«Le Canada est plus
pertinent que jamais face
aux enjeux de la
mondialisation»
Notes pour une allocution
de l'honorable Stéphane Dion
Président du Conseil privé et
ministre des Affaires
intergouvernementales
Congrès canadien du leadership
étudiant
Ottawa (Ontario)
le 25 janvier 2001
L'allocution prononcée fait
foi
Vous
m'avez invité à vous faire part de la façon dont je vois l'avenir du
Canada en cette ère de mondialisation et d'interdépendance. Je vous en
remercie car il s'agit d'un sujet important du point de vue même de mes
responsabilités au gouvernement.
Par
exemple, il y a trois jours, M. Bernard Landry a affirmé que notre époque
favorise l'apparition de nouveaux États et que, par conséquent,
l'indépendance du Québec irait dans le sens des tendances actuelles. «Il
y a eu 60 nouveaux pays aux Nations unies depuis que le Parti Québécois
a été fondé, dont une trentaine depuis une dizaine
années», a-t-il souligné.
Régulièrement, les leaders indépendantistes au Québec insistent sur le
nombre croissant de pays dans le monde et relient ce phénomène à la
mondialisation. Par exemple, M. Jacques Parizeau a déclaré le 29
avril 1999 : «Il ne faut pas s'étonner à cet égard de la
multiplication des pays, du nombre de pays. (...) Dans ce sens-là, le
débat sur la mondialisation (...) débouche directement sur la notion
de souveraineté.»
Je
crois tout au contraire que l'apparition récente de nombreux nouveaux pays
ne renforce en rien la thèse selon laquelle le Québec devrait se séparer
du Canada. En fait les enjeux actuels liés à la mondialisation plaident en
faveur de l'unité canadienne.
1. Les nouveaux pays sont issus de contextes
différents du nôtre
Le
monde comptait 69 États en 1945. Il en comprend aujourd'hui 191, soit
122 de plus.
Pas
moins de 93 d'entre eux sont d'anciennes colonies. Le
Québec n'est évidemment pas une colonie. On ne peut donc pas tirer
argument de ces nombreux cas pour préconiser la scission du Canada.
Hors
du processus de décolonisation, six États seulement ont
été créés entre 1945 et 1989 : Israël, les deux Corées, le Sénégal
(après la désintégration de la fédération du Mali), Singapour (expulsée
de la fédération de Malaisie), et le Bangladesh (qui a fait sécession du
Pakistan). Bien malin celui qui pourrait rattacher ces différents cas au
contexte canadien.
Depuis 1990, 23 nouveaux États sont apparus tous, sans exception, nés des
processus en chaîne qui ont accompagné et suivi la dislocation des empires
communistes : les trois Républiques baltes, la Russie, onze autres
anciennes Républiques soviétiques, les cinq États issus des
républiques de l'ancienne Yougoslavie, la République tchèque, la
Slovaquie et l'Érythrée (qui s'est séparée de l'Éthiopie après une
guerre civile). On a dit du communisme qu'il a été un grand congélateur
de l'histoire. En ce sens, l'accession de ces pays à l'indépendance vient
de la mort d'une idéologie du XIXe siècle. Leur naissance ne peut pas,
elle non plus, être rattachée à un phénomène de modernisation récent
dont le Québec serait partie prenante.
La
fin des empires coloniaux et totalitaires ne menace aucunement l'unité de
pays qui, tel le Canada, sont déjà démocratiques et libéraux. On ne
peut donc s'appuyer sur l'Histoire pour affirmer que l'apparition de
nombreux nouveaux pays milite en faveur de la séparation du Québec du
Canada.
Ce
que l'on peut dire, par contre, c'est que les tendances récentes, liées
notamment à la mondialisation des marchés, font de l'unité canadienne un
bien encore plus précieux pour l'ensemble des citoyens de notre pays.
2. Les avantages de l'unité canadienne face à la
mondialisation
La
mondialisation est une tendance à l'intégration
économique, sociale et politique entre les diverses populations du monde.
Sur le plan économique, elle englobe toutes les forces qui tendent à
ramener le monde à un seul espace de marché. Elle se caractérise, entre
autres, par la part croissante du commerce extérieur dans l'économie des
pays, par le rôle accru des organisations internationales et par l'étendue
des accords internationaux.
Or,
il y a peu de pays mieux placés que le nôtre pour réussir dans ce village
global. Le Canada est un pays respecté, jouissant d'une excellente
réputation, un pays qui a su allier cohésion d'ensemble et grande
diversité : des provinces et territoires dont les forces se complètent,
deux langues officielles qui sont des langues internationales, deux
systèmes juridiques, le droit civil et la common law, qui nous
permettent de parler le langage juridique de la grande majorité des pays,
une situation géographique qui nous ouvre aux Amériques,
à l'Europe et à l'Asie, une population multiculturelle qui donne prise sur
tous les continents du globe. Indéniablement, nous avons su faire de notre
diversité une force dont nous aurons besoin plus que jamais.
Fédération décentralisée, le Canada offre à chacune de ses provinces le
maximum de souplesse pour faire valoir ses atouts, mais il nous procure en
même temps une cohésion d'ensemble, une exceptionnelle capacité de
poursuivre, chez nous comme à l'étranger, des objectifs communs, forts de
la diversité de nos expériences.
Parlant d'expérience, notre pays en a à revendre en ce qui a trait à la
mondialisation. Il n'a pas attendu qu'elle soit à la mode pour s'y
intéresser. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il a joué
un rôle international de premier plan dans la création des institutions
qui, en fait, encadrent la mondialisation. Je pense au Fonds monétaire
international et au GATT, devenu en 1995 l'Organisation mondiale du
commerce. On pourrait en nommer d'autres comme l'Organisation mondiale de la
santé, dont le premier directeur général fut un Canadien. Quand on parle
de mondialisation, nous, les Canadiens, sommes comme des poissons dans l'eau.
En
fait, dans notre cas, l'expression la plus concrète de la mondialisation
des marchés pour nous se traduit par une ouverture plus grande au marché
américain. Les États-Unis sont plus que jamais notre
principal partenaire commercial. En 1988, 74 % du commerce extérieur du
Canada en biens se faisait avec les États-Unis. En 1999, il est passé à
86 %. En 1999, nos exportations aux États-Unis en biens étaient évaluées
à environ 309 milliards de dollars. Comme le veut l'expression
consacrée, les États-Unis sont de plus en plus le meilleur ami du
Canada... que cela nous plaise ou non.
Dans
le contexte de la mondialisation, cette interdépendance plus étroite avec
le grand géant du Sud nous pose deux dé fis qui ne sont pas nouveaux, mais
qui revêtiront encore plus d'importance pour votre génération. Le premier
est de maintenir l'accès dont nous bénéficions au grand marché
américain malgré d'inévitables pressions protectionnistes. Le deuxième
est de rester fidèles à nous-mêmes (nos expressions culturelles, notre
mode de vie plus «doux», nos politiques sociales plus généreuses),
toutes les fibres que nous avons imbriquées dans le tissu social pluraliste
de ce pays remarquable.
L'unité canadienne est plus que jamais essentielle à nos efforts pour
atteindre ces deux objectifs. Aujourd'hui comme hier, et
peut-être plus encore qu'hier, la fédération canadienne constitue un
formidable atout pour ouvrir davantage ce marché américain, pour résister
au protectionnisme des États-Unis et pour préserver notre sentiment d'identité
canadienne.
Pour
ce qui est du premier défi, l'accès au marché américain,
je pourrais mentionner les énormes
moyens que le Canada déploie pour faire entendre sa voix aux États-Unis :
notre ambassade (qui est la troisième plus importante ambassade étrangère
à Washington) et nos 14 consulats et bureaux commerciaux. Nous avons
bien besoin du professionnalisme de ces diplomates, agents commerciaux,
commissaires à l'investissement, avocats spécialistes en droit commercial,
conseillers en science et technologie, car ce sont eux, en grande partie,
qui font connaître nos intérêts auprès de la multitude de centres
d'influence aux États-Unis : la société civile, les milieux d'affaires,
la Maison-Blanche, la Chambre des représentants, le Sénat, sans oublier
les États.
Mais
le plus important est que ces ressources impressionnantes sont mises en
branle par un pays que les États-Unis connaissent et respectent. Si le
marché américain est vital pour nous, le marché canadien est aussi très
important pour les États-Unis. Le Canada est leur premier partenaire
commercial, loin devant le Japon et presque à égalité avec l'ensemble des
pays de l'Union européenne. Nous ne sommes pourtant qu'un peu plus de
30 millions de Canadiens, mais 30 millions qui, en 1998,
échangeaient chaque jour avec 272 millions d'Américains pour près de
1,25 milliard de dollars en biens et services. Il
s'agit là d'une relation commerciale unique au monde et qui nous permet
d'exercer une forte influence auprès de notre grand voisin du Sud lorsque
le besoin se fait sentir.
Mais
il y a plus. Le Canada est un allié avec lequel les Américains doivent
compter tant pour leur politique commerciale que pour leur politique
étrangère en général. Les autorités américaines le savent : peu de
pays exercent de l'influence dans autant de forums internationaux que le
Canada.
Nous
avons nos difficultés avec certaines formes de protectionnisme américain
et nous en aurons encore. Mais notre principal atout pour percer le marché
américain, c'est notre unité. Frapper à sa porte dans le désordre, dans
la division, c'est s'affaiblir dangereusement.
Pour
ce qui est du deuxième objectif, soit celui de préserver notre propre
identité par rapport à la puissance que sont les États-Unis, ici encore,
notre sentiment d'unité nous sera d'un grand secours. Dans tous nos efforts
pour réduire les obstacles au commerce, que ce soit avec les États-Unis,
l' Amérique latine ou d'autres pays du monde, notre objectif est toujours
de préserver la capacité de tous les paliers de gouvernement du Canada
d'intervenir dans les principaux secteurs de politiques publiques, comme la
santé, l'éducation, les services sociaux et la culture.
En
fait, le Canada a été parmi les premiers pays à faire des pressions pour
obtenir ce que l'on appelle une «exemption culturelle» dans le cadre des
négociations commerciales, afin que notre pays puisse disposer de toute la
flexibilité possible dans la poursuite de ses objectifs de politique
culturelle à l'intérieur de ses frontières. Nous ne sommes pas les seuls
à participer à cet effort, mais nous sommes sans contredit un chef de file
mondial et nous le sommes aux yeux des autres pays qui ont des intérêts
similaires à protéger face au géant américain.
Conclusion
J'ai
particulièrement insisté sur le lien entre le Canada et les États-Unis en
cette ère de mondialisation. Mais quand je projette mon regard au-delà des
États-Unis, sur nos relations avec les autres parties du monde, je demeure
tout aussi optimiste quant à l 'avenir de notre pays.
Face
à la puissance américaine, de plus en plus notre principale partenaire
commerciale, il faut nous appuyer sur un Canada uni. Alors que les accords
internationaux touchent nos vies toujours davantage, il faut pouvoir compter
sur le prestige et l'influence de notre pays. Face aux enjeux de la nouvelle
économie, l'entraide de tous les Canadiens est plus nécessaire que jamais.
C'est
ça le Canada : une synergie de cultures qui donne d'excellents résultats.
Et c'est pour ça que ça marche, le Canada. C'est pour
cela que le Canada joue un rôle si utile dans le monde, pour les pays
anciens comme pour ceux qui sont issus plus récemment de contextes qui
n'ont rien à voir avec le nôtre. Voilà, à vous qui envisagez le
leadership dans un monde interdépendant, l'optimisme et l'enthousiasme que
j'ai voulu communiquer au sujet de l'avenir de notre pays. Je vous remercie
de m'en avoir donné l'occasion.
Et
je vous félicite pour ce que vous êtes venus accomplir ensemble ici, à
Ottawa, dans les jours qui viennent, vous, des jeunes Canadiens, venus d' un
peu partout au pays, rassemblés pour apprendre, pour échanger des idées
et des expériences et pour préparer l'avenir. C' est un avenir prometteur
de par les innombrables possibilités qu'il a à vous offrir. C'est un
avenir que vous continuerez de partager avec les autres Canadiens.
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