250 ans de journaux canadiensIl est vrai que ce n'était pas un début bien favorable, certainement pas l'événement que vous choisiriez pour les livres d'histoire… Mais c'est arrivé. Il y a deux cent cinquante ans, le 23 mars 1752, dans une imprimerie nouvellement ouverte au cœur de la ville récemment fondée de Halifax, John Bushell publia les quelques premiers exemplaires d'une bien modeste publication qui consistait en une demi-feuille de papier ministre imprimée des deux côtés. Aujourd'hui, nous célébrons la première édition de l'hebdomadaire Halifax Gazette comme le véritable début de l'industrie journalistique au Canada. Mais comme l'a délicatement fait remarquer un historien par la suite, le journal de John Bushell n'était « ni par son format ni son genre destiné à faire sensation dans le monde ». La nature historique de l'événement ne fut pas mieux reconnue que par une brève note de Bushell dans la Gazette elle-même, expliquant de façon elliptique pourquoi la publication en avait été « retardée pendant si longtemps ». Il n'y avait pas de nouvelles locales; l'essentiel de ce qui passait pour des nouvelles mondiales - un « fou »avait lancé une pierre à la tête du pape, Londres avait un nouveau maire - s'était produit des mois avant la publication. « Les annonces », remarqua un critique faisant écho à une remarque fréquente chez certains lecteurs de journaux, même aujourd'hui, « constituent peut-être la partie la plus intéressante du journal ». Procter and Scutt, par exemple, vendait du « beurre de premier choix » au quart de baril, alors que Leigh and Wragg pouvait fournir aux lecteurs des leçons particulières sur l'orthographe, la lecture et l'écriture, et jusqu'à l'« authentique méthode italienne de tenue de livres ». Une partie du problème se posant à quiconque essaie de percevoir la signification journalistique historique de la première édition du premier journal du Canada est posée par le caractère même de Bushell. Il n'était certainement pas comme Joseph Howe, le légendaire éditeur et homme d'état de Nouvelle-Écosse qui a assuré l'avènement de la liberté de presse au Canada. Il n'était pas non plus comme son précédent partenaire, Bartholomew Green Jr. Green, l'homme qui a failli être reconnu par l'histoire à titre de fondateur du premier journal canadien, aurait été parfait pour un film d'Hollywood dans ce rôle. Il était le petit-fils, né au Massachusetts, de l'un des premiers imprimeurs en Amérique, en plus d'être le fils du fondateur du News-Letter de Boston, le premier journal à publication ininterrompue aux États-Unis. Lui-même fut apprenti dans le journal de son père avant de lancer le sien, la Gazette de Boston. Mais le monde de l'imprimerie de Boston était un coupe-gorge bondé de concurrents. En 1751, à l'âge de 50 ans, Green décida de repartir à zéro dans un endroit moins compétitif. Il n'y avait pas d'imprimeur à Halifax, la nouvelle ville portuaire que les Britanniques avaient fondée deux ans plus tôt pour servir de bastion contre les troupes françaises de Louisbourg. Le gouvernement était impatient d'y avoir un imprimeur qui pourrait transmettre son message aux nouveaux colons. En août 1751, Green chargea donc sa presse à imprimer et ses affaires à bord de la chaloupe Endeavor et mit les voiles pour Halifax. Malheureusement pour lui - et pour l'histoire - il mourut dans les cinq semaines suivant son arrivée à Halifax. Quoique ses deux fils adultes étaient aussi des imprimeurs - donc, la quatrième génération - il semble qu'aucun ne voulut prendre la relève de leur père dans l'entreprise de Halifax. L'ex-partenaire commercial de Green, John Bushell, déménagea donc de Boston à Halifax en janvier 1752 pour en prendre le contrôle. Bushell, âgé de 36 ans, avait été partenaire dans une imprimerie avec Green pendant au moins sept ans, à la fin des années 1730 et au début des années 1740. Il avait inscrit sa marque d'éditeur sur au moins 25 ouvrages, religieux pour la plupart. Bushell était un imprimeur compétent, mais comme le dit Isaiah Thomas, qui écrivit l'histoire des premières imprimeries en Amérique du Nord : « La proportion de liquide dans sa commande d'épicerie était bien plus élevée qu'elle ne devrait l'être dans une maison de bonne réputation ». Bushell négligeait souvent ses dettes, et il fut poursuivi plusieurs fois pour factures impayées. En fait, certains suggèrent que l'entreprise de Bushell n'aurait pas survécu du tout sans le dur labeur de sa fille Elizabeth, une « compositrice rapide et minutieuse ». Le gouvernement colonial l'aida aussi, l'employant comme Imprimeur du Roi. Cela peut expliquer pourquoi Bushell engagea comme rédacteur Robert Bulkeley, qui était, comme par hasard, secrétaire provincial, juge de la cour de la vice-amirauté et brigadier général de la milice. Quand Bushell mourut en janvier 1761, la Gazette était bel et bien établie. Même si elle perdit brièvement la faveur du gouvernement en 1766, quand, durant la montée de la Révolution américaine, elle défia l'autorité britannique en publiant une édition du journal sans le timbre officiel requis, la Gazette réussit à retrouver les bonnes grâces officielles. Le journal est encore publié de nos jours, même si c'est sous un nom différent - le Nova Scotia Royal Gazette; il est maintenant la voix officielle du gouvernement de la Nouvelle-Écosse « pour les proclamations et annonces légales ». Plus important encore, le modeste petit journal de John Bushell a donné naissance à une industrie journalistique qui se vante aujourd'hui de compter plus de 100 quotidiens et 1 000 journaux communautaires, pour un tirage total de 11 millions d'exemplaires d'hebdomadaires d'un bout à l'autre du pays. Comme Bertha Bassam l'a dit dans une monographie soulignant le 200e anniversaire de cette première publication : « Peu importe les résultats limités [de Bushell], il est l'un de nos premiers imprimeurs et… il a joué un rôle important dans l'histoire des communications à partout au pays ». C'est vrai. Les débuts de la Halifax Gazette n'ont guère été prometteurs, mais ce fut certainement un événement historique. Stephen Kimber
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