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La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques
Examen international de la polygamie : répercussions juridiques et politiques pour le Canada
SOMMAIRE
Les craintes et les controverses entourant la polygamie tant au Canada que dans le monde entier ne cessent de croître. Dans de nombreux pays où la polygamie se pratique traditionnellement, nous avons pu constater un mouvement accru préconisant l'abolition ou la restriction de la polygamie afin de protéger les femmes contre les mauvais traitements et de promouvoir l'égalité entre les sexes. Un certain nombre de pays occidentaux font face à un autre problème, étant donné que les populations immigrantes de plus en plus nombreuses provenant de l'Asie et de l'Afrique ont aussi apporté avec elles leurs attitudes et leurs pratiques en matière de vie familiale, dont la polygamie. Aux États-Unis, la pratique de la polygamie et d'autres formes de violence envers les femmes et les enfants dans les groupes mormons fondamentalistes de certains États de l'Ouest suscitent de plus en plus d'inquiétude. Au Canada, nous retrouvons cette même inquiétude à l'égard de la polygamie pratiquée par les mormons fondamentalistes dans la région de Bountiful, en Colombie-Britannique, et des questions ont été soulevées au sujet de la constitutionnalité des lois du Canada interdisant la polygamie.
Condition féminine Canada a accordé par contrat à l'Institut canadien de recherche sur le droit et la famille le mandat de procéder à un examen international de la polygamie portant sur les répercussions sociales, juridiques et politiques pour le Canada. Le présent document fait partie d'une série de quatre documents rédigés en vertu du contrat établi par Condition féminine Canada et qui vise à informer les politiciens, les intervenants et le grand public et à façonner la politique gouvernementale. Il se propose également de situer la controverse actuelle au Canada dans un contexte international plus général, en examinant la documentation sur les sciences sociales et l'évolution de la procédure dans d'autres pays et en établissant un rapport entre cette documentation internationale et la situation prévalant dans notre pays.
Résumé des préoccupations et des recommandations
Les répercussions sociales, psychologiques et économiques de la polygamie sur les femmes et les enfants devraient faire partie des éléments fondamentaux dont on doit tenir compte pour déterminer l'approche du Canada à l'égard des mariages polygames. Tant à l'étranger qu'au Canada, les recherches en sciences sociales et les comptes rendus médiatiques indiquent que la polygamie représente dans bien des cas une forme d'exploitation des femmes. En outre, la pratique de la polygamie va à l'encontre des notions d'égalité entre les sexes qui sont essentielles à la société canadienne. Selon les données recueillies, la polygamie a aussi une incidence négative importante sur les enfants, puisque les enfants de familles polygames ont davantage tendance à souffrir de troubles émotionnels et à atteindre un niveau de scolarité inférieur que les enfants issus de familles monogames. Des questions ont également été soulevées au sujet des niveaux élevés de mauvais traitements, de négligence et d'exploitation des enfants issus de familles polygames. Parmi les groupes mormons fondamentalistes d'Amérique du Nord, un nombre important de rapports indiquent que les adolescentes et les jeunes femmes sont forcées, sur le plan physique, mais encore plus sur le plan psychologique, de pratiquer la polygamie. Quant aux adolescents et aux jeunes hommes, ils souffrent également de la polygamie, particulièrement s'ils sont chassés de leurs communautés et de leurs familles pendant leur adolescence pour ne pas faire concurrence aux hommes de la communauté plus âgés qui veulent prendre d'autres épouses. N'oublions pas non plus que la polygamie entraîne des coûts économiques pour la société étant donné que, dans bien des cas, les familles polygames ne sont pas en mesure de subvenir aux besoins de leurs nombreux enfants.
En 1985, la Commission de réforme du droit du Canada a proposé que les dispositions du Code criminel relatives à la polygamie soient abrogées, puisqu'elle a conclu que la polygamie est une pratique marginale qui ne correspond à aucune réalité juridique ou sociologique significative au Canada. Depuis, nous sommes toutefois beaucoup mieux informés sur le nombre de personnes faisant partie de familles polygames au Canada, ce nombre étant apparemment à la hausse en raison de l'immigration et du taux de natalité élevé découlant de la polygamie. De plus, une grande partie des travaux de recherche portant sur la polygamie et ses effets négatifs sur les femmes et les enfants n'a été publiée qu'au cours des deux dernières décennies. Depuis 1985, le Canada a accordé une reconnaissance importante sur le plan social et juridique aux relations monogames hors des liens traditionnels du mariage (c.-à-d. aux conjoints de fait et aux conjoints de même sexe). La décriminalisation de la polygamie correspondrait à un changement très important en ce qui concerne la loi actuelle, puisque les membres de telles unions ne vivraient plus dans une relation interdite par la loi et que ces membres seraient tout probablement reconnus de manière élargie comme étant des « conjoints » à de nombreuses fins juridiques.
À l'échelle internationale, au cours du dernier siècle, nous constatons une tendance à abolir la polygamie, en raison des inquiétudes au sujet de l'inégalité entre les sexes inhérente à la polygamie et à ses effets nuisibles sur les femmes et les enfants. À la lumière de cette tendance internationale, les autres pays pourraient croire que le Canada ne se préoccupe pas de l'égalité entre les sexes ni de la protection de l'enfance s'il décriminalisait les unions polygames et leur accordait une reconnaissance juridique, puisque la polygamie a été liée aux effets négatifs sur les femmes et les enfants. L'article 293 du Code criminel interdit la polygamie ou la cohabitation dans une union polygame. Si la polygamie correspond à une relation axée intrinsèquement sur l'exploitation des femmes et cause des torts aux enfants qui en sont issus, comme l'indiquent les recherches menées, nous nous devons d'interdire cette pratique. Même si l'existence de l'article 293 du Code criminel ne signifie pas que toutes les personnes vivant dans une union polygame doivent être mises en prison, nous recommandons que cette disposition demeure partie intégrante de la politique du Canada visant à décourager les mariages polygames. Quoique n'ayant pas été appliqué dans le cas de poursuites au criminel, l'article 293 du Code criminel joue un rôle symbolique et éducatif important puisqu'il proclame la désapprobation du Canada à l'égard de ce type de relation. Bien que seuls les tribunaux puissent juger de la constitutionnalité de l'interdiction contre la polygamie, nous sommes d'avis que l'article 293 est probablement constitutionnel, étant donné qu'il favorise l'égalité entre les sexes et la protection des femmes et des enfants.
Même si l'élimination des unions polygames au Canada est souhaitable, il faudrait décourager de telles relations en tenant compte des positions et des besoins des personnes vulnérables qui ont été forcées de former une union polygame, ainsi que des besoins des enfants qui sont issus d'une telle union. Effectuée sans discernement, l'arrestation d'un adulte vivant dans une union polygame n'est pas souhaitable, surtout si elle sépare des enfants de leurs deux parents. Bien que les poursuites en vertu de l'article 293 aient leur raison d'être, elles ne sont justes que si les femmes contraintes de prendre part à ces relations déposent une plainte. Afin de restreindre le nombre d'unions polygames établies au Canada, le gouvernement fédéral devrait poursuivre sa politique d'exclusion en matière d'immigration dans le cas des personnes qui pratiquent la polygamie. Il est entendu cependant que des droits juridiques restreints devraient continuer à être accordés aux personnes qui ont vécu dans une union polygame, afin de protéger les personnes vulnérables, aux fins d'héritage et de pension alimentaire pour les enfants, y compris la reconnaissance limitée des mariages polygames contractés dans les pays où la polygamie est une forme valable de mariage.
Les conclusions présentées ici ne sont qu'une première ébauche. Nous devons réaliser d'autres recherches au Canada pour examiner les effets des unions polygames sur les femmes et les enfants, notamment une étude visant à déterminer le nombre de ménages polygames établis au Canada.
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