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La polygamie au Canada : conséquences juridiques et sociales pour les femmes et les enfants – Recueil de rapports de recherche en matière de politiques

Examen international de la polygamie : répercussions juridiques et politiques pour le Canada


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3. TRAITEMENT JURIDIQUE DE LA POLYGAMIE DANS D'AUTRES PAYS

La tendance à interdire la polygamie : le contexte international

Trois questions sont soulevées relativement au traitement juridique de la polygamie au Canada et dans d'autres pays.

  • L'État permettra-t-il aux personnes de contracter un mariage polygame légalement valable?

  • Si l'État ne permet pas aux personnes de contracter un mariage polygame légalement valable, reconnaîtra-t-il les mariages polygames valables dans les pays où ils ont été contractés légalement, du moins à certaines fins juridiques?

  • Le fait de contracter une union polygame ou de cohabiter dans ce type d'union est-il un acte criminel?

De nombreux pays d'Asie et d'Afrique autorisent légalement les mariages polygames. Toutefois, puisque l'importance de l'égalité entre les sexes est de plus en plus reconnue et que les préoccupations manifestées à l'égard des effets de la polygamie sur les femmes et les enfants sont de plus en plus grandes, on constate, depuis environ un siècle, une tendance à adopter des lois qui abolissent la polygamie. Des lois explicites qui déclarent invalides ou qui criminalisent les mariages polygames ont maintenant été adoptées dans au moins huit pays de l'Europe, 14 pays de l'Amérique, neuf pays de l'Asie et sept pays de l'Afrique.2

Parmi les pays qui interdisent la polygamie, on retrouve plusieurs pays dont la population est à prédominance musulmane. La Tunisie a interdit la polygamie il y a plus de 40 ans (von Struensee, 2004). La Turquie, qui compte une population à prédominance musulmane, mais qui est officiellement un État laïque plutôt que musulman, a aboli la polygamie en 1926.3 De plus, au Bangladesh, un pays qui autorise toujours la polygamie, le tribunal de grande instance, dans l'affaire Jesmin Sultana c. Mohammed Elias, a remis en question la validité de la polygamie en vertu de la loi musulmane dans le contexte moderne, après une analyse du Coran.4

Parmi les pays qui autorisent toujours la polygamie, un certain nombre se dirigent vers la restriction ou l'abolition de cette pratique. En Ouganda, par exemple, un projet de loi déposé devant le Parlement en décembre 2003 restreint à quatre le nombre d'épouses qu'un homme peut prendre et exige que l'épouse ou les épouses existantes consentent, devant le tribunal, à ce que leur époux prenne une épouse supplémentaire (von Struensee, 2004). Avant qu'un homme puisse prendre une autre épouse, il doit également démontrer qu'il dispose des ressources financières requises pour subvenir aux besoins d'une autre épouse et de ses enfants, et il doit démontrer qu'il est en mesure d'accorder le même traitement à toutes ses épouses. Bien que ce projet de loi ne constitue pas une interdiction complète de la polygamie, il s'agit tout de même d'un changement important par rapport à la loi existante et d'un changement controversé en Ouganda, où il n'existe aucun nombre maximum d'épouses qu'un homme peut prendre ni aucune exigence relative au consentement des épouses précédentes à l'égard d'un autre mariage.

Au Maroc, le ministre de la Justice a annoncé en février 2005 qu'il y avait eu une baisse de 10 p. 100 du nombre de nouveaux mariages polygames en 2004. Il attribuait cette baisse aux changements apportés à la loi sur la famille du Maroc, qui est entrée en vigueur en 2004 et qui visait à renforcer les droits des femmes (Agence France Presse, 2005).

Au niveau international, bien que la polygamie ne soit pas explicitement interdite par un quelconque traité international, elle enfreint certains droits fondamentaux de la personne, comme le droit à la protection de la dignité des femmes, le droit à l'égalité au sein de la famille et le droit à une protection égale des femmes en vertu de la loi (von Struensee, 2005). Il est reconnu que la pratique de la polygamie est incompatible avec l'article 16(1) de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui prévoit que les hommes et les femmes ont les mêmes droits en ce qui concerne la mariage, et avec l'article 16(1)(b) de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, qui garantit le droit de choisir librement une épouse ou un époux et de contracter un mariage avec un consentement libre et total. De plus, la polygamie est incompatible avec l'article 23(4) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui exige que les États parties prennent les mesures appropriées pour assurer l'égalité des droits et des responsabilités des époux en ce qui concerne le mariage. Ces dispositions se rapportent à l'institution du mariage fondé sur l'égalité de l'époux et de l'épouse. Le document de von Struensee (2004: 2, 21) prétend que la pratique de la polygamie est directement en contradiction avec le principe de l'égalité parce qu'il attribue à un époux le droit unilatéral de prendre plusieurs partenaires sans le consentement de son épouse et parce qu'il exige de la première épouse qu'elle partage les ressources du mariage à la suite de cette décision.

En 1994, le Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies s'est penché sur les droits des femmes dans le contexte de la famille et a analysé des articles de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes qui avaient trait à la polygamie.5 Bien que le Comité ait convenu que « la notion de famille et la forme que peut prendre la cellule familiale ne sont pas identiques dans tous les pays »,6 il a souligné que les mariages polygames ne sont pas acceptables parce qu'ils enfreignent le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes. Le Comité a fait part de ses préoccupations au sujet des pratiques adoptées dans plusieurs pays puisque, selon lui, « la polygamie est contraire à l'égalité des sexes et peut avoir de si graves conséquences affectives et financières pour la femme et les personnes à sa charge qu'il faudrait décourager et même interdire cette forme de mariage. »7 Le Comité conclut donc que, dans plusieurs États, la pratique continue de la polygamie enfreint les droits à l'égalité pour les femmes garantis par la constitution, ainsi que l'article 5(a) de la Convention, qui exige que les États parties prennent toutes les mesures pour éliminer les pratiques qui reposent sur des préjugés ou des stéréotypes fondés sur le sexe.

Le Conseil de l'Union européenne s'est également penché sur la question de la polygamie et a demandé à ses États membres de restreindre l'immigration de personnes ayant contracté des mariages polygames. Le 22 septembre 2003, le Conseil a publié une directive sur le droit au regroupement familial.8 Cette directive s'applique à tous les États membres de l'Union européenne, à l'exception du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark. Elle stipule que, par respect des droits des femmes et des enfants, il est acceptable pour les États membres de prendre des « mesures restrictives » contre les demandes de regroupement des familles polygames.9 Le paragraphe 4 de l'article 4 de la directive stipule ce qui suit : « En cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un conjoint vivant avec lui sur le territoire d'un État membre, l'État membre concerné n'autorise pas le regroupement familial d'un autre conjoint. » L'article 4 prévoit aussi qu'un État membre « peut imposer des restrictions concernant le regroupement familial des enfants mineurs d'un autre conjoint auprès du regroupant. »

Les lois interdisant ou criminalisant la polygamie ne sont pas sans controverse. Dans un certain nombre de pays, la nature constitutionnelle de ces lois a été défiée sur les principes qu'elles enfreignaient les garanties constitutionnelles de liberté de religion, mais ces lois ont surmonté ces obstacles.10

Dans le prochain chapitre, nous examinons le traitement juridique de la polygamie dans un certain nombre de pays occidentaux industrialisés. Tous ces pays ont principalement des origines chrétiennes et une tradition de mariage monogame, mais ils ont également tous des populations musulmanes en pleine croissance et ils doivent résoudre certaines questions relatives à la reconnaissance des mariages polygames. Aux États-Unis, comme au Canada, il existe aussi des communautés polygames traditionnelles de mormons fondamentalistes qui sont en place depuis plusieurs générations.

Pays occidentaux qui ont des populations musulmanes en pleine croissance
Australie

En vertu de l'article 94 de la Marriage Actde 1961 de l'Australie, toute personne qui est déjà mariée et qui s'engage dans une deuxième forme de cérémonie de mariage commet un acte criminel,11 ce qui fait du mariage polygame un acte criminel en Australie. De plus, tout mariage ainsi contracté est considéré comme nul en Australie et dans tout autre pays où la common law est appliquée. Toutefois, en vertu de l'article 6 de la Family Law Act, un mariage polygame contracté dans un pays étranger qui autorise de tels mariages est reconnu en Australie aux fins de la Loi, y compris en donnant à chaque épouse d'un tel mariage le droit de présenter une revendication sur la propriété ou une demande de pension alimentaire à la séparation, à une condition cependant : les époux devaient résider dans le pays étranger en question lorsqu'ils ont contracté le mariage (Reynolds, 2002).

Toutefois, aux fins de l'immigration, même si un homme est marié à plus d'une femme, une seule femme peut l'accompagner en Australie (Australie, 2002). De plus, l'Australian Law Reform Commission a stipulé que si on reconnaissait la polygamie comme étant légale, on enfreindrait les principes de l'égalité entre les sexes qui sont à la base des lois australiennes (Australia, 1992: par. 5.10). Dans son rapport de 1992, intitulé Multiculturalism and the Law, l'Australian Law Reform Commission a recommandé que l'Australie continue de reconnaître seulement les mariages polygames contractés dans des pays étrangers, et ce, à des fins limitées seulement.

Allemagne

Il n'est pas possible de contracter un mariage polygame valable en Allemagne (Fournier, 2004). L'Allemagne ne permet pas le parrainage d'hommes qui ont plus d'une femme (Rohe, 2003). Toutefois, elle reconnaît de manière limitée les mariages polygames célébrés et valables dans un autre pays en permettant que les épouses d'un mariage polygame demandent une pension alimentaire devant les tribunaux allemands. De plus, les lois prévoient que la prestation de décès payable soit divisée de manière égale entre les veuves si l'époux a contracté un mariage polygame valable dans un pays où de telles unions sont permises.

France

Le Code civil français stipule qu'une personne mariée ne peut pas contracter un deuxième mariage tant que le premier mariage a toujours cours, et les tribunaux français ont maintes fois décrété que les deuxièmes mariages contractés en France sont nuls et n'ont aucun effet juridique (Fournier, 2004). Toutefois, la France reconnaît qu'un mariage polygame contracté à l'étranger a une valeur restreinte en France s'il est contracté dans un pays qui reconnaît de tels mariages comme étant valables et si les époux possèdent la citoyenneté du pays en question. Entre 1980 et 1993, la France a permis le regroupement de familles polygames en autorisant des hommes qui étaient résidents de la France à faire venir en France plus d'une épouse pour qu'elles vivent avec eux. Aujourd'hui, on dénombre donc en France de nombreuses familles polygames, lesquelles sont principalement d'origine ouest-africaine.

Depuis 1993, le gouvernement français tente de réduire le nombre de ménages polygames. En 1993, on estimait qu'il y avait en France environ 150 000 personnes qui vivaient dans des familles polygames. En 1993, la France a adopté une loi qui forçait les familles polygames à « décohabiter » (France, 2002) en citant les problèmes associés aux familles trop grandes, notamment le manque de logements appropriés, le fardeau important que ces familles exercent sur les services sociaux et les effets néfastes de telles relations sur les femmes et les enfants. Un homme immigrant qui a plusieurs épouses ne peut pas obtenir de carte de résident autorisé s'il réside avec plus d'une épouse. De même, seule la première épouse peut obtenir une carte de résidente autorisée, et les autres épouses devront se séparer de leur époux avant de pouvoir obtenir cette carte. Même si les membres des mariages polygames ne peuvent pas travailler en toute légalité en France sans carte de résident autorisé, ils ne peuvent pas être déportés s'ils sont les parents d'enfants qui ont la citoyenneté française (c.-à-d. d'enfants nés en France).

Depuis 1993, les hommes qui se sont mariés avec plusieurs femmes dans un autre pays ne sont autorisés par la loi qu'à être accompagnés d'une seule femme et de ses enfants lorsqu'ils entrent en France, alors que les enfants de l'autre épouse ou des autres épouses ne pourront rejoindre leur père en France que dans certaines circonstances précises (Fournier 2004). La France encourage également la décohabitation des épouses multiples en leur refusant toute aide sociale si elles résident avec leur époux. Toutefois, en pratique, cette exigence peut s'avérer très difficile à vérifier.

Royaume-Uni

On ne peut pas contracter de mariage polygame valable en Angleterre. Bien que la polygamie ne constitue pas un acte criminel, la bigamie est un acte criminel en vertu de l'article 57 de l'Offences Against the Person Act, qui stipule que toute personne qui contracte un mariage polygame en Angleterre commet un acte criminel. Toutefois, en vertu de la Matrimonial Causes Act de 1973, le Royaume-Uni considère comme étant valables les mariages contractés le 1er août 1971 ou après si les deux parties au mariage avaient les capacités personnelles requises en vertu de la loi de leur domicile respectif pour contracter le mariage et si le mariage est valable dans le pays où il a eu lieu. Ainsi, aux fins de certaines lois de la famille, certains mariages polygames peuvent obtenir une reconnaissance juridique en Angleterre.

Le Royaume-Uni a pour politique d'empêcher la formation de ménages polygames sur son territoire.12 Cette politique est mise en application, en partie, par l'article 2 de l'Immigration Act de 1988, qui stipule qu'une seule épouse d'un mariage polygame peur être parrainée par son époux afin d'immigrer au Royaume-Uni. Dans un débat sur la promulgation de cette loi, le secrétaire de l'intérieur, Douglas Hurd, a indiqué que le nombre d'épouses de ménages polygames qui entraient au Royaume-Uni était minime, mais que la polygamie n'était pas une coutume sociale acceptable dans ce pays.13 Shah (2003: 392) prétend que, si la polygamie était à l'origine interdite en Grande-Bretagne en raison d'arguments reposant sur la vision chrétienne du mariage dans ce pays, ces arguments se sont maintenant étamorphosés en arguments fondés sur les relations communautaires, l'égalité des sexes et les droits de la personne, tous des arguments qui, eux aussi, rendent cette coutume inadmissible.

Même si, habituellement, une seule épouse est acceptée en Angleterre, l'Immigration Act de1988 permet des exceptions dans le cas d'une épouse qui est entrée au Royaume-Uni avant le 1er août 1988 et qui a été acceptée au pays en raison de son mariage. La loi permet également des exceptions dans le cas d'une femme qui est entrée au Royaume-Uni après son mariage et pendant que son époux ne vivait pas au Royaume-Uni avec une autre épouse. Shah (2003) souligne qu'en vertu des règles de l'immigration, une deuxième épouse pourrait, en théorie, entrer au Royaume-Uni en tant que visiteuse ou réfugiée et que des épouses multiples et leurs enfants peuvent vivre avec leur époux de manière illégale en Angleterre.

En vertu des règles de l'immigration, par. 296 de HC 395, si une épouse d'un mariage polygame est refusée au pays, ses enfants seront aussi refusés. Dans certaines circonstances atténuantes, telles que le décès de leur mère, ces enfants peuvent être acceptés au pays pour venir vivre avec leur père.14 Il est également important de souligner que, pour éviter toute poursuite fondée sur la discrimination des sexes, les par. 278 à 280 de HC 395 ont été modifiés pour inclure les mariages polyandres (une épouse qui a plus d'un époux) et les mariages polygynes (un époux qui a plus d'une épouse).15

La pratique de la polygamie inquiète de plus en plus au Royaume-Uni, comme le démontre l'adoption récente de l'Asylum and Immigration (Treatment of Claimants, etc.) Act de 2004. L'article 14 de cette loi attribue des pouvoirs d'arrestation encore plus grands aux agents de l'immigration, qui peuvent maintenant effectuer une arrestation lorsqu'ils ont des doutes raisonnables qu'une personne a commis ou a tenté de commettre certains actes criminels, dont la bigamie.

La British Human Rights Act de 1998 est entrée en vigueur en octobre 2000, à la suite de rapports présentés dans les médias à l'effet que la politique britannique d'interdiction des mariages polygames pouvait être contestée en vertu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Malik, 2000). L'article 12 de la Convention, qui garantit le droit de se marier et de fonder une famille, a été incorporé à la loi britannique par le Human Rights Act de 1998.16 Toutefois, bien que la directive du Conseil de l'Union européenne (dont il est question ci-dessus) qui consiste à restreindre l'immigration des parties de mariages polygames ne soit pas applicable au Royaume-Uni, elle peut être une indication de la manière dont la Convention sera interprétée en suggérant que la politique du Royaume-Uni n'enfreigne pas la Convention.17

États-Unis

La bigamie constitue une infraction dans tous les États des États-Unis, ce qui fait également de tout mariage polygame une infraction. Plusieurs États, dont l'Utah, le Texas, le Colorado et le Rhode Island, ont défini de manière précise la bigamie pour qu'elle comprenne la cohabitation dans une relation polygame, et non simplement des mariages multiples.18 Aux États-Unis, la question de la polygamie a récemment refait surface en raison des mormons fondamentalistes (Rower, 2004), qui ont continué de pratiquer la polygamie après que l'église mormone eut cessé d'endosser la polygamie dans les années 1890. En 1878, dans la cause Reynolds c. les États-Unis,19 la Cour suprême des États-Unis a maintenu la conviction d'infraction pour bigamie reposant sur la pratique de la polygamie. À cette époque, les préceptes de la religion mormone, à laquelle appartenait Reynolds, exigeaient que l'accusé pratique la polygamie. Toutefois, la Cour a stipulé que la clause de libre exercice protégeait les croyances religieuses et non les pratiques, et que le Congrès avait le pouvoir de proscrire la polygamie. De plus, la Cour a décrété que, si elle acceptait l'argument selon lequel la Constitution permettait à une personne de ne pas tenir compte des lois sur la bigamie qui entraient en conflit avec ses croyances religieuses, elle permettrait ainsi à chaque citoyenne et à chaque citoyen de faire sa propre loi.20

Un certain nombre de collectivités des États-Unis comptent de nombreuses familles polygames de mormons fondamentalistes, les deux plus grandes étant Colorado City, en Arizona, et Hildale, en Utah. En 1953, l'État de l'Arizona a organisé une descente, encouragé par le gouverneur Pyle et des membres de l'église mormone établie, contre les mormons fondamentalistes polygames qui vivaient à Short Creek (ancien nom de Colorado City). Plus de cent adultes furent alors arrêtés pour avoir pratiqué la polygamie, et près de 300 enfants furent retirés à leurs parents et placés dans des foyers d'accueil de la protection de la jeunesse (Rower, 2004). Sur le plan des relations publiques, cette descente s'avéra un désastre pour le gouverneur Pyle, qui pensait ainsi obtenir l'appui de la population, mais qui fut plutôt écarté de son poste aux élections suivantes. Les médias dressèrent un portrait sympathique des polygames les qualifiant d'Américains religieux persécutés. De nombreuses personnes ont également été choquées par les méthodes utilisées par les représentants de l'État pendant la descente (Otto, 1991). Les aspects négatifs de la polygamie, tels que les épouses d'âge mineur, furent mis de côté, et l'accent fut plutôt mis sur les photographies de représentants du gouvernement retirant par la force des enfants en sanglots de leur mère (Rower, 2004).

La descente de 1953 produisit l'affaire Black,21 en vertu de laquelle l'agence de protection de la jeunesse demanda que la garde des enfants soient retirée aux parents. Le tribunal de la jeunesse ordonna que la garde des enfants soit retirée au père et à la mère, une des nombreuses épouses de l'homme, en expliquant que la maison des parents constituait un environnement immoral pour élever des enfants et que les parents avaient, en toute connaissance de cause, négligé de donner les soins, l'attention et l'éducation prévus et requis par les lois et les principes moraux.22 En appel, la Cour suprême de l'Utah a maintenu cette décision. Ultérieurement, après que les parents eurent accepté de se conformer aux lois de l'État interdisant la polygamie et de ne pas enseigner la polygamie à leurs enfants, les parents récupérèrent la garde de leurs enfants (Otto, 1991). Dans les deux ans qui suivirent la descente, la plupart des enfants de Short Creek qui avaient été placés dans des foyers d'accueil ont pu rejoindre leurs mères et les hommes furent libérés de prison.

Depuis les années 1950, la polygamie a occasionnellement fait l'objet de poursuites, mais, comme l'a reconnu Jerrold Jensen, un procureur général adjoint de l'Utah, même si l'État de l'Utah pourrait en théorie poursuivre devant les tribunaux les personnes participant à des relations polygames en utilisant comme motif la bigamie, en pratique, il ne poursuit ces personnes que si une autre infraction est en cause, comme le mariage avec une jeune fille d'âge mineur (Manson, 2005). C'est d'ailleurs ce qui s'est passé dans une des causes de polygamie qui a récemment fait l'objet d'une poursuite en Utah. Rower (2004: 720) indique que le procureur de l'Utah, David Leavitt, était tenu d'intenter des poursuites contre Tom Green, après que ce dernier eut paru à l'émission télévisée Dateline NBC en 1999, se vantant d'avoir plusieurs épouses et se vantant surtout de les avoir épousées alors qu'elles étaient très jeunes. Green fut donc poursuivi et déclaré coupable de défaut d'entretien criminel, de viol d'un enfant au sens de la loi et de quatre chefs de bigamie. Green fut reconnu coupable de viol d'un enfant au sens de la loi puisqu'il avait « spirituellement épousé » Linda Kunz, 13 ans, en 1985. Elle était tombée enceinte deux mois après le mariage et, deux mois après la naissance de l'enfant, ils s'étaient mariés légalement pour éviter à Green des poursuites pour pédophilie.

Après sa déclaration de culpabilité pour bigamie, Green porta sa cause en appel en invoquant que la loi enfreignait la liberté de religion garantie par la Constitution des États-Unis, mais son appel fut rejeté.23 La Cour suprême de l'Utah statua que, même si le jugement Reynolds datait de plus d'un siècle, la Cour suprême des États-Unis avait continué de le citer avec approbation. La Cour de l'Utah déclara également que la loi sur la bigamie ne serait pas remise en question par le droit fédéral à l'exercice libre de la religion en vertu des normes les plus récentes énoncées par la Cour suprême des États-Unis puisqu'une loi neutre d'application générale n'a pas à être justifiée par un intérêt gouvernemental contraignant même si la loi a pour effet accessoire de limiter une pratique religieuse en particulier.24 L'État n'est tenu que de démontrer que la loi est reliée de manière rationnelle à une fin gouvernementale légitime. La Cour suprême de l'Utah statua que l'objet de la loi sur la bigamie ne visait pas à restreindre une pratique motivée par la religion, que la loi avait été rédigée en termes neutres et profanes. De plus, elle statua que l'État avait un intérêt dans la réglementation des mariages, puisque qu'un corpus de lois était fondé sur le mariage, sur le concept de la monogamie et sur le rejet de la polygamie, et que l'État avait également un intérêt dans la protection des personnes vulnérables contre la violence et l'exploitation.

Le jugement de 2003 de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Lawrence c. le Texas,25 qui portait sur la protection constitutionnelle des contacts sexuels intimes contre l'interférence de l'État, créa de la controverse dans la littérature didactique puisque plusieurs se sont alors demandé si les lois criminalisant la polygamie seraient également déclarées inconstitutionnelles.26 Dans l'affaire Lawrence, le juge Kennedy se joignit à la majorité des membres de la Cour suprême en déclarant que la loi sur la conduite homosexuelle du Texas était inconstitutionnelle puisqu'elle enfreignait la clause d'application régulière de la loi du 14e amendement de la Constitution des États-Unis. Le juge Kennedy statua que le droit à la liberté protégé par la Constitution comprend un certain nombre de libertés, y compris la liberté d'avoir des activités sexuelles, et que ce droit protège les citoyens contre des intrusions non justifiées du gouvernement dans leur résidence.27 La Cour suprême affirma que la loi contestée visait à contrôler l'activité humaine la plus privée, l'activité sexuelle, et dans le plus privé des endroits, la résidence. Les lois visent en effet à contrôler les relations personnelles qui, admissibles ou non à une reconnaissance formelle en vertu de la loi, respectent la liberté des personnes de choisir sans être punies comme des criminels.28

La Cour déclara que la criminalisation de cette activité aurait un impact sur la dignité des personnes accusées. La Cour se pencha également sur l'histoire des lois contre la sodomie et la révocation de lois semblables dans des pays étrangers. Le juge Kennedy a pris soin de restreindre le droit à la liberté en soulignant que la loi en question et que la cause devant la Cour ne concernaient pas des personnes d'âge mineur, n'avaient pas trait à la violence et que la nature du consentement n'était pas mise en doute. Depuis Lawrence c. le Texas, la Cour fédérale de l'Utah a confirmé que les dispositions anti-polygamie réglementaires et constitutionnelles de l'État n'enfreignaient pas la Constitution des États-Unis.29

Bien que la loi américaine de l'immigration restreigne l'immigration aux États-Unis des personnes qui pratiquent la polygamie et bien que la pratique de la polygamie soit interdite par le droit criminel, la polygamie est traitée de manière moins stricte lorsque des enfants sont en cause. Michael Otto (1991: 884) a observé que les causes récentes de garde d'enfants représentaient un écart marqué par rapport à la décision de 1955 dans l'affaire Black. Bien que le fait de vivre dans un mariage polygame soit clairement considéré comme étant un facteur négatif lorsque les tribunaux rendent des décisions dans le meilleur intérêt de l'enfant, la pratique de la polygamie n'empêche pas automatiquement un parent d'obtenir la garde d'un enfant ou d'en adopter un.30

L'article 1182(a)(9)(A) de l'Immigration and Nationality Act31 prévoit que les personnes qui veulent immigrer aux États-Unis et qui pratiquent la polygamie font partie d'une catégorie d'étrangers susceptibles d'être exclus et non admissibles à un visa et que ces personnes devraient être interdites d'entrée aux États-Unis. Le service d'immigration et de naturalisation des États-Unis ne remet pas de carte de résident permanent ni la citoyenneté à une personne qui n'affiche pas de bonnes moeurs pendant le délai d'attente légal.32 On déterminera que la personne qui fait une demande n'affiche pas de bonne moeurs si, entre autres raisons, elle a pratiqué ou si elle pratique la polygamie. En réalité, un citoyen américain ne peut pas parrainer l'immigration d'une épouse d'un mariage polygame (Etats-Unis, 2003).



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Mise à jour : 2005-12-19
Contenu revu : 2005-12-19
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