Sommaire de l'ouvrage :
«Étude comparative du pouvoir de dépenser dans
d'autres régimes fédéraux»
par Ronald L. Watts
Institut des relations intergouvernementales
Université Queen's
Kingston (Ontario)
1999
Contexte
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Le professeur Watts examine le statut du pouvoir de dépenser dans
plusieurs régimes fédéraux, et l'utilisation qui en est faite, en
fonction de trois axes de comparaison : le fondement juridique; le lien avec
les pouvoirs de recettes; les décisions relatives à l'exercice du pouvoir
de dépenser; et la nature et l'étendue du recours à ce pouvoir.
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Le professeur Watts s'intéresse en particulier aux États-Unis, à la
Suisse, à l'Australie, à l'Allemagne et à l'Union européenne, bien qu'il
effleure la situation en Autriche, en Belgique, en Inde, en Malaisie et en
Espagne.
Le fondement juridique du pouvoir de dépenser
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Les constitutions américaine, allemande, suisse, australienne, indienne,
malaysienne et espagnole contiennent toutes des dispositions autorisant
explicitement le gouvernement fédéral à dépenser dans les domaines de
compétence concurrente et les champs relevant exclusivement de la
compétence des gouvernements des unités. De plus, bien que la constitution
de l'Autriche ne renferme pas une telle disposition explicite, le
gouvernement central peut, dans la pratique, dépenser dans les champs de
compétence des gouvernements des unités.
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La constitution de la Suisse accorde au gouvernement fédéral le pouvoir
d'octroyer des subventions aux cantons pour des tâches dont il lui confie
l'exécution ou pour d'autres tâches qui sont dans l'intérêt national. La
loi fondamentale de l'Allemagne contient une disposition analogue, tandis
que la constitution australienne énonce on ne peut plus clairement que le
Parlement fédéral « peut octroyer une aide financière à n'importe quel
État, selon les modalités et aux conditions que le Parlement juge bon ».
La constitution des États-Unis énonce ce pouvoir en des termes aussi
englobants.
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Aux États-Unis et en Australie, il n'y a quasiment aucune limite quant
aux domaines dans lesquels le gouvernement fédéral peut effectuer des
dépenses. En Suisse, la possibilité de recourir à des référendums a eu
pour effet de limiter l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser.
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Les relations financières à l'intérieur de la fédération belge
continuent d'évoluer. En pratique, toutefois, le gouvernement fédéral ne
peut pas dépenser dans les domaines ressortissant aux conseils régionaux
ou communautaires sans leur approbation.
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L'Union européenne est essentiellement une confédération d'États qui
présente certains éléments fédéraux. L'équivalent du pouvoir de
dépenser découle de l'accord conclu par le Conseil des ministres sur les
domaines dans lesquels l'Union effectuera des dépenses pour atteindre ses
objectifs.
Le lien avec le pouvoir de recettes
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L'existence d'un pouvoir fédéral de dépenser s'explique par les
déséquilibres verticaux et horizontaux qui se manifestent au sein des
fédérations. Dans le premier cas, ils résultent du fait que les États ne
disposent pas d'une assiette de revenu suffisante pour s'acquitter de leurs
responsabilités législatives. Les disparités horizontales tiennent au
fait que dans la plupart des fédérations, certaines unités ont une
capacité financière grandement supérieure à d'autres.
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Aux États-Unis, en Australie, en Autriche, en Inde, en Malaisie et en
Espagne, le gouvernement fédéral occupe la majorité des principaux
domaines fiscaux, d'où un important déséquilibre vertical. Ce
déséquilibre est beaucoup moins prononcé en Allemagne et en Suisse.
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Pour des raisons évidentes, les unités d'une fédération
caractérisée par des déséquilibres verticaux importants dépendent
fortement, dans bien des cas, des transferts fédéraux (voir les données
citées ci-dessous à la rubrique « La nature et la portée de l'exercice
du pouvoir fédéral de dépenser »).
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En gros, les disparités horizontales en Suisse et en Allemagne (par
suite de la réunification) et plus particulièrement en Malaisie sont plus
marquées qu'au Canada. La situation aux États-Unis est comparable à la
nôtre. C'est en Australie que les disparités horizontales sont les moins
accentuées.
Les décisions relatives à l'exercice du pouvoir fédéral de
dépenser
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En ce qui concerne les décisions relatives à l'exercice de ce pouvoir,
les États-Unis se situent à un extrême : l'exercice du pouvoir de
dépenser appartient au Congrès. Lorsque les gouvernements des États
tentent d'influencer le Congrès, ils ne représentent qu'un lobby parmi
tant d'autres. De même, en Australie et en Autriche, la prédominance du
gouvernement fédéral dans les domaines fiscaux signifie que, par le
passé, les États n'ont exercé que peu d'influence sur l'exercice du
pouvoir de dépenser.
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En Malaisie, les États doivent être consultés officiellement par
l'entremise du Conseil financier national au sein duquel tous les
gouvernements sont représentés. Cependant, le Conseil est un organe
purement consultatif, et en définitive le gouvernement fédéral peut agir
unilatéralement.
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Par contraste, les cantons suisses et les Länder allemands ont un
pouvoir considérable à cet égard. En Suisse, les membres des assemblées
cantonales siègent souvent à la seconde chambre fédérale en même temps,
et le gouvernement fédéral consulte abondamment les cantons, en partie
pour éviter la tenue de référendums. En Allemagne, la seconde chambre
législative, le Bundesrat, est composée de représentants des
gouvernements des Länders, dont le consentement est requis pour l'exercice
du pouvoir de dépenser dans les domaines de compétence concurrente ou dans
les champs de compétence exclusive des Länders.
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En Inde, la plupart des décisions relatives à l'exercice du pouvoir
fédéral de dépenser résultent des recommandations formulées par deux
commissions indépendantes.
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En règle générale, le processus budgétaire de l'Union européenne est
un processus interactif entre les institutions européennes dans lequel les
États membres conservent une influence considérable. Dans certains cas,
cependant, l'Union (au moyen de votes à la majorité qualifiée) a assorti
les subventions de développement régional de conditions – une mesure que
certains bénéficiaires n'ont pas appréciée.
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En 1996, le gouvernement du Canada a annoncé que les nouveaux programmes
à frais partagés faisant appel au pouvoir fédéral de dépenser dans des
domaines de compétence exclusivement provinciale nécessiteraient
dorénavant le consentement d'une majorité des provinces et que les
provinces qui s'opposeraient à un tel programme pourraient exercer un droit
de retrait avec compensation financière, à condition de mettre en place un
programme similaire.
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Parmi les fédérations examinées dans cette étude, le Canada est le
seul pays où une compensation financière serait offerte aux gouvernements
des unités qui décideraient de ne pas participer à un programme financé
en vertu du pouvoir fédéral de dépenser.
La nature et la portée de l'exercice du pouvoir fédéral de
dépenser
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Deux principaux indices de comparaison sont utilisés : la mesure dans
laquelle les gouvernements des unités dépendent des transferts fédéraux
en général et des transferts conditionnels en particulier.
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En 1993, les transferts du gouvernement fédéral représentaient 19,8 %
des recettes des gouvernements provinciaux au Canada. Il s'agit du
troisième plus faible pourcentage parmi les fédérations comparables2
examinées dans l'étude Watts. Par contraste, en Australie, en 1996, les
États ont reçu 40,7 % de leurs recettes sous la forme de transferts
fédéraux.
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Les provinces canadiennes dépendent beaucoup moins des transferts
conditionnels que leur pendant dans d'autres fédérations. En fait, si le
TCSPS est considéré comme un transfert inconditionnel (comme le fait
remarquer le professeur Watts, il n'est assorti d'aucune condition dans
certains cas et de conditions très générales dans d'autres), moins de 1 %
des recettes provinciales proviennent de subventions conditionnelles. Par
contraste, le chiffre correspondant est de 12,3 % en Suisse, 21,6 % en
Australie et 29,6 % aux États-Unis.
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Encore une fois, d'importantes différences distinguent l'Union
européenne des fédérations examinées. Entre 1994 et 1998, les dépenses
totales engagées par l'Union européenne représentaient entre 1,2 % et
1,25 % du PIB total de l'Union. Il est donc clair que les transferts de
l'Union aux États membres étaient beaucoup moins importants que les
transferts fédéraux aux gouvernements des unités dans les fédérations
étudiées.
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Cela dit, 32 % du budget de l'Union au cours de cette période se
présente sous la forme de fonds dits « structurels », dont la majeure
partie est destinée au Fonds européen de développement régional (FEDR).
Celui-ci vise principalement à aider les États membres qui éprouvent des
problèmes de déclin industriel ou dont les infrastructures économiques
sont insuffisamment développées.
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Les fonds versés par l'intermédiaire du FEDR doivent servir de
complément aux activités existantes des États membres en vue de remédier
à ces problèmes et non à créer de nouveaux programmes.
1. Les transferts mentionnés sont les transferts au sens
large. Aucune distinction n'est faite entre les transferts destinés aux
dépenses dans des champs de compétence fédérale, provinciale ou
concurrente.
2. Exception faite de la Malaisie, où le pourcentage est
le plus faible de tous en raison des responsabilités très limitées des
États malaysiens en matière de dépenses.
Conclusions
1. La capacité du gouvernement fédéral de dépenser
dans les domaines de compétence législative concurrente et exclusive est un
trait commun à toutes les grandes fédérations. En fait, elle est souvent
l'objet d'une disposition explicite dans la constitution.
2. Dans toutes les fédérations examinées, des
déséquilibres verticaux et horizontaux ont été constatés aux plans du
pouvoir de recettes et des responsabilités de dépenses. Ces déséquilibres
ont été atténués au moyen de transferts financiers.
3. Toutes les fédérations se caractérisent par des
chevauchements et une interdépendance considérables, en particulier en ce
qui concerne la politique et les programmes sociaux.
4. Cette interdépendance a conduit certaines
fédérations à accorder aux gouvernements des unités un pouvoir
décisionnel relatif à l'exercice du pouvoir de dépenser dans les domaines
qui ne relèvent pas de la compétence fédérale. Les fédérations varient
grandement à cet égard. Ce sont l'Allemagne et la Suisse qui vont le plus
loin, mais les régimes belge et espagnol comportent également une nette
influence régionale.
À l'autre extrême, les gouvernements des États aux États-Unis, en
Australie, en Autriche, en Inde et en Malaisie jouent un rôle très limité
dans les décisions relatives à l'exercice du pouvoir de dépenser dans leurs
champs de compétence.
5. Bien que les provinces canadiennes jouent un rôle plus
limité que leurs pendants dans d'autres fédérations dans la prise des
décisions concernant l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser, le Canada
est unique en ce sens que le gouvernement fédéral est disposé à
dédommager les provinces qui pourraient décider de ne pas participer à de
futurs programmes à frais partagés établis en vertu du pouvoir fédéral de
dépenser.
6. Les provinces canadiennes tendent à dépendre
relativement moins des transferts fédéraux en général et des transferts
conditionnels en particulier que les unités constituantes dans les autres
fédérations à l'étude.
7. La conditionnalité tend à devenir moins courante au
Canada. Même l'ancien régime du Financement des programmes établis (FPE)
dans les secteurs de la santé et de l'enseignement postsecondaire peut être
considéré comme semi-conditionnel. Il est plus juste de parler de «
principes et objectifs généraux » dans le cas des dispositions de la Loi
canadienne sur la santé. Lorsque le FPE et le Régime d'assistance publique
du Canada ont été remplacés par le Transfert canadien en matière de santé
et de programmes sociaux, le degré absolu de conditionnalité a encore
diminué.
8. L'entente-cadre sur l'union sociale (signée en
février 1999) reconnaît le rôle que joue le gouvernement fédéral dans le
domaine de la politique sociale par l'exercice de son pouvoir de dépenser.
Toutefois, elle «accroîtra le rôle des provinces dans l'élaboration des
programmes fédéraux et des mécanismes de financement dans le domaine et
ouvrira la voie à une démarche plus coopérative.»
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