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PublicationsLa polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques
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L'examen suivant résume les données découlant des travaux de recherche en sciences sociales et des comptes rendus médiatiques sur la polygamie au Canada et dans d'autres pays. L'accent principal est mis sur les effets sur la santé ainsi que sur les effets sociaux, économiques et psychologiques sur les femmes et les enfants vivant dans des familles polygames. Cet examen a pour but de clarifier les questions d'ordre juridique et les enjeux politiques qui entourent la polygamie au Canada. Bien que la documentation internationale soit riche en matière d'information, il faut savoir en outre que les effets de la polygamie sur les personnes sont grandement influencés par le contexte social, culturel et économique plus large de la société dans laquelle ces personnes vivent. De plus, la quasi-totalité des personnes qui vivent dans des familles polygames en Amérique du Nord sont membres de communautés religieuses possédant des valeurs, des pratiques et des croyances qui diffèrent de celles de la société dans son ensemble en ce qui concerne le mariage et bien d'autres questions.
La polygamie se définit comme la pratique d'avoir plus d'un conjoint au même moment (Embry, 1987 : xvi). Il existe deux formes fondamentales de polygamie : la polyandrie, lorsque la femme a plus d'un conjoint, et la polygynie, lorsque l'homme a plus d'une conjointe. Au cours de l'histoire et aujourd'hui même, la polygynie est de loin la forme de polygamie la plus répandue, bien que des cas de polyandrie aient été signalés dans des sociétés isolées (Al-Krenawi et al., 1997). La présente étude porte exclusivement sur la polygynie, qui semble être la seule forme de polygamie pratiquée en Amérique du Nord. Qui plus est, le terme « polygamie » désigne souvent la polygynie, et nous avons adopté cet usage courant dans ce document, à moins d'indication contraire.
La polygynie se pratique dans environ 850 sociétés du monde (Bergstrom, 1994). Elle est surtout répandue dans les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique, où les antécédents démographiques, économiques, culturels et surtout religieux continuent d'en encourager la pratique (Elbedour et al., 2002). Plus précisément, les groupes culturels qui comptent un taux élevé de mariages polygames comprennent notamment les Koweïtiens, les Saoudiens, les Arabes bédouins, les Xhosa de l'Afrique du Sud, les Yononamo du Venezuela, les Nigériens, les Ghanéens, les Kipogi et les Datagal de l'Afrique de l'Est et les Yoroubas de l'Afrique de l'Ouest (Elbedour et al., 2000). On signale également la pratique de mariages polygames en Asie méridionale et orientale, dont la Chine, l'Inde, le Bangladesh et le Pakistan.
En Amérique du Nord, la polygamie n'est pas très répandue, mais certains documents font état de cas de polygamie. Le nombre de cas n'est pas bien connu, en grande partie à cause de l'interdiction prévue par la loi sur le mariage contracté avec plus d'un conjoint et l'attitude secrète qui en découle. On estime que le nombre de personnes vivant dans une famille polygame en Amérique du Nord varie entre 30 000 et 210 000 (Kopala, 2005; Strassberg, 2003). La pratique courante de la polygamie en Amérique du Nord est généralement liée aux groupes de mormons fondamentalistes, dont la pratique est fondée sur les croyances religieuses (Embry ,1987; Altman et Ginat, 1996). Il s'agit dans la plupart des cas de mormons fondamentalistes (le groupe le plus important étant celui de l'Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours), qui vivent surtout dans les régions relativement éloignées de l'Arizona, du Texas et de l'Utah, quoique certains vivent en Colombie-Britannique et en Alberta. En outre, la polygamie est pratiquée par des familles musulmanes en Amérique du Nord. Bien que le nombre de ces familles ne soit pas connu (Hassouneh-Phillips, 2001), il ne semblerait pas être bien élevé. De plus, on signale des familles polygames chrétiennes, juives et non confessionnelles réparties en Amérique du Nord. Bien que des cas de polygamie aient été notés parmi certains peuples autochtones, il semble que la pratique ait maintenant disparu.
Dans les communautés de mormons fondamentalistes, le mariage est généralement organisé par les chefs religieux selon la croyance voulant qu'il s'agisse d'un moyen par lequel Dieu, par l'entremise de ces chefs (souvent appelés « prophètes »), peut intervenir directement dans la vie des gens. Étant donné que le mariage polygame n'est pas juridiquement reconnu en Amérique du Nord, il est courant que l'homme se marie devant la loi avec sa première épouse et que, par la suite, des cérémonies religieuses viennent établir les « mariages célestes ». La participation à des mariages polygames est considérée comme un élément fondamental de la pratique religieuse des mormons fondamentalistes. Quant aux femmes, on croit que leur entrée dans les plus hauts royaumes du ciel dépend de leur participation obéissante à un mariage plural assigné et du fait de donner naissance au plus grand nombre d'enfants possible (Committee on Polygamous Issues, 1993; Embry, 1987). Si l'homme déplaît aux chefs religieux, il peut être expulsé de l'Église, et dans certaines communautés de mormons fondamentalistes, ses épouses peuvent être assignées de nouveau, c'est-à-dire mariées à un autre homme qui est membre en règle de la religion.
Les personnes qui vivent dans des unions polygames tiennent à des relations axées sur l'amour entre l'époux et l'épouse, mais parallèlement, les relations dyadiques multiples (époux et épouse) doivent coexister dans la même unité familiale (Altman et Ginat, 1996). Cette situation risque de créer de la concurrence et de la rivalité entre les épouses, et certaines épouses et leurs enfants peuvent être favorisés par rapport aux autres. Les relations entre les épouses doivent être gérées efficacement pour maintenir l'harmonie familiale. La structure de la famille mormone fondamentaliste est hautement patriarcale, l'homme étant perçu comme le chef du ménage et celui qui déterminera l'entrée de son épouse au royaume du ciel. Comme l'ont indiqué Peters (1994) et Altman et Ginat (1996), puisque ces communautés qui pratiquent la polygamie contreviennent aux normes culturelles, sociales et juridiques actuelles, elles sont souvent enveloppées de secret et vivent isolées afin de préserver leurs croyances et leurs pratiques collectives. Elles ont aussi tendance à s'isoler sur le plan géographique, et il est donc difficile pour les chercheurs, les agents de police ou les préposés à la protection de l'enfance d'avoir véritablement accès à ces communautés.
Les mormons fondamentalistes diffèrent typiquement de l'ensemble de la société non seulement en fonction de la pratique de la polygamie, mais également en fonction des croyances et des pratiques d'observance religieuses, de la déférence accordée aux autorités religieuses, de la tenue vestimentaire, des rôles assignés à chacun des sexes et des activités récréatives et sociales. Les membres de ces communautés rejettent les valeurs et la culture de la société en général en ce qui concerne le mariage et l'égalité entre les sexes. Selon Altman et Ginat (1996), le fait d'être membre d'une communauté de mormons fondamentalistes exerce beaucoup de pression sur les individus, tant sur le plan interne (famille, communauté) qu'externe (culture, société). Il est impossible de séparer les effets de la polygamie sur les femmes et les enfants de celui de vivre dans une communauté socialement isolée, qui impose à ses membres des attentes très strictes et qui diffèrent radicalement de celles de l'ensemble de la société.
Bien qu'elle soit contraire au Code criminel, la polygamie est pratiquée par les mormons fondamentalistes à Bountiful, dans le centre de la Colombie-Britannique, une communauté établie en 1946 par les mormons fondamentalistes venus des États-Unis, et dans certaines collectivités avoisinantes en Alberta. On estime que le nombre de personnes vivant dans des familles polygames dans cette région s'élève à environ 1 000. Bien que les familles de mormons fondamentalistes en Colombie-Britannique et en Alberta soient relativement bien établies, la plupart des renseignements les concernant proviennent des comptes rendus médiatiques, car très peu de documents de recherche ou autres ont été publiés sur ces communautés.
Selon les comptes rendus médiatiques, les familles de mormons fondamentalistes ont relativement vécu sous le couvert de l'anonymat jusqu'au début des années 1990, alors que des accusations de violence sexuelle ont été portées contre plusieurs hommes faisant partie de la communauté de Bountiful et que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a entamé une enquête sur les allégations à l'égard du mariage polygame (Dawson, 1990; Todd, 1991a, 1991b). L'enquête de la GRC a recommandé que deux des chefs de la communauté soient accusés de polygamie en vertu du Code criminel. Cependant, le procureur général de la Colombie-Britannique n'a pas porté d'accusation de polygamie puisque, selon l'avis juridique qu'il avait obtenu, les dispositions du Code concernant la polygamie allaient à l'encontre des garanties prévues par la Charte canadienne des droits et libertés en matière de liberté de religion (Weatherbe, 1993; The Kitchener-Waterloo Record, 1993; Economist, 2004). Il est à noter toutefois que trois hommes faisant partie de la communauté ont été trouvés coupables d'infractions sexuelles.
Depuis que les enquêtes policières ont été menées au début des années 1990, la communauté polygame de Bountiful a fait l'objet d'une grande attention de la part des médias. Pendant que le débat juridique et législatif se poursuivait, plusieurs questions d'ordre social entourant la structure de la famille polygame ont été soulevées par les médias. Il y était souvent question d'allégations de violence faite aux enfants et d'inceste, de l'inégalité des femmes dans les relations polygames et de la légalité des unions polygames au Canada, ce qui donnait lieu à des critiques à l'égard de la pratique de la polygamie à Bountiful (Dawson, 1990; The Windsor Star, 1991; Todd, 1991a, 1991b; McLintock, 1992; Weatherbe, 1993; The Kitchener-Waterloo Record, 1993; Zurowski, 1992a, 1992b). Des questions n'ont cessé d'être soulevées au sujet du lien entre la pratique de la polygamie et le mauvais traitement des enfants et des femmes. Bien que les dirigeants communautaires et les porte-parole aient affirmé avec insistance que toute forme de violence ou de mauvais traitement est rare, des anciens membres ont rapporté les détails de nombreux cas de comportement inapproprié et de violence envers les enfants et les épouses dans la communauté (Egan, 1999). Les comptes rendus médiatiques se sont inspirés des déclarations des anciens membres, qui soulignaient les problèmes inhérents aux familles polygames de mormons, notamment : la violence sexuelle, spirituelle, physique et psychologique, la négligence des enfants, les tensions entre les épouses et le manque de participation des pères à l'éducation de leurs enfants (The Windsor Star, 1991; Todd, 1991a; The Kitchener-Waterloo Record, 1993; Egan, 1999; Rhodes, 1999; Matas, 2002b; Milke, 2005). Certains ont expliqué que les familles étaient si nombreuses qu'elles vivaient dans la pauvreté dans bien des cas (Todd, 1991b). Les médias ont aussi exprimé des inquiétudes au sujet du traitement des femmes dans les communautés polygames, en abordant l'inégalité entre les sexes (Stirk, 2002). Ils faisaient souvent mention du contrôle patriarcal exercé sur les femmes et les enfants, contôle qui, selon les dires d'un ancien membre, était rendu à un point tel que les femmes vivaient dans la crainte et ne pouvaient plus réfléchir (Todd, 1991a : D5).
Les éditorialistes de journaux et les groupes de revendication ont critiqué le financement public de l'école de Bountiful. On prétend que cette école indépendante tente d'endoctriner les enfants en leur répétant des notions patriarcales à l'endroit des femmes et en soulignant le rôle important que peut jouer la polygamie dans l'atteinte du salut spirituel (Weatherbe, 1993; McLintock, 1992; Matas, 2002b; Economist, 2004; Elsworth, 2004; Bramham, 2004b). Les accusations ont aussi mis en question la qualité de l'éducation que les enfants recevaient à Bountiful. Cependant, les femmes vivant dans un mariage polygame dans la communauté (et qui ont fait l'objet d'entrevues avec les médias à de rares occasions) ont maintenu que leurs expériences sont de nature positive, et qu'elles ont la liberté de prendre leurs propres décisions (Elsworth, 2004; Bramham, 2004a; MacQueen, 2004).
Une autre enquête des forces policières a été entreprise en 2004 afin d'étudier la possibilité de porter une accusation contre certains membres de la communauté de Bountiful et d'explorer à nouveau les allégations concernant la piètre qualité d'éducation, l'utilisation abusive des fonds provinciaux pour l'éducation, la possibilité de violence sexuelle, physique et psychologique et la négligence à l'égard des enfants (Bramham, 2004a, 2004c; The Edmonton Journal, 2004; MacQueen, 2004). Les nouvelles questions soulevées par les médias ont été consignées dans le dossier de l'enquête. Plus particulièrement, les rapports ont mis l'accent sur le lien entre les communautés polygames aux États-Unis et au Canada : la lutte de pouvoir sur le plan économique, religieux et politique au sein des communautés. On a mentionné dans plusieurs articles que les adolescentes faisaient l'objet d'un trafic entre les communautés polygames des deux pays, forcées qu'elles étaient de s'engager dans un mariage polygame arrangé (Matas, 2002a; Economist, 2004; Baron, 2004; Elsworth, 2004; Daily Press, 2005; Bramham, 2005; National Post, 2005). La question connexe de l'immigration a également été traitée dans des articles qui critiquaient les autorités canadiennes ayant permis aux femmes et adolescentes américaines d'entrer au Canada afin de vivre dans des relations polygames (Bramham, 2004b).
En outre, le nombre croissant de membres quittant leurs communautés polygames au Canada et aux États-Unis a suscité l'attention des médias. D'après de récents rapports, il s'agit dans bien des cas de jeunes hommes qui ont été victimes de violence physique et psychologique. Ces jeunes ont trouvé que la transition vers « l'extérieur » constituait une expérience qui les a ébranlés et qui les a remplis de confusion et de solitude (Armstrong, 2005 : A7). La plupart d'entre eux sont peu instruits et possèdent des compétences professionnelles limitées. Certains ont quitté la communauté parce qu'ils ne veulent pas participer à un mariage plural. Toutefois, comme nous le mentionnons ci-dessous, il est clair qu'aux États-Unis, un très grand nombre d'adolescents et de jeunes hommes sont obligés de quitter les communautés de mormons fondamentalistes pour qu'il permettre aux hommes « désignés » d'avoir plusieurs épouses.
Les membres de la communauté des mormons fondamentalistes de Bountiful ont longuement hésité à s'entretenir avec les médias, mais en avril 2005, il y a eu un changement radical, dénotant peut-être une division dans le leadership de la communauté ou laissant croire que la modification des lois et des attitudes au Canada relatives au mariage entre personnes de même sexe peut être le présage d'un changement d'attitude envers la polygamie. Le 19 avril 2005, des femmes, regroupées sous le nom de Bountiful Women's Society, ont organisé ce qu'elles ont appelé le Sommet de la polygamie et ont invité les médias et la population générale à une réunion ouverte où elles ont défendu la polygamie en tant que mode de vie librement choisi (Hutchison, 2005 : A3). Elles ont énuméré les avantages dont ceux de la mise en commun des ressources et des tâches ménagères ainsi que l'occasion de se marier à un homme qui « a déjà fait ses preuves ». Elles ont également nié que les femmes étaient forcées de se marier contre leur volonté ou qu'on exerçait des pressions sur les adolescentes pour qu'elles se marient. Une femme du nom de Leah Barlow, infirmière autorisée et sage-femme, aurait même déclaré que ces femmes ont choisi le mode de vie de Bountiful, qu'elles aiment leur vie et qu'elles y croient beaucoup. Elle a ajouté que ces femmes connaissent mieux que quiconque ce que leur culture comporte, que ce mode de vie ne convient pas à tout le monde, mais qu'en ce qui les concerne, c'est le meilleur choix qu'elles ont pu faire et qu'elles tiennent à le préserver à tout prix (Montreal Gazette, 2005 : A10).
Trois femmes de la communauté de Bountiful ont également participé à l'émission « Dr. Phil » du 24 mai 2005. L'une d'elles, « Ruth », a affirmé vivre un mariage polygame avec son mari qui a plus de 12 épouses. Elle a ajouté le commentaire qui suit :
« J'ai beaucoup d'amour et de respect pour mon mari, mais je suis libre de faire mes propres choix... D'après moi, la polygamie devrait être décriminalisée. Je ne crois pas nécessairement qu'elle devrait être légalisée, mais je pense qu'elle devrait être décriminalisée. Car polygamie n'est pas synonyme d'exploitation. Nous comptons beaucoup de familles fonctionnelles qui élèvent leurs enfants en exerçant un choix. Nous ne méritons pas un tel stigmate. » [Traduction]
Quant à « Julia », une autre des femmes interviewées, elle a fait les observations suivantes au sujet de sa famille polygame : « J'aime beaucoup ma famille. J'ai eu cinq mères et ce fut une expérience merveilleuse. J'ai profité au maximum de mon enfance. Je les appelle toutes « maman », mais j'ai une affection spéciale pour ma mère [biologique]. » [Traduction]
Il est impossible de savoir si les femmes interviewées par les médias et au cours d'émissions-débats sont représentatives de leur communauté ou si elles ont subi des pressions pour faire des déclarations de nature positive. D'autres femmes interviewées par les médias et ayant quitté la communauté de Bountiful ont parlé de mariages malheureux et marqués par la violence et ont affirmé avoir été forcées de se marier, et ce, parfois à un âge relativement jeune. Ces dernières années, bien qu'il y ait souvent eu des comptes rendus médiatiques et des émissions de télévision portant sur la polygamie au Canada, le peu de renseignements qu'ils communiquaient étaient de portée restreinte. Cependant, deux sources autres que les médias ont offert des renseignements importants détaillés sur la pratique de la polygamie au sein de la communauté de mormons fondamentalistes au Canada : le rapport de 1993 présenté par le Committee on Polygamous Issues (1993) et la thèse d'études supérieures de Peters (1994).
Documentation canadienne
Le Committee on Polygamous Issues de 1993 s'est penché sur les questions entourant la communauté de Bountiful, en Colombie-Britannique. Il était composé de professionnels des services sociaux de la région et d'anciens membres de la communauté. Le rapport décrit l'histoire et les croyances religieuses de la communauté, ainsi que les effets de la polygamie sur les femmes et les enfants. Il mentionne qu'en ce qui concerne les femmes, la structure et l'idéologie d'une communauté de mormons fondamentalistes en soi sont extrêmement restrictives. Il précise que, dans cette communauté résolument patriarcale, l'accès au pouvoir des femmes est limité, d'abord par le rôle qui leur est défini par la théologie et, deuxièmement, par la structure de leurs familles. (Committee on Polygamous Issues, 1993 : 12). Selon le comité, la conformité endoctrinée et le manque d'habilitation personnelle accordée aux femmes les empêchent de développer leur estime de soi, les rendent incapables de comprendre ou d'exercer un choix et estompent de plus en plus la ligne de démarcation entre l'identité personnelle et collective. Cette conformité est en grande partie attribuable à l'instruction religieuse et à l'éducation des premières années de l'enfance, ainsi qu'à l'isolement de la communauté : les enfants sont isolés pour que les principes religieux et autres qui leur sont enseignés ne soient pas influencés par le monde extérieur. En outre, cette instruction aide à établir le parcours de vie des enfants. Par l'éducation qu'elles reçoivent, les filles sont prêtes à devenir des épouses et des mères, ainsi qu'à être charmantes, ce qui signifie pour elles d'accepter d'être dominées par leurs maris et par l'Église. Quant aux garçons, ils sont prêts à travailler. Le rapport du comité souligne aussi le retard scolaire dont font preuve la plupart des enfants. Étant donné l'accent mis sur l'instruction religieuse, les enfants ne peuvent pas bénéficier des avantages accordés aux autres enfants au Canada en matière d'éducation. Les enfants qui ont quitté Bountiful et qui ont été intégré le système scolaire normal souffrent d'un grand retard par rapport aux autres élèves du même âge.
La taille des familles polygames pose aussi un problème important. On s'attend à ce que chaque épouse donne naissance à plusieurs enfants, généralement entre cinq et dix, et chacun des maris a plusieurs épouses. Bien que les enfants soient entourés de plusieurs soeurs et frères pouvant servir de modèles et qu'ils puissent recevoir des soins de plus d'une personne faisant figure de mère, ils bénéficient de moins de soins et d'attention à mesure que d'autres enfants sont ajoutés à la famille. La mère et le père deviennent tous les deux moins disponibles, et les liens entre le parent et l'enfant s'affaiblissent. Dans certains cas, toutes les épouses et les enfants vivent dans une seule et même résidence, mais il n'est pas rare que les épouses qui sont moins privilégiées résident avec leurs enfants dans de plus petites habitations moins adéquates, situées près du foyer principal du mari. La taille de la famille finit donc par avoir une incidence sur la situation économique : plus le nombre d'épouses et d'enfants est élevé, moins il y a de ressources disponibles pour chaque membre de la famille.
La préservation et la pérennité de la communauté de mormons fondamentalistes sont également traitées dans le rapport du comité. Comme l'indique Egan (1999), le fait de limiter les contacts avec la société plus large et le secret jouent un grand rôle au sein des communautés et des familles de mormons fondamentalistes. Cet isolement a été traité par Peters (1994) dans une étude de thèse fondée sur l'observation participante de la vie des mormons fondamentalistes au Canada, ce qui est d'ailleurs une occasion rarement offerte. On enseigne tant aux femmes qu'aux enfants à éviter le contact et la communication avec des personnes vivant à l'extérieur de la communauté. Peters (1994 : 10) conclut que cette imposition du secret ainsi que les comptes rendus « trompeurs » d'un portrait idyllique donnés par les membres du groupe tout au cours de ses recherches l'ont empêchée de se faire une idée plausible de la communauté. Toujours selon Peters, le secret joue un rôle dichotomique dans la préservation du caractère sacré du leadership et de la communauté. Les chefs cherchent à cacher l'information au sujet de la communauté au monde extérieur afin d'éviter les enquêtes et le stigmate. Toutefois, ce manque de contact a, dans une certaine mesure, contribué à la parution de rapports médiatiques à sensation. Comme le mentionne Peters (1994 : 42), les manchettes s'intéressent généralement aux questions du pouvoir, du secret et du sexe, plutôt que de montrer un véritable intérêt à essayer de comprendre la communauté. Tout en limitant les contacts avec le monde extérieur, les chefs s'abstiennent de renseigner les membres de leurs communautés sur le monde extérieur, et ce, afin de les protéger contre les idées qui pourraient bouleverser les relations au sein du groupe; ils maintiennent ainsi leur pouvoir et leur contrôle. Par conséquent, les membres sont devenus très dépendants de leurs chefs, ce qui, d'après Peters (1994 : 40), peut engendrer l'abus de pouvoir, car certains chefs fondamentalistes exploitaient leurs fidèles, involontairement ou volontairement, aux fins de gratification sexuelle ou matérielle ou pour gonfler leur ego.
Ce que nous constatons dans les travaux de Peters et dans le rapport du Committee on Polygamous Issues, c'est que la communauté polygame a un mode de vie qui constitue une culture unique, qui a fait l'objet de très peu d'études. Étant donné le peu d'ouvrages traitant de la polygamie au Canada, nous devons examiner les recherches menées et les comptes rendus médiatiques publiés dans d'autres pays pour mieux comprendre cette pratique.Les ouvrages publiés sur la polygamie aux États-Unis sont probablement ceux qui sont le plus pertinents dans le contexte canadien puisque, dans les deux pays, les conditions sociales, économiques et politiques sont comparables, et les plus importants groupes polygames sont des mormons fondamentalistes. Bien que le corpus de recherche en sciences sociales sur la polygamie aux États-Unis soit aussi limité (là encore en raison de la difficulté d'avoir accès à la population), il existe des parallèles évidents avec les questions abordées au sujet du Canada.
La documentation en matière de sciences sociales axée sur les expériences des femmes dans des communautés polygames de mormons fondamentalistes aux États-Unis porte principalement sur les tensions et le stress inhérents aux unions polygames. Les études menées récemment ont abordé le conflit entre la relation dyadique époux-épouse et les relations plurales qui existent dans une famille polygame (Altman, 1993; Altman et Ginat, 1996). Les attributs des familles de mormons fondamentalistes (structure patriarcale, dévaluation de l'émotivité des hommes, procréation en tant que but principal des unions matrimoniales et obligation des femmes d'être obéissantes et de préserver l'harmonie familiale) minent la relation maritale dyadique. Les femmes s'attendent souvent à établir des liens émotionnels avec leur mari, mais la réalité du mariage est bien différente, surtout lorsque de nouvelles épouses se joignent à la famille (Jankowiak et Diderich, 2000). Même si des mesures sont prises pour préserver l'harmonie familiale (demander la permission des épouses antérieures, choisir collectivement la nouvelle épouse, etc.), l'ajout d'une nouvelle épouse soeur est souvent accompagné de sentiments de désapprobation, de négligence, de trahison et de solitude de la part des premières épouses. Toutefois, leur désapprobation est souvent éclipsée par les attentes à l'égard d'un comportement positif (coopération, obéissance) (Altman et Ginat, 1996; Altman, 1993). De plus, en dépit du fait qu'elles reçoivent une plus grande attention, les dernières épouses peuvent envier les relations déjà établies entre les premières épouses et le mari, et elles peuvent se sentir mal à l'aise à l'idée de demeurer dans l'habitation établie par les premières épouses. Ainsi, un nouvel ajout au mariage plural peut se révéler une expérience très stressante pour toutes les personnes intéressées, mais comme l'indique Altman (1993), certaines familles plurales mettent au point des stratégies qui peuvent minimiser cette tension et qui, dans quelques cas, servent à préserver l'harmonie caractérisant la famille fonctionnelle.
Les enfants des familles de mormons fondamentalistes subissent les effets des conflits internes et externes qui sont inhérents à leurs communautés. Selon Altman (1993), on leur enseigne l'importance religieuse du mariage plural et de la solidarité familiale dans leur famille, dans la communauté et à l'école, mais en même temps, ils reçoivent des messages contradictoires concernant les valeurs monogames de la part des médias et des collectivités « extérieures » situées à proximité. De plus, les travaux de Jankowiak et Diderich (2000) révèlent que, même si la solidarité familiale fait l'objet d'un soutien normatif (idéologique), les enfants établissent quand même des liens émotionnels et cognitifs plus étroits avec les autres enfants de la mère biologique. Quant aux mères, elles ont aussi tendance à favoriser leurs propres enfants, malgré le principe selon lequel elles doivent assumer la responsabilité de tous les enfants. Ces éléments se combinent pour miner le principe de la fratrie et donc la capacité de subvenir aux besoins de la famille plurale (Jankowiak et Diderich, 2000 : 135).
En outre, le découragement de l'émotivité des hommes ainsi que le grand nombre d'enfants dans les familles plurales engendrent des liens plutôt faibles entre les pères et les enfants. Par conséquent, en dépit de la doctrine religieuse affirmant la valeur qu'il y a à ce que les enfants demeurent loyaux envers leur père, les liens émotionnels des enfants à l'égard du père sont souvent faibles (Altman et Ginat, 1996). Cette dynamique de la famille a le potentiel de causer de la confusion chez les enfants, qui ont du mal à faire le rapprochement entre leur instruction religieuse et la réalité de leur vie de famille.
Les recherches effectuées font aussi état des exigences socioéconomiques de la famille plurale et des difficultés financières qui en découlent. Altman (1993) a signalé tout particulièrement le grand nombre d'enfants, la rareté des occupations bien rémunérées dans la communauté et le manque d'éducation des adultes comme les facteurs contribuant à la pauvreté. En outre, dans la plupart des communautés de mormons fondamentalistes au Canada et aux États-Unis, on s'attend à ce que les familles contribuent au plan d'effort unifié (United Effort Plan), un fonds de financement établi pour diriger les affaires et exercer un contrôle sur les biens de l'Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours (Committee on Polygamous Issues, 1993). Ces dons diminuent les ressources disponibles pour faire vivre la famille, permettant ainsi aux dirigeants communautaires d'avoir le contrôle sur la plupart des biens et des activités de leurs communautés.
Bien que la polygamie soit plus répandue chez les mormons fondamentalistes, il existe des communautés musulmanes polygames aux États-Unis. Les statistiques réelles sur ces familles ne sont toutefois pas connues, et très peu de documents publiés traitent de la polygamie chez les musulmans de l'Amérique du Nord. Les travaux de Hassouneh-Phillips (2001) fournissent un aperçu exceptionnel de la polygamie qui se pratique chez les musulmans américains. Dans le cadre d'une étude plus étendue portant sur la violence conjugale au sein des familles musulmanes américaines, l'auteure a interviewé des femmes musulmanes aux États-Unis qui avaient subi de la violence conjugale ou qui connaissaient un membre de la famille ou une amie qui avait été victime de violence. La plupart des femmes qui avaient connu la polygamie ont mentionné que leur mère ou elles-mêmes s'étaient engagées involontairement dans un mariage polygame, et certaines ont comparé cette pratique à une forme d'adultère légalisé (Hassouneh-Phillips, 2001 : 740). L'arrivée de nouvelles épouses dans la famille représentait une expérience traumatisante pour les premières épouses et leurs enfants. La question du traitement inéquitable des épouses par leur mari était une grave préoccupation. Les femmes s'attendaient à ce que leur mari soit juste et à ce qu'il les soutienne, en plus de maintenir des relations saines entre les épouses, comme l'exige le Coran, mais en réalité, le mari traitait ses épouses de façon inégale et souvent de manière violente. Cependant, malgré l'inconfort et les sentiments d'impuissance qu'elles ressentaient, ces femmes souscrivaient à la valeur culturelle que représente la préservation de l'unité familiale (comme c'est le cas des épouses mormones fondamentalistes), afin d'éviter la honte et l'embarras. Au bout du compte, l'étude de Hassouneh-Phillips donne à penser que, même si ces femmes ne percevaient pas la polygamie comme une pratique violente en soi (surtout parce que la religion la justifie), elles croyaient que les expériences qu'elles avaient vécues correspondaient à une mauvaise application de cette pratique.
La majorité des travaux de recherche en sciences sociales portant sur les effets du mariage polygame sur les femmes et les enfants ont été menés dans des pays extérieurs à l'Amérique du Nord. Selon Elbedour et al. (2002), le mariage polygame continue d'être très répandu au Moyen-Orient et en Afrique, en dépit de son rejet croissant à l'échelle internationale. Dans le cas de la plupart des ouvrages publiés, il s'agit d'études effectuées auprès des populations arabes en Israël et traitant de la polygamie en Afrique.
La polygamie est une pratique relativement courante parmi les Arabes bédouins du Moyen-Orient, même si elle connaît un déclin à l'échelle mondiale. Elle est pratiquée en raison de la disposition du Coran qui stipule qu'un homme peut marier jusqu'à quatre épouses, pourvu qu'il dispose des ressources nécessaires. Les mariages d'échange sont également courants; traditionnellement, deux hommes peuvent marier chacun la soeur de l'autre, et si l'un d'eux prend ultérieurement une autre épouse, l'autre se sent pressé d'en faire autant. La documentation indique, dans certains cas, que les familles polygames d'Arabes bédouins sont capables d'établir des relations qui minimisent les conflits entre les épouses et les beaux-enfants ainsi que les tensions qu'ils ressentent (Al-Krenawi et Graham, 1999). De plus, les femmes arabes bédouines ont signalé les avantages que comporte le mariage plural, notamment le partage des tâches ménagères, la présence de compagnes et le fait de socialiser avec elles, une autonomie accrue parce que les autres épouses peuvent s'occuper des enfants et s'acquitter des autres obligations (Elbedour et al., 2002 : 262). Cependant, selon la plupart des études menées, la famille elle-même donne lieu à l'oppression des femmes du Moyen-Orient, bien que ce soit elle qui détermine leur condition sociale (Al-Krenawi et Graham, 1999).
La structure de la société arabe bédouine est hautement patriarcale, puisque les hommes détiennent le pouvoir dans toutes les facettes de la vie familiale. On s'attend aussi à ce que les femmes fassent preuve d'abnégation, dans le but de maintenir l'intégrité sexuelle et de donner naissance à de nombreux enfants, surtout des garçons (Al-Krenawi et al., 2001, 1997). Par conséquent, la condition de la femme est fondée sur le mariage et le fait d'avoir des enfants, ainsi que sur son respect des attentes en matière de comportement. Dans cette culture, le premier mariage du mari est souvent arrangé, tandis que les mariages suivants sont plus susceptibles d'être fondés sur l'amour et le choix de l'épouse. Par conséquent, la situation de la deuxième épouse est souvent plus favorable que celle de la première. Les études portant sur la société arabe bédouine révèlent que les premières épouses ont tendance à ressentir le plus durement les effets du mariage plural; le traitement préférentiel, sur les plans économique et émotionnel, est souvent accordé aux épouses plus jeunes et moins anciennes (Al-Krenawi et Graham, 1999; Al-Krenawi, 2001). En conséquence, il existe beaucoup de tension et de concurrence entre les épouses, un élément qui est d'ailleurs courant dans la plupart des structures de familles polygames. Les femmes vivant dans un mariage plural souffrent également de problèmes de santé mentale; c'est particulièrement le cas des femmes dont l'union a été arrangée, qui ont donné naissance à plus de filles que de garçons et qui sont les premières épouses. Toujours selon les recherches menées, des problèmes de faible estime de soi, de dépression et de nervosité ainsi que des symptômes somatiques sont fréquents, particulièrement chez les premières épouses (Al-Krenawi, 1999, 2001; Al-Krenawi et al., 1997, 2001; Elbedour et al., 2002). Par conséquent, les femmes arabes bédouines participant à des mariages pluraux sont plus susceptibles de souffrir de maladie mentale (Chaleby, 1985, 1987).
Le traitement préférentiel se manifeste souvent par une distribution inéquitable des ressources parmi les épouses et leurs enfants, particulièrement parmi les premières épouses. Du point de vue démographique, les recherches concluent qu'il existe une relation négative entre la polygamie et la condition socioéconomique, ce qui est contraire aux dispositions du Coran indiquant que la polygamie ne doit être pratiquée que si l'époux peut subvenir adéquatement aux besoins de toutes ses épouses et de leurs enfants (Elbedour et al., 2002; Al-Krenawi, 2001). De plus, bien que le Coran stipule que les hommes peuvent marier jusqu'à quatre épouses seulement, il n'est pas rare qu'ils en aient plus. En conséquence, ces familles grandissantes épuisent dans bien des cas les ressources du père et mari à un point tel que les épouses et les enfants (particulièrement les épouses moins favorisées) vivent dans la pauvreté (Al-Krenawi et Graham, 1999; Al-Krenawi et al., 1997, 2001).
Par rapport aux recherches menées dans d'autres pays, beaucoup d'ouvrages provenant d'Israël ont été publiés sur les expériences des enfants vivant dans une famille musulmane polygame. Il existe des preuves montrant que les familles polygames peuvent procurer des avantages positifs aux enfants, notamment la présence d'un certain nombre de modèles, le fait de recevoir plus d'affection (ce qui est bon pour la santé mentale) et une attention parentale accrue (de la part de plusieurs mères) (Elbedour et al., 2002). Cependant, un plus grand nombre d'ouvrages indiquent que les effets néfastes produits par les mariages polygames sur les mères, ainsi que les pressions subies par les familles polygames en général, ont des répercussions plus négatives que positives sur les enfants. Par exemple, des études ont révélé que la santé mentale de la mère et le degré de tension chez les épouses sont liés aux troubles du comportement et de l'adaptation des enfants ainsi qu'à leurs problèmes d'ordre psychologique, interpersonnel et scolaire (Al-Krenawi, 2001; Al-Krenawi et al., 2001). Selon les hypothèses des chercheurs (Al-Krenawi et al., 2002; Al-Krenawi et Lightman, 2000), l'ajout de nouvelles épouses et d'enfants cause une rupture systémique majeure dans la famille, ébranlant ainsi la stabilité des enfants des premières épouses, réduisant leur confiance en soi et leur sécurité et aggravant leur anxiété. Par ailleurs, l'ajout d'une nouvelle épouse et d'enfants à la famille occasionne une certaine distance entre les enfants des premières épouses et leur père, parfois au point où les enfants ne le reconnaissent même pas (Elbedour et al., 2002; Lev-Wiesel et Al-Krenawi, 2000).
Cette distance entre le père et l'enfant peut être un facteur contribuant à la tendance à connaître des difficultés de santé mentale que semblent avoir les enfants et les adolescents de familles polygames par rapport aux enfants de familles monogames. Selon Al-Krenawi et Graham (1999) et Al-Krenawi et al. (1997), les besoins psychologiques des enfants (particulièrement ceux d'épouses plus anciennes) sont souvent négligés dans les familles polygames, principalement en raison de la mauvaise qualité des rapports entre les enfants et leur père. Dans le cas des adolescents, certaines recherches concluent que ceux et celles qui sont élevés dans une famille polygame sont plus susceptibles de démontrer un haut niveau de sensibilité interpersonnelle, de dépression et de mode de pensée persécutoire, ainsi qu'un fonctionnement familial plus problématique (Al-Krenawi et al., 2002). Les cas documentés de violence physique révèlent aussi un problème plus répandu dans les familles arabes bédouines polygames que dans les familles monogames (Al-Krenawi, 1999; Elbedour et al., 2002). Il se peut que ces expériences soient attribuables, en partie, aux effets socioéconomiques de la structure de la famille polygame. La détresse financière de la famille est liée à l'intolérance parentale (ce qui peut donner lieu aux mauvais traitements et à la négligence à l'égard des enfants), à la dépression, au comportement antisocial, à un faible contrôle des impulsions, à de piètres résultats scolaires, à une image négative de soi et à une fréquence plus élevée de problèmes de santé (Elbedour et al., 2002). Il arrive souvent que la famille polygame ne réponde pas aux besoins de base des enfants (fournitures scolaires, vêtements, etc.) (Al-Krenawi et Graham, 1999; Al-Krenawi et al., 1997).
En somme, les recherches indiquent que les enfants arabes bédouins vivant dans une famille polygame subissent certaines conséquences. Cependant, des facteurs médiateurs tels que la pauvreté, les conflits familiaux, le stade de développement de l'enfant et le manque d'attachement envers le père peuvent également contribuer à expliquer les effets nocifs que ces enfants subissent (Elbedour et al., 2002; Al-Krenawi et al., 2002). Qui plus est, dans les communautés où la polygamie est appuyée et appréciée, il est possible que la vulnérabilité des enfants face à la perturbation de la vie familiale soit moins prononcée, étant donné le soutien collectif qui leur est offert (Elbedour et al., 2002).
Il est important de reconnaître les questions de grande envergure qui peuvent avoir une incidence sur les expériences des femmes et des enfants. Les recherches publiées sur les familles arabes polygames ont été menées en Israël et dans ses territoires occupés. La loi israélienne interdit la polygamie, mais elle n'est pas appliquée pour des motifs politiques; selon Al-Krenawi et Graham (1999 : 499), le fait de fermer les yeux sur le sort des femmes vivant dans un mariage polygame renforce la construction idéologique de la famille polygame ainsi que l'exploitation des femmes. Cependant, comme Al-Krenawi et al. (2001 : 6) l'ont reconnu, la mesure dans laquelle une famille ou communauté respecte les valeurs traditionnelles est un facteur déterminant important de la qualité de vie des femmes et des enfants vivant dans une famille arabe polygame. Toujours selon les auteurs, le soutien économique, social et émotionnel de la famille peut être tacitement conditionnel à l'obéissance aux normes traditionnelles. Ainsi, le degré d'acceptation des normes socioculturelles peut présenter des avantages pour les femmes et les enfants vivant dans une famille polygame.
Comme c'est le cas en Amérique du Nord, les chercheurs indiquent qu'il faut élargir le champ de connaissances des personnes pratiquant le mariage polygame, afin d'élaborer des stratégies plus inclusives et moins discriminatoires visant à venir en aide aux femmes et aux enfants. Al-Krenawi et al. (1997) et Al-Krenawi (1999) ont relevé des interventions sensibles aux particularités culturelles qui pourraient être bénéfiques aux femmes et aux enfants en encourageant le respect du Coran (c.-à-d. le traitement égal des épouses, la préservation de l'harmonie, la paix, le bien-être de la famille). Les personnes qui pratiquent le mariage polygame doivent le comprendre dans son contexte ethnoculturel distinct (Elbedour et al., 2002; Al-Krenawi et al., 2001).
D'après Anderson (2000), la polygamie est plus répandue en Afrique que nulle part ailleurs au monde. C'est une pratique socialement acceptée parmi les tribus et les communautés dans un certain nombre de pays africains, en particulier dans ceux de l'Afrique de l'Ouest (Timaeus et Reynar, 1998). Elbedour et al. (2002) et Bergstrom (1994) estiment que, dans certaines régions de l'Afrique, entre 20 et 50 p. 100 de tous les mariages célébrés sont de nature polygame. On encourage la polygamie en Afrique par divers facteurs, et sa prévalence reflète les différences entre les tribus et les religions, ainsi que les structures économiques et sociales. Un grand nombre d'Africaines et d'Africains vivant dans un mariage plural sont musulmans, mais des hommes non musulmans entrent dans un mariage plural pour des motifs d'ordre économique, social ou pour des raisons de statut (Madhavan, 2002; Ezra, 2003; Klomegah, 1997; Meekers et Franklin, 1995). En ce qui concerne la femme, les facteurs liés à l'ethnicité, au milieu (rural par rapport à urbain), à la religion et surtout à l'éducation déterminent si elle vit dans un mariage polygame : les femmes possédant un niveau élevé de scolarité sont beaucoup moins susceptibles de vivre dans un mariage polygame (Elbedour et al., 2002; Ezra, 2003; Agadjanian et Ezeh, 2000; Timaeus et Reynar, 1998; Klomegah, 1997). Cependant, la polygamie en Afrique devient de plus en plus contestée en raison des difficultés économiques inhérentes à ce type de relation et de l'influence grandissante de l'idéologie chrétienne occidentale (Simmons, 1999; Timaeus et Reynar, 1998; Anderson, 2000). Selon les études effectuées, le mariage polygame connaît une baisse de popularité en Afrique pour diverses raisons : l'augmentation du coût de la vie, l'accroissement du niveau d'éducation des femmes et l'évolution graduelle de la condition féminine, au point où les femmes commencent à montrer une certaine résistance face à la polygamie (Anderson, 2000; Madhavan, 2002; Timaeus et Reynar, 1998). La polygamie est moins répandue dans les milieux offrant un niveau de scolarisation et d'urbanisation plus élevé. Bien que certains groupes applaudissent à la baisse de la polygamie, il persiste un conflit entre le désir de protéger les traditions culturelles africaines et la pression grandissante de reconnaître les droits de la femme (Simmons, 1999; Economist, 1996).
Les expériences des femmes vivant dans une famille polygame en Afrique varient selon les caractéristiques socioculturelles de leur tribu, communauté ou région environnante. Dans la plupart, sinon la totalité des cas, il s'agit d'une structure patriarcale; toutefois, le degré d'autorité détenu par le mari dépend souvent des attentes culturelles et sociales à l'égard de son comportement (Madhavan, 2002; Agadjanian et Ezeh, 2000). Selon Madhavan (2002), le degré de coopération ou de concurrence parmi les coépouses du mari repose sur un certain nombre de facteurs, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la famille. Sur le plan interne, les familles dont chacun des membres est loyal envers le foyer familial, qui maintiennent une hiérarchie des coépouses non exploitante, qui ont établi des systèmes pour résoudre les problèmes de manière à assurer l'égalité (rotation, incitatifs, etc.) et dont les coépouses ont à peu près le même âge, sont mieux en mesure de préserver un milieu familial positif et harmonieux. Gwanfogbe et al. (1997) ont conclu que les premières épouses se trouvant dans de telles situations coopératives ressentent souvent une plus grande satisfaction que les dernières épouses, puisqu'elles reçoivent du soutien et de l'aide de la part des autres femmes pour s'occuper des responsabilités préexistantes. Les avantages découlant des unions polygames comprennent notamment le partage des tâches ménagères, la présence de compagnes et le contact social, une autonomie accrue vis-à-vis du mari, des gains économiques (une des épouses peut avoir un travail rémunéré tandis que les autres s'occupent des enfants) et de l'aide pour élever les enfants (Anderson, 2000). Sur le plan extérieur, les communautés aux valeurs hautement collectives mettent l'accent sur la coopération et l'égalité, découragent la jalousie et accordent moins d'importance à la richesse et à la beauté physique. Ce sont dans ces communautés que les femmes et les enfants ressentent le moins les effets négatifs de la polygamie (Gwanfogbe et al., 1997). En outre, les femmes en retirent une expérience plus positive dans les tribus qui accordent une grande valeur à la maternité; ces tribus encouragent même les femmes à collaborer entre elles pendant la grossesse, pour l'éducation des enfants, pour le partage de leurs connaissances et pour s'entraider dans leurs activités quotidiennes (Madhavan, 2002; Elbedour et al., 2002). Ainsi, le degré d'harmonie au sein des familles polygames africaines est en grande partie le résultat des valeurs de la famille et, en corollaire, de la tribu ou de la communauté, c'est-à-dire si la condition est reliée à la concurrence ou à la collaboration.
Les recherches indiquent qu'il existe des communautés où les femmes vivent une expérience très négative de la polygamie, marquée par la tristesse, la violence, le traitement inéquitable et le manque de ressources émotives et pécuniaires (Meekers et Franklin, 1995; Madhavan, 2002; Agadjanian et Ezeh, 2000). Il s'agit de communautés où le mariage initial a tout probablement été arrangé, laissant ainsi la première épouse dans un état d'impuissance, et d'autres mariages peuvent avoir lieu sans le consentement ou l'approbation des premières épouses. Dans les milieux où l'inégalité entre les sexes est très prononcée, les femmes sont susceptibles d'avoir bien peu de contrôle sur la reproduction, un accès limité aux ressources pécuniaires et une influence minimale sur la sélection de leur partenaire.
La recherche portant sur les effets des familles polygames sur les enfants d'Afrique n'est pas considérable. Les ouvrages publiés indiquent un impact essentiellement négatif. Les travaux de Owuamanam (1984), qui a étudié l'image de soi chez les adolescentes et les adolescents nigériens, ont révélé que la polygamie leur porte atteinte, même dans les cas de famille élargie nombreuse. L'interaction entre le père et l'enfant est souvent inadéquate dans les foyers polygames, ce qui engendre un manque d'identité à l'égard des êtres chers et une détérioration de l'image de soi. De plus, une image de soi affaiblie peut être liée à la concurrence entre les demi-frères et les demi-soeurs, qui doivent rivaliser entre eux pour se tailler une place dans la famille; en revanche, les enfants vivant dans un foyer monogame héritent d'une place spéciale. Owuamanam a fait valoir que, comme le foyer monogame comptait moins d'enfants qui avaient besoin d'attention, il permettait un contact plus intime avec les êtres chers que celui offert dans un foyer polygame, même s'il était de plus petite taille. En ce qui concerne les effets produits sur le rendement scolaire, Cherian (1990) a constaté que les résultats moyens des enfants vivant dans une famille polygame étaient considérablement inférieurs à ceux des enfants vivant dans une famille monogame. Cela laisse entendre que le conflit, l'anxiété et le stress résultant de la rivalité entre les coépouses et les demi-frères et les demi-soeurs font obstacle au progrès scolaire. Par ailleurs, les enfants ont moins de contact avec leur père et, par conséquent, jouissent d'une moins grande sécurité. En dépit de ces constatations négatives, il faut noter que les ouvrages publiés se limitent à certains groupes et pays; il est probable que les résultats varieront en fonction du milieu culturel africain.
La recherche menée récemment sur la polygamie en France, surtout sur les expériences vécues par les immigrantes et immigrants africains (maliens), met en évidence le conflit qui existe entre les coutumes et les lois sur l'immigration et celles de la société occidentale dominante; cette question a d'ailleurs été soulevée par l'immigration de musulmans au Canada. Sargent et Cordell (2002), qui ont examiné ce conflit dans le contexte français, ont souligné les difficultés connues par les femmes et les enfants maliens dans une union polygame en France; les revenus des ménages sont peu élevés et les coépouses, qui vivaient généralement dans des habitations distinctes dans leur pays d'origine, sont forcées de vivre ensemble dans des espaces restreints. Cette situation provoque souvent des conflits entre les coépouses. En raison de la nécessité de gagner un revenu une fois installées en France, il arrive que les épouses vivant dans un mariage polygame doivent obtenir un emploi rémunéré pour la première fois. Bien que ces femmes exercent généralement un travail non spécialisé (comme nettoyeuses, par exemple), ce changement de rôle pour les femmes diminue le pouvoir et l'autorité du mari dans la famille. De plus, le contact avec les services sociaux en France permet aux femmes de se renseigner sur la fertilité et le contrôle des naissances, tandis que cette information n'était pas disponible en Afrique en raison de la valeur culturelle accordée à la famille.
Les conditions de la polygamie en France donnent lieu à un véritable malaise chez les femmes immigrantes. Comme les études ont laissé entendre que près de 75 p. 100 des Maliennes et des Maliens en France pratiquaient la polygamie, le gouvernement français s'est senti obligé de s'intéresser à la question (Sargent et Cordell, 2002). Avant 1993, les hommes qui avaient contracté une union polygame dans leur pays d'origine pouvaient faire entrer en France tous leurs enfants et leur première épouse; en outre, les épouses multiples pouvaient immigrer légalement en France pour rejoindre leur mari et leurs enfants, en indiquant la polygamie comme leur état marital. Toutefois, en 1993, la loi a été modifiée pour interdire la réunification des époux et des épouses plurales d'un mariage polygame. Selon Sargent et Cordell (2002 : 1964), la conjoncture créée par des politiques de plus en plus restrictives en matière d'immigration, une politique implicite visant à encourager l'utilisation des moyens contraceptifs parmi la population immigrante, l'attitude nataliste que les hommes maliens continuent d'avoir ainsi que les tensions entourant la polygamie a engendré une crise dans le domaine de la reproduction. Les femmes immigrantes maliennes participant à une union polygame et vivant elles-mêmes dans la pauvreté s'opposent au fait d'avoir d'autres enfants, ce qui constitue un acte de résistance envers les coutumes traditionnelles maliennes, mais appuie les politiques de la France.
En ce qui concerne particulièrement l'Amérique du Nord, les études portant sur les familles polygames sont peu nombreuses, en raison en partie de la difficulté d'avoir accès à cette population. Le secret dans lequel ces communautés vivent est considéré, tant par les chercheurs canadiens qu'américains sur la polygamie, comme un obstacle majeur à la réalisation de leurs travaux (Jankowiak et Diderich, 2000; Peters, 1994), si bien qu'il est difficile de prendre contact avec les membres et d'obtenir des renseignements fiables de leur part. Cependant, les ouvrages publiés récemment à l'échelle internationale révèlent que, même si la polygamie existe dans des contextes socioculturels bien distincts dans diverses régions du monde, des thèmes communs en ressortent.
Un de ces grands thèmes porte sur le fait que les relations entre les époux et les épouses sont définies par les difficultés inhérentes au mariage plural que causent les normes patriarcales. La polygamie est pratiquée par les groupes qui possèdent des valeurs hautement patriarcales et qui ne croient pas nécessairement en l'égalité entre les sexes. Bien que la concurrence entre les épouses en matière d'avantages économiques, de condition et d'affection soit à la racine d'un bon nombre des problèmes qui se posent dans les mariages polygames, la subordination des femmes définit également les relations entre le mari et chacune de ses épouses (Altman, 1993; Elbedour et al., 2002; Al-Krenawi et Graham, 1999; Agadjanian et Ezeh, 2000). Même dans les cultures où le conflit entre les épouses et les enfants est limité et où la polygamie est grandement encouragée par la communauté, les chercheurs indiquent toujours que le traitement inégal des épouses, le mauvais traitement des femmes et la jalousie posent des difficultés dans les familles polygames (Madhavan, 2002; Altman et Ginat, 1996).
En effet, les études menées auprès des diverses cultures révèlent de façon constante que les femmes vivant dans des familles polygames éprouvent de plus grands problèmes de santé émotionnelle et mentale que celles participant à des relations monogames, tandis que les enfants de familles polygames sont plus susceptibles d'atteindre un niveau de scolarité peu élevé et de connaître des difficultés d'ordre affectif (Committee on Polygamous Issues, 1993; Al-Krenawi, 2001; Al-Krenawi et Lightman, 2000; Al-Krenawi et Graham, 1999; Al-Krenawi et al., 1997). Toutefois, les effets de la polygamie sont en fonction de facteurs tels que la condition socioéconomique, le niveau de scolarité, le soutien communautaire, l'acceptation culturelle, la taille de la famille, la coopération entre les coépouses et les mécanismes de résolution des conflits (Elbedour et al., 2002; Al-Krenawi et al., 2002; Madhavan, 2002; Gwanfogbe et al., 1997).
Il existe un consensus international à l'effet que les enseignants, les travailleurs sociaux et les organismes communautaires doivent être sensibilisés davantage aux besoins et aux expériences que vivent les femmes et les enfants dans les familles polygames (Al-Krenawi et al., 2002; Elbedour, 2002). La situation exige également qu'on évalue l'effet du stigmate auquel font face les membres des familles plurales dans la communauté en général. Les membres des familles polygames ressentent souvent des sentiments de rejet et de ridicule de la part de la population générale, ce qui constitue une source de stress et de malaise. Comme l'indiquent Altman et Ginat (1996 : 438), les membres de ces communautés se sentent souvent isolés, rejetés, incompris et même menacés par la société, ce qui a pour conséquence de contribuer au secret et à l'attitude protectionniste qui caractérisent les communautés polygames, surtout en Amérique du Nord. Les membres d'une famille polygame en Amérique du Nord doivent sans cesse concilier les exigences de cette famille immédiate et les pressions imposées par la société en général qui rejette leur mode de vie.
Même si des tendances claires se dégagent des recherches effectuées sur la polygamie, il est vital que d'autres études soient menées sur les effets du mariage plural sur les femmes et les enfants, et ce, afin de mieux comprendre les besoins de ceux et celles qui font partie de ces groupes, surtout en Amérique du Nord, et afin de leur venir en aide. De quelle manière les femmes et les enfants au Canada vivent-ils la polygamie? Quels sentiments les hommes au sein de ces communautés éprouvent-ils à l'égard de ces personnes, tant celles qui y restent que celles qui sont forcées de quitter? D'après les membres actuels et les anciens membres de ces communautés, que faut-il faire pour aider les personnes de ces communautés, en particulier les femmes et les enfants?
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Mise à jour : 2005-12-19 Contenu revu : 2005-12-19 |
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