Expérimenter l'accumulation, la sélection, la classification et réfléchir sur la collection, cela m'a paradoxalement amenée au détachement comme seule issue au piège de l'objet, le détachement comme seul pouvoir réel face à un monde de possession, de consommation.

C'est peut-être une fonction propre à l'artiste d'attribuer de nouvelles dimensions à l'objet, de le mettre en perspective pour en déjouer le sens, pour le charger d'un autre message. Mais pour cela, il faut d'abord prendre un recul, «lâcher prise», laisser devenir..., abandonner la domination sur les choses.

Mais c'est lors du workshop d'Irene F. Whittome que s'est davantage précisée la nécessité du détachement.

La consigne reçue fut d'apporter des objets très significatifs pour nous. Après la mise en commun des trésors d'une dizaine de personnes, l'expérimentation de la sélection pour constituer une oeuvre collective s'est avérée une douloureuse expérience de distanciation, de désappropriation d'objets très fortement investis. De plus, chaque objet retenu a dû endosser un nouveau code, une nouvelle signification attribuée par le groupe pour devenir élément d'un ensemble.

À la toute fin de l'atelier,
Mme Whittome clôtura par un éloquent lapsus :

«QUI appartient à QUOI ?»

C'est en tentant de devenir moi-même un objet, dans une courte performance où je m'insérais dans cette mise en place des objets du collectif, que j'ai le plus réalisé l'ouverture que permet l'abandon d'un rôle autoritaire sur le monde matériel.

De l'accumulation de biens matériels naît un certain dégoût ; un peu à la façon dont les grandes surfaces commerciales arrivent à dévaluer n'importe quel produit, à en tuer le désir.

La possession d'objets devient un obstacle à la légèreté, comme un bagage trop lourd pour le voyage, comme une bactérie mangeuse d'espace. Et l'espace est une denrée des plus précieuses et des plus vulnérables, en sculpture tout au moins.

Le travail sur la collection a renforcé chez moi le sentiment de la futilité d'accumuler, de conserver et de tenter d'empêcher que le périssable ne périsse.

[JT]

* Performance de Jocelyne Tremblay, Vers le détachement, Joliette, 1994, photo (transférée sur acétate) Michèle Bergeron.
* Certains objets du workshop d'Irene F. Whittome, 1994, tirages vidéo Daniel Bergeron.
* Performance de Jocelyne Tremblay, Vers le détachement, workshop d'Irene F. Whittome, 1994, tirages vidéo Daniel Bergeron.