La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques
Comment les approches politiques relatives à la polygamie ont-elles tenu compte des expériences et des droits des femmes? Une analyse comparative internationale
INTRODUCTION
Ce rapport vise à proposer des recommandations en matière de législation et de politique
pour traiter des controverses et des obstacles sociaux variés que la polygamie soulève. Plus particulièrement, il présente des recommandations dont l'objectif est d'assurer que les réponses canadiennes à cette question reposent sur des engagements à l'égard de l'égalité des sexes et à
la préservation des droits des femmes et de leurs enfants. Ainsi, alors que la polygamie soulève une foule de questions reliées à des sujets comme la liberté de religion, le rôle de l'État dans la réglementation des relations familiales « privées » et la reconnaissance des mariages polygames qui ont été contractés dans des pays étrangers conformément aux principes du droit international privé, ce rapport envisage ces enjeux principalement du point de vue des droits des femmes et de l'égalité des sexes.
Actuellement, le Code criminel du Canada interdit les pratiques de « bigamie » (par. 290(1)) et de « polygamie » (par. 293(1)). La première infraction a trait à une personne qui contracte un mariage alors qu'elle est déjà mariée ou avec une autre personne qui est réputée mariée. L'infraction de polygamie, de son côté, ne porte pas nécessairement sur l'acte de se « marier » en soi, mais sur le fait d'avoir plus d'une conjointe ou d'un conjoint ou de vivre en union conjugale avec plus d'une personne simultanément (voir Chapman 2001, p 11; Forbes 2003, p. 1518; Bourdelois 1993, p. 3). La polygamie a donc trait à la pratique du mariage multiple ainsi qu'à la pratique qui consiste à entreprendre des relations simultanées qui s'apparentent à des mariages multiples.
Étant donné que le concept de polygamie est plus large et peut comprendre la bigamie, la littérature multidisciplinaire sur ce sujet tend à en faire son centre d'intérêt. Il faut remarquer
que même si les femmes et les hommes peuvent pratiquer la polygamie, celle-ci se caractérise
- dans toutes les collectivités du monde où elle s'exerce - par le fait d'hommes qui ont plusieurs épouses plutôt que de femmes qui ont plusieurs maris.
La structure et la composition particulières du mariage polygame typique, nommément la
situation où plusieurs femmes se « partagent » un homme comme conjoint, soulèvent des questions pressantes associées aux rapports entre les sexes. Plus particulièrement, nous pouvons nous demander si les structures familiales qui permettent aux hommes d'avoir plusieurs femmes, mais pas le contraire, peuvent vraiment exister en harmonie avec le principe de l'égalité des sexes. Nous pouvons aussi nous demander si les femmes pourraient en arriver à « choisir » librement
et activement de faire partie d'une telle structure familiale et, dans l'affirmative, quelles forces motiveraient un tel choix. Enfin, nous pourrions nous préoccuper de la nature des rapports entre les femmes qui doivent « partager » un mari et les effets de ces rapports sur le bien-être des femmes. Relativement à cette question, les effets sur les enfants qui sont élevés dans les communautés et les foyers qui sont caractérisés par la polygamie sont aussi un sujet d'intérêt.
Ce rapport porte sur ces questions en examinant les références qui documentent les expériences des femmes qui vivent, ou ont vécu, dans des cultures et des sociétés polygames. En rapport avec son deuxième objectif, ce rapport examine les façons dont la politique aborde la polygamie dans les différents États pour établir si ceux-ci tiennent compte efficacement des situations des femmes qui vivent dans un contexte de mariages multiples.
Dans cette foulée, la partie I de ce document examine les incidences sociales, économiques
et en matière de santé de la polygamie sur les femmes. Se fondant sur les études empiriques
et doctrinales ainsi que sur certains comptes rendus anecdotiques, cette partie jette la lumière
sur la vie des femmes qui vivent des rapports dans un contexte de polygamie. Elle conclut que la communauté mondiale des femmes qui vivent dans un contexte de polygamie est très hétérogène et qu'il est par conséquent impossible de tirer une conclusion unique et sans réserve quant à savoir si la polygamie est préjudiciable aux femmes. Les réponses adéquates à la polygamie doivent tenir compte de la diversité des expériences des femmes qui vivent dans un contexte
de polygamie, expériences qui sont largement façonnées par les forces sociales et culturelles.
La partie II de ce document entreprend un examen des approches juridiques et politiques en matière de polygamie dans différents pays du monde. Elle se penche sur le traitement accordé à la polygamie dans les pays où cette pratique est reconnue comme une forme valide du mariage ainsi que sur les différentes approches des pays qui interdisent les unions polygames et en font une infraction criminelle ou qui refusent de les reconnaître. Cette discussion permet une analyse de la mesure dans laquelle les approches juridiques et politiques actuelles à l'égard de la polygamie tiennent compte adéquatement des réalités et des intérêts des femmes qui vivent dans un contexte de mariages multiples.
À partir de la discussion qui forme les deux premières parties de ce rapport, la troisième et dernière partie, présente une argumentation au sujet des principes les plus adéquats qui devraient être adoptés pour préparer une réponse efficace et équitable à la polygamie au Canada. Elle présente une série de principes qui devraient présider à l'élaboration des politiques et de la législation et se termine par une série de recommandations plus particulières à cet égard.
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