Condition féminine Canada

Éviter le menu de navigation (touche d'accès z)
| | | |
| | | |
| | |
Drapeau du Canada
Vue d'ensemble
--
Bon de commande
--
Liste alphabétique
--
Liste par sujets
--
Publications de recherche en matière de politiques
--
Recherche

Formats de rechange
Acrobat 5 (1 984 ko)
Commander : 05-S-006

Laissez vos commentaires pour cette publication
--
Vous êtes ici : ... > ... > Recherche en matière de politiques > La polygamie au Canada :  ...

Publications

La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques

Comment les approches politiques relatives à la polygamie ont-elles tenu compte des expériences et des droits des femmes? Une analyse comparative internationale


Précédente Table des matières Prochaine

PARTIE I - LES FEMMES ET LEURS EXPÉRIENCES DE LA POLYGAMIE : EXPÉRIENCES SOCIALES, ÉCONOMIQUES ET EN MATIÈRE DE SANTÉ

Cette première partie du rapport discute de la littérature qui traite des conditions des femmes qui vivent dans un contexte de mariages polygames. Cette littérature se fonde sur la recherche universitaire effectuée dans différentes disciplines, comme le droit, la sociologie et l'anthropologie ainsi que sur les rapports au sujet des femmes qui ont vécu ou qui vivent actuellement dans des collectivités où le mariage multiple est une pratique commune et sur les témoignages personnels de ces femmes.

Des sources pertinentes ont été examinées pour obtenir une idée de la façon dont les structures familiales polygames touchent la vie des femmes sur les plans social et économique ainsi qu'en matière de santé et de bien-être généraux. La littérature a fait l'objet d'une recherche et d'une lecture qui ont permis d'obtenir les témoignages des femmes qui vivent dans un contexte de polygamie, tant au pays qu'à l'échelle internationale. Nous soutenons que ces témoignages doivent être pris en considération par les législateurs et les décisionnaires qui cherchent à préparer une réponse à la polygamie qui soit cohérente avec les valeurs et les objectifs canadiens principaux, particulièrement avec l'égalité des sexes.

Les entrevues directes et les sondages auprès de femmes engagées dans des mariages polygames ne faisaient pas partie de la méthode de recherche pour ce rapport, mais l'utilisation de ces méthodes serait extrêmement précieuse pour comprendre comment les femmes vivent la polygamie. Ainsi, si le présent rapport devait servir à lancer une discussion au sujet des femmes qui vivent dans un contexte de polygamie, il ne devrait pas être interprété comme une analyse exhaustive ou comme le mot de la fin sur ce sujet. Dans ce domaine, le discours reste encore à élaborer et il bénéficierait immensément d'une recherche additionnelle qui incorporerait, comme part fondamentale de sa méthodologie, un dialogue direct avec les femmes qui vivent dans un contexte de polygamie.

Les femmes et la polygamie : expériences sociales

Les auteures et les auteurs qui ont écrit au sujet des femmes qui vivent dans des sociétés polygames révèlent les dynamiques sociales variées qui s'exercent dans ces collectivités. Il est impossible de réduire la littérature sur ce sujet à un énoncé général sur les aspects sociaux de la vie en contexte polygame pour les femmes : la polygamie n'est ni entièrement « bonne » ni entièrement « mauvaise » pour les femmes. Les conséquences sociales du mariage multiple sont beaucoup plus complexes que cela. À certains titres, la structure sociale d'une famille polygame (nommément le fait que deux femmes ou plus partagent un mari et, peut-être, le même foyer) peut forger un sentiment de soutien et, même, de « sororité » entre les épouses. Par ailleurs, les femmes qui vivent dans un contexte de polygamie, même si elles collaborent à l'occasion, entrent vraisemblablement en compétition les unes avec les autres dans des circonstances différentes. Elles peuvent aussi ressentir la contrainte sociale de la subordination à leurs maris, étant donné que si les femmes doivent partager un même et seul conjoint, les maris peuvent avoir plusieurs femmes.

Ensuite, ce rapport discute des effets sociaux les plus communs de la polygamie, selon ce qui se dégage des écrits sur le sujet : la rivalité, la collaboration et le soutien entre les coépouses, l'isolement des familles et des communautés polygames ainsi que les inégalités qui peuvent surgir des structures familiales patriarcales. De plus, en raison des rapports d'interdépendance entre les femmes et leurs enfants, une quantité importante de la recherche sur les femmes dans un contexte de polygamie traite aussi des incidences sociales et psychologiques de la vie en polygamie sur les enfants. Nous commentons donc cette littérature dans la partie finale de cette discussion.

Rivalité entre les coépouses

Compte tenu du fait que la polygamie se caractérise normalement par l'union d'un seul homme avec deux femmes ou plus, la compétition et la jalousie entre les coépouses est une observation commune au sein des communautés qui pratiquent le mariage multiple (Al-Krenawi et coll. 1997, 2001; Al-Krenawi 1998; Chambers 1997, p. 66; Madhavan 2002; Starr et Brilmayer 2003, p. 245-246; Wing 2001, p. 855; Al-Krenawi et Graham 1999, p. 502; Thompson et Erez 1994, p. 31; Jelen 1993, p. 47-48). Cette situation est prévisible, car les coépouses passent vraisemblablement très peu de temps seules avec leur mari qu'elles partagent et doivent donc lutter pour attirer son attention et ses faveurs. Dans certaines communautés polygames, l'estime de soi des femmes est liée au nombre d'enfants qu'elles portent et le fait de passer du temps avec leur mari est crucial pour leur situation au sein de la famille et de la communauté (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 6).

La recherche révèle que, dans certains contextes, la jalousie entre les coépouses peut atteindre des niveaux intolérables et peut provoquer des blessures physiques chez les femmes. Les témoignages d'immigrantes qui sont engagées dans des mariages polygames en France en fournissent un exemple brutal. Comme elles ont déménagé dans un pays où les frais de subsistance sont beaucoup plus élevés que dans leur pays d'origine, il arrive souvent que les familles polygames ne puissent plus détenir une résidence pour chacune des femmes du mari et ses enfants (Starr et Brilmayer 2003, p. 247). Il en résulte souvent que tous les membres d'une famille polygame vivent ensemble en trop grand nombre et dans des conditions d'encombrement, ce qui instaure un environnement qui aggrave le stress et les conflits entre les coépouses. En réalité, il y a eu des rapports au sujet de femmes qui ont été traitées dans des hôpitaux de Paris pour des blessures physiques subies lors de confrontations entre les membres d'une même famille, souvent des coépouses. D'autres femmes ont tenté de se suicider en raison de la tension au foyer (Bissuel 2002; Simons 1996).

Les conséquences négatives de la rivalité entre les coépouses pourraient être particulièrement difficiles pour les premières ou les « plus anciennes » épouses dans certaines cultures. Par exemple, la recherche empirique d'Al-Krenawi et coll., qui portait sur des épouses multiples palestiniennes, a révélé que les épouses les plus anciennes au sein des familles polygames sont souvent moins favorisées par leur mari. Elles ont tendance à avoir moins de ressources économiques et à recevoir moins d'attention et de soutien conjugaux que les épouses plus récentes. Ce traitement différent accordé par le mari est attribué au fait que les épouses palestiniennes plus anciennes sont normalement mariées à des hommes dans le cadre de mariages arrangés fondés sur l'échange, alors que les épouses suivantes, plus récentes, sont choisies par les maris et leurs mariages sont fondés sur l'amour (Al-Krenawi et coll. 2001, 2002).

Cependant, d'autres commentateurs offrent un point de vue différent sur la dynamique entre les épouses plus anciennes et plus récentes. Dans certaines cultures, le fait de devenir une épouse plus ancienne constitue une promotion au sein de la hiérarchie familiale. Cette promotion suscite le respect et l'obéissance des épouses plus récentes, particulièrement en l'absence du mari (Ahmed 1986, p. 63; Thompson et Erez 1994, p. 30-31). Les épouses plus anciennes peuvent exercer une autorité et un contrôle considérables sur les épouses plus récentes et peuvent aider les maris à choisir une femme additionnelle pour aider aux soins des enfants et aux responsabilités domestiques. Par ailleurs, le fait qu'un mari choisisse de façon indépendante une femme sur la foi d'un « amour romantique » causera vraisemblablement des querelles entre les épouses (Gage-Brandon 1992, p. 291).

La discussion de Wing (2001) relativement à la rivalité entre la première épouse et les épouses additionnelles est aussi éloquente. Elle révèle en effet que la situation de chaque femme dépend largement de la culture juridique et sociale dans laquelle s'inscrit le mariage. Dans sa discussion des femmes musulmanes polygames qui vivent en Angleterre, elle a observé que les premières épouses recevaient le statut le plus favorable. Comme la polygamie est illégale à l'intérieur des frontières du Royaume-Uni, une épouse autre que la première n'est pas considérée comme une épouse sur le plan juridique et ne peut donc pas être présentée ouvertement à ce titre dans tous les cercles sociaux. Souvent, des épouses autres que des premières épouses vivaient dans un logement inférieur et voyaient leur mari moins fréquemment que les premières épouses. Bien que ces femmes trouvaient ces conditions insultantes, elles avaient le sentiment de demeurer de « véritables épouses », même si leurs mariages n'étaient pas reconnus en vertu du droit civil (Wing 2001, p. 855).

Cette situation pourrait survenir dans tout pays qui interdit et rejette la polygamie. Dans ces contextes, la première épouse pourrait être dans une position privilégiée, puisqu'elle est la seule à être reconnue comme une conjointe par le droit. Les conjointes additionnelles mariées en vertu du droit religieux seraient privées de la reconnaissance de leur statut de conjointes et des avantages qui s'y rattachent et pourraient devoir dissimuler leurs relations conjugales pour éviter les poursuites pénales3.

La possibilité de traitement inégal des coépouses par leurs maris est un facteur dont les femmes en contexte de polygamie sont particulièrement au courant, sans égard à leurs antécédents culturels. Parmi les femmes qui ont participé à l'étude que Dangor a effectuée sur les femmes musulmanes de l'Afrique du Sud, seule une petite minorité était favorable à la polygamie. Dans une proportion encore plus réduite, les femmes indiquaient qu'elles seraient d'accord pour conclure un mariage polygame si elles en avaient la possibilité. Ces opinions étaient fréquemment justifiées par des sentiments selon lesquels la polygamie engendre l'inégalité entre les coépouses, puisqu'un mari ne peut pas s'occuper de plus d'une épouse et répondre aux besoins de toutes, et donne aux hommes un « pouvoir et une autorité sans bornes » (Dangor 2001, p. 117). Des points de vue semblables ont été exprimés par des femmes qui ont été interrogées dans le cadre d'une recherche sur la polygamie au Mali. Les femmes ont signalé que l'inégalité faisait partie intégrante de la polygamie, car elle conduisait inévitablement un mari à favoriser une épouse (habituellement la plus jeune et la plus attrayante) au détriment des autres (Madhavan 2002, p. 75).

Collaboration et soutien entre coépouses

Alors que les femmes mariées au même homme pourraient avoir entre elles des rapports de jalousie et, peut-être, d'animosité, certaines, qui vivent dans un contexte de mariages multiples, considèrent leurs rapports avec leurs coépouses comme étant enrichissants et précieux. C'est le point de vue qu'avaient les femmes d'Afrique du Sud qui ont été étudiées par Anderson (2000). Celles-ci avaient la perception que leurs rapports avec leurs coépouses fournissaient un soutien économique crucial, une camaraderie et un aide pour les soins des enfants. Les rapports entre les coépouses ont été considérés comme particulièrement avantageux pour le pouvoir économique et politique des femmes là où il y avait une relation familiale entre les coépouses (Yanca et Low 2003).

Les chercheuses et les chercheurs qui ont étudié les communautés polygames américaines ont aussi observé que les femmes profitent de la camaraderie et de l'amitié que la polygamie permet entre femmes ainsi que du partage de l'éducation des enfants et des responsabilités domestiques (Chambers 1997, p. 73-74; Forbes 2003, p. 1542-1543). Même si les femmes peuvent se sentir mal à l'aise et envieuses lorsqu'une nouvelle épouse se joint au ménage, ces sentiments s'estompent habituellement à mesure que la famille et la communauté travaillent pour assurer des rapports harmonieux entre les femmes et le traitement égal des épouses. Aussi les femmes encouragent-elles souvent leur mari à marier d'autres épouses (Chambers 1997, p. 73-74).

Outre la camaraderie et l'aide relative aux responsabilités domestiques, le réseau de femmes que la polygamie engendre offre d'autres avantages sociaux. Forbes a observé que lorsqu'il y a des problèmes ou des abus dans un foyer, les femmes peuvent s'unir pour contrer cette situation et s'aider les unes les autres. Elles peuvent agir de manière semblable quand leur mari s'engage dans des activités qu'elles désapprouvent. En exprimant leur insatisfaction collectivement, les femmes ont une plus grande possibilité de faire cesser ou de modifier le comportement contesté (Forbes 2003, p. 1542-1543). Il faut toutefois signaler que la recherche présente aussi un portrait qui contraste radicalement avec celui que nous venons de faire des rapports entre coépouses. Hassouneh-Philips (2001, p. 744-746), dans son étude des femmes musulmanes sunnites engagées dans des mariages multiples en Amérique, a observé que la violence familiale survient souvent sans contrôle, même si les coépouses sont pleinement conscientes de la conduite du mari. Elle émet la suggestion que cela se produit parce que les femmes se sentent démunies devant la violence conjugale ou simplement parce qu'elles ne veulent pas intervenir. Les coépouses pourraient même être les auteures de la violence familiale4.

Il y a donc des incohérences marquées dans la littérature sur la nature des rapports entre les coépouses engagées dans un mariage polygame. Bien que certaines sources indiquent que les femmes qui sont engagées dans des mariages multiples rivalisent les unes avec les autres, d'autres soutiennent que les femmes se développent socialement et économiquement dans le contexte de la polygamie, principalement en raison du réseau qu'elles créent avec leurs coépouses. Est-il possible de réconcilier ces points de vue différents?

L'étude qu'a faite Madhavan (2002) des femmes polygames au Mali laisse à penser que la réponse peut être affirmative. Elle a observé que les structures familiales polygames sont également capables de susciter la collaboration ou la compétition entre les coépouses, mais que cela dépend du contexte socioculturel qui façonne la famille polygame. Les femmes, en fait, épousent le modèle de comportement qui leur permet le mieux de subsister dans leurs structures familiales et culturelles, et d'en profiter. Ainsi, si les coépouses doivent se soutenir et s'entraider, elles vont vraisemblablement collaborer. Cependant, si cette interdépendance n'existe pas et s'il y a peu d'incitations pour que les coépouses s'allient, la compétition caractérise vraisemblablement les rapports entre elles.

Isolement des familles et des communautés polygames

Étant donné que la polygamie demeure criminalisée au Canada, les familles qui s'engagent dans cette pratique le font souvent clandestinement et sans l'afficher. Pour se protéger contre la curiosité et l'examen publics, une famille polygame doit minimiser ses contacts avec le monde « extérieur » et tenter de dissimuler ses relations conjugales et familiales.

L'isolement que nous pourrions attendre des communautés qui pratiquent secrètement la polygamie caractérise aussi le seul groupe qui pratique ouvertement la polygamie au Canada en ce moment. La communauté de Bountiful, située près de la ville de Creston, Colombie-Britannique, a été fondée il y a près de 60 ans par un groupe fondamentaliste dissident de l'Église mormone qui prônait la polygamie (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 4ff). Le mariage multiple continue de définir cette collectivité, qui comprend environ 1 000 membres (Globe and Mail 2005).

Vu son caractère polygame, Bountiful a suscité l'attention de la classe politique et du public au début des années 1990 (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 3), notamment ces derniers temps (Globe and Mail 2005). Néanmoins, bien que les résidents pratiquent le mariage multiple au vu et au su du public, des médias et des organismes d'exécution de la loi, la collectivité elle-même continue de tenir ses distances avec le reste de la société canadienne.

La nature cloîtrée de Bountiful s'est développée autour de ce que Peters (1994) a décrit comme une culture du secret typique des communautés mormones fondamentalistes. Les résidentes et les résidents de Bountiful vivent tous les aspects de leur vie au sein de leur communauté et sont donc rarement éduqués ou employés à l'extérieur de Bountiful (Palmer et Perrin 2004; Committee on Polygamous Issues 1993). La collectivité a aussi acquis une capacité croissante de répondre aux besoins sociaux et en santé de ses résidentes et de ses résidents, ce qui risque d'intensifier son isolement, car ceux-ci se déplaceront vraisemblablement moins à l'extérieur des frontières de la collectivité pour avoir accès aux ressources et aux services nécessaires (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 60, 105). Enfin, puisque le mariage au sein du groupe se conclut normalement comme en décident les chefs de file de la communauté, les structures familiales se moulent généralement dans les limites strictes de celle-ci (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 6-7). Étant donné que presque tous les aspects de la vie des membres du groupe se déroulent à Bountiful, ceux-ci demeurent presque exclusivement à l'intérieur des frontières sociales et physiques de la communauté. Comme une étude qui porte sur la situation à Bountiful l'a observé, « la vie de la plupart des membres du groupe se passe complètement au sein de l'environnement du groupe » (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 6).

Parallèlement, il faut être prudent quand on présume que l'isolement de la communauté de Bountiful résulte uniquement du choix des membres de cette collectivité de prendre ses distances par rapport à l'ensemble de la société canadienne. En réalité, le fait que la collectivité ait un style de vie très rural et paisible, porte des vêtements traditionnels et pratique la polygamie, qui est l'une de ses principales doctrines sociales et religieuses, la ferait vraisemblablement caractériser comme étant bizarre, différente et, peut-être même, suspecte aux yeux des autres Canadiennes et Canadiens. Ainsi, bien que les membres de la communauté de Bountiful puissent consciemment se retirer de l'ensemble de la société, ils demeurent un groupe marginal aussi parce que leur style de vie pourrait ne pas être accepté ou nécessairement compris par la plupart des Canadiennes et des Canadiens5.

Dans les collectivités qui se caractérisent par un isolement presque complet par rapport au reste de la société, il faut soulever deux préoccupations-clés relativement au bien-être de leurs membres. La première est la crainte que les personnes au sein du groupe, n'ayant jamais été exposées à autre chose, perdent la perspective et la capacité nécessaires pour faire des choix
de vie éclairés et autonomes. C'est particulièrement le cas quand les personnes dépendent de la communauté pour leur subsistance sur les plans social et économique. La deuxième préoccupation associée aux groupes sociaux isolés qui demeurent à l'abri de la participation et de la supervision publiques est le potentiel de violence au sein du groupe.

Perspective et capacité limitées de faire des choix de vie autonomes

Le Committee on Polygamous Issues, qui a étudié la dynamique du mariage multiple à Bountiful, soutient que l'adhésion à cette communauté découle d'une privation complète de liberté individuelle. Les adultes croient, et l'on apprend aux enfants, que la seule voie consiste à suivre les pratiques prescrites par leurs chefs de file6. Si un membre du groupe décidait, en dernière analyse, de quitter la communauté, la perspective semblerait extrêmement exigeante, sinon impossible, vu que la vie à Bountiful limite considérablement la communication avec l'ensemble de la société « extérieure » (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 11-12, 26ff; Cohen 2003)7. Il en découle qu'un membre qui chercherait à quitter la communauté n'aurait pas nécessairement accès aux services sociaux et en santé en raison de la crainte et de la méfiance qui aurait été entretenue à l'égard du monde extérieur à la communauté immédiate8. Qui plus est, une telle personne pourrait ne pas disposer des renseignements, des compétences et des ressources nécessaires pour entreprendre une nouvelle vie à l'extérieur de sa communauté.

Ward (2004) a formulé des préoccupations semblables dans son analyse de la polygamie en Amérique, dans laquelle elle prétend qu'il n'y a pas de justification juridique à ce que l'État permette ou sanctionne le mariage multiple. Elle conteste la notion selon laquelle les femmes qui s'engagent dans la polygamie y consentent de plein gré, vu l'isolement social et l'endoctrinement religieux auxquels elles sont assujetties durant toute leur vie. Ward prétend donc que les femmes sont des victimes de la « coercition religieuse » qui les prive de la capacité de choisir de se marier, d'avoir des relations sexuelles une fois mariées ou de mettre fin à leur mariage polygame (Ward 2004, p. 145-147).

Dans la même veine, l'âge auquel les femmes se marient dans le cadre d'unions polygames est souvent l'objet de discussions. On rapporte qu'il est commun que des adolescentes - certaines ayant à peine 14 ans - marient des hommes qui sont dans la quarantaine ou la cinquantaine et qui ont été choisis par les chefs de file religieux de la communauté (Al-Krenawi et Graham 1999, p. 501; Palmer et Perrin 2004; Ward 2004, p. 149; Peters 1994, p. 86-87). Il en découle que les arguments selon lesquels la décision d'une adolescente de se marier dans ce contexte est fondée sur son propre consentement éclairé et indépendant ont été rigoureusement contestés.

Cependant, l'argument qui veut que les femmes engagées dans la polygamie aient été forcées à se marier a aussi été contesté. Forbes (2003, p. 1544-1545) laisse à entendre que les jeunes femmes qui se marient dans un contexte de polygamie le font de leur propre chef, en accord avec leurs opinions et leurs valeurs religieuses. Il n'y a donc aucune violation de leurs droits dans ce contexte. Qui plus est, les femmes de la communauté de Bountiful ont récemment fait une sortie publique pour soutenir vigoureusement leur style de vie, maintenant fermement qu'elles ont fait des choix éclairés et volontaires relativement au mariage ainsi qu'aux relations et responsabilités familiales (D'Amour 2004a, b).

Dans une société polygame, la question du choix au regard du mariage est aussi liée très étroitement aux hiérarchies mâles qui se forment communément dans de telles communautés et qui dénotent des inégalités économiques et des injustices entre les hommes. Une caractéristique presque universelle des communautés polygames est que seuls les hommes les plus influents et de haut rang se marient. Dans plusieurs cas, l'épouse éventuelle et sa famille aime mieux un mariage avec un polygame qu'un mariage avec un homme non marié qui n'a pas beaucoup de moyens (Borgerhoff Mulder 1992; Anderson 2000, p. 104). Toutefois, nous pouvons encore questionner dans quelle mesure une femme a le « choix » en matière de mariage quand elle a pour options une vie avec un membre éminent et influent de la communauté qui est déjà marié, une vie avec un homme non marié qui n'est pas en mesure de soutenir sa famille et qui pourrait aussi être marginalisé par sa communauté ou une vie de femme non mariée dans une société qui envisage le mariage comme une institution sociale fondamentale.

Possibilité de violence

Le rapport produit par le Committee on Polygamous Issues indique que la violence au sein de la communauté de Bountiful était présente à grande échelle, particulièrement la violence contre les enfants. Néanmoins, cela a fait l'objet d'une supervision et d'une réaction publiques minimales. Le comité a relié directement ce phénomène à l'isolement de la communauté9. Des allégations de violence sexuelle, physique et psychologique ont aussi été formulées, en 2002, dans une plainte légale d'un groupe de femmes de Bountiful et par d'autres communautés au Canada et aux États-Unis. Ces femmes prétendaient avoir subi cette violence en raison de leur style de vie communautaire et polygame au sein de la communauté (Matas 2002b). Les femmes qui ont quitté Bountiful ont aussi demandé au gouvernement d'agir contre les hommes qui pratiquent le mariage multiple au sein de cette communauté (Matas 2002a). Bien qu'une enquête de la GRC au sujet de ces allégations de violence contre les enfants, de mariage forcé et d'exploitation sexuelle ait été amorcée, en 2004, aucune accusation n'a été portée jusqu'à maintenant (Globe and Mail 2005).

Il faut aussi tenir compte des opinions des femmes qui demeurent toujours à Bountiful à cet égard. Certaines se sont récemment prononcées fortement en faveur de leurs chefs de file, mettant en doute les allégations de violence et prétendant que les femmes ont des vies heureuses et satisfaisantes à Bountiful. Elles soutiennent qu'elles n'ont pas été dupées ni forcées de se marier, mais qu'elles ont choisi volontairement leur style de vie (D'Amour 2004a,b). Plus récemment, cependant, un groupe de 15 femmes de Bountiful a participé à une conférence sur l'exploitation sexuelle et les enfants fiancés, soutenant que l'âge du consentement sexuel, au Canada, devrait passer de 14 à 16 ans (CTV 2005a,b).

Il y a donc une certaine ambiguïté dans les opinions des femmes de Bountiful relativement à la polygamie. D'un côté, elles se sont prononcées publiquement en faveur de leur style de vie, contestant les prétentions de violence et de coercition. Mais, simultanément, leurs déclarations au sujet de l'âge légal du consentement pourraient signaler une préoccupation ou une insatisfaction relativement à certains aspects des pratiques traditionnelles du mariage dans leur communauté. Cela laisse à penser qu'il y a nécessité d'une étude plus approfondie des intérêts et des préoccupations véritables des femmes qui vivent actuellement dans des familles polygames, particulièrement en s'informant directement auprès de ces femmes.

On a aussi rapporté des allégations de violence et de mauvais traitements à l'égard des enfants dans le domaine de l'éducation. Les enfants de cette collectivité ont traditionnellement fréquenté une école locale, qui est financée par le gouvernement, mais administrée par des membres du groupe. Au moment où le Committee on Polygamous Issues préparait son rapport, les membres du conseil scolaire, le directeur et le surveillant étaient tous des membres du groupe. De plus, plusieurs femmes de Bountiful ont reçu une formation pour devenir des enseignantes dans cette école (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 32ff).

L'environnement de l'école de Bountiful a été caractérisé ainsi : émotionnellement violent dans certains cas; persistant dans la prestation d'une éducation pour les enfants qui ne respecte pas les normes (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 35-37; Matas 2002b; Peters 1994, p. 63ff; Carmichael 2004; Cohen 2003). Toutefois, comme l'école est administrée entièrement au palier local, elle est à l'abri de la supervision et de l'examen publics. Vu que le surveillant était, au moins au moment de la publication du rapport du comité, aussi un des chefs religieux du groupe, et compte tenu de l'autorité détenue par ces chefs de file, les parents enclins à se plaindre de l'environnement scolaire pourraient être dissuadés de le faire par crainte de la marginalisation sociale et des représailles (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 32-33).

Relations maritales et questions d'égalité des sexes

Dans presque toutes les sociétés étudiées pour la préparation de ce rapport, la polygamie était de type « polygyne », c'est-à-dire qu'elle se caractérisait par l'union d'un mari et de plusieurs épouses. Très peu de sociétés polygames dans le monde sont « polyandres », c'est-à-dire marquées par deux maris ou plus qui partagent une seule et même épouse. La polyandrie est rare, car elle tend à limiter la réussite de la reproduction mâle. Comme Levine et Silk (1997, p. 376) l'ont observé, « un homme marié dans un contexte de polyandrie peut s'attendre à être le père d'une fraction seulement des enfants de la femme ». La polyandrie peut toutefois survenir dans des circonstances qui entravent la capacité des hommes de soutenir adéquatement leurs femmes et leurs enfants (Levine et Silk 1997, p. 376).

Comme la vaste majorité des communautés polygames dans le monde sont constituées de familles dirigées par un mari qui a plusieurs épouses, nous pouvons nous demander quelles sont les conséquences de ces structures sociales pour l'égalité des sexes. En particulier, nous pouvons nous demander si une union dans le cadre de laquelle deux femmes ou plus doivent « partager » un mari, qui, de son côté, a plusieurs partenaires sexuelles et domestiques, est intrinsèquement discriminatoire.

On peut répondre à cette question en prétendant que les femmes sont, en réalité, les principales bénéficiaires de la polygamie. Étant donné la structure des familles dans un contexte de mariages multiples, les hommes ont la responsabilité singulière de pourvoir aux besoins de leurs épouses multiples et de plusieurs enfants, alors que les femmes peuvent profiter de ce soutien économique. Les femmes pourraient aussi trouver une source constante de soutien social chez leurs coépouses (Forbes 2003, p. 1543). En outre, pour certaines femmes, le mariage multiple pourrait représenter une importante contribution à la légitimité de leurs propres compréhensions culturelles ou religieuses de la vie familiale. Ces mariages pourraient donc symboliser une association cruciale aux valeurs traditionnelles, qui pourrait apporter une certitude et une sécurité quant au rôle des femmes au sein de leur ordre social et culturel connu (Rude-Antoine 1991). Enfin, on a prétendu que, bien que la polygamie instaure une structure familiale dans laquelle les hommes et les femmes pourraient ne pas avoir une autorité et un pouvoir égaux, cela seul est insuffisant pour considérer que la pratique est préjudiciable aux femmes, particulièrement quand on tient compte du patriarcat inhérent dans les religions moins marginales (Chambers 1997, p. 82).

Tout cela étant dit, on a activement prétendu que la polygamie est intrinsèquement discriminatoire et inhibe l'égalité des sexes (Adjetey 1995, p. 1357; Strassberg 1997, p. 1592ff; Eskridge 1996, p. 149; Agadjanian et Ezeh 2000; Ward 2004). Comme M'Salha (2001, p. 77) l'a observé, l'acceptation juridique de la polygamie est suffisante pour contrevenir à l'égalité des femmes, même à l'extérieur d'un contexte de mariage polygame. Le fait de vivre dans l'incertitude constante en se demandant si un mari se mariera de nouveau force une femme à vivre sous une épée de Damoclès durant tout son mariage.

Un argument-clé soulevé par les opposants à la polygamie a trait à la possible capacité de miner l'autonomie des femmes sur le plan de la reproduction. Vu la compétition fréquente entre les coépouses et que la valeur des femmes dans les sociétés polygames est souvent reliée au nombre d'enfants qu'elles ont, les femmes perdent la capacité de contrôler les décisions reliées à la reproduction (Adjetey 1995, p. 1358; Committee on Polygamous Issues 1993, p. 8-9). De plus, les cultures polygynes se caractérisent par des structures familiales patriarcales à l'intérieur desquelles les femmes ont une capacité marginale de remettre en question l'autorité d'un mari et d'exprimer leurs souhaits personnels, même au regard de questions privées, comme le fait d'avoir des enfants (Agadjanian et Ezeh 2000; Kaganas et Murray 1991, p. 128-129).

Dans la littérature qui discute des relations maritales polygames, on rapporte communément que la nature patriarcale de la polygamie conduit non seulement les femmes à la subordination, mais aussi à la violence sexuelle, physique et émotionnelle de la part du mari à leur endroit (Chambers 1997, p. 66, 73-74; Al-Krenawi et Graham 1999, p. 501ff; Al-Krenawi et Wiesel-Lev 2002, p. 158; Hassouneh-Phillips 2001, p. 741ff; Thompson et Erez 1994; Committee on Polygamous Issues 1993, p. 78ff). Néanmoins, il faut rappeler que la violence conjugale caractérise aussi trop de rapports monogames et que cette difficulté ne se présente pas uniquement dans les situations de mariages multiples. Cela étant dit, quand l'inégalité des sexes se trouve au coeur du mariage polygame, on peut prétendre qu'il existe un risque accru de violence conjugale.

Ce serait aussi une erreur de croire que tous les mariages polygames comportent de la violence. Plusieurs femmes qui vivent dans un contexte de polygamie ont soutenu le mariage multiple et semblent trouver bonheur et satisfaction au sein de leurs structures familiales (D'Amour 2004a,b; Carmichael 2004). Certaines anecdotes révèlent un amour et une camaraderie authentiques entre les conjointes et le conjoint polygames et au sein de toute l'unité familiale, ce qui nous invite à nous demander si la polygamie est intrinsèquement dommageable aux relations maritales (Palmer et Perrin 2004; Solomon 2003).

Un dernier point à considérer à la rubrique des relations maritales polygames est le lien entre la polygamie et le divorce. La question de savoir si les mariages multiples conduisent plus vraisemblablement à la discorde et, subséquemment, à la dissolution n'a pas obtenu de réponse concluante. Il y a des témoignages qui laissent à penser que la décision d'un mari de prendre une épouse additionnelle plus jeune fait fréquemment en sorte que les femmes souffrent d'une faible estime de soi et, peut-être, considèrent le divorce (Al-Krenawi et coll. 2001). La discussion de M'Salha's (2001, p. 174) au sujet des mariages multiples au Maroc soutient que la polygamie risque de déstabiliser le ménage et la vie des enfants et conduit les femmes à expérimenter des degrés élevés d'insécurité et d'incertitude. Le divorce pourrait être le résultat prévisible10. Pour certaines femmes, cependant, le divorce n'est pas une option. Bien que plusieurs femmes puissent se sentir anéanties lorsque leur mari prend des épouses additionnelles, elles peuvent avoir l'impression qu'elles n'ont d'autre choix que d'accepter la situation (Al-Krenawi et coll. 1997, p. 453; Al-Krenawi et Wiesel-Lev 2002, p. 161-162)11.

Toutefois, d'autres travaux ont présenté des arguments relativement au fait que les femmes engagées dans la polygamie se sentent plus en sécurité au sujet de leur mariage que les femmes qui vivent des unions monogames. Cette recherche indique que les mariages polygames ont moins tendance à se dissoudre (Forbes 2003, p. 1542-1543). Bien que, comme nous venons de le signaler, M'Salha ait indiqué que la polygamie pose une menace sérieuse au mariage, il a aussi observé que dans les communautés islamiques marocaines, la polygamie pourrait être avantageuse pour une épouse. En particulier, elle permet à un mari de prendre une nouvelle épouse plus jeune sans répudier12 sa première épouse. Les conséquences sociales de la répudiation peuvent être pires pour les femmes que les conditions de vie dans un mariage polygame (M'Sahla 2001, p. 175).

Il est donc difficile de tirer une corrélation distincte entre la polygamie et le manque d'harmonie marital et le divorce. La complexité de cette question apparaît évidente dans une étude basée sur le Nigeria (Gage-Brandon 1992). Celle-ci a révélé que la probabilité du divorce dans les mariages polygames variait considérablement selon le nombre des épouses au sein de l'union. Cette recherche a conclu que les unions les plus stables étaient celles où un homme mariait deux épouses. Ces mariages se sont soldés par un divorce moins fréquemment que les mariages polygames qui comportaient plus de deux épouses. Ils avaient aussi moins tendance à conduire au divorce que les unions monogames. À ce titre, cette étude a révélé que le fait d'envisager les mariages polygames et monogames comme une dichotomie pouvait conduire à des généralisations erronées au sujet de chacun.

Enfants dans un contexte de polygamie et rapports des femmes avec leurs enfants

La recherche qui examine l'expérience des femmes en matière de polygamie jette aussi un éclairage sur les conditions des enfants qui sont élevés dans des familles où le mariage est multiple. En particulier, ces travaux permettent une analyse de la façon dont la dynamique sociale au sein des familles polygames pourrait avoir des effets sur les enfants et les jeunes. Cependant, cette recherche qui porte sur les expériences des enfants dans des familles polygames n'examine malheureusement pas séparément les filles et les garçons. Les données sont plutôt intégrées et révèlent que les enfants, les adolescentes et les adolescents se comportent généralement bien dans les domaines de la santé et des études. Cependant, certains rapports suggèrent qu'au moins dans les communautés mormones fondamentalistes, les filles et les garçons sont traités différemment. Plus particulièrement, alors qu'on exhorte les filles à demeurer dans leur communauté et à devenir des épouses durant leur adolescence, les chefs de file de la communauté incitent plusieurs adolescents à diminuer la « compétition » pour les jeunes épouses. En réalité, on rapporte que jusqu'à 400 garçons, aussi jeunes que 13 ans, ont été bannis de leurs communautés par les chefs de file fondamentalistes en Utah et en Arizona. Plusieurs de ces garçons ont été laissés sans foyer, sont devenus toxicomanes et se sont adonnés à la prostitution (Tresniowski 2005)13.

Rendement scolaire et développement intellectuel

La littérature comprend une discussion très élaborée sur la façon dont la polygamie pourrait affecter le développement intellectuel et scolaire d'un enfant. Certains facteurs touchent le rendement scolaire, sans égard au fait que l'enfant est élevé dans une famille polygame ou monogame (Cherian 1994). Mais les travaux d'Elbedour et coll. sur les adolescentes et les adolescents dans les communautés bédouines-arabes d'Israël étaient fondés sur l'hypothèse que les structures de la famille polygame engendraient des degrés moins élevés d'intelligence et de rendement scolaire parmi les jeunes des familles polygames (Elbedour et coll. 2003a,b, 2000).

Cette hypothèse était fondée sur l'association de la polygamie à des risques plus élevés d'inadaptation psychologique chez les enfants et à des familles dont les conditions socio-économiques étaient moins bonnes. Ces deux facteurs ont des effets sur le rendement scolaire. Différentes études confirment que les enfants issus de familles polygames ont un risque plus élevé de violence psychologique et physique. Bien que non entièrement concluante, la recherche indique que les enfants peuvent être affectés par la rivalité entre les coépouses et par le fait qu'un plus grand nombre d'enfants dans la famille peut signifier que ceux-ci passent moins de temps avec les parents et en reçoivent donc moins d'attention et de supervision, plus particulièrement de leur père (Elbedour et coll. 2003a, 2000, 2003b, p. 229; Strassmann 1997, p. 693; Jelen 1993, p. 48-49; Simons 1996). De plus, une structure de famille polygame pourrait diminuer les ressources économiques disponibles pour les enfants, les adolescentes et les adolescents, ce qui pourrait limiter leur accès aux livres et aux activités qui favoriseraient les aptitudes en apprentissage (Elbedour et coll. 2000).

Toutefois, malgré les facteurs économiques et sociaux qui sous-tendent l'hypothèse d'Elbedour et coll. selon laquelle la polygamie affecterait le rendement scolaire des jeunes, les chercheurs ont conclu, en réalité, que la structure familiale d'une adolescente ou d'un adolescent n'avait pas d'incidences significatives sur le développement en milieu scolaire (Elbedour et coll. 2003a, 2000). Ce résultat a été attribué à différents facteurs uniques au groupe culturel bédouin-arabe qui faisait l'objet de l'étude. En particulier, parce que la polygamie n'était pas considérée comme une pratique « taboue » au sein de la communauté, les adolescentes et les adolescents avaient moins de probabilités de se sentir « différents » ou d'avoir honte de leur structure familiale. Et cela avait pour effet de favoriser leurs aptitudes en apprentissage et leurs capacités de lecture et d'écriture (Elbedour et coll. 2003a, 2000). Il y avait aussi une grande interaction entre les enfants et les jeunes issus de familles polygames et monogames au sein de leur communauté, ce qui leur donnait le sentiment de faire partie de la même communauté à titre de pairs, sans égard à la structure familiale (Elbedour et coll. 2003a). Enfin, en raison du degré élevé de mélange au sein de l'ensemble de la communauté, les pères avaient moins tendance à s'éloigner de leurs enfants pour de longues périodes, même s'ils avaient plusieurs épouses et enfants (Elbedour et coll. 2003a). Les pères au sein de cette communauté vivent souvent dans la même maison avec tous leurs enfants et leurs épouses multiples (Elbedour et coll. 2000). Ces facteurs ont tous été considérés comme favorisant la santé psychologique et l'estime de soi des jeunes issus de familles polygames.

Parallèlement, la recherche d'Elbedour et coll. sur les adolescentes et les adolescents diverge d'une autre de leurs études qui examine les incidences de la polygamie sur le développement des jeunes enfants de l'âge de l'école élémentaire au sein de la même communauté (Elbedour
et coll. 2003b). Cette dernière étude a conclu que les jeunes enfants issus de familles polygames tendent à connaître des degrés plus élevés de déficit d'attention et de problèmes comportementaux que les enfants des familles monogames. Les chercheurs posent comme postulat que ces jeunes enfants pourraient être plus affectés par la vie en contexte de polygamie que les adolescentes et les adolescents, car ils sont vraisemblablement plus attachés à leurs parents et à l'environnement immédiat de leur foyer et n'ont probablement pas encore développé les réseaux sociaux et les aptitudes mentales nécessaires pour composer avec un environnement familial stressant (Elbedour et coll. 2003b, p. 231-232).

Alors que les résultats des travaux d'Elbedour et coll., en relation avec des enfants plus vieux et des adolescentes et des adolescents, pourraient laisser à entendre que ces enfants pourraient avoir la capacité de surmonter les incidences préjudiciables de la polygamie, nous devons garder à l'esprit le contexte culturel particulier de leur recherche. L'acceptation et le soutien généralisés de la polygamie dans la culture bédouine-arabe, le mélange intense des jeunes issus de familles monogames et polygames et le fait que les pères partagent la résidence avec toutes les épouses et tous les enfants ne sont pas des traits de toutes les communautés polygames. Quand ces facteurs sont absents, nous pouvons nous attendre que la polygamie ait des effets nuisibles sur les enfants, les adolescentes et les adolescents. La recherche de Starr et Brilmayer (2003) sur les épouses africaines d'hommes polygames qui vivent en France semble appuyer ce point de vue. Ces chercheurs ont observé que, parce que l'ensemble de la société française n'accueillait pas bien les immigrants et désapprouvait la polygamie, les femmes et leurs enfants étaient ostracisés et isolés. Dans les écoles, les enfants craignaient la moquerie de leurs camarades de classe et les taux de délinquance parmi eux étaient relativement élevés selon les rapports (Starr et Brilmayer 2003, p. 246).

Dans la même veine, Ward soutient que les enfants des polygames américains souffrent de leur isolement physique et social. Comme ce serait le cas à Bountiful, l'éducation dans ces communautés - comme tous les autres aspects de la vie - est contrôlée par les autorités religieuses. Les réflexions et les croyances auxquelles les enfants sont confrontés sont contrôlées, leur laissant ainsi la seule possibilité d'apprendre les convictions des polygames et « fermant les yeux des enfants sur l'existence d'une vie autre que la polygamie » (Ward 2004, p. 149).

De plus, l'étude d'Al-Krenawi et coll. (1997, p. 451-452) dans les communautés polygames bédouines-arabes d'Israël a conclu que les enfants des épouses les plus anciennes souffraient particulièrement, car leur fréquentation scolaire était moindre, ils avaient plus de difficulté à s'adapter aux normes des classes et avaient moins tendance à avoir des rapports entre pairs et élève-enseignant fonctionnels. De plus, ces enfants manquaient souvent des fournitures scolaires adéquates. Le rendement scolaire des enfants des épouses les plus anciennes était donc bien en dessous de la moyenne.

Facteurs qui peuvent compromettre la santé des enfants

Certaines recherches laissent à penser que, comme les familles polygames ont habituellement plusieurs enfants, il ne peut pas y avoir suffisamment de supervision et d'attention pour tous (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 9). On a prétendu que la santé et le développement des enfants en souffraient (Ward 2004, p. 149-150)14.

Dans son étude des familles polygames au Mali, Strassmann (1997) a observé une augmentation marquée des taux de mortalité infantile dans les familles polygames comparativement aux taux chez les enfants de parents monogames. Cette différence pourrait être due à différents facteurs. Strassmann a signalé, en particulier, le risque que les enfants puissent être victimes de l'animosité entre les coépouses. Ce phénomène était devenu si intense dans la communauté malienne que Strassmann a étudiée qu'il y avait des rapports signalant que des coépouses exerçaient de la violence contre les enfants et, même, empoisonnaient les enfants des autres15.

Une autre théorie mise de l'avant par Strassmann (1997, p. 693-694) relativement aux taux différents de mortalité infantile entre les familles monogames et polygames est que les dernières pourraient investir moins dans leurs enfants, au moins dans le contexte malien. Comme les pères polygames produisent un plus grand nombre de descendants, en général, chaque enfant devient moins important à la réussite reproductive durant sa vie. De plus, les familles polygames peuvent avoir moins tendance ou être moins en mesure de payer des traitements pour les maladies infantiles.

La position opposée a aussi été avancée, bien que cette recherche semble plus équivoque que celle de Strassmann. Selon Anderson (2000), la polygamie pourrait en fait être avantageuse sur le plan des taux de survie des enfants, étant donné le réseau des coépouses qui existe dans un mariage multiple et qui peut favoriser des dispositions pour le soin des nourrissons et des enfants. Forbes (2003, p. 1544-1545) présente un argument semblable quand il observe que la multiplicité des épouses dans un ménage polygame permet une plus grande capacité d'assurer une supervision, une attention et des soins aux enfants. Cependant, cette recherche ne fait qu'émettre l'hypothèse que les structures familiales polygames peuvent être avantageuses pour la santé des nourrissons et des jeunes enfants, alors que l'étude de Strassmann montre un lien très clair entre la mortalité infantile et la polygamie dans la société qu'elle a étudiée. Les travaux de Strassmann sont renforcés du fait que d'autres variables, comme l'accès à la richesse et à l'alimentation, ne semblaient pas avoir d'incidences sur les taux de mortalité infantiles, ce qui apporte un soutien additionnel au lien établi avec la polygamie dans cette recherche. Strassmann a donc indiqué que les résultats de son étude « offrent la preuve la plus solide, à ce jour, d'un effet négatif de la polygynie sur la mortalité infantile chez les humains (Strassmann 1997, p. 694-695).

Résumé

Étant donné que la communauté des femmes qui vivent dans un contexte de polygamie est tellement hétérogène, il semble impossible de tirer une seule conclusion essentielle quant à savoir de quelle façon le mariage multiple affecte leur situation sociale et leur bien-être. Bien qu'il soit clair que certaines femmes souffrent d'incidences négatives sérieuses, d'autres soutiennent publiquement leur style de vie et se sentent satisfaites et habilitées par leurs relations familiales. Il existe une ambiguïté semblable au sein de la recherche qui porte sur les enfants qui vivent dans des familles polygames. Dans certains scénarios, ces enfants ne semblaient pas être affectés par la structure de leur famille polygame. Mais certaines recherches laissent aussi à penser que la polygamie peut placer les enfants sur la voie des préjudices, par exemple en les isolant socialement ou en les assujettissant aux rapports éventuellement haineux entre les coépouses. Puisque les aspects sociaux de la vie polygame pour les femmes et les enfants ne peuvent se réduire à une description unique et uniforme, les réponses politiques doivent être attentives aux réalités variées qui caractérisent les différentes situations de mariage multiple. Cette question fait l'objet d'une discussion plus poussée dans la dernière partie du présent rapport.

Les femmes et la polygamie : expériences économiques

Alors que les chercheuses et les chercheurs qui ont étudié les conséquences de la polygamie pour les femmes tendent à se concentrer sur les effets sociaux du mariage multiple, la littérature jette aussi un éclairage sur certaines répercussions économiques de la vie polygame. En particulier, on y discute des conditions économiques des femmes qui vivent dans des mariages multiples ainsi que des situations des femmes qui quittent les mariages multiples.

Les conditions économiques des femmes dans un contexte de polygamie

Il est difficile de prédire les répercussions économiques qui peuvent découler de la vie des familles polygames. D'un côté, nous pouvons présumer que, puisque la polygamie exige qu'un mari pourvoie aux besoins d'une pluralité d'épouses et, éventuellement, d'un grand nombre d'enfants, les ressources de la famille devraient être relativement rares pour chacun de ses membres. Qui plus est, si les épouses dans un contexte de mariage multiple sont plus vraisemblablement limitées à accomplir des tâches domestiques non payées, leurs sources de revenus autonomes devraient être limitées. Enfin, même si ces femmes devaient chercher un emploi rémunérateur, leur potentiel de gains pourrait être limité si elles étaient mariées et avaient des enfants alors qu'elles seraient très jeunes, ce qui entraverait leur capacité de poursuivre des études au-delà de ce point.

Par ailleurs, nous pourrions aussi penser que certaines femmes dans un contexte de polygamie connaissent la prospérité économique. Par exemple, nous pourrions présumer qu'un homme qui marie plusieurs épouses devrait être en mesure de subvenir financièrement à leurs besoins. Donc, si elle était mariée à un mari prospère, une épouse pourrait vivre dans une richesse relative, même si le revenu de son mari était partagé avec d'autres femmes. En outre, une structure de famille polygame pourrait favoriser, plutôt qu'empêcher, les femmes de rechercher des occasions d'éducation et d'emploi. Le fait que d'autres épouses pourraient soutenir une femme en aidant aux soins des enfants et aux responsabilités domestiques lui permettrait d'entreprendre des tâches qui offrent un potentiel de rémunération. Enfin, nous pourrions penser que les femmes mariées dans un contexte de polygamie profitent du fait qu'elles vivent avec ou près des autres membres féminins de la famille avec lesquelles elles pourraient collaborer à leur travail, leur permettant ainsi à toutes d'être plus productives.

La littérature sur cette question, lorsque considérée dans son ensemble, indique qu'aucune des hypothèses n'est tout à fait exacte ou inexacte. Dans une bonne proportion, les recherches laissent à penser que la polygamie prive les femmes de ressources économiques et de la capacité de gagner un revenu indépendamment de leur mari. Par exemple, une étude des mariages polygames au Ghana indique que les épouses qui vivaient dans un contexte de mariages multiples étaient plus marginalisées économiquement que leurs homologues monogames. Les épouses dans un contexte de polygamie travaillaient vraisemblablement moins pour elles-mêmes, car elles travaillaient le plus souvent pour un membre de la famille, habituellement leur mari. Les chercheuses et les chercheurs ont observé qu'un pourcentage considérablement plus élevé de femmes (84 pour cent contre 63 pour cent) recevaient de l'argent pour leur travail dans les régions où la prévalence de la monogamie était plus élevée que dans les régions caractérisées principalement par la polygamie. Les femmes qui se trouvaient dans des régions à plus forte prévalence de polygamie recevaient aussi vraisemblablement moins d'éducation officielle et supérieure. Les auteurs de cette étude soutiennent que les facteurs qui limitaient la possibilité que les femmes connaissent l'indépendance économique réduisaient aussi leur capacité à exercer une autonomie sociale et en matière de reproduction (Agadjanian et Ezeh 2000).

Bien qu'on ait rapporté que les femmes dans un contexte de polygamie perçoivent généralement des niveaux plus élevés de difficultés économiques (Al-Krenawi 2001, p. 191-192), certains travaux laissent entendre que les premières épouses, ou les épouses les plus anciennes, d'un mariage polygame sont particulièrement désavantagées (Al-Krenawi et coll. 2001; Al-Krenawi et Wiesel-Lev 2002). L'étude d'Al-Krenawi et coll., fondée sur des entrevues avec 187 femmes qui vivaient dans un contexte de mariages multiples dans la bande de Gaza, est particulièrement éloquente à cet égard. Étant donné la pauvreté répandue et les conditions politiques et économiques turbulentes qu'on retrouve dans cette région, la plupart des femmes qui ont participé à l'étude d'Al-Krenawi et coll. avaient fait l'expérience de difficultés sociales et économiques (Al-Krenawi et coll. 2001).

Cependant, les épouses les plus anciennes connaissaient des problèmes économiques considérablement plus importants que les épouses les plus récentes. Les chercheurs ont observé qu'aucune des épouses les plus anciennes ne travaillait à l'extérieur de la maison alors que 40 pour cent des épouses les plus récentes le faisaient. Les épouses les plus anciennes avaient aussi généralement moins d'instruction et un plus grand nombre d'enfants. Enfin, pour certaines épouses plus anciennes, le passage de la monogamie à la polygamie réduisait les ressources économiques pour elles et leurs enfants. Ainsi, le potentiel économique de ces femmes était perçu comme étant sérieusement entravé par la structure polygame de leur famille (Al-Krenawi et coll. 2001).

Les différences entre les conditions économiques des épouses les plus anciennes et les plus récentes, qui ont été observées dans les travaux d'Al-Krenawi et coll., pourraient s'expliquer par le fait que dans la plupart des cultures arabes où l'on pratique la polygamie, les premiers mariages sont souvent préarrangés entre les familles, alors que les deuxièmes unions ou les unions subséquentes sont plus vraisemblablement associées à l'amour au sein du couple et à un choix véritable de se marier. Il en découle que les deuxièmes épouses et les épouses additionnelles ont souvent un statut favorisé relativement aux ressources économiques, au soutien social et à l'attention qu'elles reçoivent de leur mari (Al-Krenawi et coll. 2001, 1997, p. 451; Jelen 1993, p. 47-48).

Bien qu'elle ne fasse pas de distinction entre la première épouse et les épouses subséquentes, la recherche reliée à la communauté polygame de Bountiful, Colombie-Britannique, indique que les femmes ont une capacité très limitée d'acquérir des ressources économiques. Les rapports entre les membres de la communauté et ceux qui existent entre ces membres et leurs chefs de file semblent rendre difficiles l'accession à l'indépendance économique pour toutes les résidentes et tous les résidents de Bountiful. Cependant, la situation est, y admet-on, plus difficile pour les femmes (Committee on Polygamous Issues 1993).

Selon le Committee on Polygamous Issues, la plupart des propriétés de Bountiful appartiennent, en fait, à une fiducie appelée United Effort Plan (UEP). Cette fiducie a été mise sur pied par un groupe des États-Unis affilié à Bountiful. Les membres de Bountiful ayant traditionnellement été encouragés à céder leurs propriétés à l'UEP, ils devenaient des locataires de leurs maisons respectives en les louant de la fiducie. La propriété en droit des maisons est donc, d'après ce qu'on rapporte, remise entre les mains des chefs de file de la communauté (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 7-8, 59; Peters 1994, p. 57ff; 72-73).

La fiducie UEP posséderait une quantité considérable des propriétés à Bountiful. Même si les membres du groupe ont construit les maisons et les bâtiments sur ces propriétés à leurs propres frais, ces bâtiments seraient, en fait, la propriété de l'UEP et les membres y résideraient à la discrétion de la fiducie. Si un membre quittait la communauté ou était rejeté par le groupe, cette personne était réputée avoir perdu toute propriété qu'elle avait construite ou payée, sans compensation financière (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 59).

Au sujet de l'emploi, le Committee on Polygamous Issues a signalé que les membres de Bountiful étaient habituellement employés localement par les chefs de file du groupe. Les salaires étaient bas et les heures, longues. Les membres devaient redonner au moins 10 pour cent de leurs salaires au groupe, mais souvent en donnaient plus, les travailleurs en conservant juste assez pour leur propre subsistance de base. Souvent, les femmes ne travaillaient pas et ne recevaient pas une grande aide financière de leurs maris. On leur demandait fréquemment de soutenir leurs enfants au moyen des allocations familiales gouvernementales (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 59).

Compte tenu de toutes ces conditions, le Committee on Polygamous issues a décrit les membres de la communauté de Bountiful comme vivant très frugalement. Les mères et leurs enfants vivaient souvent dans une seule chambre. Il n'était pas non plus hors du commun pour une famille étendue de plusieurs épouses et de tous leurs enfants de vivre dans une seule maison (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 59). Comme nous l'avons mentionné antérieurement, ces conditions sont semblables à celles qui ont été observées parmi les immigrantes qui vivaient dans un contexte de polygamie en France (Starr et Brilmayer 2003; Bissuel 2002).

Enfin, il faudrait remarquer que certains rapports allèguent que les femmes qui vivent dans un contexte d'unions polygames risquent de se faire exploiter économiquement par leur mari. Dans les États où les mariages polygames ne sont pas reconnus, les épouses multiples peuvent demander de l'aide sociale à titre de mères chefs de famille qui ont besoin d'un soutien pour les enfants. Toutefois, certains rapports laissent à penser que des maris ont confisqué ces sommes, ou d'autres sommes gagnées autrement par les femmes, pour pourvoir à leurs propres besoins et à leur style de vie polygame (Ward 2004, p. 148-149). En particulier, en France, on a rapporté que les hommes utilisaient le revenu de leurs épouses pour financer leurs retours dans leurs pays d'origine respectifs pour marier des épouses additionnelles (Bissuel 2002; Jelen 1993, p. 46; Simons 1996).

Bien que la discussion qui précède puisse indiquer que la polygamie a des conséquences négatives pour les femmes dans différentes sociétés polygames, il y a aussi des recherches pour laisser à entendre que ce n'est pas le cas de tous les mariages multiples. La polygamie pourrait, en réalité, être avantageuse pour les femmes, étant donné que, dans certaines sociétés, les maris polygames sont obligés d'être en mesure de soutenir financièrement leurs familles multiples16.

En outre, le réservoir de main-d'oeuvre que constituent les unités domestiques élargies réduit le besoin de travailleurs salariés, ce qui permet de conserver une plus grande part de la richesse du mari au sein de la famille de manière à y maintenir un niveau de vie plus élevé. Les coépouses pourraient aussi collaborer aux transactions commerciales et économiques, réduisant ainsi les coûts et produisant éventuellement un revenu au profit de l'unité familiale entière (Al-Krenawi 1998, p. 69; Anderson 2000). Ainsi, les ménages polygames pourraient, en dernière analyse, posséder plus de ressources économiques et de plus grands moyens de production pour leur subsistance que leurs homologues monogames (Lardoux et Van de Walle 2003, p. 821).
 
Vu ce qui précède, il semble que, bien qu'une part de la littérature laisse à entendre que la polygamie puisse être avantageuse pour les femmes, elle conduit plus souvent à des effets économiques qui leur sont nuisibles. Les études qui jettent un éclairage sur les expériences économiques négatives des femmes se fondent sur des analyses des caractéristiques particulières aux familles et aux communautés polygames qui nuisent à l'accès des femmes aux ressources. Elles indiquent que les femmes qui vivent dans des familles polygames ont connu des difficultés économiques en raison de leur structure familiale. À l'opposé, la recherche qui suggère que les femmes ont tout à gagner de la polygamie fonde cette position principalement sur des hypothèses. C'est-à-dire que cette recherche pose comme postulat que la dynamique et les rapports au sein des familles polygames permettraient aux femmes d'en tirer des avantages économiques. Ces études n'affirment toutefois pas que les femmes en tirent vraiment des avantages économiques. Il en découle qu'une évaluation globale de cette recherche laisse à penser que la capacité de l'une des épouses multiples d'acquérir les ressources nécessaires pour pourvoir à ses besoins et à ceux de ses enfants ou de parvenir à l'indépendance financière peut être entravée sérieusement. Sa capacité de survie serait alors limitée si elle décidait de mettre fin à son mariage polygame.

Les conditions économiques des femmes qui quittent leur mariage polygame

Certains commentateurs ont discuté des difficultés économiques que les femmes peuvent rencontrer si elles cherchent à mettre fin à leur mariage polygame. Ce phénomène est peu surprenant, compte tenu de la littérature qui existe sur le désavantage financier que le mariage et le divorce peuvent infliger aux femmes, même dans le contexte de la monogamie17. La question soulevée ici est de savoir si les femmes qui mettent fin à leur union polygame rencontrent des obstacles économiques particuliers.

Les témoignages des femmes qui ont quitté la communauté polygame de Bountiful suggèrent une réponse affirmative pour deux raisons particulières. Premièrement, comme nous en avons discuté précédemment, les femmes qui ont vécu dans cette communauté durant toute leur vie ont vraisemblablement eu des contacts limités avec des institutions et des personnes au-delà de leur groupe. Si elles cherchaient à quitter Bountiful, elles pourraient en être empêchées par une méfiance et une crainte de la communauté externe et par une incapacité à s'organiser pour rechercher et accéder aux ressources qui les aideraient à s'établir après avoir déménagé (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 26-28, 78ff; Cohen 2003).

Deuxièmement, comme nous l'avons indiqué, les femmes qui vivent dans un contexte d'épouses multiples à Bountiful ont peu ou pas de ressources économiques. Si elles partaient, elles pourraient ne pas posséder les aptitudes nécessaires pour gagner un revenu à l'extérieur de leur communauté. Elles auraient aussi une difficulté extrême à obtenir une pension alimentaire pour elles et leurs enfants de la part de leur mari respectif. Pour ce qui est de la pension alimentaire, il n'y a pas d'obligation claire de la part du mari, car, vu la nature polygame de ces mariages, le statut de conjointe de toutes les épouses sauf une dans les unions enregistrées est loin d'être déterminé.

De plus, même si un mari pouvait avoir une obligation légale de payer une pension pour les enfants (puisque la loi exige que les parents soutiennent leurs enfants sans égard à leur situation de famille), sa capacité réelle de le faire serait limitée. Comme nous l'avons décrit ci-dessus, même si un homme travaille à Bountiful, son revenu et ses actifs peuvent être grandement engagés dans la fiducie de l'UEP et envers les chefs de file de la communauté. En outre, comme ces hommes pourraient avoir des obligations concurrentes à l'égard d'autres épouses et enfants, le montant de pension qu'ils devraient payer pourrait être très limité. Donc, pour la plupart des femmes, la pensée de s'engager dans les difficultés et les dépenses nécessaires pour intenter une poursuite pour demander une pension ne serait pas très alléchante (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 27-28).

Dans certaines situations, les épouses multiples peuvent mettre fin à un mariage polygame en raison de forces externes plutôt que de leur propre choix. Quand les femmes passent d'un État qui reconnaît la polygamie à un État qui interdit cette pratique, elles peuvent n'avoir aucun autre choix que celui de vivre comme si elles n'étaient pas mariées à leur conjoint. En France, par exemple, la législation connue sous le nom de Loi Pasqua a été promulguée en 1993 pour éradiquer la polygamie chez les immigrantes et les immigrants du pays (Bissuel 2002). En vertu de cette loi (dont nous discutons plus en détail à la partie II du présent rapport), un homme polygame qui voulait résider en France ne pouvait vivre qu'avec une seule de ses coépouses. Il devait divorcer de ses autres épouses, qui devaient aussi quitter son foyer. Cette politique s'appliquait de manière prospective et rétroactive aux familles polygames qui avaient déjà immigré en France. Si un mari ne se conformait pas à la loi, lui et toutes ses épouses risquaient la déportation ainsi que la perte de leurs permis de travail et de résidence ainsi que les prestations d'aide sociale (Starr et Brilmayer 2003, p. 247). Toutefois, si un homme polygame avait des enfants ayant la citoyenneté française, il ne pouvait être déporté, mais il pouvait être privé des documents nécessaires pour travailler au pays. Lui et sa famille pourraient donc en arriver à vivre dans la pauvreté la plus abjecte (Bissuel 2002; Starr et Brilmayer 2003, p. 247ff).

En France, la Loi Pasqua a beaucoup pesé sur les femmes mariées dans un contexte de polygamie et sur leurs enfants. Le fait que les maris polygames et toutes leurs épouses, sauf une, aient été forcés de mettre fin à leur cohabitation a laissé plusieurs femmes sans autre choix que de laisser le foyer sans ressources financières. À Paris, où les logements sont rares et chers, leurs recherches d'un nouvel endroit où vivre ont souvent été vaines et, dans plusieurs cas, elles se sont retrouvées, à la fin, à squatter des immeubles abandonnés (Bissuel 2002; Starr et Brilmayer 2003, p. 247-248). Certaines femmes ont aussi été renvoyées dans leur pays d'origine (Starr et Brilmayer 2003, p. 248).

Résumé

Alors que certaines recherches indiquent que le mariage multiple permet aux femmes de jouir d'une plus grande sécurité économique, la plus grande partie de la littérature sur ce sujet révèle qu'il est plus vraisemblable que la vie polygame détériore la condition économique d'une femme et l'empêche d'avoir accès aux ressources nécessaires pour acquérir son indépendance financière. Les femmes qui mettent fin à un mariage polygame, ou qui sont forcées de le faire, peuvent aussi connaître des conséquences économiques désastreuses, car plusieurs ont très peu de ressources durant le mariage. Elles peuvent aussi connaître de sérieuses difficultés à accéder aux ressources sociales et économiques à l'extérieur de leur communauté. De plus, comme leur statut de « conjointes » est précaire là où la polygamie n'est pas reconnue, elles ont une capacité réduite d'obtenir une pension alimentaire ou tout autre redressement de nature matrimoniale.

Les femmes et la polygamie : expériences en matière de santé

Une dernière question qui mérite l'attention est la mesure dans laquelle le mariage multiple affecte la santé des femmes et leur bien-être général. La plus grande part de la discussion à ce sujet a traité de la santé des épouses multiples sur les plans psychologique et de la reproduction et laisse à penser généralement que les effets sur la santé que la polygamie peut entraîner dans la vie des femmes peuvent être très nuisibles.

Santé psychologique

Les influences psychologiques que la vie polygame peut avoir sur les femmes ont été étudiées par nombre de chercheuses et de chercheurs. Selon Al-Krenawi (2001, 1998, p. 69), les épouses polygames ressentent habituellement plus de problèmes de stress familial et de santé mentale que les femmes monogames. Le risque de maladie psychiatrique est particulièrement aigu pour la première épouse ou l'épouse la plus ancienne d'un mariage multiple. Dans leur étude des épouses polygames qui vivent à Gaza, Al-Krenawi et coll. (2001) ont observé que les épouses les plus anciennes exprimaient une grande détresse psychologique et un sentiment de deuil ou de perte lorsque leurs maris prenaient une deuxième épouse ou des épouses additionnelles. Plus particulièrement, elles ont fait l'expérience de sentiments d'échec et de faible estime de soi, sentiments qui étaient souvent renforcés par les perceptions de la famille et de la communauté. Les épouses les plus anciennes ont aussi fait l'expérience d'autres difficultés sur le plan de la santé mentale, comme l'anxiété et la dépression, et ce plus fréquemment que les épouses les moins anciennes. Cette recherche confirme les résultats d'une étude antérieure qui a examiné les expériences des épouses les plus anciennes (Al-Krenawi et coll. 1999).

Ce sentiment d'anéantissement et de perte qu'expérimente une femme quand son mari prend une épouse additionnelle ne se limite pas au contexte palestinien étudié par Al-Krenawi et coll.; il a aussi été rapporté par des femmes qui vivaient dans d'autres milieux socioculturels (Al-Krenawi et Graham 1999; Hassouneh-Phillips 2001, p. 740)18. Le mariage d'un mari avec une épouse additionnelle est souvent perçu comme traumatique et troublant par les épouses plus anciennes et leurs enfants (M'Salha 2001, p. 174). Ce développement entraîne un changement majeur dans la structure familiale et une réduction vraisemblable des ressources financières et de l'attention qu'un homme peut offrir à ses épouses et à ses enfants (Hassouneh-Phillips 2001, p. 740).

Certaines femmes pourraient aussi percevoir la polygamie comme ayant la possibilité de les priver de leur autonomie. Cette question a été discutée plus tôt; toutefois, elle mérite qu'on s'y penche encore une fois. Si une femme se sent obligée de conclure un mariage polygame et d'avoir des relations sexuelles une fois mariée (Ward 2004, p. 145-146; Committee on Polygamous Issues 1993, p. 8ff; Cohen 2003), cela affecte clairement son sentiment de dignité et de confiance en soi. Cela peut aussi nuire à sa conscience de soi et de son identité personnelle (Committee on Polygamous Issues 1993, p. 49-50).

Cependant, il faut observer que certaines femmes semblent jouir d'un degré élevé de santé psychologique et émotionnelle, en raison du style de vie que la polygamie permet (Forbes 2003; Chambers 1997). En particulier, les femmes peuvent profiter du potentiel de collaboration et de camaraderie entre les coépouses, comme nous l'avons mentionné antérieurement (Chambers 1997, p. 66-67, 73-74; Forbes 2003, p. 1542-1543; Madhavan 2002). On a aussi prétendu que la polygamie pourrait profiter psychologiquement aux femmes, car cela diminue la possibilité de divorce en offrant aux maris insatisfaits la possibilité de se remarier sans avoir à divorcer de leur première épouse. On peut prétendre que cela sert les intérêts des femmes qui vivent dans des cultures où le divorce pourrait leur causer une plus grande humiliation et un plus grand isolement au plan social que la vie dans un contexte de mariage polygame (M'Salha 2001, p. 175, 177).

Santé sexuelle et en matière de reproduction

La vie dans un contexte de polygamie peut aussi toucher la santé sexuelle et en matière de reproduction des femmes. L'étude de Lardoux et Van de Walle (2003) sur la polygamie au Sénégal porte sur les taux de fertilité des femmes dans les différents arrangements familiaux. Cette recherche indique que les femmes qui vivent dans un contexte de mariages multiples ont généralement des taux de fertilité inférieurs à ceux des femmes qui vivent dans un contexte de monogamie. On y observe que chaque fois qu'un mari polygame prenait une nouvelle épouse, ses épouses précédentes faisaient toutes l'expérience d'une réduction de la fertilité. En outre, l'épouse de premier rang (habituellement l'épouse la plus récente) était le plus vraisemblablement celle qui allait avoir un enfant en premier, vu qu'elle était probablement celle que le mari favorisait le plus. Des résultats comparables ont été obtenus dans une étude sur le rapport entre la polygamie et la fertilité au Ghana (Bhatia 1985) ainsi que dans une étude anthropologique au Mali (Strassmann 1997, p. 688).

Certaines recherches laissent cependant à penser que la polygamie et le nombre d'épouses qu'un mari a n'affectent pas nécessairement la fertilité des femmes. Ahmed (1986) soutient que d'autres variables, comme l'âge, l'éducation et la religion d'une femme ainsi que le rang d'une épouse ont des incidences plus importantes sur le degré de fertilité. Des recherches effectuées au Ghana et en Afrique du Sud ont aussi conclu que la polygamie n'avait pas d'incidences réelles sur les taux de fertilité des femmes (Sichona 1993, p. 480; Anderson 2000, p. 104).

Dans son examen des études anthropologiques sur le coût de la polygamie pour les femmes en Afrique, Borgerhoff Mulder (1992, p. 48) a aussi conclu que les données relatives à la fertilité et à la polygamie racontaient « une histoire également variable et incohérente ». En réalité, la seule conclusion qui pouvait être tirée positivement était que la polygynie n'entraînait pas le même fardeau pour les femmes sur le plan de la reproduction. Néanmoins, Borgerhoff Mulder a émis une mise en garde contre une comparaison sans réserve sur ce sujet, vu que ces données émanent d'études de qualité méthodologique variable. Une meilleure compréhension du rapport qui pourrait exister entre les mariages polygynes et la fertilité semble donc dépendre d'une évaluation et d'une critique plus approfondies des méthodes de recherche qui ont été employées pour étudier ce sujet à ce jour.

Outre les questions de fertilité, les femmes qui vivent des rapports de polygamie peuvent aussi connaître un risque plus élevé d'exposition à l'infection au virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et à d'autres maladies transmises sexuellement. Des recherches effectuées au Nigeria (Adejuyigbe et coll. 2004, p. 279-281; Ajuwon et coll. 1993-1994, p. 410ff)19 et en Angola (CEDAW Angola 2004) en sont une indication. Une étude entreprise au sein d'une communauté polygame dans la Gambie rurale a aussi indiqué que les femmes qui vivent dans un contexte de mariages polygames sont vraisemblablement trois fois plus affectées par l'herpès simplex virus type 2 (HSV2) (Halton et coll. 2003). Le HSV2 est associé à une plus grande infectiosité au VIH et à une susceptibilité accrue à l'infection au VIH (Halton et coll. 2003, p. 98).

De nombreux reportages dans les médias indiquent aussi que la polygamie a contribué à la dissémination du VIH et au syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) chez les femmes, particulièrement dans les pays africains. Ces reportages ont étudié le lien entre les maladies transmises sexuellement et la polygamie au Nigeria (White 2004), au Swaziland (Dixon 2005), en Zambie (Laurance 2004)20, en Afrique du Sud (Laurance 2004) et en Afrique sub-saharienne en général (Eilperin 2003). Ces reportages ont mentionné la polygamie comme l'un des facteurs à cibler et à éliminer pour aider à réduire la dissémination des maladies transmises sexuellement dans ces pays.

Cela étant dit, d'autres études sont nécessaires avant de pouvoir affirmer avec confiance que la polygamie contribue à la dissémination du VIH et d'autres maladies transmises sexuellement et, si c'est le cas, de pouvoir expliquer pourquoi il en est ainsi. En particulier, d'autres travaux doivent être effectués pour établir comment les maladies transmises sexuellement peuvent être disséminées à l'extérieur des familles polygames aux autres membres de la société (p. ex. en fréquentant les prostituées, par les épouses qui doivent s'en remettre à la prostitution en raison de leur destitution, en raison d'un viol ou au moyen de la transmission périnatale).

Résumé

En se fondant sur la littérature existante, il semblerait que la polygamie pourrait imposer un très lourd fardeau aux femmes en matière de santé. Alors que certaines femmes pourraient bénéficier de la vie dans un contexte de polygamie, la plupart des recherches indiquent que les femmes souffrent psychologiquement quand leur mari prend des épouses additionnelles, s'il y a une rivalité intense entre les coépouses et si celles-ci ont la perception que la polygamie les prive de la liberté et de l'autonomie personnelles.

Des études récentes ont aussi laissé à penser qu'il y a un lien entre la polygamie et la santé des femmes en matière de reproduction. La recherche sur les incidences de la polygamie sur la fertilité demeure non concluante. De plus, bien qu'il semble que le mariage multiple pourrait augmenter l'exposition des femmes aux maladies transmises sexuellement, des recherches additionnelles sur ce sujet sont nécessaires. Les études se sont concentrées sur l'Afrique sub-saharienne, ce qui semble logique vu le taux élevé de l'infection au VIH dans cette région du monde. Mais, étant donné que la polygamie dans toutes les cultures comporte le partage sexuel d'un seul homme par plusieurs femmes, une étude élargie sur les ramifications possibles de cette pratique en matière de santé de la reproduction est nécessaire.

Les femmes et la polygamie : conclusions

Considérant la discussion qui précède au sujet de l'expérience de la polygamie sur les plans social, économique et de la santé, il est difficile de tirer une conclusion unique et claire quant à savoir si la vie dans un contexte de mariage polygame est préjudiciable aux femmes. Se demander si les femmes souffrent du mariage multiple ou en bénéficient semble réellement ne pas être la question adéquate pour étudier les conséquences de la polygamie pour les femmes, car elle est trop générale. Cette interrogation implique que les femmes qui vivent dans un contexte de polygamie ont des réalités uniformes, sans égard aux communautés et aux cultures dans lesquelles elles vivent et sans égard aux rapports particuliers constitués au sein de leurs familles. En fait, ce n'est aucunement le cas : une foule de facteurs pourraient susciter une diversité considérable parmi les expériences que les femmes font de la polygamie dans le monde. Comme l'ont observé Elbedour et coll. (2002, p. 262) : « [I]l existe des variations de l'effet de la polygamie sur la vie des mères. Ces variations sont fonction du nombre d'unions au sein de la famille, de la façon dont la culture valorise la polygamie, de l'ordre des épouses et du fait que la polygamie est imposée à l'épouse la plus ancienne ou relève de son initiative. »

Ainsi, alors que certaines femmes font l'expérience d'une animosité et d'une rivalité aiguës avec les coépouses, d'autres peuvent profiter d'une amitié et d'un soutien véritables de ce réseau de femmes. Alors que certaines femmes pourraient se retrouver dans une pauvreté abjecte à titre d'épouses multiples, d'autres pourraient y trouver la sécurité et la stabilité économiques. Enfin, alors que certaines femmes qui vivent dans un contexte de polygamie pourraient courir un risque accru d'exposition aux maladies transmises sexuellement, d'autres pourraient ne jamais avoir à se préoccuper de cette question. Compte tenu de tout cela, les réponses politiques à la polygamie doivent être attentives aux réalités variées des femmes qui vivent dans un contexte de polygamie. Bien sûr, il faut être prudent avant d'adopter une approche attentive à la culture en cette matière, car il faut veiller à ce que le respect de la diversité culturelle ne compromette pas les droits et les intérêts en matière d'égalité, qui devraient être au coeur de cette analyse.


Précédente Table des matières Prochaine
   
Mise à jour : 2006-01-13
Contenu revu : 2006-01-13
Haut Avis importants


[ English | Contactez-nous | Aide | Recherche | Site du Canada ]