pouvoirs du rêve, Centre de recherche sur la culture technique, 1984, p.13.
10. Gaston Bachelard.
11. Yoko Ono, John Cage, PBS, 11 septembre 1990.
12. Gaudin, p.13.
13. Laurier Lacroix, question posée au groupe d'échange, 1994.
14. Albert Jacquard, « L'unidimensionnalité, condition de la hiérarchie », Le genre humain, Paris, Fayard, 1982, p. 11.
15. René Thom.
16. Michel Foucault, Les mots et les choses.
17. Jennifer Fisher, «Coincidental re-collections, exhibition of the self», Parachute , no 54, mars-juin 1989, p. 56-57. Notre traduction.
18. Jennifer Fisher, p.55.



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