Flèche Parcours désordonné
Propos d'artistes sur la collection
[ Accueil ] [ Index ][ Parcours d'objets-clés ] [ Droits d'auteur ] [ Équipe W3 ][ English ]

Une verticale
dans le dos



Les artistes fabriquent des objets. Pendant le laboratoire-collection, j'ai imaginé un objet qui déjouerait mon maintien. Un objet qui, lorsque porté tel un vêtement sur le corps, provoquerait d'autres mouvements, des attitudes nouvelles, m'ouvrirait d'autres dimensions.... Je ne savais pas encore la portée qu'un tel objet aurait dans la composition de mes performances.


Nul ne peut présumer de l'importance
qu'un objet prendra dans sa vie.


Lorsqu'ils entrent en relation avec un objet, certains individus ont le réflexe de le garder précieusement sans le montrer, d'autres l'exhibent fièrement et en cherchent de nouveaux afin de renouveler le plaisir obtenu lors de leur première découverte. D'autres encore laissent apparaître et disparaître les objets dans leur univers, au gré de leur préférences et de la mouvance de leurs états.

Imaginons que nous colorions l'espace vide qui nous sépare de cet objet. Comme si dans cet espace invisible nous y mettions une densité énergétique, une charge affective, émotionnelle, une petite histoire qui n'appartient qu'à nous. Finalement, si nous voyagions dans cet espace, notre relation changerait et l'objet à son tour nous renverrait une autre facette de nous-même.


Circulation incessante,
nécessaire,
pour se voir... autrement.


Pendant l'atelier de Jean-François Pirson, j'ai fabriqué un «bâton portable» qui se fixe avec un dispositif ajustable le long de ma colonne vertébrale. Il se porte au milieu du dos et va d'un pied (30 cm) au-dessus de ma tête jusqu'au bas de mes mollets.

Durant les séances de travail, j'ai dû fixer ce bâton de bois à l'arrière de mon corps et rester quelques heures immobile -- en apparence bien sûr -- pour apprivoiser cette ligne verticale à laquelle j'opposais beaucoup de résistance.

Une verticale
demeure une verticale !


Je trouvais la connotation attribuée à une telle droite bien lourde de sens, foncièrement patriarcale et assurément rigide. De prime abord, cette verticalité de bois avait tout d'une autorité suprême qui me dépassait en longitude, des deux côtés. Je me sentais bien petite adossée à ces quelques points d'une si longue ligne qui me semblait d'ailleurs plus grande que sa hauteur réelle. Ce bâton, si peu enclin à susciter une dimension sensible et organique, m'a finalement apprivoisée.

Si je n'avais pas modifié mon attitude, je serais restée dans la peur que cette ligne de force n'alourdisse la présence du corps, mes gestes, mes actions, et qu'elle n'amoindrisse le travail d'amplitude, de fluidité et de nuances d'énergie déjà entrepris lors de processus antérieurs. L'ouverture, l'émerveillement, l'adaptation au moment présent sont des attitudes essentielles dans l'effervescence d'un travail créateur qui transforme.


Observer ce qui se passe petit à petit.

Accueillir, laisser agir cette «externalité».

Au fil des mois, l'espace vide entre le bâton et moi est devenu un lieu d'échange, l'espace limite, une zone décisive lors du contact avec un corps étranger... l'autre. Plus je me rends disponible, moins la douleur, l'anticipation, le contrôle prennent le dessus. Accueillir, oui, ce qui ne pourrait advenir sans ce dispositif.

À mesure que j'apprivoise ce qui subsiste de l'expérience avec ce bâton, j'en viens à identifier le point milieu entre lui et moi, entre deux entités, où l'une finit et où l'autre commence. Je me situe à une sorte de degré zéro de la présence!



Quand je risque,
je tombe toujours dans
un autre corps !


La conscience de ce qui est interne et externe s'étend sur d'autres plans moins visibles, ceux d'un monde intérieur et ceux d'un monde extérieur. En me connectant à cet objet-ligne en extension, je me réinvestis dans mes propres points d'ancrage. Je tisse des liens d'appartenance entre mon corps et mon esprit. La ligne verticale en est une de continuité.

En lien avec ce «bâton régénérateur»(1), j'habite mon monde de sensations, de perceptions, de visions. J'y reconnais et découvre des assises, des manières d'être, des matérialisations de mes pensées, des gestes à poser.

Ce travail d'atelier avec le bâton s'est intégré dans des actions performatives. Je ne savais pas encore la portée qu'un tel objet aurait dans la composition de mes actions lors de mes performances. Avez-vous déjà porté un tel bâton sur la petite scène d'un bar en tentant de vous connecter, publiquement, à l'essentiel de cette expérience ?


Quand ce qu'on imagine dans notre tête
trouve son prolongement dans l'organicité du corps,
on a des surprises !


[ST]



Crédits

(1) Expression empruntée à une oeuvre de Joseph Beuys.
*
Performance Une autre Vie, Galerie Ming, Montréal, 1994, photos Jean-Marie Savage.
* Dessins de Sylvie Tourangeau et reproduction d'un dessin de Paul Klee.



[ Accueil ] [ Index ][ Parcours d'objets-clés ] [ Droits d'auteur ] [ Équipe W3 ] [ English ]

L e s   A t e l i e r s   c o n v e r t i b l e s

Adressez vos commentaires à
mailto lac@pandore.qc.ca

Ce site W3 a été créé en vertu d'un
contrat passé avec Industrie Canada
Les collections numérisées du RESCOL