Le clou de la collection 
En me questionnant sur le thème de la collection, je constate
rapidement mon intérêt pour l'objet manquant, l'objet n'ayant pas
encore pris les rangs de la collection, l'absent qui n'occupe pas d'espace
à côté des autres mais qui maintient le collectionneur en
recherche, celui qui empêche de clôturer, d'achever.
 Le clou, objet pour moi insignifiant mais pouvant être
collectionné, me permet d'observer mon propre rapport à l'objet.
Je ne m'intéresse pas à l'objet lui-même, ni
à le photographier, ni à le reproduire mais à en faire des
photogrammes, c'est-à-dire à cerner l'espace qu'il occupe.
 
Ce que je vois n'est pas un clou mais un vide ayant la forme du clou.
Je garde l'idée du clou et je me mets à la recherche du vide.
Ce clou n'a pour moi aucune signification affective ; je
l'investis non pas en tant qu'objet mais en tant que vide.
Et c'est vers ce non-objet que je vais, cet espace vide où je
peux créer, au-delà de l'objet, au-delà du
déplacement sur l'objet, au-delà même du souvenir de
l'objet.
   Je me rends compte tout à coup de tous les espaces vides
utilisés dans mon travail ; ces espaces choisis inconsciemment
reviennent d'une façon constante. Irene F. Whittome dirait
de ces vides : «des choses qui ne sont pas là mais qui occupent
un espace». 
À travers ces espaces ouverts, ces lieux inoccupés, ces
Vides/Pleins, je deviens le miroir de moi-même, un miroir captant
d'autres miroirs, réflexion infinie devenant le vide même.
Je peux collectionner des clous de tapisserie, des clous en U, des
clous sans tête, etc., mais je ne peux posséder le...
c l o u  d u c i e l !
Tel qu'explicité dans Mythes, rêves et mystères
de Mircea Eliade, les chamans bouriates considèrent ce clou du ciel
comme étant le pilier de la yourte, une tente servant à un rite
chamanique. Le candidat grimpe au sommet d'un bouleau à
l'intérieur de la tente et sort par le trou d'évacuation de la
fumée. Cette ouverture est assimilée au trou que fait
l'Étoile polaire dans la voûte céleste.
C'est ce clou que je cherche, ce clou manquant, absent de ma collection
de photogrammes. Il répond à une notion de Vide/Plein. Le vide de
cet objet ne me ramène même pas au souvenir de l'objet
lui-même ni à sa symbolique mais à quelque chose d'autre,
peut-être au vide même de tous les symboles.
Cet objet manquant me permet d'échapper à la collection,
ce clou non trouvé, celui que je n'arriverai jamais à
posséder, ce moteur/ouverture sur un monde de connaissances.
Ces espaces inoccupés dans l'organisation plastique ont-ils la
même fonction que l'objet manquant dans la collection, soit celle de
laisser la place à la transformation, rupture permettant
d'échapper à l'achèvement?
[MB]
Photogramme : épreuve photographique positive obtenue sans
négatifs, en chambre noire, en obstruant à l'aide d'un objet ou
d'une quelqu'autre façon l'arrivée de la lumière sur la
surface photosensible.
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