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Propos d'artistes sur la collection
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Parcours désordonné


Ouvrage collectif
les Ateliers convertibles

Critique de Michel Huard
Enseignant, techniques de muséologie
Collège Montmorency


© Michel Huard, revue culturelle de Lanaudière L'Artefact, volume V, numéro 1, février-mars 1996


La collection vue par les Ateliers convertibles

Récemment, j'ai été invité à visiter une étrange collection ; non pas celle d'un musée, de ses salles d'exposition et de ses réserves mais plutôt celle d'un groupe d'artistes réunis sous le toit des Ateliers convertibles. Leur collection n'a pas d'adresse civique. Leur réserve est de l'ordre de l'imaginaire. L'objet à voir tient dans 130 pages et se présente sous le titre Parcours désordonné (propos d'artistes sur la collection).

Si je répertorie et classe par ordre alphabétique les auteurs, j'obtiens : Bergeron, Michèle ; Binet, Danielle ; Déziel, Ginette ; Forget, Normand ; Joly, Suzanne ; LaPan, Francis ; Tourangeau, Sylvie ; Tremblay, Jocelyne. Mais là se termine l'ordre et ma quête de sens absolu. Malgré qu'il y ait dans ce catalogue une table des matières et une pagination, son contenu et son organisation m'invitent à lire un texte ici, à voir une image là ; à voyager en avant, en arrière sans réelle contrainte. Malgré mon agréable déroute, je persiste et m'acharne (déformation professionnelle oblige) à désorganiser le désordre.

Finalement, je comprends, me dis-je ! Pendant trois années, ce groupe d'artistes membres de ce centre de recherche et de production en art contemporain, situé à Joliette, a vécu un laboratoire sur le phénomène de la collection. Pendant ces années, le centre a mis en sourdine son volet diffusion pour se concentrer sur l'idée de collection : réflexions théoriques, interprétations sensibles et questionnements sur la démarche et le processus de création. La démarche est originale et courageuse. Plus d'une vingtaine de rencontres, conférences et ateliers avec des artistes, des collectionneurs, des historiens, des muséologues, toujours avec l'idée d'enrichir son art en fréquentant les multiples avenues que sous-tend l'idée de collection.

Le résultat : trois voyages dans un. Le tout est organisé en trois parties ; chacune comprend un texte de réflexion, une série d'interprétations en regard de l'expérience sensible de chacun à la suite des ateliers et des conférences, et la prise de conscience en regard d'un thème abordé dans la démarche passée, présente et à venir dans la pratique de chacun. Dans la première partie, il est question du Sens ou non sens de la collection : la collection comme expérience, identité, découverte d'un objet, de l'objet manquant, de l'accumulation, de la multiplicité, du choix des objets, du classement, de la méthodologie. La deuxième partie est sous le thème de Collection et altération : la collection comme médium, comme système d'apprentissage, comme questionnement, le parcours de celle-ci, le langage des objets, 1e rapport à l'objet, le corps et l'objet, le système des liens. La troisième partie (puisqu'à trois c'est assurément un début de collection) traite de Collection/Création : stratégies d'interventions, tentatives de rapprochement et oeuvre-collection.

À l'instar de toute collection, le catalogue nous raconte une histoire. En fait, on y retrouve plusieurs histoires, celles des huit artistes. Leurs réflexions, leurs interprétations et leurs interventions se dirigent plutôt vers une logique du dialogue que vers une logique du message. Ce qu'il faut souligner, c'est la diversité des pratiques de ces artistes ici regroupés : photographie, peinture, sculpture, vidéo, performance, installation et techniques mixtes. Tous n'ont pas une pratique que l'on rapprocherait aisément à l'idée d'une certaine compréhension du monde par l'accumulation et le classement. Mais tous ont exploré pendant trois années ce qu'impliquent consciemment ou inconsciemment les avenues du collectionnement. Ce qui me plaît à retenir, notamment, c'est donc leur aventure commune et intense (le parcours sûrement), 1iée à leur pratique individuelle (serait-ce ici le désordre ?).

Pour le passionné de musées que je prétends être, l'idée de collection n'est jamais superflue. Elle m'envahit, elle est enivrante, omniprésente, jamais inutile, pas nécessairement raisonnable et surtout pas objective. Tomislav Sola souligne qu'«un programme muséologique ne devrait pas se fonder sur les pièces qu'un musée possède ou voudrait posséder, mais sur l'idée qu'on veut transmettre»*. Il ajoute que «les conséquences de cette attitude sont imprévisibles. La collecte relève du domaine matériel, alors que l'objectif du travail du musée a un caractère métaphysique : seule la créativité permet de combler ce fossé.»** Sola fait aussi une comparaison entre l'art et le musée qui m'apparaît fort intéressante dans le contexte. Il écrit : «Toute les formes d'art aspirent, comme les musées, à trouver des réponses à ces questions éternelles : Qui sommes-nous ? D'où venons-nous? Où allons-nous ? Pour cela les formes d'art comme le musée partent du même point de départ (l'identité ), et elles ont la même capacité (la créativité ) et la même méthode (l'interprétation ). À l'instar de l'art, le nouveau musée assume une responsabilité générale qui s'impose à lui au nom de l'objectivité, mais, en raison de sa nature novatrice, il est en réalité un média créatif et fondamentalement subjectif.»***

Comprenez qu'encore une fois l'art me bouscule !, (heureusement). En fait, ce que je comprends de l'aventure des Ateliers convertibles, ou plutôt ce à quoi j'aimerais vous inviter à mon tour, c'est à cette charge de sensibilité sans cesse renouvelée, présente dans ce livre. Ces années de réflexion/interprétation/création se terminent non pas par un discours sur la collection mais bien par une suite désordonnée de textes de réflexion, de textes artistiques, d'images et d'oeuvres intégrées. Après avoir lu et regardé ce catalogue j'attends la suite, comprenant qu'elle a toujours été présente dans l'oeuvre de ces artistes, et ce, dès le début de leur aventure peu commune.



* Jean-Yves Veillard, Rapport préparé pour le colloque «Musées, territoire, société», Londres, 1983, cité dans Tomislav Sola, «Concept et nature de la muséologie», Museum, no 153, vol XXXIX-no1,1987, p.47.

** Tomislav Sola, «Concept et nature de la muséologie», Museum, no 153, vol XXXIX-no1,1987, p.47.

*** Tomislav Sola, «Concept et nature de la muséologie», Museum, no 153, vol XXXIX-no1,1987, p.49.



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